N° 517

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 12 avril 2023

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable (1) sur la proposition de loi visant à assurer la qualité et la pérennité des réseaux de communications électroniques à très haut débit en fibre optique,

Par Mme Patricia DEMAS,

Sénatrice

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-François Longeot, président ; M. Didier Mandelli, Mmes Nicole Bonnefoy, Marta de Cidrac, MM. Joël Bigot, Rémy Pointereau, Frédéric Marchand, Guillaume Chevrollier, Mme Marie-Claude Varaillas, MM. Jean-Pierre Corbisez, Pierre Médevielle, Ronan Dantec, vice-présidents ; M. Cyril Pellevat, Mme Angèle Préville, MM. Pascal Martin, Bruno Belin, secrétaires ; MM. Jean-Claude Anglars, Jean Bacci, Étienne Blanc, François Calvet, Michel Dagbert, Mme Patricia Demas, MM. Stéphane Demilly, Michel Dennemont, Gilbert-Luc Devinaz, Mme Nassimah Dindar, MM. Gilbert Favreau, Jacques Fernique, Mme Martine Filleul, MM. Fabien Genet, Hervé Gillé, Éric Gold, Daniel Gueret, Mmes Nadège Havet, Christine Herzog, MM. Jean-Michel Houllegatte, Olivier Jacquin, Gérard Lahellec, Mme Laurence Muller-Bronn, MM. Louis-Jean de Nicolaÿ, Philippe Pemezec, Mmes Évelyne Perrot, Marie-Laure Phinera-Horth, Kristina Pluchet, MM. Jean-Paul Prince, Bruno Rojouan, Mme Denise Saint-Pé, MM. Philippe Tabarot, Pierre-Jean Verzelen.

Voir les numéros :

Sénat :

795 (2021-2022) et 518 (2022-2023)

L'ESSENTIEL

La commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du Sénat a modifié, le 12 avril 2023, la proposition de loi, déposée par Patrick Chaize en juillet 2022, visant à assurer la qualité et la pérennité des réseaux de communications électroniques à très haut débit en fibre optique, suivant fidèlement les orientations de sa rapporteure Patricia Demas.

Ce texte répond à un objectif clair : apporter des solutions aux dysfonctionnements qui surviennent dans le raccordement à la fibre d'utilisateurs finals (débranchements, câbles emmêlés, etc.), liés à un recours mal maîtrisé à la sous-traitance dans le cadre du mode « Stoc »1(*). Après avoir élaboré un premier plan d'action en 2020, les opérateurs ont pris de nouveaux engagements en septembre 2022 pour remédier à ces difficultés. Trois ans plus tard, les résultats se font toujours attendre sur le terrain et l'exaspération des élus locaux et des usagers est à son comble.

La commission estime urgent d'agir pour garantir la qualité et la pérennité du réseau fibre, alors que la fermeture du réseau cuivre d'Orange est désormais imminente (2025-2030). Elle a donc pleinement approuvé le dispositif proposé auquel elle a apporté des améliorations afin de mieux encadrer la réalisation des raccordements à la fibre dans le cadre du mode « Stoc », tout en veillant à ne pas ralentir le déploiement de cette technologie à deux ans de l'achèvement du plan France très haut débit.

La commission a adopté la proposition de loi ainsi modifiée.

I. MODE « STOC » : DES DÉSORDRES PERSISTANTS DANS LES RACCORDEMENTS À LA FIBRE, EN DÉPIT D'ENGAGEMENTS RÉPÉTÉS DE LA FILIÈRE DEPUIS 2020

Le mode « Stoc » désigne le mode de raccordement des utilisateurs finals à la fibre par lequel l'opérateur d'infrastructure (OI), responsable du réseau, délègue le déploiement des derniers mètres à un opérateur commercial (OC).

Exception de départ au mode principal de raccordement (« mode OI »), le mode « Stoc » est devenu la règle. Depuis 2015, l'autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep) considère que les OI doivent faire droit aux demandes des OC tendant à réaliser eux-mêmes les raccordements, à une stricte condition : le respect des règles de l'art.

Pourtant, depuis 2018, du fait de l'accélération du déploiement de la fibre, les remontées de terrain font état de nombreux dysfonctionnements dans la réalisation des raccordements par les OC (malfaçons, débranchements injustifiés, intervenants mal outillés, etc.). Cette situation entraîne une dégradation des réseaux et des coupures internet qui ne sont pas acceptables pour les usagers.

 
 
 

Illustrations de dysfonctionnements liés au mode « Stoc » (source : Avicca)

Les difficultés liées au mode « Stoc » sont difficiles à quantifier, faute d'une transmission systématique à l'Arcep par les OI de données fiables sur les malfaçons constatées. Dans le cadre d'une analyse de terrain menée en 2022 sur 840 points de mutualisation (PM), l'Arcep indique toutefois avoir constaté que « seule la moitié des câblages des PM visités respectaient les règles de l'art ». La racine du problème ? Une sous-traitance en cascade associée à des processus mal définis pour effectuer les raccordements (manque de qualification des intervenants et absence de contrôle des raccordements).

Face à cette situation, la filière a pris des engagements pour améliorer la qualité des raccordements à travers l'adoption d'une feuille de route en 2020, ayant conduit à l'élaboration d'un nouveau modèle de contrat de sous-traitance (« contrat Stoc V2 »).

Jusqu'à présent, les démarches volontaires mises en oeuvre par les opérateurs n'ont pas permis d'atteindre les objectifs annoncés : les contrats Stoc V2 élaborés en 2020 n'ont pas été généralisés sur l'ensemble des réseaux, malgré le rappel à l'ordre du régulateur en 2021. Les difficultés de négociation entre OC et OI seraient la principale cause de ce retard.

De plus, selon les remontées de terrain, les malfaçons persistent et là où les nouveaux contrats sont mis en oeuvre, il n'est pas rare que les sous-traitants contournent leurs obligations (falsification des comptes rendus d'intervention en particulier). Utilisateurs et élus locaux demeurent, en outre, bien souvent démunis face aux dysfonctionnements qu'ils rencontrent, faute de pouvoir identifier un responsable.

II. LA PROPOSITION DE LOI : DES AVANCÉES CONCRÈTES POUR ENFIN ENCADRER LA SOUS-TRAITANCE ET PROTÉGER LES DROITS DES USAGERS

La proposition de loi (PPL) de Patrick Chaize comporte des mesures concrètes pour assurer la qualité du raccordement des usagers à la fibre, selon trois objectifs.

Fixer un cadre à la mise en oeuvre du mode « Stoc » et clarifier la répartition des responsabilités

L'article 1er rappelle la responsabilité de l'OI dans le choix du mode de réalisation des raccordements à la fibre sur son réseau (mode « Stoc » ou mode « OI ») et son rôle de garant de la qualité des travaux. En conséquence, il prévoit que l'OI instaure un guichet unique assurant la prise en charge des difficultés de raccordement rencontrées par les utilisateurs. Afin de garantir le respect des exigences de qualité, il dispose que les contrats de sous-traitance devront être conformes à un modèle de contrat, élaboré par l'OI, soumis à l'avis préalable de l'Arcep, et opposable par les usagers.

L'article 3 interdit le mode « Stoc » dans les « zones fibrées » - c'est-à-dire les zones dans lesquelles 100 % des locaux sont déjà raccordables à la fibre.

Renforcer les contrôles sur la qualité du raccordement à la fibre

L'article 1er prévoit la remise à l'abonné d'un certificat par chaque intervenant chargé d'effectuer un raccordement à la fibre, attestant de la conformité des travaux réalisés au cahier des charges qui lui est imposé. Dans les réseaux d'initiative publique (RIP) dans lesquels les collectivités territoriales déploient les réseaux à travers des contrats passés dans le cadre de la commande publique, il est prévu que la remise de ce certificat soit une condition préalable au paiement des opérateurs (article 2). Enfin, l'article 4 renforce les pouvoirs de contrôle et de sanction de l'Arcep en matière de qualité des raccordements à la fibre.

Protéger les droits des usagers en cas d'interruption du service d'accès à internet

L'article 5 renforce les droits des consommateurs en cas d'interruption prolongée du service d'accès à internet, en instaurant des pénalités à l'égard du fournisseur d'accès à internet (suspension du paiement de l'abonnement, indemnisation du consommateur puis résiliation sans frais de l'abonnement).

Selon plusieurs acteurs entendus par la rapporteure, l'annonce de nouveaux engagements en septembre 2022 aurait été motivée par le dépôt de la PPL deux mois plus tôt. Néanmoins, compte tenu des résultats mitigés des mesures mises en oeuvre depuis 2020 et alors que la fermeture du réseau cuivre est imminente, le Sénat a estimé que le temps était désormais aux actes concrets pour assurer la qualité des raccordements à la fibre.

III. LES APPORTS DE LA COMMISSION : RENFORCER LA PORTÉE DE LA PROPOSITION DE LOI, EN VEILLANT À LA CONTINUITÉ DU DÉPLOIEMENT DE LA FIBRE

Afin de donner toute sa portée à la proposition de loi, la commission a adopté 19 amendements, sur proposition de la rapporteure, répartis en trois axes.

Axe n° 1 : Clarifier le cadre de mise en oeuvre du mode « Stoc » et la chaîne des responsabilités

Prévoir que l'OI confie la réalisation du raccordement à la fibre à l'OC selon un mécanisme de priorité, et sous réserve du strict respect des règles de l'art (article 1er).

Cette proposition pragmatique permet de rappeler le rôle de l'OI comme garant de la qualité des raccordements à la fibre, conformément à l'objectif de la proposition de loi, tout en préservant l'équilibre des contrats de sous-traitance en cours.

Alors que le mode « Stoc » a contribué au succès commercial de la fibre et que le déploiement de cette technologie est en phase industrielle, la rapporteure a été attentive à ne pas déstabiliser les dynamiques à l'oeuvre.

 
 

Taux de locaux raccordables
à la fibre (2022)

Nombre de locaux raccordés
à la fibre par jour (2022)

Source : Fédération française des télécoms

Étendre l'interdiction du mode « Stoc » instituée à l'article 3 dans les « zones fibrées » aux communes dans lesquelles la fermeture du réseau cuivre est engagée. Pour limiter les atteintes à la liberté d'entreprendre, la commission a néanmoins limité cette interdiction aux raccordements à la fibre dits longs ou complexes. Enfin, elle a imposé le mode OI aux raccordements effectués dans le cadre du changement d'opérateur par un abonné (« churn »).

Renforcer la portée du guichet unique (article 1er), en assurant la prise en compte des débranchements injustifiés et en imposant un délai de résolution de la difficulté ne pouvant excéder dix jours. Afin de permettre la traçabilité de la gestion des incidents, l'auteur de la saisine sera mis en mesure de suivre la résolution du problème rencontré.

Axe n° 2 : Consolider les exigences de qualité et de contrôle applicables aux raccordements

Élaborer au niveau national un socle d'exigences minimales de qualité pour la réalisation des raccordements à la fibre (article 1er), que les contrats et cahiers de charges liant les OC et leurs sous-traitants devront respecter

Instaurer une obligation de labellisation de tout intervenant chargé de réaliser un raccordement à la fibre, selon un référentiel national (article 1er)

Imposer la réalisation systématique d'un compte rendu d'intervention (CRI), dont les critères seront définis par voie réglementaire (article 1er), et permettre à l'utilisateur final de consulter le contrat de sous-traitance et le CRI, pour être en mesure de vérifier la bonne réalisation du raccordement (article 1er)

Dans les RIP, assurer la transmission à la collectivité territoriale du calendrier hebdomadaire des interventions dans un délai de 48 heures, lorsqu'elle en fait la demande (article 2).

Axe n° 3 : Assurer le caractère opérant des dispositifs

Clarifier l'étendue des pouvoirs de sanction de l'Arcep en matière de qualité des raccordements (article 4) et assurer la remontée au régulateur des données issues du guichet unique (article 1er)

Mieux articuler dans le temps les sanctions qui peuvent être prononcées à l'encontre de l'OC en cas d'interruption prolongée du service d'accès à internet subie par un abonné (article 5)

Protéger les OC contre d'éventuels abus des consommateurs (article 5), en exemptant l'opérateur de sanction lorsque l'interruption prolongée du service d'accès à internet est directement imputable à un abonné (par exemple en cas de débranchement volontaire de la box internet).


* 1 Mode « Stoc » : sous-traitance à l'opérateur commercial. Le terme « mode Stoc » ne désigne pas le deuxième niveau de sous-traitance, couramment pratiqué, tendant à ce que l'opérateur commercial confie lui-même la réalisation des raccordements à d'autres sous-traitants.