E. UN PROGRAMME 345 « SERVICE PUBLIC DE L'ÉNERGIE » PROFONDÉMENT AFFECTÉ PAR LA CRISE DES PRIX DE L'ÉNERGIE

Le programme 345 retrace l'ensemble des compensations pour charges de service public de l'énergie (CSPE).

En 2022, les crédits consommés, en AE et en CP, ont atteint 12,1 milliards d'euros, soit une augmentation de 33 % par rapport à 2021.

Des montants de crédits importants ont été ouverts en cours de gestion sur le programme 345 en réponse à la crise des prix de l'énergie :

- le décret d'avance du 7 avril 2022 a ouvert 2 990 millions d'euros au titre de la première période de la remise carburant ;

- la première LFR pour 2022 a inscrit 700 millions d'euros pour financer le mécanisme de constitution des stocks de sécurité de gaz naturel pour les opérateurs prévu, en application d'un règlement européen10(*), par l'article 23 de la loi n° 2022-1158 du 16 août 2022 portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat.

Dans le but de mieux isoler les crédits dédiés aux mesures de soutien aux consommateurs d'énergie mises en oeuvre dans le cadre de la crise des prix une nouvelle action 17 « Mesures exceptionnelles de protection des consommateurs » a par ailleurs été créée au sein de l'architecture du programme 345. Elle doit retracer les crédits nécessaires pour compenser les charges de service public de l'énergie (CSPE) assumées par les fournisseurs au titre des mesures dites de « bouclier tarifaire ».

La hausse très significative des prix de l'électricité à partir de l'automne 2021 affecte profondément le mécanisme de compensation des charges de service public de l'énergie (CSPE). À compter de 202311(*) et en raison de l'augmentation dans des proportions absolument inédites des prix de l'électricité sur les marchés de gros, les mécanismes de soutien à la production d'énergie renouvelable (EnR) s'inversent pour constituer des prélèvements sur les revenus exceptionnels perçus par les producteurs dans ce contexte de hausse de leurs prix de vente. Les compensations habituellement versées par l'État aux installations de production se muent ainsi en recettes publiques exceptionnelles.

Ce phénomène avait déjà été annoncé par la commission de régulation de l'énergie (CRE) dans sa délibération à vocation informative d'octobre 202112(*). Il s'était révélé plus important encore dans les deux délibérations rendues par la CRE en 2022 (en juillet puis en novembre) au titre de l'évaluation des CSPE13(*). En novembre 2022, la CRE avait ainsi évalué les compensations CSPE pour 2023 à un montant négatif de 36 milliards d'euros. Les échéanciers de versement 2023 correspondants avaient été envoyés aux producteurs avant le 31 décembre 2022.

Cependant, depuis, les prix de gros de l'électricité, s'ils restent nettement plus élevés qu'avant la crise, ont diminué beaucoup plus rapidement que les prévisions de la CRE ne l'avaient anticipé. Les prix de vente des producteurs ont été nettement inférieurs aux anticipations et les recettes exceptionnelles escomptées par l'État au titre de l'exercice 2023 devraient fortement baisser en conséquence. Les estimations les plus récentes font état de recettes exceptionnelles divisées par deux en comparaison des projections réalisées en fin d'année 2022.

Faute de révision de la dernière évaluation des CSPE réalisées par la CRE en novembre dernier, les producteurs restent cependant redevables en 2023 de sommes calculées sur la base d'hypothèses de prix de gros de l'électricité nettement plus élevées que les prix effectifs constatés. Plusieurs producteurs ont intenté des recours contre la délibération de la CRE de novembre 2022 ainsi que contre les décisions individuelles de décembre qui fixent par producteur les montants de CSPE à reverser en 2023. Aussi, le ministère de la transition énergétique a-t-il mis en oeuvre un dispositif ad hoc permettant, au cas par cas, sur la base de conventions, de réviser les échéanciers de versements des producteurs dont la situation financière aurait pu être gravement compromise par cette situation.

Le rapporteur spécial note que cette situation transitoire devrait se résoudre au second semestre 2023 puisque la CRE a annoncé vouloir user de la disposition prévue en LFI pour 2023 qui lui permet, exceptionnellement, de réévaluer les CSPE de l'année en cours avec effet immédiat (et non différé à l'année suivante comme le prévoit le mécanisme habituel) sur les échéanciers de versement des CSPE. Aussi, la délibération que la CRE doit rendre en juillet prochain permettra de mettre en cohérence ces échéanciers avec les nouvelles hypothèses de prix de gros de l'électricité.

Exécution des crédits votés du programme 345 « Service public de l'énergie »
en 2022 (CP)

(en millions d'euros)

 

2021

(exécuté)

2022

(LFI)

2022

(exécuté)

Exécution 2022 / exécution 2021

(en %)

Exécution 2022
/ LFI 2022

(en %)

09- Soutien aux énergies renouvelables électriques en métropole

5772,6

4738,3

4371,4

-24,3 %

-7,7 %

10- Soutien à l'injection de biométhane

496,0

712,9

518,1

+4,5 %

-27,3 %

11- Soutien dans les zones non interconnectées (ZNI) au réseau métropolitain

2137,9

2163,6

1851,7

-13,4 %

-14,4 %

12- Soutien à la cogénération au gaz naturel et autres moyens thermiques

677,6

646,1

564,0

-16,8 %

-12,7 %

13- Soutien aux effacements de consommation

0,0

40,0

46,7

+100 %

+16,8 %

14- Dispositions sociales pour les consommateurs en situation de précarité

21,1

30,9

105,7

+400,9 %

+242,1 %

15- Frais divers

43,3

117,5

60,9

+40,6 %

-48,2 %

17- Mesures exceptionnelles de protection des consommateurs

-

-

4620,8

-

-

Total programme

9149,4

8449,3

12138,8

+32,7 %

+43,7 %

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

Les crédits de la nouvelle action 17 ont été déclinés en trois sous actions destinées à financer le bouclier tarifaire sur les prix de l'électricité (17-01), le bouclier tarifaire sur les prix du gaz (17-02) et la remise à la pompe sur les prix du carburant (17-03).

Le dispositif de bouclier sur les prix de l'électricité pour 2022 prévoyait le versement d'un acompte dès 2022 pour les plus petits fournisseurs d'électricité, le reste des compensations devant être versées en 2023. Cet acompte de 131 millions d'euros explique la consommation de crédits constatée en 2022 au titre de ce dispositif.

Le dispositif de bouclier tarifaire sur les prix du gaz pour 2022 prévoyait également le versement d'acomptes aux fournisseurs ainsi que la compensation des fournisseurs pour les aides dédiées à l'habitat collectif. Le total des crédits exécutés en 2022 sur la sous action 17-02 s'est ainsi élevé à 1,3 milliard d'euros. Le premier acompte versé en début d'année avant la création de l'action 17 a été imputé sur l'action 14 « Dispositions sociales pour les consommateurs en situation de précarité », ce qui explique la hausse significative des crédits consommés sur cette action en 2022.

Enfin, 3,2 milliards d'euros ont été consommés au titre de la première période de la remise carburant financée via le programme 345.

Sur le périmètre habituel des CSPE, en dehors du coût des mesures de soutien aux consommateurs d'énergie, 7,4 milliards d'euros ont été versés en 2022.

Le rapporteur spécial note que les crédits adoptés en LFI 2022 sur le périmètre historique du programme 345 ont été massivement mobilisés en exécution pour financer les dépenses consommées sur la nouvelle action 17 au titre des mesures de soutien aux consommateurs dans le cadre de la crise des prix de l'énergie.

En gestion, les versements effectués à EDF au titre des compensations de CSPE jouent le rôle de variable d'ajustement budgétaire. Par opportunité, pour lisser de façon pluriannuelle la consommation des crédits sur le programme 345 et pour ne pas avoir à demander au Parlement de modifier les crédits en cours d'année par des LFR, d'une année sur l'autre, l'État ajuste les versements effectifs à EDF. Cette pratique conduit à procéder à des reports de charges significatifs et très fluctuants d'une année sur l'autre.

En 2022, cette pratique a été largement utilisée pour financer les dépenses relatives aux boucliers tarifaires financés par l'action 17. Elle explique un report de dépenses de plus de 2 milliards d'euros constatés en 2023 pour des crédits qui avaient été approuvés par le Parlement au titre de l'exercice 2022. Ces pratiques entachent fortement l'autorisation budgétaire, le principe d'annualité ainsi que la sincérité des crédits inscrits au programme 345 en LFI. Elles autorisent, sans que le Parlement ne soit saisi, à réaffecter de façon massive des crédits qui avaient été adoptés à une autre fin, en l'occurrence ici au soutien de la production d'EnR. 

Aussi, toutes les évolutions présentées ci-dessous doivent-elles être prises avec précaution et relativisées dans la mesure où elles relèvent largement d'une procédure de réaffectation budgétaire destinée à financer des dépenses non anticipées.

La consommation de crédits sur l'action 09 « Soutien aux énergies renouvelables électriques en métropole » s'est élevée à 4,4 milliards d'euros, en baisse de 24 % par rapport à 2021 et inférieure de 367 millions d'euros à la prévision en LFI pour 2022 (4,7 milliards d'euros).

En 2022, la hausse des dépenses liées au dispositif de soutien à l'injection de biométhane (+ 4 % à 518 millions d'euros) a été également nettement moins importante qu'anticipée en LFI pour 202214(*).

Par rapport au montant constaté en 2021, les crédits consacrés aux mécanismes de péréquation en faveur des ZNI ont baissé de 13 % pour s'établir à 1,9 milliard d'euros (2,2 milliards d'euros avaient été prévus en LFI).

En 2022, les montants de CSPE affectés à la cogénération ont baissé de 17 % à 564 millions d'euros (646 millions d'euros étaient inscrits en LFI).

Comme il a pu le souligner au cours de l'examen du PLF pour 2023, le rapporteur spécial considère que les informations retracées dans les annexes budgétaires du programme 345, doublées des mécanismes de lissage et de réaffectation annuels des crédits du programme utilisés en gestion, manquent de clarté, ce qui est de nature à atténuer la portée de l'autorisation parlementaire.


* 10 Règlement (UE) 2022/1032 du Parlement européen et du Conseil du 29 juin 2022 modifiant les règlements (UE) 2017/1938 et (CE) n° 715/2009 en ce qui concerne le stockage de gaz.

* 11 Du fait du calendrier de versement des CSPE.

* 12 Délibération n° 2021-314 de la Commission de régulation de l'énergie du 7 octobre 2021 portant communication sur l'évaluation des charges de service public de l'énergie pour l'année 2022

* 13 La délibération n° 2022-202 de la Commission de régulation de l'énergie du 13 juillet 2022 relative à l'évaluation des charges de service public de l'énergie pour 2023 puis la Délibération n° 2022-272 de la Commission de régulation de l'énergie du 3 novembre 2022 relative à la réévaluation des charges de service public de l'énergie pour 2023.

* 14 Qui prévoyait un montant de 713 millions d'euros.