II. LES OBSERVATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL

1. La nationalisation de l'entreprise Électricité de France, une opération qui n'apporte aucune réponse aux défis auxquels l'entreprise est confrontée

A l'occasion de son discours de politique générale du 6 juillet 2022, la Première ministre a annoncé l'intention de l'État français de détenir l'ensemble du capital d'EDF. Le 19 juillet, le Gouvernement a indiqué souhaité recourir à une offre publique d'achat simplifié (OPAS). Ainsi, le Gouvernement a demandé 12,7 milliards d'euros de crédits sur le programme 367 « financement des opérations patrimoniales envisagées en 2021 et en 2022 sur le compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État » » dans le cadre de la première loi de finances rectificative pour 2022 et ces crédits ont été votés par le Parlement.

L'OPAS a été engagée en novembre dernier et la note d'information adossée à celle-ci indique que « l'urgence climatique et la situation géopolitique imposent des décisions fortes pour assurer l'indépendance et la souveraineté énergétique de la France, dont celle de pouvoir planifier et investir sur le très long terme les moyens de production, de transport et de distribution d'électricité »6(*).

Cependant, le rapporteur spécial tient à relever que la seule détention publique de l'entreprise ne constitue en rien une réponse suffisante aux difficultés et aux défis auxquels EDF est confronté.

D'abord, il aurait fallu nationaliser l'entreprise, et non pas intervenir selon des procédures de marché. Nationaliser c'est rendre à la Nation, et cela implique non seulement le transfert des moyens de production, mais aussi leur utilisation en faveur des citoyens dans un objectif d'intérêt général. EDF ne doit pas être une entreprise détenue par l'État mais bien un groupe public, au service de l'intérêt général.

Par ailleurs, la souveraineté énergétique de la France ne saurait dépendre d'une administration qui a été créée pour gérer des participations financières.

Il faut réarmer la France, en s'assurant qu'EDF soit un champion national et en préservant sa structure de tout démembrement. C'est le sens de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale le 4 mai dernier après une lecture devant le Sénat le 6 avril7(*).

2. Le remboursement de la dette Covid, un effet d'affichage dont personne n'est dupe

Depuis 2022, le compte sert de véhicule budgétaire pour le projet du Gouvernement d'amortir la dette de l'État liée à la crise sanitaire.

Estimé à 165 milliards d'euros par le Gouvernement, ce surcroît de dette doit faire l'objet d'un amortissement séparé sur une durée de vingt ans, à savoir jusqu'en 2042. Pour cela, il a été créé un nouveau programme 369 au sein de la mission « Engagements financiers de l'État », sur lequel un montant inédit de 165 milliards d'euros est ouvert en autorisations d'engagement, complété de 1,88 milliard d'euros en crédits de paiement. Ces crédits ont ensuite été versés sur le programme 732 du compte spécial pour abonder la Caisse de la dette publique, à hauteur de 1,88 milliard d'euros en AE et en CP en 2022.

Sans qu'il soit nécessaire de revenir sur les modalités mêmes du calcul de la « dette Covid » de l'État ou des conditions de son amortissement sur vingt ans, ce projet doit être dénoncé pour ce qu'il est : un tour de bonneteau budgétaire.

Ces crédits n'ont en aucun cas conduit à désendetter l'État, contrairement à la logique traditionnelle du programme 732. En effet, les versements à la Caisse de la dette publique n'ont pas eu pour origine une cession d'actifs, mais bien l'ouverture de crédits budgétaires, venant eux-mêmes alimenter le déficit budgétaire.

En somme, c'est sans nul doute le Gouvernement qui a le mieux résumé l'objectif de ce projet, en affirmant que ce programme répond à « un double objectif d'isolement comptable de la dette issue de la crise sanitaire en 2020 et 2021 et d'affichage d'une trajectoire de traitement de cette dette sur 20 ans, entre 2022 et 2042 »8(*).

C'est la raison pour laquelle le Parlement ne saurait endosser le rôle d'encart publicitaire en souscrivant à cet artifice comptable, qualifié d'affichage par le Gouvernement lui-même.

3. L'année 2022 confirme la forte dépendance du compte aux versements du budget général

Le recours systématique à des crédits du budget général confirme une analyse relevée de longue date par le rapporteur spécial : l'atrophie et la concentration progressives du portefeuille de l'État actionnaire contribuent à rigidifier le compte et à menacer les conditions de son fonctionnement.

En restreignant la participation publique aux entreprises stratégiques n'ayant pas vocation à être cédées, le fonctionnement du compte dépend essentiellement de versements du budget général. Les trois derniers exercices en témoignent de façon saisissante, alors que les dotations du budget général de l'État ont représenté 89 % des recettes du CAS en 2022.

Ainsi que le relève la Cour des comptes, « le poids de la crise sur la gestion 2020 fait du CAS PFE, plus encore que les années précédentes, un véhicule de dépense alimenté par le budget général et faiblement par ses ressources propres. En dehors des aides d'urgence, du PIA et du FII (relevant d'une logique propre), les opérations du CAS qui correspondent à des affectations de recettes propres ne représentent que 5 % des dépenses en 2020 »9(*).

La situation actuelle atteste de cette impasse, sans que le processus de « respiration » du portefeuille ait été pleinement conduit à son terme, dans la mesure où les conditions actuelles de marché ne permettent pas de procéder à certaines cessions. Le graphique ci-après détaille la part des recettes du compte provenant de versements du budget général depuis 2014.

Part des versements du budget général
dans les recettes du compte

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, à partir des documents budgétaires

Il faut donc y voir une alerte : en plus d'obérer les pouvoirs du Parlement, le vecteur budgétaire n'est plus adapté au nouveau contexte de l'État actionnaire et sa viabilité n'est pas assurée.

C'est pourquoi le rapporteur spécial renouvelle sa recommandation : ces éléments doivent conduire à engager réellement une réflexion sur la refonte du cadre budgétaire de l'État actionnaire.


* 6 Note d'information de l'État français sur l'offre publique d'achat sur les actions et Oceane de l'entreprise EDF.

* 7 Proposition de loi visant à protéger le groupe Électricité de France d'un démembrement.

* 8 Projet annuel de performances de la mission « Engagements financiers de l'État » pour 2022, p. 132.

* 9 Cour des comptes, note d'exécution budgétaire pour 2020.