Rapport n° 308 (2022-2023) de M. Jean-François RAPIN , fait au nom de la commission des affaires européennes, déposé le 2 février 2023

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N° 308

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 2 février 2023

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires européennes (1) sur la proposition de résolution européenne en application de l'article 73 quinquies du Règlement, sur le volet relatif
à la
politique étrangère et de sécurité commune des négociations d' adhésion
de l'
Union européenne à la Convention de sauvegarde des droits de l' homme
et des
libertés fondamentales ,

Par M. Jean-François RAPIN,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-François Rapin , président ; MM. Alain Cadec, Cyril Pellevat, André Reichardt, Didier Marie, Mme Gisèle Jourda, MM. Claude Kern, André Gattolin, Pierre Laurent, Mme Colette Mélot, M. Jacques Fernique, Mme Véronique Guillotin , vice-présidents ; M. François Calvet, Mme Marta de Cidrac, M. Jean-Yves Leconte, Mme Amel Gacquerre , secrétaires ; MM. Pascal Allizard, Jean-Michel Arnaud, Mme Florence Blatrix Contat, MM. Philippe Bonnecarrère, Jean-Pierre Corbisez, Pierre Cuypers, Laurent Duplomb, Christophe-André Frassa, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, M. Daniel Gremillet, Mmes Pascale Gruny, Laurence Harribey, MM. Ludovic Haye, Jean-Michel Houllegatte, Patrice Joly, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Pierre Louault, Victorin Lurel, Franck Menonville, Mme Catherine Morin-Desailly, MM. Louis-Jean de Nicolaÿ, Pierre Ouzoulias, Mmes Elsa Schalck, Patricia Schillinger .

Voir les numéros :

Sénat :

296 et 309 (2022-2023)

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Les 27 États membres de l'Union européenne sont parties à la Convention européenne des droits de l'Homme, condition nécessaire pour adhérer au Conseil de l'Europe. Ils se soumettent donc pour son interprétation à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme, dont le siège est à Strasbourg. En revanche, l'Union européenne en tant que telle n'a pas encore adhéré à cette Convention, alors que cette adhésion est expressément prévue par les traités.

En effet, l'article 6, paragraphe 2, du traité sur l'Union européenne stipule, depuis le traité de Lisbonne, que « l'Union adhère à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales. Cette adhésion ne modifie pas les compétences de l'Union telles qu'elles sont définies dans les traités ».

Le protocole n° 8 annexé aux traités fixe des conditions à l'adhésion de l'Union européenne à la Convention. Son article 2 indique notamment que l'accord relatif à l'adhésion « doit garantir que l'adhésion de l'Union n'affecte ni les compétences de l'Union ni les attributions de ses institutions ».

S'agissant spécifiquement de la politique étrangère et de sécurité commune, il ressort des articles 24 du traité sur l'Union européenne et 275 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne que la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) n'est pas compétente en ce qui concerne les dispositions relatives à la politique étrangère et de sécurité commune, ni en ce qui concerne les actes adoptés sur leur fondement, à deux exceptions près, pour contrôler le respect de l'article 40 du traité sur l'Union européenne et pour examiner les recours concernant les mesures restrictives adoptées par le Conseil à l'encontre de personnes physiques ou morales.

Une première séquence de négociations en vue de l'adhésion avait eu lieu en 2010-2011 et avait débouché, en avril 2013, sur un projet d'accord au Conseil. Néanmoins, la procédure prévoyait que ce projet d'accord devait être soumis pour avis à la CJUE. Dans son avis 2/13 rendu en assemblée plénière le 18 décembre 2014, celle-ci avait jugé que le projet d'accord d'adhésion n'était pas compatible avec le droit de l'Union européenne.

La CJUE rejetait en particulier la possibilité que la Cour européenne des droits de l'Homme puisse connaître des actes relatifs à la politique étrangère et de sécurité commune (PESC), alors qu'elle-même ne le pouvait pas en application des traités.

Elle soulignait que la compétence pour effectuer un contrôle juridictionnel d'actes, d'actions ou d'omissions de l'Union, y compris au regard des droits fondamentaux, ne saurait être attribuée exclusivement à une juridiction internationale qui se situe en dehors du cadre institutionnel et juridictionnel de l'Union.

Cette décision s'est traduite par un arrêt du processus d'adhésion. Les négociations d'adhésion ont toutefois été relancées à compter du 7 octobre 2019, date à laquelle le Conseil a adopté des directives de négociation en vue de répondre aux différentes objections de la CJUE. Les enjeux d'ensemble ont fait l'objet d'une présentation détaillée devant la commission des affaires européennes par MM. Philippe Bonnecarrère et Jean-Yves Leconte en 2020 1 ( * ) .

S'agissant de la PESC, les directives de négociation privilégiaient en particulier la définition d'un mécanisme de réattribution de responsabilités, solution devant permettre d'assurer à la fois le respect du principe de subsidiarité et l'épuisement de voies de recours internes avant que la Cour européenne des droits de l'Homme ne soit saisie.

Ce mécanisme de réattribution de responsabilités a été au coeur des discussions du panier 4 des négociations, relatif à la PESC, mais des blocages sont apparus, certains États membres faisant notamment valoir des difficultés d'ordre constitutionnel. D'autres mécanismes ont été examinés.

La Commission européenne a alors proposé une autre solution : adopter une déclaration intergouvernementale interprétative sur la base de laquelle la CJUE pourrait étendre sa compétence aux actes relevant de la PESC afin de statuer sur une éventuelle violation des droits fondamentaux avant que la Cour européenne des droits de l'Homme ne se prononce.

Le service juridique du Conseil a soutenu l'approche de la Commission, en estimant qu'au regard des circonstances spécifiques, une déclaration interprétative serait de nature à réconcilier les stipulations contradictoires des traités en établissant que ces derniers permettraient de conférer une compétence juridictionnelle à la CJUE en matière de PESC dans les cas limités d'actions introduites pour des violations de droits fondamentaux par l'Union européenne, par des requérants ayant qualité à agir devant la Cour européenne des droits de l'Homme.

Cette proposition est désormais soutenue par la quasi-totalité des États membres. La France, qui fait figure d'exception, est la seule à s'être exprimée contre cette proposition lors du conseil Justice et affaires intérieures (JAI) du 9 décembre 2022.

Or une telle proposition soulève de nombreux enjeux opérationnels pour la PESC, mais aussi juridiques, institutionnels et politiques, développés par Mme Gisèle Jourda et M. Dominique de Legge dans la communication qu'ils ont présentée devant la commission des affaires européennes le 20 octobre 2022 2 ( * ) , puis discutés de manière approfondie lors d'une réunion conjointe de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, de la commission des lois et de la commission des affaires européennes, le 18 janvier 2023 3 ( * ) .

Au regard de ces échanges, considérant que le recours à une déclaration intergouvernementale interprétative s'apparenterait à une révision déguisée des traités et contournerait le contrôle démocratique prévu par la Constitution et exercé par le Parlement, les présidents de ces trois commissions, MM. François-Noël Buffet, Christian Cambon et Jean-François Rapin, ont déposé le 30 janvier 2023 la proposition de résolution européenne n° 296 (2022-2023) sur le volet relatif à la politique étrangère et de sécurité commune des négociations d'adhésion de l'Union européenne à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Cette proposition a été examinée le mercredi 1 er février 2023 par la commission des affaires européennes, qui avait également entendu le même jour, conjointement avec la commission des lois, le juge français à la Cour européenne des droits de l'Homme, M. Mattias Guyomar, lequel avait notamment été interrogé par MM. Jean-Yves Leconte et Dominique de Legge sur les enjeux liés à la perspective d'adhésion de l'Union européenne à la Convention européenne des droits de l'Homme 4 ( * ) .

À l'issue de cette réunion, la commission des affaires européennes a adopté, sur le rapport de M. Jean-François Rapin, président, la proposition de résolution européenne sur le volet relatif à la politique étrangère et de sécurité commune des négociations d'adhésion de l'Union européenne à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le 1 er février 2023, la commission des affaires européennes a engagé le débat suivant :

M. Jean-François Rapin , président, rapporteur . - Nous allons traiter le sujet des conséquences d'une éventuelle adhésion de l'Union européenne, en tant que telle, à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme (CESDH), à laquelle ses vingt-sept États membres sont déjà parties à titre individuel. Une telle adhésion, bien que prévue par les traités, bute depuis de nombreuses années sur des questions délicates, que nos collègues Philippe Bonnecarrère et Jean-Yves Leconte avaient présentées dans leur rapport d'information de 2020 intitulé Adhésion de l'Union européenne à la convention européenne des droits de l'Homme .

Toutefois, elle pourrait se décider prochainement, à la faveur d'un tour de passe-passe juridique proposé par la Commission européenne, qui aurait un impact préoccupant sur la politique étrangère et de sécurité commune (PESC). Nos collègues Gisèle Jourda et Dominique de Legge nous ont alertés à ce sujet en octobre dernier.

Il y a deux semaines, nous avons organisé une réunion commune à trois commissions : celle des lois, celle des affaires étrangères et la nôtre, pour sensibiliser plus de sénateurs aux enjeux politiques considérables de ce sujet d'apparence technique. À l'issue de cette réunion, j'ai déposé, avec mes collègues François-Noël Buffet et Christian Cambon, une proposition de résolution européenne dont le but est, avec le Gouvernement, d'éviter un ralliement du Conseil de l'Union européenne à la proposition de la Commission. En effet, cette proposition revient à réviser les traités, de manière déguisée, par une simple déclaration intergouvernementale qui contournerait le contrôle démocratique du Parlement. Il s'agit ainsi de rendre la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) compétente sur la politique étrangère et de sécurité commune, ce que les traités excluent à ce jour, en l'autorisant à statuer sur une éventuelle violation des droits fondamentaux avant que la Cour européenne des droits de l'homme ne se prononce.

Je ne reviendrai pas sur les nombreux enjeux opérationnels pour la PESC, mais aussi juridiques, institutionnels et politiques, que cette perspective soulève. Nous en avons discuté de manière approfondie lors de notre réunion du 18 janvier. C'est sur ce fondement que nous avons déposé la proposition de résolution européenne n° 296, aujourd'hui soumise à l'examen de notre commission. Je vous propose de l'adopter en l'état, puisqu'elle est le fruit des débats que nous avons déjà eus ensemble à ce sujet. Chacun d'entre nous avait alors déjà fait part de ses incertitudes, mais je vous invite à vous exprimer à la lumière de l'audition qui vient de s'achever.

M. Jean-Yves Leconte . - La difficulté est indéniable. Qu'un requérant dénonce, devant la CEDH, une action de l'Union suppose de s'assurer que celle-ci est bien compétente. Telle qu'elle est écrite, la proposition de résolution ne remet pas en cause la perspective d'adhésion de l'Union à la CEDH et se borne à souligner la difficulté tout en rappelant les compétences respectives des États membres et de l'Union. L'adhésion de l'UE à la CESDH ne me semble pas soulever de difficultés sinon que les décisions de la CJUE touchent parfois des domaines situés, selon les États, hors de sa compétence - ses arrêts sur les communications téléphoniques en témoignent.

Ainsi, dans cette construction européenne - Jacques Delors disait souvent que l'Europe, c'est comme la bicyclette : si elle n'avance pas, elle tombe -, on ne peut attendre que les traités demeurent statiques. Son adhésion à la CEDH fait partie de ce qui augmente les compétences de l'Union elle-même, et ne pourra avoir lieu à droit constant.

Sur le fond, les réserves que j'ai exprimées auparavant sont levées. Nous soulignons une difficulté réelle, qui mérite d'être dite : il est d'ailleurs étonnant que nous soyons seuls, alors que d'autres pays auraient des raisons d'y être encore plus sensibles que nous...

M. Jean-François Rapin , président, rapporteur . - Nous ferons valoir ces arguments à nos homologues d'autres États membres.

M. Jean-Yves Leconte . - Le risque serait que certains, se rendant compte du sujet, décident, eux, de tout bloquer...

M. Jean-François Rapin , président, rapporteur . - J'ai aussi évoqué le sujet à Stockholm il y a quelques jours à l'occasion de la réunion des Présidents de la COSAC.

M. Didier Marie . - Je rejoins Jean-Yves Leconte. Premièrement, l'adhésion à la CEDH est nécessaire, car elle apportera à chacun de nouveaux moyens de défendre ses droits. Nous ne voyons plus de raison de nous opposer à la proposition de résolution, nos remarques ayant été prises en compte. Deuxièmement, nous ne souhaitons pas, en cohérence avec la résolution, qu'une déclaration interprétative modifie les traités. Troisièmement, je constate que, si nous venons en appui du Gouvernement avec une résolution, nous n'apportons pas de solution. La Première ministre l'a dit dans son courrier : la France mène bataille pour éviter la déclaration interprétative, mais elle ne semble pas, à ce stade, avoir d'autre option à présenter. Les citoyens européens en pâtissent, car, en attendant, ils n'ont pas accès à la CEDH pour contester les actes de l'Union. Rencontrer les représentants du Gouvernement serait utile pour qu'ils nous éclairent sur les pistes alternatives afin que nous puissions, au nom de la commission, fournir un soutien à celles-ci.

Mme Gisèle Jourda . - Il faudra nourrir ce dossier. Je me satisfais de constater que la difficulté est bien comprise. Avec Dominique de Legge, nous nous étions prononcés en faveur de l'adhésion à la CEDH.

Montrer l'existence d'une difficulté est un point de départ. La déclaration interprétative résulte d'une tentative de la contourner. On ne pourra sans doute pas se passer d'une modification du traité. C'est la clé d'une réelle souveraineté européenne.

M. Jean-François Rapin , président, rapporteur . - Je précise d'ailleurs que c'est la Commission européenne qui a proposé cette déclaration, comme nous le mentionnons dans l'exposé des motifs.

Mme Gisèle Jourda . - Je suis, en tout cas, favorable à ce premier pas.

La commission autorise la publication du rapport et adopte la proposition de résolution européenne .

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE SUR LE VOLET RELATIF À LA POLITIQUE ÉTRANGÈRE ET DE SÉCURITÉ COMMUNE DES NÉGOCIATIONS D'ADHÉSION DE L'UNION EUROPÉENNE À LA CONVENTION DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L'HOMME ET DES LIBERTÉS FONDAMENTALES

Le Sénat,

Vu les articles 53 et 88-4 de la Constitution,

Vu les articles 2, 3, 6, 19, 24 et 48 du traité sur l'Union européenne (TUE),

Vu l'article 275 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE),

Vu le protocole n° 8 relatif à l'article 6, paragraphe 2, du traité sur l'Union européenne sur l'adhésion de l'Union à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, annexé aux traités sur l'Union européenne et sur le fonctionnement de l'Union européenne,

Vu la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales,

Vu l'avis 2/13 rendu par la Cour de justice de l'Union européenne le 18 décembre 2014,

Vu l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne (cinquième chambre) du 12 novembre 2015, Elitaliana SpA contre Eulex Kosovo,

Vu le rapport n° 562 (2019-2020) déposé le 25 juin 2020 de MM. Philippe Bonnecarrère et Jean-Yves Leconte, fait au nom de la commission des affaires européennes du Sénat, sur l'adhésion de l'Union européenne à la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales,

Vu les négociations en cours au Conseil de l'Union européenne et dans le cadre du groupe de négociation ad hoc du Comité directeur pour les droits de l'homme du Conseil de l'Europe (46 + 1) sur l'adhésion de l'Union européenne à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales,

Vu la recommandation 2226 et la résolution 2430, intitulées « Au-delà du Traité de Lisbonne : renforcer le partenariat stratégique entre le Conseil de l'Europe et l'Union européenne », adoptées par l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (APCE) le 26 avril 2022,

Vu la communication de Mme Gisèle Jourda et M. Dominique de Legge devant la commission des affaires européennes du Sénat, le 20 octobre 2022,

Vu la décision du Comité des ministres du Conseil de l'Europe, adoptée le 7 novembre 2022, convoquant un quatrième sommet des chefs d'État et de Gouvernement du Conseil de l'Europe les 16 et 17 mai 2023,

Vu la réponse à la recommandation 2226 précitée de l'APCE, adoptée par le Comité des ministres du Conseil de l'Europe lors de la 1452e réunion des délégués des ministres, le 14 décembre 2022,

Considérant que le respect des traités est un élément essentiel de l'État de droit, lequel figure au nombre des valeurs fondamentales de l'Union aux termes de l'article 2 du traité sur l'Union européenne ;

Considérant que l'article 6, paragraphe 2, du traité sur l'Union européenne stipule, depuis le traité de Lisbonne, que « l'Union adhère à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales » et que « cette adhésion ne modifie pas les compétences de l'Union telles qu'elles sont définies dans les traités » ;

Considérant que l'article 6, paragraphe 3, du traité sur l'Union européenne stipule que « les droits fondamentaux, tels qu'ils sont garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et tels qu'ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux États membres, font partie du droit de l'Union en tant que principes généraux » ;

Considérant que l'article 1er du protocole n° 8 annexé aux traités précise que « l'accord relatif à l'adhésion [...] doit refléter la nécessité de préserver les caractéristiques spécifiques de l'Union et du droit de l'Union, notamment en ce qui concerne : a) les modalités particulières de l'éventuelle participation de l'Union aux instances de contrôle de la Convention européenne ; b) les mécanismes nécessaires pour garantir que les recours formés par des États non membres et les recours individuels soient dirigés correctement contre les États membres et/ou l'Union, selon le cas » ;

Considérant que l'article 2 du protocole n° 8 annexé aux traités précise que l'accord relatif à l'adhésion « doit garantir que l'adhésion de l'Union n'affecte ni les compétences de l'Union ni les attributions de ses institutions » ;

Considérant qu'en application de l'article 24 du traité sur l'Union européenne et de l'article 275 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, la Cour de justice de l'Union européenne n'est pas compétente en ce qui concerne les dispositions relatives à la politique étrangère et de sécurité commune, ni en ce qui concerne les actes adoptés sur leur fondement, sauf pour contrôler le respect de l'article 40 du traité sur l'Union européenne et pour se prononcer sur les recours concernant le contrôle de la légalité des décisions prévoyant des mesures restrictives à l'encontre de personnes physiques ou morales adoptées par le Conseil, sur la base du titre V, chapitre 2, du traité sur l'Union européenne ;

Considérant la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, et en particulier l'arrêt Eulex Kosovo du 12 novembre 2015, par lequel la Cour a jugé que l'article 24, paragraphe 1, alinéa 2, du traité sur l'Union européenne et l'article 275 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, lesquels soustraient le domaine de la politique étrangère et de sécurité commune à sa compétence, doivent être interprétés de manière restrictive dans la mesure où ils constituent une exception à sa compétence générale prévue à l'article 19 du traité sur l'Union européenne ;

Considérant, d'une part, que tous les actes des Parties contractantes à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doivent pouvoir faire l'objet d'un recours effectif devant des instances internes et, d'autre part, que l'épuisement sans succès d'une telle voie de recours est une condition pour qu'une requête individuelle portée devant la Cour européenne des droits de l'homme soit recevable ;

Considérant que l'avis 2/13 du 18 décembre 2014 de la Cour de justice de l'Union européenne, selon lequel la compétence pour effectuer un contrôle juridictionnel d'actes, d'actions ou d'omissions de l'Union, y compris au regard des droits fondamentaux, ne saurait être attribuée exclusivement à une juridiction internationale qui se situe en dehors du cadre institutionnel et juridictionnel de l'Union, impose de convenir d'une voie de recours interne adaptée ;

Reste attaché à l'objectif d'adhésion de l'Union européenne à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, consacré par l'article 6 du traité sur l'Union européenne ;

Souligne qu'en application des traités et du protocole n° 8 annexé, l'adhésion de l'Union européenne à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne doit affecter ni les compétences de l'Union, ni les attributions de ses institutions ;

Observe que les attributions des institutions seraient affectées par une déclaration intergouvernementale interprétative visant, au nom de l'effet utile de l'ensemble des stipulations des traités et afin de réconcilier des stipulations contradictoires, à conférer une compétence juridictionnelle à la Cour de justice de l'Union européenne en matière de politique étrangère et de sécurité commune dans les cas d'actions introduites, par des requérants ayant qualité à agir devant la Cour européenne des droits de l'homme, pour des violations de droits fondamentaux par l'Union européenne ;

Relève qu'une telle déclaration serait contraire aux traités qui ont été ratifiés par les Etats membres conformément à leurs règles constitutionnelles respectives et qu'elle s'apparenterait de fait à une révision des traités, soustraite au contrôle des parlements nationaux, selon des modalités qui ne sont pas prévues par l'article 48 du traité sur l'Union européenne, ce qui constituerait une violation des règles de l'État de droit ;

Appelle donc solennellement les Etats membres à rejeter avec fermeté une telle déclaration interprétative et à poursuivre les négociations en vue de trouver une solution juridique appropriée ;

Affirme que la tenue d'un quatrième sommet des chefs d'État et de gouvernement du Conseil de l'Europe en mai 2023 ne saurait constituer un élément conduisant à remettre en cause le cadre fixé par les traités et le protocole n° 8 annexé ;

Fait valoir que d'autres points restent ouverts dans les négociations sur l'adhésion de l'Union européenne à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, notamment les modalités de vote au Comité des ministres du Conseil de l'Europe ;

Invite le Gouvernement à faire valoir cette position dans les négociations au Conseil de l'Union européenne.

LA RÉSOLUTION EN CONSTRUCTION

Pour naviguer dans les rédactions successives du texte, le tableau synoptique de la résolution en construction est disponible sur le site du Sénat à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/tableau-historique/ppr22-296.html


* 1 Rapport du Sénat n° 562 (2019-2020) - 25 juin 2020 - de MM. Philippe Bonnecarrère et Jean-Yves Leconte, fait au nom de la commission des affaires européennes, sur l'adhésion de l'Union européenne à la Convention européenne des droits de l'Homme.

* 2 Compte rendu de la réunion de la commission des affaires européennes du jeudi 20 octobre 2022 : http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20221017/europ.html#toc2

* 3 Compte rendu de la réunion de la commission des affaires européennes du mercredi 18 janvier 2023 : http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20230116/europ.html#toc3

* 4 Compte rendu de l'audition de M. Mattias Guyomar, juge français à la Cour européenne des droits de l'homme par la commission des affaires européennes le mercredi 1 er février 2023 :

http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20230130/euro.html#toc2

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