EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le 25 janvier 2023, sous la présidence de M. Christian Cambon, président, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a procédé à l'examen du rapport de M. Guillaume Gontard sur la proposition de loi n° 356 (2021-2022) visant à réhabiliter les militaires « fusillés pour l'exemple » durant la Première Guerre mondiale.

M. Christian Cambon, président . - Nous examinons la proposition de loi visant à réhabiliter les militaires « fusillés pour l'exemple » durant la Première Guerre mondiale.

M. Guillaume Gontard, rapporteur . - La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui, écrite par le député Bastien Lachaud et adoptée par l'Assemblée nationale le 13 janvier 2021, vise à réhabiliter ceux que l'on appelle communément les « fusillés pour l'exemple » de la Première Guerre mondiale, condamnés à mort pour désobéissance militaire et exécutés entre 1914 et 1918, en particulier pendant les deux premières années du conflit. Elle prévoit également que leurs noms seront inscrits sur les monuments aux morts des communes et qu'un monument national sera érigé en leur mémoire.

À cette occasion, je tiens à saluer la mémoire de Guy Fischer, notre ancien collègue communiste et vice-président du Sénat, qui avait déposé un texte similaire en 2011.

Nous avons auditionné Jean-Yves Le Naour, spécialiste de ces événements, ainsi qu'Éric Viot, dont la compétence sur cette question est unanimement reconnue. Ces deux historiens nous ont permis de mieux cerner ces événements et le profil de ces fusillés. Nous avons également auditionné le député Philippe Gosselin, qui a évoqué la tragique affaire des fusillés de Souain, au cours de laquelle son grand-père a défendu les condamnés, avant de se battre pendant des années pour leur réhabilitation. De plus, nous avons pu nous appuyer sur le rapport rendu par la commission dirigée par Antoine Prost sur ce sujet en 2013, à la demande du Président de la République François Hollande. En revanche, l'historien Nicolas Offenstadt, spécialiste de cette question, n'a pas répondu à notre sollicitation ; il est vrai que nous avons dû travailler dans des délais particulièrement resserrés.

La proposition concerne des hommes ayant été condamnés pour des formes diverses de désobéissance aux ordres, pendant les cinq années du conflit, mais surtout en 1914 et 1915, lors des grandes offensives. Ce n'est pas en 1917, l'année des grandes mutineries, qu'ils furent, pour la plupart, exécutés : à ce stade tardif de la guerre, les abus les plus cruels de la justice militaire avaient déjà été corrigés sous la pression des soldats eux-mêmes, mais aussi de parlementaires de tous bords. Seule une trentaine de militaires, sur les 639 visés par ce texte, furent exécutés en 1917.

Avant leur condamnation, ces hommes avaient partagé le sort de leurs camarades, ces poilus confrontés à la violence inouïe des grands combats de 1914 et 1915. Rappelons que, en l'espace de six jours, du 20 au 25 août 1914, 40 000 soldats français moururent, dont 27 000 le 22 août 1914, qui reste la journée la plus sanglante de l'histoire de France. Puis il y eut la bataille de la Marne, en septembre, et les offensives de la bataille de Champagne, avant la grande boucherie de Verdun. Pendant ces terribles offensives et contre-offensives, une violence et un chaos inconcevables pour qui ne les a pas vécus ont désorienté et démoralisé les soldats, quand ils ne les ont pas rendus fous.

Beaucoup des militaires exécutés ont alors été purement et simplement victimes d'erreurs judiciaires.

Parmi les nombreux cas avérés figure celui du soldat Joseph Gabrielli, « simple d'esprit » qui n'avait pas été en mesure de rejoindre sa compagnie après s'être fait soigner d'une blessure, condamné pour abandon de poste le 14 juin 1915 et fusillé le jour même. Après le rejet d'un premier pourvoi par la Cour de cassation, il fut réhabilité en 1933 par la Cour spéciale de justice militaire de Paris, composée non seulement de trois magistrats, mais aussi de trois anciens combattants.

Il y eut aussi les célèbres « martyrs de Vingré », finalement décorés à titre posthume de la médaille militaire et de la croix de guerre.

D'autres cas individuels ont frappé les consciences, comme celui du sous-lieutenant Jean Chapelant, condamné après un procès sommaire pour désertion, alors que, blessé, il avait réussi à s'évader après avoir été fait prisonnier ; ou encore celui du soldat Léonard Leymarie, blessé à son poste, mais condamné pour mutilation volontaire. Nous pourrions, hélas ! citer de nombreux autres noms.

Si certains ont pu être réhabilités, toutes ces injustices avaient une cause bien identifiée : la mise en place d'un système destiné à condamner le plus vite possible pour faire des exemples, dans un conflit que l'on imaginait encore court, où la volonté d'efficacité rejetait au second plan la question de la culpabilité. Tous les fusillés sont passés sous les fourches caudines des tribunaux mis en place par des décrets de 1914, qui instauraient un système d'exception en lieu et place de la justice militaire ordinaire.

Oui, ce système était établi par des textes ; il était donc légal. Non, il n'offrait pas la moindre des garanties qu'évoque le terme de « justice » : pas de véritable instruction, pas de véritable défense, aucune procédure d'appel, plus de grâce présidentielle.

En outre, certaines notions du code de justice militaire recevaient une interprétation très large, de manière à faciliter les condamnations, notamment le fait de s'être trouvé « en présence de l'ennemi ». Or il s'agissait là d'un point décisif, puisque de cette circonstance dépendait l'application de la peine de mort. Ajoutons que beaucoup de militaires ont été condamnés par les mêmes officiers qui les commandaient.

Il ne s'agit en aucun cas de faire ici le procès de l'armée, de tout ramener à des « fautes de commandement », évoquées par Nicolas Sarkozy dans son discours de 2008 et qui expliquent certains actes de désobéissance. Tous les officiers n'eurent pas la volonté de « faire des exemples » : certains militaires du rang ont eu la chance d'avoir affaire à des officiers compréhensifs, qui ne seraient jamais allés jusqu'à réclamer des exécutions pour un moment de faiblesse. À l'inverse, Éric Viot constate que le nombre de fusillés augmente dans chaque division où passent certains gradés. Mais il faut aussi rappeler que les officiers qui ont condamné à mort les six fusillés de Roucy ont été désavoués et relevés par leur général.

Certains estiment que cette injustice était le prix de l'efficacité. En réalité, on s'aperçut assez vite que tel n'était pas le cas, tant ces exécutions dégoûtaient la troupe, qu'elles démotivaient profondément.

Quant à ceux qui avaient vraiment désobéi, ils étaient, en grande majorité, montés au front avec leurs camarades ; ils s'étaient battus, parfois héroïquement, avant de succomber à un moment de faiblesse, que ce soit à la suite d'un bombardement quasi ininterrompu de plusieurs jours, aux limites de l'épuisement, voire de la folie, ou encore en désobéissant à des ordres absurdes ou inapplicables. Certains furent fusillés parce qu'ils réclamaient des chaussures pour monter en première ligne. Tous furent victimes de cette justice expéditive qui empêchait toute réelle appréciation de la situation dans laquelle les faits reprochés s'étaient déroulés.

En revanche, les hommes condamnés pour des faits d'espionnage ou de droit commun n'entrent pas dans le champ de cette proposition de loi.

Au total, le présent texte concerne 639 personnes, selon la déclaration faite par le ministère de la défense le 27 octobre 2014. Cette liste n'a jamais été contestée depuis lors.

La cause de la réhabilitation des militaires fusillés a longtemps été assez consensuelle. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, les soldats revenus du front haïssaient avant tout ceux qu'ils appelaient les embusqués et les profiteurs, pas ceux qui avaient subi à leurs côtés le grand massacre, même s'ils avaient eu un moment de faiblesse.

Ainsi les militants de la réhabilitation ont-ils obtenu d'indéniables succès dans l'entre-deux-guerres, avec l'adoption très large, voire à l'unanimité, de plusieurs textes : loi d'amnistie du 29 avril 1921 ; textes facilitant les procédures de réhabilitation, comme la loi du 9 août 1924 concernant les fusillés sans jugement ; procédures devant la Cour de cassation ; réforme du code de justice militaire en 1928 ; et même création d'une Cour spéciale de justice militaire, qui a siégé entre 1932 et 1935 pour examiner les cas de fusillés suivant des critères qui s'ouvrent à la notion de pardon. Au total, ces efforts ont conduit à la réhabilitation d'environ 40 soldats fusillés.

Le combat a continué et continue encore. Il est notamment mené par des familles sur lesquelles a longtemps pesé l'opprobre. En effet, les réhabilitations furent aléatoires : il fallait qu'il y ait des témoins, que les familles s'impliquent, qu'elles aient des relations haut placées et que la demande soit prise en charge par une association comme la Ligue des droits de l'homme.

Des familles et des associations se battent encore et toujours pour cette reconnaissance. Mais, en réalité, ceux qui plaident aujourd'hui pour poursuivre les réhabilitations au cas par cas demandent l'impossible. Le général Bach, historien du ministère des armées, l'a montré : 20 % à 25 % des dossiers manquent, et beaucoup d'autres sont vides ou si lacunaires qu'il est impossible d'en rien tirer.

D'ailleurs, les historiens ont désormais fait leur travail. Les archives ont été exploitées. Les faits ont été, autant que possible, établis. Après le temps des historiens vient naturellement celui des politiques, qui ont à se prononcer, non pas sur l'histoire, mais sur la mémoire de la Nation.

Dans ce domaine, un premier pas important a déjà été accompli par des hommes d'État. Lionel Jospin, puis Nicolas Sarkozy ont ainsi fait des déclarations importantes, en 1998 à Craonne et en 2008 à Douaumont. Nicolas Sarkozy a également évoqué, sous l'Arc de Triomphe, en 2009 avec la Chancelière Merkel, ces « fusillés qui attendent encore qu'on leur rende justice ». Pendant la présidence de François Hollande, un espace a même été aménagé au sein du musée des armées.

De nombreuses collectivités territoriales ont par ailleurs adopté des voeux visant à réhabiliter les fusillés pour l'exemple. Il s'agit d'environ 2 000 communes, de 31 conseils départementaux - rien de moins - et de 6 conseils régionaux, souvent dans des territoires portant les stigmates de la Grande Guerre.

Aujourd'hui, nous estimons que le tour du Parlement est venu. C'est le Parlement qui a commencé ce travail dès 1916, notamment sur l'initiative du député Paul Meunier, et c'est le Parlement qui doit le terminer. En parallèle, l'opinion générale a sans doute évolué. Elle peut désormais considérer qu'un moment de faiblesse n'efface pas tous les sacrifices accomplis, que l'opprobre doit finir et que, à côté de tous les militaires morts au combat, il faut se souvenir de ces soldats fusillés pour l'exemple : leur destin aussi nous parle - si j'ose dire - de ce que fut cette guerre atroce.

Nous avons un moment songé à proposer une modification du texte pour en faciliter l'adoption. Toutefois, cette nouvelle rédaction n'aurait sans doute pas changé l'appréciation des uns et des autres sur le fond. En revanche, elle aurait empêché une adoption conforme. D'ailleurs, le texte voté par l'Assemblée nationale n'a pas vraiment suscité de levée de boucliers.

Certains estiment qu'une telle réhabilitation, en invalidant des décisions de justice, constituerait une atteinte à la séparation des pouvoirs, mais une telle crainte ne me paraît pas fondée. Le Conseil constitutionnel a, en réalité, une interprétation très souple de la notion d'amnistie, qui peut aller jusqu'à la réhabilitation. Il souligne ainsi, dans sa décision du 20 juillet 1988, qu'une amnistie peut remettre en l'état la situation de ses bénéficiaires sous réserve de ne pas léser les droits des tiers.

Pour ce qui concerne l'inscription sur les monuments aux morts, le débat me semble en grande partie derrière nous. Aucune disposition législative ni réglementaire n'empêche aujourd'hui les communes d'inscrire les noms qu'elles souhaitent sur leurs monuments aux morts. D'ailleurs, le tiers environ des 639 militaires visés par la proposition de loi y figurerait déjà, car beaucoup de communes n'ont pas voulu laisser sans réponse l'appel à la justice lancé par les familles ou par les associations. Il s'agit donc simplement de dire que cette démarche est la bonne.

Enfin, la création d'un monument national perpétuant la mémoire de ces fusillés pour l'exemple permettrait de disposer d'un lieu mémoriel spécifique pour que tous puissent connaître l'histoire de ces hommes. Il existe déjà un monument de cette nature dans la commune de Chauny, dont nous avons auditionné le maire : il s'y est parfaitement intégré, ne suscitant aucune réaction négative. C'est le fruit d'un travail mené avec différentes associations, notamment les associations d'anciens combattants.

Ce texte ne divise pas ; au contraire, il rassemble la Nation, car le souvenir des injustices commises à l'encontre de ces fusillés reste très vif, plus de cent ans après, notamment au sein de leurs familles.

Cette proposition de loi parachève la reconnaissance esquissée par Lionel Jospin, Nicolas Sarkozy, puis François Hollande. Elle clôt un chapitre douloureux et offre l'apaisement à quelques centaines de morts. Les intéressés représentent une goutte d'eau dans l'océan des morts de la Grande Guerre, mais cette goutte d'eau empêche d'en constituer complètement et définitivement la mémoire. C'est pourquoi je vous propose d'approuver ce texte sans modification.

M. Christian Cambon, président . - Cette proposition de loi a été votée par l'Assemblée nationale au terme d'une séance singulière, marquée notamment par l'intervention de Philippe Gosselin, dont la famille est directement concernée par le sujet.

M. Yannick Vaugrenard . - M. le rapporteur a présenté cette proposition de loi avec beaucoup de précision historique et de sensibilité.

Plus d'un siècle après les faits, les mots « fusillés pour l'exemple » font encore froid dans le dos. Cette guerre fut une véritable boucherie.

Les fusillés de droit commun sont exclus du périmètre de la proposition de loi, à l'instar des traîtres : son champ d'application est donc bien précisé, grâce au travail mené par le Service historique de la défense. C'est la raison pour laquelle le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain y est favorable. Il s'agit d'un texte d'apaisement.

Les historiens eux-mêmes nous l'indiquent : il n'est plus possible de procéder au cas par cas, ce qui aurait été idéal sur le plan juridique. La disparition d'un certain nombre d'archives impose d'opter pour une réhabilitation générale.

Dès 1916, la Chambre des députés s'est prononcée à l'unanimité pour la suppression des tribunaux militaires d'exception et le rétablissement du droit de grâce, auquel le Président Poincaré a largement recouru dans les années suivantes : 95 % des condamnés à mort « pour l'exemple » ont été graciés.

Un soldat refuse de porter les habits, tachés de sang, de son camarade mort : il est condamné le soir même et fusillé le lendemain matin sans avoir pu présenter sa défense. Cet exemple est représentatif de la justice expéditive alors à l'oeuvre. D'autres soldats ont été fusillés « pour l'exemple » après avoir été tirés au sort.

Certains invoquent le respect de la discipline, qui, à l'évidence, est indispensable à l'armée, mais les généraux du début de la Grande Guerre n'ont rien à voir avec les responsables militaires d'aujourd'hui. Je suis frappé de voir à quel point les officiers actuels sont soucieux de la santé et de la vie de leurs soldats, et je tiens à leur rendre hommage. Cette proposition de loi fait non pas le procès de l'armée, mais celui d'une période pour le moins particulière.

La Haute Assemblée s'honorerait en votant cette proposition de loi, qui permettrait à notre jeunesse de mesurer combien les mentalités ont évolué.

M. Pascal Allizard . - Je salue la pertinence de ces rappels historiques, mais, selon nous, le Parlement n'a pas à réécrire l'histoire. Dans l'ensemble, les membres de notre groupe s'opposeront à ce texte.

M. André Gattolin . - Je relève à mon tour la justesse et la précision des informations communiquées par le rapporteur Guillaume Gontard et par Yannick Vaugrenard. Il suffit de lire Guerre de Louis-Ferdinand Céline ou encore les oeuvres de Henri Barbusse pour constater à quel point, en temps de guerre, la frontière entre un condamné et un héros peut être floue.

En l'état, ce texte ne peut pas être voté. L'idée d'une réhabilitation collective civique et morale me pose juridiquement problème, car la réhabilitation est une procédure individuelle. Je ne suis même pas sûr qu'une telle disposition soit conforme à la Constitution.

J'ai vainement tenté de réécrire un certain nombre de formulations qui me semblent dangereuses, comme la mention d'une « politique répressive ». Néanmoins, il me semble essentiel d'assurer une reconnaissance morale, car c'est l'honneur d'une grande nation de reconnaître ses erreurs et ses défaites - je pense notamment au cas des « malgré-nous ». Voilà pourquoi il faut poursuivre la réflexion ; à titre personnel, je m'abstiendrai.

M. Joël Guerriau . - Au total, des millions d'hommes ont été mobilisés dans l'armée française pendant la Grande Guerre ; environ 550 d'entre eux ont été fusillés pour l'exemple, contre 48 dans l'armée allemande, ce qui, en soi, pose question. Évidemment, leur sort nous fait tous frémir. Cela étant, ce texte n'est pas de nature à rassembler : il est susceptible de diviser les Français, car il remet en cause l'état-major, donc les autorités politiques de l'époque.

En parallèle, pourquoi n'a-t-on pas fusillé de généraux « pour l'exemple » ? L'offensive Nivelle s'apparente à un assassinat de masse. En 1914, 162 généraux ont d'ailleurs été écartés du front ; certains ont été envoyés à Limoges, d'où le terme de « limogeage ».

M. Olivier Cigolotti . - Dans leur majorité, les membres du groupe Union Centriste sont plutôt défavorables à ce texte. Les procédures de réhabilitation ont été engagées très tôt et, depuis 1998, un certain nombre de déclarations officielles se sont succédé. Selon nous, une réhabilitation globale pose bel et bien question sur le plan constitutionnel. En outre, il n'appartient pas au Parlement de refaire l'histoire : laissons ce travail aux historiens.

M. Alain Houpert . - Ces soldats ont été déclarés coupables d'avoir eu peur ; certains ont été fusillés au terme d'un tirage au sort. Notre pays a eu le courage d'abolir la peine de mort : ne pas les réhabiliter, c'est les tuer une seconde fois.

Pour ma part, je voterai cette proposition de loi. Elle n'est peut-être pas juste techniquement, mais elle l'est humainement.

M. Jean-Marc Todeschini . - En 1998, j'étais chef de cabinet du ministre chargé des anciens combattants et j'ai organisé avec Matignon la visite de Lionel Jospin à Craonne. Par la suite, François Hollande et Nicolas Sarkozy ont eux aussi demandé la réintégration de ces « fusillés pour l'exemple » dans la mémoire collective.

Comme secrétaire d'État chargé des anciens combattants et de la mémoire, j'ai participé à l'inauguration, aux Invalides, de la salle dédiée aux fusillés de la Grande Guerre, demandée par mon prédécesseur. C'est également lui qui avait commandé le rapport Prost.

Je suis solidaire de mon groupe et je voterai ce texte. Toutefois, il ne mentionne pas le chiffre de 639 et, à mon sens, ne se limite pas à lui, alors qu'il faut avancer pas à pas. Le Service historique de la défense a fait un important travail, dont la conclusion est incontestable ; pourquoi ne pas annexer cette liste à la proposition de loi ? Peut-on réellement réhabiliter tout le monde ?

M. Olivier Cadic . - Je me souviens encore du récit qu'un vétéran de la Grande Guerre m'a fait d'une de ces exécutions lorsque j'étais enfant. Cette histoire m'a tellement ému que je suis devenu un opposant acharné de la peine de mort. Un tout jeune soldat était condamné à mort, il pleurait et se débattait et ceux qui devaient l'exécuter pleuraient aussi. Aujourd'hui, on voit ce qui se passe en Ukraine ; on voit les « exemples » que fait le groupe Wagner, les coups de masse qu'il inflige aux déserteurs. Je voterai ce texte.

M. Alain Cazabonne . - Je voterai moi aussi ce texte, tout en regrettant que l'on ne traite pas un certain nombre de cas, comme celui du général Nivelle.

M. Pierre Laurent . - Je me reconnais pleinement dans les propos du rapporteur et de Yannick Vaugrenard, qui me rappellent ceux de Guy Fischer, mort peu de temps après le dépôt de sa proposition de loi.

Les historiens sont unanimes : les archives ne permettent pas de procéder au cas par cas. L'argument juridique opposé par certains a donc ses limites. Les membres du groupe CRCE voteront ce texte d'apaisement.

M. Guillaume Gontard, rapporteur . - Vos interventions, dans leur diversité, prouvent combien cette question reste vive plus de cent ans après les faits. Il s'agit aussi de l'honneur des familles concernées.

Pour moi, ce texte ne procède absolument pas à une réécriture de l'histoire, bien au contraire : il repose sur le travail des historiens, et la liste des 639 noms n'a été contestée par personne. Si elle n'est pas reproduite ici, c'est parce qu'elle est difficile à obtenir. L'initiative de la mairie de Chauny n'a pas non plus suscité d'opposition.

Le périmètre de cette proposition de loi est suffisamment précis pour assurer une réhabilitation collective. Évidemment, une réhabilitation au cas par cas serait préférable, mais elle est impossible.

En votant le présent texte, nous tournerons définitivement cette page de notre histoire.

Pour les raisons que j'ai indiquées, le risque de censure du Conseil constitutionnel ne me semble pas avéré.

Enfin, si certaines expressions ont pu choquer tel ou tel, elles reflètent elles aussi le travail des historiens, qui, en un sens, permet de réhabiliter l'armée.

Blanche Maupas écrivait dans Le Fusillé , ouvrage dédié au caporal Maupas : « On voudrait donc que ces martyrs ne deviennent plus qu'une légende. Si je meurs avant la réparation, pensa la veuve, j'aurai protesté pour elle jusqu'à mon dernier souffle et je viendrai près d'eux reposer sous cette verdure. S'ils sont réhabilités, ma place sera là, encore, à l'ombre de leur image immortalisée. »

M. Pascal Allizard . - À l'évidence, notre histoire nous travaille ; mais, sur ce sujet comme sur d'autres, on ne saurait légiférer sous le coup de l'émotion.

Je maintiens mes propos, qui n'ont d'ailleurs rien de provocateur : cette proposition de loi est une tentative de réécrire l'histoire. Dès lors, elle risque de diviser. Je pense au cas, dans mon département du Calvados, d'un résistant déclaré mort pour la France et dont le nom est inscrit sur le monument de sa commune. Les circonstances de sa mort sont mal connues : on a pensé bien faire en rouvrant ce dossier, mais on a fait ressurgir de vieux démons.

M. Jean-Marc Todeschini . - Il me semble bel et bien nécessaire d'annexer la liste des 639 personnes concernées, qui n'est sans doute pas classée secret-défense. Quant à l'histoire des « malgré-nous », je confirme à quel point elle reste douloureuse, notamment dans mon département.

M. Guillaume Gontard, rapporteur . - L'exposé des motifs est clair : espions et condamnés de droit commun n'entrent pas dans le champ de cette proposition de loi. Vous pouvez déposer un amendement de séance tendant à annexer cette liste : j'y serai bien sûr favorable. Toutefois, la question n'est pas là, puisque ce document ne fait pas l'objet de contestations.

M. Jean-Marc Todeschini . - Le Souvenir français le conteste.

M. Guillaume Gontard, rapporteur . - En tout cas, notre vote ne doit pas dépendre de ce point.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam . - Sous le coup de l'émotion, on a évidemment envie de réhabiliter ces personnes victimes d'un drame terrible, qui plus est quand on est, comme moi, farouchement opposé à la peine de mort. Mais, lorsque, en tant que parlementaires, nous devons nous prononcer sur l'opportunité des textes qui nous sont soumis, la raison doit toujours l'emporter.

Aujourd'hui, on réécrit l'histoire en permanence, et ce dans un sens toujours défavorable à la France, par exemple à propos des guerres napoléoniennes. La plupart de ces condamnés étant des déserteurs, j'ai peur des répercussions que de telles dispositions pourraient avoir sur nos armées : ces débats seront nécessairement élargis à d'autres questions.

Je reconnais et je comprends la souffrance de ces fusillés et de leurs familles, mais la loi ne me semble pas être le bon canal. Je ne voterai pas ce texte.

M. Yves Détraigne . - Cette réécriture de l'histoire n'a pas de sens ; je voterai contre le texte.

M. Rachid Temal . - Cette proposition de loi ne réécrit pas l'histoire ; elle prend acte de l'histoire.

Le Parlement français est prêt à voter des textes relatifs à l'histoire de pays étrangers, comme l'Arménie ou l'Ukraine, mais il est beaucoup plus réservé quand il s'agit de notre pays. Je suis très fier de l'histoire de France. Toutefois, il faut admettre sa complexité.

M. Alain Houpert . - Le 17 septembre 1981, Robert Badinter s'exprimait lui aussi avec émotion. En outre, on invoque beaucoup de détails pour s'excuser de ne pas voter cette proposition de loi, mais le diable est souvent dans les détails.

M. Philippe Folliot . - On ne peut pas dissocier la mémoire universelle et la mémoire nationale : c'est une question de cohérence.

Je salue le travail de M. le rapporteur, mais j'estime que le Parlement n'a pas à se substituer aux historiens. En pareil cas, nous risquons toujours de mettre le doigt dans un engrenage. Voilà pourquoi, même si je suis sensible aux arguments du rapporteur, je voterai contre ce texte.

M. Joël Guerriau . - Le maréchal Ney a été condamné à mort ici même, puis réhabilité un demi-siècle plus tard. Dreyfus, de même, a été condamné, puis réhabilité. Réhabiliter, ce n'est pas réécrire l'histoire : c'est revenir sur un jugement historique.

M. Hugues Saury . - Georges Clemenceau disait : « La justice militaire est à la justice ce que la musique militaire est à la musique. » À l'époque, la justice militaire était pour le moins fruste et probablement injuste ; ces fusillés ont été victimes de la folie de leur temps.

Prenons garde aux anachronismes : nous ne sommes pas habilités à juger des événements vieux de plus d'un siècle, même s'ils peuvent sembler proches. Je ne voterai pas cette proposition de loi.

La proposition de loi n'est pas adoptée.

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