EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er
Introduction de la notion de vie privée de l'enfant
dans la définition de l'autorité parentale

L'article 1er vise à introduire la notion de vie privée de l'enfant dans la définition de l'autorité parentale pour mieux faire prendre conscience aux parents qu'il leur appartient d'assurer le respect de la vie privée de leur enfant dans le cadre de leur obligation de protection et de préservation de ses intérêts.

La commission a accepté d'adopter cette disposition tout en en préférant la rédaction initiale qui rattache la vie privée de l'enfant au « respect dû à sa personne ».

Elle a adopté l'article 1er avec modifications.

1. Le droit au respect de la vie privée, un droit de l'enfant exercé par ses parents

Le droit au respect de la vie privée est consacré par l'article 9 du code civil. Le Conseil constitutionnel l'a reconnu comme principe à valeur constitutionnelle8(*), tandis qu'il est également un droit au titre de la Convention européenne des droits de l'Homme9(*).

« Chacun » a droit au respect de sa vie privée, sans distinction d'âge. Les mineurs entrent donc dans son champ de protection. L'article 16 de la Convention internationale des droits de l'enfant10(*) l'énonce spécifiquement : « nul enfant ne fera l'objet d'immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d'atteintes illégales à son honneur et à sa réputation. L'enfant a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes »11(*).

La montée en puissance des réseaux sociaux et la propension des adultes à partager sur internet leur vie privée et celles de leurs enfants a mis un éclairage particulier sur ce droit et son corollaire, le droit à l'image. Ainsi, en 2022, la Défenseure des droits, Claire Hédon, et le Défenseur des Enfants, Éric Delemar, ont consacré leur rapport annuel au droit à la vie privée des enfants12(*). Ils écrivent : « Les enfants consultés souhaitent qu'il leur soit demandé plus fréquemment leur consentement et recommandent d'être davantage sensibilisés à ce droit et à la possibilité de faire supprimer des images ou vidéos les concernant qu'ils ne veulent pas voir sur les réseaux sociaux ».

La jurisprudence a reconnu qu'il appartenait aux titulaires de l'autorité parentale, dans le cadre de leur obligation de protection de la personne de l'enfant et de la préservation de son intérêt supérieur, d'assurer le respect de ce droit13(*). L'autorité parentale est en effet conçue comme un ensemble de droits et de devoirs reconnus aux parents dans un seul but : « protéger l'enfant dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa personne »14(*).

2. La proposition de loi : consacrer de manière explicite ce droit pour inciter les parents à veiller à son respect

Les auteurs de la proposition de loi souhaitent que les parents soient mieux informés et sensibilisés quant à cette dimension nouvelle de l'exercice de l'autorité parentale.

C'est la raison pour laquelle l'article 1er de la proposition de loi tend à expliciter la notion de « respect dû à la personne de l'enfant » qui figure déjà à l'article 371-1 du code civil, pour y ajouter la vie privée.

La rapporteure a été favorable à cette modification, estimant qu'elle pouvait être l'un des moyens de parvenir à mieux faire prendre conscience aux parents qu'il leur appartient d'assurer le respect de la vie privée de leur enfant dans le cadre de leur obligation de protection et de préservation de ses intérêts.

L'ajout des termes « vie privée » à l'article 371-1 du code civil ne modifierait pas le droit positif, mais viendrait consacrer cette obligation, étant rappelé que l'exercice de l'autorité parentale suppose un contrôle des actes et agissements de l'enfant qui est incapable juridiquement. Ce devoir de surveillance, dont le degré d'intensité varie selon l'âge, la maturité et la capacité de discernement de l'enfant, peut naturellement justifier, de manière proportionnée, une atteinte à la vie privée de l'enfant, par exemple pour vérifier avec qui il correspond, qui il rencontre, etc.

La commission a choisi de revenir à la rédaction initialement proposée dans la mesure où le droit à la vie privée est un droit de la personnalité de l'enfant déjà compris dans la notion de « respect dû à sa personne ». Il ne lui a pas semblé opportun, contrairement à ce qu'ont adopté les députés en séance15(*), de mettre la vie privée sur le même plan que la sécurité, la santé et la moralité qui constituent les trois finalités fondamentales de l'autorité parentale.

Elle a adopté l'amendement COM-1 de la rapporteure pour rétablir la rédaction initiale.

La commission a adopté l'article 1er ainsi modifié.

Article 2 (supprimé)
Rappel du principe d'exercice en commun du droit à l'image
de l'enfant par ses parents

L'article 2 tend à préciser que le droit à l'image de l'enfant mineur est exercé en commun par les deux parents et que ceux-ci associent l'enfant à l'exercice de ce droit, selon son âge et son degré de maturité.

Le droit à l'image est déjà compris dans les droits qui doivent être protégés par les parents au titre de l'autorité parentale, ce que l'article 1er vient expliciter.

L'article 2 ne serait qu'une simple répétition, spécifiquement consacrée au droit à l'image, des dispositions des articles 371-1 et 372 du code civil, ce qui ne semble pas opportun.

L'utilisation du code civil à des fins pédagogiques doit être limitée à l'essentiel : c'est bien l'objectif de l'article 1er.

Le droit à l'image de l'enfant est protégé au même titre que le droit au respect de sa vie privée auquel la jurisprudence le rattache, dans le cadre de l'autorité parentale.

L'article 2 de la proposition de loi vise à inscrire dans le code civil la jurisprudence existant en la matière en y consacrant un article spécifique, faisant ainsi entrer les termes « droit à l'image » pour la première fois dans ce code.

Cependant, le nouvel article 372-1 le code civil ne serait que la répétition des dispositions des articles 371-1 et 372 du code civil qui posent déjà le principe d'un exercice en commun de l'autorité parentale et de l'association de l'enfant aux décisions le concernant selon son âge et son degré de maturité16(*).

Par ailleurs, il ne semble pas opportun de consacrer dans le code civil le droit à l'image à l'occasion d'un article relatif à l'autorité parentale. Pour une meilleure lisibilité et intelligibilité, il conviendrait d'introduire une reconnaissance légale de cette création prétorienne dans son titre Ier, à la même place que l'article 9 sur la vie privée dont il est l'émanation.

C'est la raison pour laquelle à l'initiative de sa rapporteure, la commission a supprimé cet article (amendement COM-2), estimant que l'objectif pédagogique de la proposition de loi était déjà atteint par l'article 1er.

La commission a supprimé l'article 2.

Article 3
Interdiction de la publication ou de la diffusion de l'image de l'enfant
sans l'accord de l'autre parent

L'article 3 tend à rappeler qu'en cas de désaccord entre les parents quant à l'exercice des actes non-usuels relevant du droit à l'image de l'enfant, le juge aux affaires familiales peut interdire à l'un des parents de publier ou de diffuser tout contenu sans l'autorisation de l'autre parent - ces mesures pouvant être ordonnées en référé en cas d'urgence.

Cette disposition ne semble rien ajouter au droit existant, étant souligné que certaines juridictions considèrent que la diffusion d'images d'un enfant sur internet par un parent est un acte usuel qui ne nécessite pas l'accord des deux parents.

La commission a préféré inscrire en lieu et place dans la loi que la diffusion au public de contenus relatifs à la vie privée d'un enfant nécessite l'accord des deux parents, ce qui évitera toute divergence d'approche entre juridictions pour décider s'il s'agit d'un acte usuel ou non usuel.

L'article 372-2 du code civil dispose qu'« à l'égard des tiers de bonne foi, chacun des parents est réputé agir avec l'accord de l'autre, quand il fait seul un acte usuel de l'autorité parentale relativement à la personne de l'enfant ». Il n'existe pas de liste exhaustive de ce qui relève d'un acte usuel ou non-usuel, cette qualification étant laissée à l'appréciation des juges qui vérifient si l'acte s'inscrit ou non dans la continuité du passé ou engage ou non l'avenir de l'enfant.

Selon la direction des affaires civiles et du Sceau, s'agissant du droit à l'image, la Cour de cassation ne s'est pas encore prononcée et les cours d'appel ont rendu des décisions divergentes. Par exemple, la cour d'appel de Bordeaux a considéré que la publication par un parent de photographies de son enfant sur un réseau social constitue un acte usuel de l'autorité parentale au regard notamment de l'importance considérable de l'image au sein de notre société17(*).

En faisant référence à « l'exercice des actes non-usuels relevant du droit à l'image de l'enfant », l'article 3 de la proposition de loi ne semble donc pas faire évoluer cette question. Quant au rôle du juge aux affaires familiales en cas de désaccord des parents, la disposition ne fait que répéter l'article 373-2-8 du code civil qui dispose que le juge peut être saisi par l'un des parents ou le ministère public, qui peut lui-même être saisi par un tiers, parent ou non, à l'effet de statuer sur les modalités d'exercice de l'autorité parentale et sur la contribution à l'entretien et à l'éducation de l'enfant. S'agissant du référé, il ne semble pas non plus utile de rappeler son existence, d'autant plus que le parent peut vouloir préférer la procédure d'assignation au fond à bref délai prévue par l'alinéa 2 de l'article 1137 du code de procédure civile.

C'est la raison pour laquelle la rapporteure a préféré, en lieu et place de la modification de l'article 373-2-6 du code civil proposée, inscrire à son article 372-2 que la diffusion au public de contenus relatifs à la vie privée d'un enfant nécessite l'accord des deux parents, ce qui éviterait toute divergence d'approche entre juridictions pour décider s'il s'agit d'un acte usuel ou non-usuel.

La commission a adopté l'amendement COM-3 de la rapporteure.

La commission a adopté l'article 3 ainsi modifié.

Article 4 (supprimé)
Délégation forcée de l'exercice du droit à l'image
en cas d'usage abusif de l'image de l'enfant

L'article 4 propose de créer un nouveau cas de délégation forcée de l'autorité parentale en cas de diffusion de l'image de l'enfant portant gravement atteinte à sa dignité ou à son intégrité morale. Cette délégation partielle ne concernerait que l'exercice du droit à l'image de l'enfant.

En pratique, cette délégation n'aurait que peu d'effet puisque le parent continuerait à pouvoir filmer ou photographier l'enfant dans son quotidien et poster ces images sur les réseaux sociaux. La disposition ne semble donc pas opérante.

Par ailleurs, ce serait mettre sur le même plan des comportements de gravités très différentes, la délégation d'autorité parentale étant réservée à l'hypothèse d'un désintérêt manifeste des parents, d'une impossibilité d'exercer tout ou partie de l'autorité parentale ou d'une poursuite ou condamnation pour un crime commis sur la personne de l'autre parent ayant entraîné la mort de celui-ci.

La commission a fait le choix de supprimer cet article, étant rappelé que la diffusion d'images de l'enfant portant gravement atteinte à sa dignité ou à son intégrité morale peut justifier la saisine du juge des enfants en vue du prononcé de mesures d'assistance éducative.

Les auteurs de la proposition de loi ont entendu traiter le cas dans lequel les deux parents sont d'accord pour diffuser des images de leur enfant, mais que cette diffusion porte atteinte à son intérêt.

L'article 4 propose de créer un nouveau cas de délégation forcée de l'autorité parentale en cas de diffusion de l'image de l'enfant portant gravement atteinte à sa dignité ou à son intégrité morale. En séance, les députés ont souhaité encadrer l'office du juge pour que la délégation ne soit que partielle et ne concerne que l'exercice du droit à l'image de l'enfant18(*).

En pratique, cette délégation partielle semble peu efficace car les parents continueraient de pouvoir photographier et filmer leur enfant comme ils le souhaitent et disposeraient des accès aux comptes des réseaux sociaux leur permettant de diffuser ces enregistrements. Le tiers délégataire ne pourrait semble-t-il intervenir qu'a posteriori pour demander l'effacement des données.

Par ailleurs, la diffusion par les parents d'images de l'enfant « portant gravement atteinte à sa dignité ou à son intégrité morale » peut caractériser une mise en danger de l'enfant dans sa santé, sa sécurité ou sa moralité, situation dans laquelle le juge des enfants intervient, soit sur saisine du ministère public, soit, exceptionnellement, sur auto-saisine, en application de l'article 375 du code civil. Le juge des enfants peut alors prononcer des mesures d'assistance éducative ou décider de l'éloignement du mineur en le confiant à l'autre parent ou à un membre de la famille. Exceptionnellement, le procureur de la République ou le juge des enfants déjà saisi peut même ordonner le placement du mineur en urgence.

Les images ou les vidéos elles-mêmes peuvent apporter la preuve que « les conditions de son éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement compromises ». Cette situation a été décrite par la présidente de l'Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille à propos d'un enfant filmé tout seul dans son bain sur une période prolongée.

Enfin, la création de ce nouveau cas de délégation - même partielle - de l'autorité parentale reviendrait à mettre sur le même plan des comportements de gravités très différentes, la délégation d'autorité parentale étant réservée actuellement à l'hypothèse d'un désintérêt manifeste des parents, d'une impossibilité d'exercer tout ou partie de l'autorité parentale ou d'une poursuite ou condamnation pour un crime commis sur la personne de l'autre parent ayant entraîné la mort de celui-ci.

Pour l'ensemble de ces raisons, la commission a adopté l'amendement de suppression COM-4 de la rapporteure.

La commission a supprimé l'article 4.

Article 5 (nouveau)
Renforcement du pouvoir de la CNIL
en cas d'atteinte aux droits des mineurs

L'article 5 a pour objet de permettre à la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) de saisir les juridictions compétentes pour demander le blocage d'un site internet en cas d'atteinte aux droits des mineurs.

Cette mesure permettrait à la CNIL d'agir en référé dès lors que les droits de mineurs sont concernés, sans condition de gravité ou d'immédiateté de l'atteinte.

Il a été adopté par la commission à l'initiative de sa rapporteure.

Dès lors qu'elle se rapporte à une personne identifiée ou identifiable, l'image d'une personne est une donnée à caractère personnel et sa publication un traitement de données personnelles.

Le règlement général sur la protection des données (RGPD)19(*) et la loi « Informatique et libertés »20(*) s'appliquent donc, avec leurs spécificités concernant les mineurs dont, par exemple, la procédure d'effacement accélérée des données en ligne et la capacité à consentir au traitement de ses données à partir de 15 ans.

Dans ce cadre, la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) est régulièrement saisie de plaintes relatives à des publications d'images d'enfants faites sur la base de l'accord d'un seul des deux titulaires de l'autorité parentale sans que l'autre n'en ait même été informé (surtout dans l'hypothèse d'une séparation).

La rapporteure a donc souhaité renforcer les pouvoirs de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) qui est compétente à intervenir dans le cadre de l'article 21 de la loi « Informatique et libertés », afin de lui permettre d'agir en référé - notamment pour demander le blocage d'un site internet - dès lors que les droits de mineurs sont concernés, sans condition de gravité ou d'immédiateté de l'atteinte.

Ce dispositif viendrait compléter l'article 3 posant le principe d'un accord des deux parents pour la mise en ligne de contenus relatifs à la vie privée de leur enfant : la CNIL serait ainsi plus armée pour intervenir auprès des éditeurs de site pour qu'ils justifient de l'accord des deux titulaires de l'autorité parentale et, à défaut, effacent les images publiées de manière illicite.

C'est l'objet de l'amendement COM-5, adopté par la commission,

La commission a adopté l'article 5 ainsi rédigé.


* 8 Décision n° 94-352 DC du 18 janvier 1995 [Loi d'orientation et de programmation relative à la sécurité].

* 9 Article 8.

* 10 Convention internationale des droits de l'enfant adoptée par l'Assemblée générale des Nations unies à New York le 20 novembre 1989 et signée par la France le 26 janvier 1990.

* 11 Son effet direct dans l'ordre juridique français a été reconnu à la fois par la Cour de cassation (Cour de Cassation, Chambre criminelle, 16 juin 1999, 98-84.538, Inédit) et le Conseil d'État (Conseil d'Etat, Président de la section du Contentieux, du 29 décembre 2004, 265003, inédit au recueil Lebon) à l'occasion de contentieux pour contester une interdiction du territoire ou une reconduite à la frontière d'un parent.

* 12  https://www.defenseurdesdroits.fr/sites/default/files/atoms/files/rae-2122-num-accessible.pdf.

* 13 Cour de Cassation, Chambre civile 1, du 12 décembre 2000, 98-21.311, Publié au bulletin.

* 14 Article 371-1 du code civil.

* 15 Amendement n°20 de Perrine Goulet et Guillaume Gouffier Valente.

* 16 Une coordination formelle a également été apportée en séance à l'article 226-1 du code pénal par adoption de l'amendement n° 21 de Perrine Goulet et Guillaume Gouffier Valente.

* 17 Cour d'appel de Bordeaux, 13 octobre 2015, n° 14/06583.

* 18 Amendements n° 24 de Mme Sarah Tanzilli et autres membres du groupe Renaissance et n° 31 de M. Jérémie Iordanoff et autres membres du groupe Ecologiste - NUPES.

* 19 Règlement UE 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE.

* 20 Loi n? 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés.

Les thèmes associés à ce dossier