II. LES OBSERVATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL

1. Une année de nouveau caractérisée par la sur-exécution des dépenses d'asile

En loi de finances initiale pour 2022, comme les années précédentes, l'action n° 02 « Garantie de l'exercice du droit d'asile » du programme 303 « Immigration et asile » concentrait à elle seule près de 70 % des crédits de paiement de l'ensemble de la mission, soit 1,309 milliard d'euros.

Cette action, qui finance en particulier les dépenses relatives à l'asile, fait ces dernières années l'objet d'une sur-exécution chronique, particulièrement importante depuis le début de la crise migratoire, en 2015. Cette tendance témoigne d'ailleurs pour le rapporteur spécial du caractère insoutenable des dépenses d'asile en France. Si, en 2021, ces dépenses avaient, pour la première fois depuis de nombreuses années, fait l'objet d'une sous-exécution, cela s'expliquait par le contexte spécifique de la crise sanitaire.

Les crédits de l'action n° 02 se répartissent en deux principaux postes de dépenses : l'ADA, d'une part, et l'hébergement des demandeurs d'asile, d'autre part.

Ces deux postes de dépenses sont exposés, en premier lieu, à la tendance haussière du nombre de demandeurs d'asile. Or, après des années 2020 et 2021 marquées par un niveau modéré de demandes d'asile dans le contexte de la crise sanitaire, le niveau des demandes s'est de nouveau établi à un niveau élevé en 2022. Le Gouvernement indique ainsi que le nombre de demandes d'asile introduites à l'OFPRA s'est élevé à 131 254 en 2022, en hausse de 27,2 % par rapport à 2021 et à un niveau très proche de celui de 2019 (132 826 demandes).

Ces postes de dépenses sont également exposés depuis mars 2022 aux coûts de l'accueil des personnes déplacées en provenance d'Ukraine.

a) Un budget de l'allocation pour demandeur d'asile qui a de nouveau fait l'objet d'une hausse en exécution en 2022

Au cours des années récentes, le budget prévu pour l'ADA a connu des hausses annuelles successives en lois de finances initiales. Ce budget est ainsi passé de 335 millions d'euros en 2019 à 447 millions d'euros en 2020, puis à 454 millions d'euros en 2021, pour s'établir à 470,9 millions d'euros en 2022. Une provision de 20 millions d'euros était en outre ajoutée au budget prévu pour 2022, portant le budget maximal à 490,9 millions d'euros pour l'ADA. À l'exception de l'année de 2021 marquée par la crise sanitaire, ces hausses successives de budget initial ne suffisaient pas à éviter une sur-exécution annuelle.

La prévision initiale du budget de l'ADA pour 2022 était censée couvrir 145 700 demandes introduites à l'OFPRA (réexamens et mineurs inclus), contre 132 826 en 2019. Si cette estimation du nombre de demandes d'asile apparaissait plus raisonnable qu'à l'accoutumée, la prévision budgétaire s'appuyait également sur une réduction drastique et peu réaliste des délais de traitement des demandes d'asile par l'OFPRA, permettant de verser l'ADA sur une moins longue période.

Si le nombre de demandes d'asile finalement constaté a été légèrement plus faible qu'anticipé, bien que nettement en hausse par rapport à 2021 (131 254 demandes ont été introduites auprès de l'OFPRA en 2022), le budget de l'ADA a été affecté fortement par l'accueil des bénéficiaires de la protection temporaire au titre du conflit en Ukraine, lesquels peuvent prétendre à l'allocation s'ils en satisfont les conditions d'octroi.

L'ADA a ainsi été versée, pour ce qui concerne les demandeurs d'asile, à 100 579 personnes par mois en moyenne et à un coût mensuel moyen de 231 euros. Elle a été versée, s'agissant des bénéficiaires de la protection temporaire, à 82 117 personnes par mois en moyenne, à compter de mars 2022, et à un coût mensuel moyen de 266 euros8(*). Au total, en 2022, en année pleine, 169 010 personnes en moyenne ont bénéficié de l'ADA chaque mois.

Au final, pour l'exercice 2022, l'ADA connait une sur-exécution d'environ 5,1 %9(*), pour s'établir à un coût de 494,9 millions d'euros en CP, dont 218,4 millions d'euros pour les personnes bénéficiant de la protection temporaire.

Montants prévus et exécutés des dépenses afférentes
à l'allocation pour demandeur d'asile en 2022

(en AE/CP,
en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

Si l'expérience de la sur-exécution chronique du budget de l'ADA aurait pu logiquement conduire à une hausse du budget prévu en loi de finances initiale pour 2023, comme les années précédentes, le rapporteur spécial rappelle que le montant prévu est en baisse de plus d'un tiers, pour s'établir à 314,7 millions d'euros.

Montants prévus et exécutés des dépenses afférentes à l'allocation temporaire d'attente (ATA) et à l'allocation pour demandeur d'asile (ADA) depuis 2009

(en CP, en millions d'euros)

 

ATA

ADA

LFI

Exécution

LFI

Exécution

2009

30

68,4

   

2010

53

105

   

2011

54

157,8

   

2012

89,7

149,8

   

2013

140

149,2

   

2014

129,8

169,5

   

2015

93,3

81

   

2016

0

30

148,8

316,1

2017

0

177,3

220

348,8

2018

0

9,9

317,7

424,23

2019

0

5,01

335,83

492,5

2020

0

3,61

448

481,5

2021

0

2

454,8

387,6

2022

0

1,5

470,910(*)

494,9

2023

   

314,7

 

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

Une telle baisse pour 2023 a été principalement motivée, selon le Gouvernement, par une diminution à venir du délai moyen de traitement des dossiers de demande d'asile par l'OFPRA (60 jours à fin 2023 contre 140 jours en août 2022) et la maîtrise des délais de décision par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA), en appel des décisions de l'OFPRA. Or, une telle budgétisation apparaît excessivement optimiste tant par l'importance du raccourcissement prévu des délais de décision de l'OFPRA que du fait de l'absence de prise en compte des dépenses d'ADA liées aux déplacés venant d'Ukraine. Le projet annuel de performance annexé au projet de loi de finances pour 2023 indiquait en effet, s'agissant des coûts liés à l'accueil des personnes déplacées d'Ukraine, que « compte tenu des incertitudes qui entourent le conflit et l'évolution des flux, les dépenses prévisionnelles correspondantes pour 2023 ne sont pas présentées ». Sur ce sujet, la Cour des comptes indique d'ailleurs que « le défaut de sincérité budgétaire est établi à cet égard »11(*).

Évolution des crédits de l'ADA en 2022 et 2023
en loi de finances initiale et en exécution

(en CP, en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

b) Des dépenses d'hébergement d'urgence en forte hausse en exécution

En exécution, l'exercice 2022 est également marqué par une forte augmentation des dépenses d'hébergement par rapport aux crédits prévus en loi de finances initiale au sein de l'action n° 2 « Garantie de l'exercice du droit d'asile » du programme 303 « Immigration et asile ». En particulier, les crédits de la ligne budgétaire relative à l'hébergement d'urgence des demandeurs d'asile (HUDA) sont exécutés à hauteur de 606,9 millions d'euros en CP, contre 351,5 millions d'euros en loi de finances initiale.

En effet, ce dispositif a porté budgétairement, outre l'hébergement d'urgence des demandeurs d'asile proprement dits, une partie significative du coût de l'hébergement des déplacés d'Ukraine bénéficiant de la protection temporaire. Deux types de dispositifs d'hébergement ont ainsi été mis en place dans ce cadre. Le premier, de type « sas » de courte durée, était situé à proximité des principaux lieux d'arrivées (gares, aéroports). Ces sas ont permis une première prise en charge d'urgence administrative, sociale et sanitaire. Le deuxième type de dispositif (hébergement ad hoc) a constitué le socle de l'accueil avec un accompagnement adapté, dans l'attente de leur accès à un logement ou à un autre type d'hébergement pérenne. Le nombre total de places mobilisées a fluctué durant l'année entre 25 000 et 30 000 places au plus fort de la crise au printemps, pour diminuer à partir de la période estivale. Au 31 décembre 2022, près de 19 500 places ouvertes étaient recensées.

Au total, la surconsommation des crédits de l'HUDA, à savoir 255,4 millions d'euros en CP, représente 80 % de l'ensemble des crédits de la mission exécutés au-delà du montant de crédits initialement adoptés en loi de finances initiale (318,6 millions d'euros).

2. Une sous-exécution des dépenses liées à la lutte contre l'immigration irrégulière en 2022

L'action n° 03 « Lutte contre l'immigration irrégulière » du programme 303 « Immigration et asile » finance trois principaux postes :

- les dépenses de fonctionnement des centres et locaux de rétention administrative et zones d'attente ;

- les frais d'éloignement des migrants en situation irrégulière ;

- diverses subventions aux associations chargées du suivi sanitaire, social et juridique des étrangers retenus.

Cette action avait connu en 2021 une sous-exécution de 3,1 % en AE et de 7,4 % en CP. Si le contexte sanitaire pouvait expliquer en partie ces chiffres, les éloignements étant rendus plus difficiles, l'année 2022 connaît de nouveau une sous-exécution des crédits de l'action, de 23,4 % en AE et de 15,4 % en CP, sans que cet argument ne puisse être soulevé.

Exécution des crédits de l'action 03
« Lutte contre l'immigration irrégulière » en 2022

(en CP, en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

Au sein de l'action n° 03, les frais d'éloignement des migrants en situation irrégulière s'établissent à 31,3 millions d'euros en 2022 en CP en exécution, soit environ 5 millions d'euros de moins que ce qui était prévu en loi de finances initiale (36,5 millions d'euros). Si le niveau d'exécution est supérieur à celui constaté en 2020 et 2021 - années marquées par la crise sanitaire -, il reste inférieur à celui de 2019 (41,6 millions d'euros), qui était déjà faible.

En 2022, les dépenses exécutées directement liées à l'éloignement des migrants en situation irrégulière représentent ainsi seulement 1,5 % en CP de la mission.

Part des CP exécutés directement dédiés à l'éloignement des migrants en situation irrégulière en 2022 au sein de la mission

Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires

Le volume de la dépense affectée aux reconduites à la frontière et sa dynamique apparaissent largement insuffisants dans un contexte de hausse de l'immigration irrégulière et d'une efficacité déclinante de la politique de renvoi.

Ainsi, le taux d'exécution des obligations de quitter le territoire français (OQTF), qui constituent la quasi-totalité des mesures d'éloignement prononcées12(*), est en baisse constante depuis plusieurs années. Après avoir atteint 22 % en 2012, il a connu une forte baisse, ne dépassant plus les 15 % depuis 2016, et atteignant moins de 13 % en 2018 comme en 2019. Son niveau est inférieur à 10 % depuis 2020. Il s'établit à 6,0 % en 2021 et à 6,9 % pour la première partie de 2022.

Évolution du taux d'exécution des OQTF (en %) depuis 2010

Source : commission des finances, d'après le ministère de l'intérieur

L'augmentation des frais d'éloignement des migrants en situation irrégulière prévue pour l'année 2023 est au demeurant dérisoire, puisqu'ils n'atteignent que 44,1 millions d'euros en CP et en AE. Si l'augmentation affiche un pourcentage de 20,8 % par rapport à 2022, elle reste bien trop faible, d'autant qu'elle répond surtout aux conséquences de l'augmentation du prix des carburants sur le coût de l'éloignement.


* 8 Il convient de noter qu'à compter du 1er octobre 2022, les bénéficiaires de la protection temporaire ne peuvent plus percevoir le « pécule » lorsqu'aucune place d'hébergement ne peut leur être proposée, contrairement aux demandeurs d'asile.

* 9 Ce taux de taux s'établit à 1 % si la provision de 20 millions d'euros est intégrée au budget initial de l'ADA pour 2022.

* 10 S'y ajoutait potentiellement une provision de 20 millions d'euros.

* 11 Analyse de l'exécution budgétaire 2022, Mission « Immigration, asile et intégration », avril 2023.

* 12 Les autres mesures sont les interdictions de territoire et les expulsions, qui connaissent des taux d'exécution bien supérieurs à celui des OQTF.