N° 771

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 28 juin 2023

RAPPORT

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des finances (1) sur le projet de loi,
rejeté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée,
de
règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2022,

Par M. Jean-François HUSSON,
Rapporteur général,

Sénateur

TOME II
CONTRIBUTION DES RAPPORTEURS SPÉCIAUX

ANNEXE N° 29a
Sécurités

(Programmes 152 « Gendarmerie nationale » et 176 « Police nationale » ; Programme 207 « Sécurité et éducation routières »)

COMPTE D'AFFECTATION SPÉCIALE : CONTRÔLE DE LA CIRCULATION ET DU STATIONNEMENT ROUTIERS

Rapporteur spécial : M. Philippe DOMINATI

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Éric Bocquet, Daniel Breuiller, Emmanuel Capus, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Charles Guené, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Jean-Claude Requier, Mme Sylvie Vermeillet, vice-présidents ; MM. Jérôme Bascher, Rémi Féraud, Marc Laménie, Stéphane Sautarel, secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Arnaud Bazin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Mme Isabelle Briquet, MM. Michel Canévet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Cozic, Vincent Delahaye, Philippe Dominati, Mme Frédérique Espagnac, MM. Éric Jeansannetas, Patrice Joly, Roger Karoutchi, Christian Klinger, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Thierry Meignen, Sébastien Meurant, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Paul Toussaint Parigi, Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Pascal Savoldelli, Vincent Segouin, Jean Pierre Vogel.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (16ème législ.) : 1095, 1271 et T.A. 125

Sénat : 684 (2022-2023)

Les principales observations
du rapporteur spécial

1L'exécution de l'exercice 2022 s'élève, pour l'ensemble de la mission « Sécurités », à 22,95 milliards d'euros en AE (+ 1,3 % par rapport à la loi de finances initiale, soit + 285 millions d'euros) et à 22,14 milliards d'euros en CP (+ 2,7 %, soit + 580 millions d'euros).

2Comme en 2021, l'année 2022 est marquée, pour les programmes 176 « Police nationale » et 152 « Gendarmerie nationale », par une sur-exécution par rapport aux crédits votés en loi de finances initiale, de l'ordre de 1,2 % (+ 260,5 millions d'euros) en AE et de 2,4 % en CP (+ 496 millions d'euros). Le montant des crédits exécutés a ainsi augmenté de 7,1 % en AE (+ 1,47 milliard d'euros) et de 5,8 % en CP (+ 1,17 milliard d'euros) en un an. Les deux programmes sont concernés par la sur-exécution des crédits initiaux.

3L'année 2022 constitue, s'agissant des dépenses de personnel des deux programmes, une année particulière. Elle est marquée par une hausse modérée des effectifs, alors qu'un nouveau et important plan de recrutement est prévu à compter de 2023. En outre, les deux forces ont connu un nombre record de départs, tandis que des tensions fortes se confirment sur les recrutements. Par ailleurs, les mesures indemnitaires et indiciaires ont eu un coût relativement modéré en 2022.

4. Dans ce contexte, les dépenses de personnel exécutées ont connu, par rapport à 2021, une hausse plus modérée que les dépenses hors titre 2, aboutissant à un léger rééquilibrage au sein des deux programmes. Au total, les dépenses de personnel représentent 85,4 % des dépenses des deux programmes en 2022, contre 87,6 % en 2021. En revanche, à l'avenir, la hausse prévue des effectifs associée aux coûts importants des protocoles de ressources humaines adoptés en mars 2022 devraient aboutir à une évolution inverse, ce qui constituerait une évolution défavorable pour garantir l'opérationnalité des forces.

5La réduction du stock d'heures supplémentaires non-indemnisées dans la police nationale connait en 2022 un ralentissement marqué sous l'effet d'une augmentation du flux. La persistance d'un stock important d'heures supplémentaires non-indemnisées demeure un risque pour la police nationale, tant sur le plan financier qu'opérationnel.

6Les dépenses de fonctionnement et d'investissement exécutées ont connu une hausse importante pour les deux programmes en 2022 par rapport à 2021. Les dépenses hors titre 2 en CP atteignent ainsi 3,14 milliards d'euros en 2022, en hausse de 24,6 % par rapport à 2021. Cette hausse est imputable non seulement à la hausse de ces crédits en LFI mais également aux transferts de crédits en provenance du programme 363 « Compétitivité » et aux crédits libérés par la fongibilité asymétrique des crédits de personnel non consommés.

7À court terme, les crédits de fonctionnement et d'investissement pourraient toutefois voir leur évolution être menacée par l'augmentation des dépenses de personnel. L'inflation et la hausse du coût de certains biens pourraient aggraver le phénomène.

I. LES PROGRAMMES « POLICE NATIONALE » ET « GENDARMERIE NATIONALE »

A. L'EXÉCUTION DES CRÉDITS EN 2022

Pour l'ensemble de la mission « Sécurités »1(*), les crédits initiaux pour 2022 étaient en hausse de 6,7 % en autorisations d'engagement (AE, + 1,42 milliard d'euros) et de 4,1 % en crédits de paiement (CP, + 844,9 millions d'euros) par rapport à la loi de finances initiale pour 2022. Ils s'établissaient à 22,7 milliards d'euros en AE et à 21,6 milliards d'euros en CP.

L'exécution de l'exercice 2022 s'élève à 22,95 milliards d'euros en AE (+ 1,3 % par rapport à la loi de finances initiale (LFI), soit +284,8 millions d'euros) et à 22,14 milliards d'euros en CP (+ 2,7 %, soit + 579,6 millions d'euros).

L'exécution des crédits en 2022 s'est opérée dans un contexte riche d'actualités pour les programmes 152 « Gendarmerie nationale » et 176 « Police nationale », qui regroupent 96,8 % des CP consommés en 2022 au sein de la mission « Sécurités ».

En effet, c'est en 2022 qu'ont été appliquées les premières mesures actées lors du Beauvau de la Sécurité, clôturé en septembre 2021.

Mesures qui avaient été annoncées à l'issue du Beauvau de la sécurité
et ayant un effet budgétaire

augmenter significativement la présence des policiers et gendarmes sur la voie publique (doubler sur 10 ans leur présence) ;

assurer une meilleure prise en charge des victimes : formation de près de 90 000 policiers et gendarmes, mise en place de guichets dédiés, déploiement de 2 300 téléphones grand danger pour les victimes, création de 123 postes d'intervenants sociaux supplémentaires. La mise en place du dépôt de plainte en ligne pour 2023 était annoncée.

Pour accompagner ces objectifs, plusieurs mesures à court terme avaient aussi été annoncées :

investir dans l'humain et la formation : augmentation de 50 % de la durée de formation, rendre les métiers de la police judiciaire plus attractifs avec le lancement d'un plan pour l'investigation ;

- formation d'officier de police judiciaire (OPJ) intégrée à la formation initiale, dégager du temps aux enquêteurs ;

- création d'une réserve opérationnelle de police et renforcement de la réserve de la gendarmerie (30 000 pour la police et 20 000 supplémentaires en gendarmerie) ;

- mise à niveau des équipements de la police technique et scientifique, nouveaux uniformes, déploiement des caméras piétons (30 000 commandes) et de caméras embarquées dans les véhicules, inciter les collectivités locales à étendre le réseau de vidéo protection.

En 2022, ont également été présentées puis examinées par le Parlement les deux versions du projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (LOPMI)2(*). Si ses implications budgétaires n'impactent pas l'exécution 2022, elles éclairent les évolutions à venir.

La loi n° 2023-22 du 24 janvier 2023 d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur

La loi LOPMI présente les orientations financières et stratégiques pour le ministère de l'Intérieur pour les années 2023 à 2027, notamment pour la police et la gendarmerie nationales. Le budget du ministère de l'Intérieur, qui porte sur plusieurs missions budgétaires3(*), passerait, hors contribution au compte d'affectation spéciale « Pensions », de 20,78 milliards d'euros en CP en 2022 à 25,35 milliards d'euros en CP en 2027 (+ 4,57 milliards d'euros des crédits annuels, soit + 22,0 %). Au total, la hausse de budget cumulée sur les cinq années 2023-2027 atteindrait environ 15 milliards d'euros.

S'agissant des axes stratégiques, le rapport annexé au projet LOPMI présente différents objectifs et décisions pluriannuelles pour les forces de sécurité intérieures. Ils sont orientés par plusieurs objectifs principaux :

- « Être à la hauteur de la révolution numérique ;

- « Doubler la présence des forces de sécurité sur le terrain à l'horizon 2030 ;

- « Mieux anticiper les menaces et les crises ».

Il est notamment prévu, s'agissant des forces de sécurité :

la création de 200 nouvelles brigades de gendarmerie et de onze unités de forces mobiles (4 pour la police nationale et 7 pour la gendarmerie) ;

leur transformation numérique qui vise à la fois à développer les outils numériques des forces de sécurité intérieure, à développer les moyens de lutte contre la cybercriminalité et à renforcer la relation numérique avec les citoyens ; en outre une Agence du numérique des forces de sécurité sera instituée, ainsi qu'une école de formation cyber ;

- de doter les policiers et les gendarmes de matériels plus performants et innovants ;

- une réforme de la direction générale de la police nationale (DGPN) et de ses implantations départementales ;

- des mesures en faveur de la filière d'investigation et l'augmentation de ses effectifs, notamment s'agissant des spécialistes des violences intrafamiliales et des cyber-patrouilleurs ;

- un effort important sur la formation des forces de sécurité intérieure, avec une augmentation de 50 % du temps de formation initiale et un doublement de la formation continue ;

- des efforts pour favoriser l'exemplarité et la transparence dans l'action des forces de l'ordre ;

- une professionnalisation de la fonction immobilière du ministère ainsi que de la politique d'achats, avec de nouveaux outils ;

- de moderniser la gestion des ressources humaines de la police et de la gendarmerie nationale, notamment dans le cadre des protocoles signés avec les organisations syndicales en mars 20224(*).

Une partie de ces mesures constitue une reprise des mesures annoncées dans le cadre du Beauvau de la Sécurité, clôturé en septembre 2021.

En outre, la Première ministre Élisabeth Borne a annoncé, le 6 septembre 2022, en marge de la présentation du projet de loi LOPMI, la création de 8 500 postes de policiers et gendarmes d'ici à 2027.

Enfin, l'année 2022 a été marquée par la signature des protocoles de mars 2022, au sein de la police et de la gendarmerie nationales, sur la modernisation des ressources humaines, incluant notamment d'importantes mesures indemnitaires5(*). Parallèlement, les forces de sécurité intérieure ont préparé les évènements sportifs de l'année 2023 (Coupe du monde de rugby en France) et 2024 (Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris), y compris s'agissant des plans d'équipement.

En 2022, la loi de finances initiale prévoyait, pour les deux programmes, un montant de crédits de 21,94 milliards d'euros en AE et de 20,95 milliards d'euros en CP, en hausse respectivement de 5,53 % et de 3,9 % par rapport à 2021.

Comme en 2021, l'année 2022 est marquée pour les deux programmes par une sur-exécution par rapport aux crédits votés en loi de finances initiale, de l'ordre de 1,2 % (+ 260,5 millions d'euros) en AE et de 2,4 % en CP (+ 496,2 millions d'euros). Le montant des crédits exécutés a ainsi augmenté de 7,1 % en AE (+ 1,469 milliard d'euros) et de 5,8 % en CP (+ 1,172 milliard d'euros) en un an.

Exécution des crédits des programmes 152 « Gendarmerie nationale »
et 176 « Police nationale » en 2022

(en millions d'euros)

Programme

Crédits exécutés 2021

Loi de finances initiale (LFI) pour 2022

Crédits exécutés 2022

Évolution des crédits exécutés 2021-2022

Exécution 2022 par rapport à la LFI 2022

Police nationale

AE

11 102,49

11 999,2

12 136,5

+ 9,3 %

101,1 %

CP

11 049,88

11 630,5

11 782,4

+ 6,6 %

101,3 %

Gendarmerie nationale

AE

9 629,14

9 941,2

10 064,5

+ 4,5 %

101,2 %

CP

9 219,67

9 315,0

9 659,3

+ 4,8 %

103,7 %

Total

AE

20 731,63

21 940,4

22 200,9

+ 7,1 %

101,2 %

CP

20 269,55

20 945,5

21 441,7

+ 5,8 %

102,4 %

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

Écarts entre la loi de finances pour 2022 et l'exécution 2022 pour les programmes 152 « Gendarmerie nationale » et 176 « Police nationale »

(en millions d'euros)

Source : commission des finances, à partir des documents budgétaires

Les deux programmes sont concernés par la sur-exécution des crédits initiaux. Les crédits exécutés du programme 152 « Gendarmerie nationale » sont ainsi supérieurs de 1,24 % en AE et de 3,7 % en CP (soit respectivement + 123,3 millions d'euros et + 344,3 millions d'euros) aux crédits initiaux. Pour le programme 176 « Police nationale », ils sont supérieurs de 1,14 % en AE et de 1,31 % en CP (soit respectivement + 137,2 millions d'euros et + 151,9 millions d'euros).

En 2022, les crédits de la mission, y compris les programmes 176 et 152, ont été relativement peu modifiés en cours d'exécution. Quelques mouvements de faible ampleur sont néanmoins intervenus pour porter les crédits ouverts de la mission à 22,235 milliards d'euros en CP contre 21,564 milliards d'euros en LFI, qu'il s'agisse de reports de crédits de 2021, d'apports de fonds de concours et d'attributions de produits, d'une loi de finances rectificative, ou de virements et transferts. En particulier un transfert de crédits en provenance du programme 363 « Compétitivité » (de la mission « Plan de relance ») vers plusieurs programmes de la mission « Sécurités » est intervenu, pour un montant de 167,7 millions d'euros en AE et de 166,4 millions d'euros en CP. Le taux d'exécution des CP de la mission par rapport à l'ensemble des crédits ouverts atteint ainsi 99,6 %. Celui du programme 152 « Gendarmerie nationale » s'établit à 99,7 %, tout comme celui du programme 176 « Police nationale ».

Exécution budgétaire de la mission en CP pour l'exercice 2022

(en millions d'euros)

Source : commission des finances, à partir des données de l'annexe au projet de loi de règlement

B. LES OBSERVATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL

1. Une augmentation limitée des effectifs en 2022, qui ne constitue de facto qu'une pause dans la stratégie de recrutement du Gouvernement

Le Président de la République s'était engagé à créer 10 000 emplois sur la période 2018/2022 pour renforcer les forces de sécurité intérieure. Dans ce cadre, la police nationale devait bénéficier de 7 500 ETP et la gendarmerie nationale de 2 500 ETP.

Même si son bien-fondé pouvait être débattu6(*), l'« esprit » de ce plan a été pleinement respecté, puisqu'entre 2017 et 2022, 8 441 emplois de policiers et 2 052 emplois de gendarmes auront été créés.

Alors que ce plan de création de postes avait pris fin, la Première ministre Élisabeth Borne a annoncé, le 6 septembre 2022, la création de 8 500 postes de policiers et gendarmes d'ici à 2027, poursuivant ainsi sur la lancée du quinquennat précédent.

Dans ce contexte, l'année 2022 constitue une forme d'année de ralentissement au milieu de deux plans quinquennaux de recrutement. Le nombre de créations de postes a ainsi été limité en comparaison des années précédentes, avec une hausse de 154 ETP pour la gendarmerie nationale et de 756 ETP pour la police nationale.

Schémas d'emploi successifs des deux programmes

(en ETP)

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

2. Des dépenses de personnel marquées à la fois par un nombre élevé de départs, des tensions sur les recrutements et un risque de dérapage à l'avenir
a) Une hausse modérée, en 2022, des dépenses de personnel...

En 2022, les dépenses de personnel (dites du « titre 2 ») des deux programmes augmentent de 3,1 % (+ 552 millions d'euros) par rapport à l'exécution de l'exercice 2021. Par rapport aux crédits prévus en LFI, l'exécution est supérieure de 0,92 % (+ 167,5 millions d'euros) ; plus précisément, elle est en hausse de 2,6 % pour la gendarmerie nationale (+ 203,8 millions d'euros) tandis qu'elle est en baisse de - 0,35 % pour la police nationale (-36,4 millions d'euros).

Cette hausse (dont une part importante est liée au relèvement général du point d'indice dans la fonction publique) est relativement modérée à l'échelle des deux programmes, qui connaissent une hausse plus rapide des crédits hors titre 27(*).

Au total, la part des dépenses de personnel recule ainsi dans l'ensemble des CP des deux programmes en 2022. De 87,6 % en 2021, elle s'établit à 85,4 % en 2022, ce qui constitue une évolution positive, qui ne devrait toutefois pas pouvoir se poursuivre8(*).

b) ... qui s'explique principalement par un phénomène inquiétant de hausse des départs et de tension sur les recrutements

Cette évolution s'explique, en premier lieu, par un rythme de recrutement prévu en LFI plus faible que les années précédentes9(*).

Elle s'explique, ensuite, par le relativement faible impact, en 2022, des mesures indemnitaires et indiciaires au sein des deux programmes. En effet, d'une part, les protocoles de ressources humaines de 2016 et de 2018 sont arrivés à échéance ; d'autre part, les protocoles de mars 2022 sur la modernisation des ressources humaines, signés au sein de la police et de la gendarmerie nationales, n'auront d'importantes conséquences financières qu'à compter de 2023.

Cette situation s'explique, enfin, par des difficultés tenant tant à la fidélisation des agents qu'aux recrutements au sein de la gendarmerie nationale et de la police nationale. Le schéma d'emploi prévu en LFI n'a d'ailleurs pas été totalement exécuté puisque le nombre de créations de postes a été inférieur de 31 ETP à ce qui était prévu pour la gendarmerie nationale (+ 154 contre + 185 ETP prévus) et de 5 ETP pour la police nationale (+ 756 contre + 761 ETP prévus). Et ce, alors même que les crédits disponibles en exécution (des crédits ont été ouverts durant l'exercice 2022) ont été supérieurs aux besoins s'agissant du titre 2 : le taux d'exécution de ces CP atteint ainsi 99,2 % pour la police nationale et 99,7 % pour la gendarmerie nationale.

En effet, d'une part, les départs ont été très nombreux au sein des deux forces en 2022. Cette tendance est croissante depuis la crise du covid-19. Ainsi, l'exercice 2022 a connu le nombre le plus élevé de départs depuis 5 ans, conduisant à un taux très élevé de renouvellement annuel des personnels, atteignant 15 % pour la gendarmerie nationale. Ce phénomène, qui ne s'explique pas par les départs à la retraite qui sont stables sur la période, pourrait être imputable, selon les responsables de programme, à la concurrence avec les polices municipales, à la hausse des démissions en école et à l'augmentation des détachements dans d'autres administrations10(*). Le nombre de ces départs contribue en outre à créer des difficultés de fonctionnement pour les forces de sécurité intérieure, en ce qu'ils créent des vacances dans les services, avant que les nouveaux personnels reprennent les postes concernés par les départs. Il convient d'ailleurs de souligner que si le nombre d'ETP a augmenté en 2022, le nombre d'ETPT de la gendarmerie nationale, calculé quant à lui sur l'année entière, s'est réduit, passant de 100 086 ETPT à 99 755 ETPT.

D'autre part, la police et la gendarmerie nationales ont connu des difficultés à tenir un rythme de recrutement suffisant pour à la fois compenser les nombreux départs et augmenter les effectifs totaux. Les recrutements ont ainsi dû être augmentés par rapport à 2021 de 25 % au sein de la gendarmerie nationale et de 29 % au sein de la police nationale. Les appareils de formation font désormais face à un risque de saturation, tant en termes d'infrastructures que d'encadrants, alors qu'il est par ailleurs -opportunément - prévu d'allonger la durée de formation initiale des forces de sécurité intérieure.

Une telle situation est d'autant plus source d'inquiétudes que des objectifs très ambitieux de recrutement ont été posés, tant à l'occasion du Beauvau de la sécurité, que de la LOPMI et des annonces de la Première ministre11(*). La loi de finances initiale pour 2023 a ainsi prévu la création de 2 857 ETP pour les deux forces, dont 1 907 ETPT pour la police nationale et 950 ETPT pour la gendarmerie nationale, soit un total qui n'a pas été atteint depuis 2016 et qui peut sembler irréaliste dans ce contexte.

En outre, ces tensions sur le recrutement ont pour effet indirect de nuire potentiellement à la qualité des recrutements et des formations. Comme le soulignait un rapport de la Cour des comptes de 202112(*), le taux d'admission au concours de gardien de la paix est passé de 2 % en 2014 à 18 % en 2020, tandis que les formations de gardien de la paix et d'officier avaient été raccourcies. De même, l'exécution du schéma d'emplois de la police nationale s'est faite en 2022 largement au profit du recrutement de personnels non-actifs (+ 874 personnels administratifs, techniques et scientifiques et - 118 policiers actifs). Si cette évolution participe à la politique de substitution de personnels actifs par d'autres types de personnels sur des postes non-actifs, il convient de rester vigilant quant à ses conséquences réelles sur l'opérationnalité des forces.

Les constats sont similaires pour les réserves des deux forces. En effet, alors que des objectifs très ambitieux ont été fixés quant aux effectifs visés à l'horizon 2027 par la LOPMI (30 000 pour la réserve de la police nationale et 50 000 pour celle de la gendarmerie nationale), la réalité est bien moins reluisante. Si la gendarmerie nationale compte 30 959 réservistes opérationnels à fin 2022, la police nationale en compte seulement 4 819. En outre pour les deux forces, au rythme actuel de recrutement, il faudrait 17 ans pour atteindre l'objectif fixé, alors que les infrastructures et le vivier de recrutement semblent trop modestes pour augmenter significativement le rythme de recrutement.

Enfin, le rapporteur spécial constate, comme la Cour des comptes13(*), que le nombre de départs et les difficultés de recrutement soulignent les limites des mesures indemnitaires et indiciaires mises en place ces dernières années au sein des forces de sécurité intérieure et dont l'une des justifications principales était de revaloriser le métier de policier et de gendarme. Si le coût des mesures indemnitaires et indiciaires était limité en 2022, par rapport aux années précédentes, les mesures catégorielles nouvelles ont néanmoins coûté 182,84 millions d'euros au programme 176 « Police nationale » et 99 millions d'euros pour le programme 152 « Gendarmerie nationale ». Sur la période 2016 à 2022, les protocoles de ressources humaines de 2016 et 2018 ont engendré un coût supplémentaire de 730,3 millions d'euros, soit 4 % de la masse salariale des deux programmes. Cette hausse salariale est l'une des plus fortes et rapides de la sphère de l'État ces dernières années. Or ces dépenses très importantes ne semblent pas permettre de fidéliser les personnels.

c) Les dépenses de personnel devraient voir leur hausse s'accroître à compter de 2023 sous l'effet des protocoles de mars 2022 et de la hausse des effectifs

Si l'exécution de l'exercice 2022 est marquée par une hausse modérée des dépenses de personnel, ces dépenses devraient s'accroître fortement à l'avenir pour deux raisons principales.

En premier lieu, les deux protocoles de mars 2022 pour la modernisation des ressources humaines signés dans la police nationale et dans la gendarmerie nationale devraient conduire à des dépenses d'environ 1,5 milliard d'euros sur 5 ans, à compter de 2023.

Protocole pour la modernisation des ressources humaines
de la police nationale de mars 2022

Le protocole pour la modernisation des ressources humaines de la police nationale a été signé à l'unanimité des organisations syndicales représentatives le 2 mars 2022. Il repose sur quatre piliers :

- revaloriser les fonctions les plus exposées ;

- responsabiliser et valoriser l'encadrement ;

- revoir les règles de mobilité pour faciliter l'affectation des policiers sur le terrain ;

- améliorer la qualité de vie au travail des policiers.

En outre, il a acté l'ouverture d'une discussion sur l'augmentation du temps de travail, afin d'accroître la présence sur la voie publique.

Parmi les principales mesures du protocole, l'on trouve :

une revalorisation de la rémunération de ceux qui sont exposés aux difficultés de la voie publique, notamment avec la création d'une prime spécifique de 100 euros par mois et le triplement de l'indemnité de travail de nuit ;

une valorisation des tâches des personnels administratifs et techniques de la police nationale, avec la création d'une indemnité de sujétion spécifique ;

la création d'un statut dérogatoire pour les personnels de « police scientifique » pour permettre à ces derniers de bénéficier de mesures statutaires adaptées à la réalité de leur métier et de leurs missions ;

la revalorisation de la filière investigation via notamment une augmentation de la prime officier de police judiciaire, qui passera de 1 300 à 1 500 euros par an et la création des fonctions d'assistant d'enquête, nouveau métier des personnels administratifs de la police, qui seront spécifiquement formés pour exercer leurs nouvelles attributions ;

la valorisation de la prise de responsabilités en confortant les fonctions d'encadrement du corps d'encadrement et d'application et en revalorisant l'indemnité de responsabilité et de performance des officiers et des commissaires.

L'ensemble des mesures représentent un total de 783 millions d'euros sur 5 ans.

Si le rapporteur spécial souscrit à la volonté de moderniser la gestion des ressources humaines de la police et de la gendarmerie nationales et comprend le souhait de revaloriser certaines primes, il s'inquiète du coût total des mesures actées.

En effet, il estime que la dérive des dépenses de personnel constituerait un obstacle important à l'amélioration des capacités opérationnelles des forces de l'ordre, puisqu'elle limite mécaniquement les marges de manoeuvre en matière d'investissement et de fonctionnement. Cette situation avait prévalu jusqu'à très récemment et pourrait rapidement réapparaître.

Protocole pour la modernisation des ressources humaines
de la gendarmerie nationale de mars 2022

Le protocole pour la modernisation des ressources humaines de la police nationale a été signé le 9 mars 2022. Il repose sur trois axes :

- » mieux protéger » par des mesures favorisant l'augmentation de la présence de voie publique ;

- « mieux encadrer » par des mesures soutenant la prise de responsabilité ;

- » mieux accompagner » par des mesures liées à l'action sociale et à la qualité de vie au travail.

Parmi les principales mesures du protocole, l'on trouve :

- la valorisation de l'engagement des personnels impliqués au quotidien sur la voie publique, en rénovant les parcours de carrière et la grille indiciaire des sous-officiers et en revalorisant le traitement des gendarmes adjoints volontaires ;

- la mise en place d'une indemnité d'absence missionnelle et d'une indemnité de sujétion spécifique au profit des corps militaires de soutien ;

le soutien à la prise de responsabilité, en augmentant le contingent de la prime de qualification supérieure et en redimensionnant l'indemnité de fonction et de responsabilités ;

en développant l'action sociale et la qualité de vie au travail, en renforçant l'aide aux blessés et à leurs familles et en densifiant le réseau de psychologues cliniciens ;

- en améliorant les conditions de vie des gendarmes et de leurs familles en portant un effort substantiel sur l'entretien des logements et des locaux de service.

L'ensemble des mesures représentent un total de 700 millions d'euros sur 5 ans.

En deuxième lieu, si les capacités de recrutement le permettent, la hausse prévue des effectifs aura un impact direct sur les dépenses de personnel. Or, comme le rapporteur spécial l'a souvent rappelé, ces hausses successives d'effectifs ne sont pas de nature à résoudre les difficultés des deux institutions, davantage marquées par un retard en matière d'investissement et de fonctionnement que de personnel.

3. La réduction du stock d'heures supplémentaires non-indemnisées dans la police nationale connait un ralentissement marqué sous l'effet d'une augmentation du flux

Contrairement aux gendarmes, les policiers bénéficient d'une compensation au titre des services supplémentaires effectués (dépassement horaire, permanences, rappels). Sauf pour les compagnies républicaines de sécurité (CRS), dont les heures supplémentaires peuvent être payées, ces services complémentaires sont en principe compensés par l'octroi d'heures récupérables14(*).

Si l'utilisation des heures supplémentaires constitue une manière de répondre à la nécessité de renforcer la présence des policiers sur le terrain, l'accroissement de l'activité opérationnelle à compter de 2014 a entrainé l'augmentation sensible de leur stock.

Ce stock est constitué des heures accomplies et des majorations horaires prévues dans les textes (ces dernières représentent en moyenne 20 % du stock).

Pour la première fois depuis l'émergence de cette problématique, une mesure nouvelle de 26,5 millions d'euros a été inscrite en loi de finances pour 2020 puis pour 2021, pour indemniser un volume identifié comme incompressible par la DGPN pour donner aux chefs de service les marges de manoeuvre opérationnelles nécessaires.

La dotation de 26,5 millions d'euros inscrite en 2020 et 2021 a été reconduite en 2022. Le stock d'heures supplémentaires à apurer avait été abaissé, au 31 décembre 2021, à 16,5 millions d'heures, soit un niveau inférieur de 28,3 % à celui de 2018 et équivalent à celui de 2008.

Stock d'heures supplémentaires de la police nationale

(en millions d'heures)

Source : commission des finances du Sénat

En 2022, 3 millions d'heures ont été indemnisées au profit de 27 431 agents, pour un montant total de 39 millions d'euros (26,5 millions d'euros initialement prévus en LFI et 12,5 millions d'euros ouverts en gestion), soit un infléchissement par rapport à 2021, année au cours de laquelle 3,5 millions d'heures avaient été indemnisées pour 45,2 millions d'euros (26,5 millions d'euros initialement prévus en LFI et 18,7 millions d'euros ouverts en gestion).

En outre, le flux de création des heures supplémentaires s'est notablement accéléré en 2022, s'établissant à 2 millions d'heures en 2022, contre 0,5 à 0,7 million d'heures par an en moyenne entre 2019 et 2021 et 1,46 million d'heures par an en moyenne entre 2014 et 2018. Une telle hausse du flux n'est pas pleinement expliquée à ce stade ; ses raisons doivent, pour le rapporteur spécial, être rapidement identifiées.

Au final si le stock d'heures supplémentaires est toujours orienté à la baisse en 202215(*), l'intensité de la baisse est beaucoup plus faible qu'en 2020 et 2021.

Or, le rapporteur spécial insiste de nouveau sur la nécessité de ne pas laisser subsister, voire croître, un compte par agent d'heures supplémentaires non indemnisables trop important, au risque de déstabiliser fortement les services. En effet, les fonctionnaires peuvent liquider leurs heures supplémentaires avant leur départ à la retraite. Ces derniers étant juridiquement en congés et non en retraite, ils ne sont pas remplacés durant cette période, ce qui contribue à creuser un véritable « trou » opérationnel, particulièrement prégnant dans certains services16(*).

Plus globalement, le rapporteur spécial considère que la mobilisation des policiers en heures supplémentaires, qui est un levier utile, implique l'attente légitime qu'une compensation soit effectivement octroyée, dans des délais raisonnables.

Pour mémoire, le projet de loi de finances pour 2023 prévoit opportunément le relèvement de l'enveloppe de crédits dédiés à la campagne d'indemnisation des heures supplémentaires de 18,7 millions d'euros, soit + 70,6 %, pour atteindre 45,2 millions d'euros, soit le niveau de crédits consommés en 2021 mais non atteint en 2022.

4. En 2022, les crédits hors titre 2 consommés ont crû plus rapidement que les dépenses de personnel...

En 2022, les CP hors titre 2 exécutés pour les deux programmes s'établissent à 3,14 milliards d'euros. Ils sont en hausse de 24,6 % par rapport à 2021 (+ 620 millions d'euros) et de 11,7 % par rapport aux crédits initiaux (+ 328,8 millions d'euros). Cette hausse est significativement plus élevée, en pourcentage, que celle des dépenses de personnel (+ 3,1 % par rapport à 202117(*)).

Cette tendance en 2022 a ainsi conduit, par rapport à 2021, à un léger rééquilibrage des dépenses hors titre 2, dont la part dans les dépenses des deux programmes passe de 12,4 % à 14,6 % en CP exécutés, par rapport aux dépenses du titre 2 (qui passent de 87,6 % à 85,4 %).

Part des dépenses de personnel dans l'ensemble des crédits
de la « Police nationale » et de la « Gendarmerie nationale »

(en CP, en millions d'euros,
en exécution)

   

2021

2022

Police nationale

Titre 2

9 932,49

10 285,40

Total

11 049,88

11 782,40

Titre 2 / Total

89,9 %

87,3 %

Gendarmerie

Titre 2

7 819,81

8 019,04

Total

9 219,67

9 659,34

Titre 2 / Total

84,8 %

83,0 %

Total

Titre 2

17 752,30

18 304,4

Total

20 269,55

21 441,7

Titre 2 / Total

87,6 %

85,4 %

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

La hausse des CP exécutés hors titre 2 en exécution s'explique par le transfert de crédits depuis le programme 363 « Compétitivité »18(*), mais également par des opérations de fongibilité asymétrique (transferts de crédits du titre 2 vers d'autres titres) d'un montant très élevé, et même jamais atteint : ces opérations ont représenté 24,7 millions d'euros pour la gendarmerie nationale et 84,5 millions d'euros pour la police nationale, soit plus de 109 millions d'euros au total.

Par rapport aux crédits exécutés en 2021, les dépenses de fonctionnement augmentent de 18,8 % en CP (+ 396,4 millions d'euros) tandis que celles d'investissement sont en hausse de 57,6 % (+ 213,4 millions d'euros).

S'agissant des dépenses de fonctionnement, les CP exécutés du programme « Police nationale » ont dépassé de 25,6 % ceux de 2021 (+228,5 millions d'euros). Pour ce qui concerne la gendarmerie nationale, la hausse est de 13,8 % (+167,9 millions d'euros).

En ce qui concerne les dépenses d'investissement, les CP exécutés du programme « Police nationale » sont en hausse de 80,8 % (+ 149,7 millions d'euros) ; la hausse est de 34,5 % (+ 63,7 millions d'euros) pour la gendarmerie nationale.

Au sein de la police nationale, ces dépenses d'investissement ont notamment permis de mobiliser des moyens en faveur de l'immobilier (163,8 millions d'euros en CP contre 55,7 millions d'euros en 2021), notamment dans le cadre de la mise en oeuvre des opérations significatives décidées lors du Beauvau de la Sécurité (hôtel des polices de Nice par exemple). Elles ont également servi à la poursuite du renouvellement de la flotte de véhicules (126,0 millions d'euros en CP, contre 89,2 millions d'euros en 2021), avec le renouvellement de 4 420 véhicules (dont 3 580 sur le programme 176).

De manière similaire, pour la gendarmerie nationale, ces dépenses d'investissement ont notamment permis de mobiliser des moyens pour entretenir le parc domanial de la gendarmerie (134,2 millions d'euros en CP contre 109,3 millions d'euros en 2021), largement sous la forme d'opérations de maintenance et de réhabilitation, par exemple s'agissant des quatre tours de logements de la caserne Nanterre-Rathelot. Elles ont, de même, servi à la poursuite du renouvellement de la flotte de véhicules (126,8 millions d'euros, contre 94,2 millions d'euros en 2021), avec la commande de 2 900 véhicules. Par ailleurs, le programme 363 « Compétitivité » a, en complément, porté l'acquisition de 10 hélicoptères.

Les deux forces ont en outre investi dans l'innovation et la digitalisation pour leurs outils, notamment s'agissant des téléphones et ordinateurs mis à disposition des agents de police et des gendarmes.

5. ... n'empêchant pas de voir réapparaître à très court terme des risques concrets d'éviction des dépenses hors titre 2

Si l'année 2022 est marquée par un léger rééquilibrage au sein des deux programmes des dépenses hors titre 2 par rapport aux dépenses de titre 2, cette évolution bénéfique pour l'opérationnalité des forces pourrait en réalité être de très courte durée.

Plusieurs risques pèsent en effet sur les crédits de fonctionnement et d'investissement.

a) Des crédits liés à de moindres hausses temporaires des dépenses de personnel qui devraient se tarir

En premier lieu, la hausse des dépenses hors titre 2 en exécution a été imputable non seulement à la hausse de ces crédits en LFI mais également aux transferts de crédits en provenance du programme 363 « Compétitivité » et aux crédits libérés par la fongibilité asymétrique des crédits de personnel non consommés. En 2022, 42 % de la sur-exécution des dépenses de fonctionnement de la police nationale ont été financés par la fongibilité asymétrique.

Or, les ambitieux plans de recrutement à venir, mis en place dès 2023, associés à la hausse des mesures indemnitaires décidées dans les protocoles de mars 202219(*) devraient vraisemblablement avoir pour effet direct de tarir les mouvements de fongibilité asymétrique, tandis que les crédits de personnel devraient accaparer une part substantielle de la hausse des crédits de la mission prévue à l'horizon 2027.

La LOPMI prévoit ainsi, pour l'année 2027, une hausse des crédits de titre 2 de 1,5 milliard d'euros par rapport au montant exécuté de 2022 pour ces deux programmes. Parallèlement, l'on peut constater que la loi de finances initiale pour 2023 prévoit une baisse des crédits d'investissement de la gendarmerie nationale, tant en AE qu'en CP, par rapport à la LFI 2022.

b) Des dépenses de fonctionnement exposées à des risques importants

En deuxième lieu, la valeur réelle, à euros constants, des crédits de fonctionnement est menacée par l'inflation et la hausse du coût de certains biens spécifiques.

Alors que les dépenses de carburant avaient représenté pour la police nationale 52,6 millions d'euros en 2021, le coût atteint 69,7 millions d'euros en 2023. Pour la gendarmerie nationale, le surcoût des carburants est plus fort, à 31,3 millions d'euros, sans que l'activité opérationnelle n'en soit la cause.

De même, les dépenses d'énergie et de fluides (électricité, eau, chauffage, etc.) sont rehaussées par l'augmentation de leur coût unitaire : ces dépenses progressent de 10,5 % pour la police et de 7 % pour la gendarmerie. La même tendance concerne les loyers et l'alimentation (hausse de 8 % du coût de l'alimentation et de 11,6 % des transports et déplacements pour les gendarmes mobiles par exemple).

Au total, l'inflation, qui impacte beaucoup plus fortement les crédits hors titre 2 que les crédits du titre 2, risque d'écrêter encore davantage le rééquilibrage temporaire constaté en 2022.

II. LE PROGRAMME 207 « SÉCURITÉ ET ÉDUCATION ROUTIÈRES »

Le programme 207 « Sécurité et éducation routières » retrace une partie des dépenses réalisées par l'État pour réduire le nombre d'accidents de la route à travers des mesures de prévention, d'information et d'éducation routières. Les dépenses liées au volet répressif de la politique de sécurité routière (radars et gestion des points des permis de conduire) sont, quant à elles, financées par le compte d'affectation spéciale « Contrôle de la circulation et du stationnement routiers »20(*), qui finance néanmoins également des dépenses liées à la prévention.

En exécution, les dépenses hors personnel21(*) se sont élevées en 2022 à 49,0 millions d'euros en CP (et à 49,4 millions d'euros en AE), soit un montant supérieur à l'exécution 2021 (+ 22,2 % en CP) mais inférieur à ce que prévoyait la LFI (- 2,23 %)

Récapitulation de l'exécution 2022 du programme 207

(en millions d'euros)

Type de crédit

Exécution 2019

Exécution 2020

Exécution 2021

LFI 2022

Exécution 2022

Évolution 2022/2021

Taux d'exécution 2022/LFI

AE

40,94

41,83

39,5

51,0

49,4

+ 25,1 %

96,8 %

CP

40,5

41,39

40,121

50,1

49,0

+ 22,2 %

97,8 %

Source : commission des finances du Sénat, d'après les données du rapport annuel de performances de la mission « Sécurités » annexé au projet de loi de règlement pour 2022

Les taux de consommation demeurent élevés sur le programme 207 « Sécurité et éducation routières », tant en autorisations d'engagement (AE) qu'en crédits de paiement (CP). Au regard des crédits votés en loi de finances initiale (LFI), le programme 207 fait l'objet d'une légère sous-exécution, avec des taux qui s'établissent respectivement à 96,8 % et 97,8 %.

Par rapport à 2021, la différence de consommation des crédits s'explique en particulier par la reprise des campagnes de sensibilisation dans les médias et la hausse des dépenses en lien avec l'organisation des examens du permis de conduire.

En 2020, dans le contexte de la crise du covid-19, la mortalité routière avait atteint un point bas historique et s'établissait à 2 780 tués sur les routes de France, en métropole ou en outre-mer, contre 3 498 en 2019, soit une baisse de 20 %. En 2021, le nombre de tués sur les routes (3 219) avait connu une hausse par rapport à 2020, qui s'explique en partie par la reprise du trafic routier.

En 2022, 3 550 personnes sont décédées sur les routes de France (dont 3 267 en France métropolitaine et 172 dans les outre-mer), soit un niveau supérieur de 1,5 % aux chiffres de 2019 et de 10,3 % par rapport à ceux de 2021.

III. LE COMPTE SPÉCIAL « CONTRÔLE DE LA CIRCULATION ET DU STATIONNEMENT ROUTIERS »

L'article 49 de la loi de finances pour 200622(*) a créé le compte d'affectation spéciale « Contrôle de la circulation et du stationnement routiers », habituellement appelé CAS « Radars » ou CAS « Amendes ».

Depuis le 1er janvier 2017, la section 1 « Contrôle automatisé » ne comprend plus qu'un seul programme, le programme 751 « Structures et dispositifs de sécurité routière » finançant :

le déploiement et l'entretien des radars ;

- le traitement des messages d'infractions constatées par un dispositif de contrôle automatisé et à leur transformation en avis de contravention par l'Agence nationale de traitement automatisé des infractions (ANTAI) et son centre national de traitement (CNT) ;

- les charges de gestion du permis à points.

La section 2 « Circulation et stationnement routiers » comprend :

- le programme 753 « Contrôle et modernisation de la politique de la circulation et du stationnement routiers » qui gère le déploiement du « procès-verbal électronique », le « PVe ». L'objectif principal de cet outil était de moderniser substantiellement, au profit des forces de l'ordre et des polices municipales, la gestion des amendes en substituant au carnet à souche des outils nomades plus performants. Le PVe permet la verbalisation des infractions routières mais également d'infractions d'autres natures, notamment dans le cadre de l'amende forfaitaire délictuelle (AFD), qui s'applique par exemple à l'usage illicite de stupéfiants et aux délits d'installation illicite sur le terrain d'autrui et d'occupation illicite des parties communes d'immeubles d'habitation. La loi LOPMI a encore étendu les délits concernés ;

- le programme 754 « Contribution à l'équipement des collectivités territoriales pour l'amélioration des transports en commun, de la sécurité et de la circulation routières » transfère aux collectivités territoriales une partie des recettes des amendes ;

- le programme 755 « Désendettement de l'État » vient abonder le budget général au titre des recettes non fiscales.

Le « CAS Radars » a vocation à retracer les dépenses financées à partir du produit des amendes. Ses recettes se composent du produit :

- d'une part, des amendes non-majorées perçues par la voie de systèmes automatisés de contrôle-sanction, après retranchement des fractions de ce produit affectées à l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFIT France) et au Fonds pour la modernisation et l'investissement en santé (FMIS, anciennement FMESPP) ;

- d'autre part, des amendes issues de la police de circulation, y compris amendes forfaitaires majorées, après retranchement de la fraction de ce produit affectée au budget général.

Il convient donc de noter que l'ensemble des recettes des amendes de la circulation ne revient pas au CAS, une partie étant affectée à l'AFIT France, au FMIS et au budget général.

En 2022, le schéma d'affectation du produit des amendes de police de la circulation et du stationnement routiers était le suivant :

Schéma d'affectation du produit des amendes de police de la circulation
et du stationnement routiers dans la loi de finances initiale pour 2022

Source : projet annuel de performances du projet de loi de finances pour 2022

A. EXÉCUTION DES CRÉDITS EN 2022

1. Un compte spécial dont le solde est positif en 2022, comme l'année dernière

En 2020, en exécution, pour la troisième année consécutive, le compte spécial avait enregistré un solde négatif (- 182 millions d'euros), résultant de l'écart entre les dépenses en crédits de paiement, et les recettes affectées au compte. Le solde budgétaire est redevenu positif en 2021 (+ 131 millions d'euros). De même, il est également positif en 2022, de 99 millions d'euros. Le montant cumulé du solde du compte spécial est quant à lui très positif, s'établissant ainsi à 1 047 millions d'euros à fin 2022.

Si les dépenses exécutées du CAS sont en forte hausse par rapport à 2021, s'établissant à 1 526,4 millions d'euros en CP, en hausse de 23,8 %, la hausse importante concomitante des recettes (atteignant 1 625,2 millions d'euros, soit + 19,1 %), permet de dégager un solde positif.

Évolution des recettes et dépenses du CAS depuis 2015

(en millions d'euros)

Année

Recettes affectées au CAS

Dépenses en CP du CAS

Solde budgétaire du CAS

2015

1 329,60

1 285,60

44,00

2016

1 421,40

1 342,00

79,40

2017

1 527,70

1 362,30

165,40

2018

1 462,85

1 466,40

- 3,55

2019

1 346,68

1 387,08

- 40,40

2020

1 144,00

1 326,29

- 182,29

2021

1 364,00

1 232,90

131

2022

1625,16

1 526,37

98,8

Source: commission des finances du Sénat, d'après les données du rapport annuel de performances « Contrôle de la circulation et du stationnement routiers » annexé au projet de loi de règlement pour 2022

La hausse des dépenses par rapport à 2021 se concentre sur les programmes 754 (+ 34,3 %, soit 141,9 millions d'euros) et 755 (+ 33,3 %, soit 152,6 millions d'euros), les crédits du programme 751, au coeur des dépenses de sécurité routière du compte, étant quant à eux en baisse de 0,4 %, soit 1,2 millions d'euros.

Par ailleurs, si les dépenses du CAS sont en hausse par rapport l'exécution de 2021, elles sont en baisse par rapport à ce que prévoyait la loi de finances initiale, de 0,6 % en CP.

2. Des recettes supérieures aux prévisions

À l'inverse de 2020 et 2021, le produit total des recettes constatées issues des amendes de la circulation et du stationnement routiers (radars et hors radars) a été supérieur en 2022 aux prévisions en loi de finances initiale. Les recettes prévues en 2022 s'élevaient à 1 784 millions d'euros (en baisse de 9 % par rapport à 2021) et ont finalement atteint 1 874 millions d'euros, soit une sur-exécution de 5 %.

Estimées à 714 millions d'euros par la LFI 2022, les recettes des amendes forfaitaires radars non majorées (section 1) se sont élevées à 707 millions d'euros soit une réalisation légèrement en-dessous de la prévision (- 1 %), alors même que le nombre de radars a augmenté, tout comme leur taux de disponibilité. 108 nouveaux radars ont ainsi été déployés en 2022, un chiffre néanmoins faible comparé à celui de 2021 (198 nouveaux radars) ; le parc atteint ainsi 4 530 appareils à fin 2022, contre 4 422 à fin 2021. Le taux de disponibilité est quant à lui de 87,27 % en moyenne en 2022, soit 0,34 point de plus qu'en 2021.

Concernant la section 2 relative aux recettes des autres amendes de la circulation, ces dernières ont été notablement supérieures aux prévisions puisqu'elles s'élèvent à 1 167 millions d'euros alors qu'elles étaient estimées à 1 070 millions d'euros en LFI, soit une sur-exécution de 9 %.

La loi de finances rectificative (LFR 2) du 1er décembre 202223(*) avait ajusté les prévisions des recettes en cours d'année. Elle estimait ces dernières, à ce moment-là, à 707 millions d'euros, soit 7 millions d'euros de moins qu'en LFI, pour les amendes forfaitaires radars non majorées et à 1198 millions d'euros, au lieu de 1 070 millions d'euros en LFI, pour les amendes forfaitaires hors radars et amendes forfaitaires majorées. En conséquence, elle avait revu à la baisse, de 7 millions d'euros, les crédits du programme 751 du fait d'un moindre besoin de l'ANTAI, et avait abondé à même hauteur les recettes affectées à l'AFIT France. Par ailleurs, elle avait rehaussé de 68 millions d'euros les crédits du programme 754 et de 60 millions ceux du programme 755.

B. LE CAS, DEVENU TROP COMPLEXE, N'EST PLUS LISIBLE ET NE REFLÈTE PAS L'EFFORT FOURNI AU TITRE DE LA SÉCURITÉ ROUTIÈRE

La création du CAS en 2006 est intervenue quelques années après la mise en oeuvre de la politique de contrôle automatisé. Sa fonction était de matérialiser le lien direct entre les recettes issues de la verbalisation et les dépenses liées à la sécurité routière. Toutefois, les modifications apportées depuis 2006 ont non seulement complexifié le CAS mais lui ont également largement fait perdre son sens initial.

En premier lieu, le CAS ne bénéficie pas de l'ensemble des recettes des amendes liées au contrôle automatisé ou à la police de la circulation, une partie des fonds étant affectée à l'AFIT France, au FMIS et au budget général en amont ou en aval de la répartition au sein du CAS24(*). Ainsi, sur les 1 874 millions d'euros de recettes constatées en 2022, seuls 1 625,2 millions d'euros sont revenus au CAS, soit 86,7 %. En sens inverse, toutes les dépenses de sécurité routière portées par l'État, qui représentaient au total 3 752 millions d'euros en 202225(*), ne sont pas assumées par le CAS.

En deuxième lieu, des recettes des amendes sont annuellement attribuées au programme 755 « Désendettement de l'État », qui ne concerne pas des dépenses de sécurité routière, ce qui contrevient au principe de spécialité des crédits au sein du CAS. En 2022, les CP exécutés de ce programme ont représenté 40,1 % des dépenses du CAS. En outre, sur les 59,9 % de dépenses restantes, toutes ne concernent pas directement la sécurité routière, notamment s'agissant du programme 754 « Contribution à l'équipement des collectivités territoriales pour l'amélioration des transports en commun, de la sécurité et de la circulation routières ».

En troisième lieu, la complexité de la répartition des crédits au sein du CAS le rend peu lisible.

Dans ces conditions, le CAS ne répond plus, en l'état, à sa fonction. C'est pourquoi, il pourrait être pertinent de réformer le CAS en simplifiant le circuit budgétaire : fusion des programmes 751 et 753, suppression des enchevêtrements croisés de la répartition des recettes, réflexion à mener sur l'intérêt de conserver deux sections, ainsi que l'abondement au budget général, etc.

Lors de son audition devant la commission des finances, le ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics avait indiqué à l'occasion de la présentation du projet de loi de finances pour 2022 que si « la rebudgétisation de ce CAS n'est pas dans le PLF, elle fait l'objet de travaux »26(*). Le rapporteur spécial ne dispose, plus de 18 mois après ces déclarations, d'aucune information complémentaire sur ce sujet.


* 1 La mission « Sécurités » est composée de quatre programmes : 176 « Police nationale », 152 « Gendarmerie nationale », 161 « Sécurité civile » et 207 « Sécurité et éducation routières ».

* 2 Devenue la loi n° 2023-22 du 24 janvier 2023 d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur.

* 3 Il couvre trois missions (« Sécurités », « Administration générale et territoriale de l'État », et « Immigration, asile et intégration »), le compte d'affectation spéciale « Contrôle de la circulation et du stationnement routiers » et les taxes affectées à l'ANTS (Agence nationale des titres sécurisés). Sont toutefois exclus du périmètre de la LOPMI le programme 232 « Vie politique » de la mission « Administration générale et territoriale de l'État », les programmes 754 et 755 du compte d'affectation spéciale « Contrôle de la circulation et du stationnement routiers », et les programmes « Outre-mer ».

* 4 Voir infra.

* 5 Idem.

* 6 Voir infra.

* 7 Voir infra.

* 8 Idem.

* 9 Voir supra.

* 10 Cour des comptes, Analyse de l'exécution budgétaire 2022, Mission « Sécurités », avril 2023.

* 11 Voir supra.

* 12 Cour des comptes, La gestion des ressources humaines au coeur des difficultés de la police nationale, notre structurelle, novembre 2021.

* 13 Cour des comptes, Analyse de l'exécution budgétaire 2022, Mission « Sécurités », avril 2023.

* 14 Ces dernières correspondent au nombre d'heures supplémentaires, multiplié par un coefficient allant de 1 à 3 selon le moment où elles ont été effectuées.

* 15 Le rapporteur spécial n'a pas à disposition de chiffrage fiable de ce stock à fin 2022.

* 16 Comme le service de protection des hautes personnalités (SPHP).

* 17 Voir supra.

* 18 Voir supra.

* 19 Voir supra.

* 20 Voir infra.

* 21 Depuis le 1er janvier 2015, les dépenses de titre 2 du programme 207 « Sécurité et éducation routières » ont été transférées au programme support 216 « Conduite et pilotage des politiques de l'intérieure » de la mission « Administration générale et territoriale de l'État », afin d'en améliorer la gestion.

* 22 Loi n° 2005-1719 du 30 décembre 2005 de finances pour 2006.

* 23 Loi n° 2022-1499 du 1er décembre 2022 de finances rectificative pour 2022.

* 24 Voir supra.

* 25 Document de politique transversale 2022 « sécurité routière ».

* 26 Audition du 22 septembre 2021 sur le projet de loi de finances pour 2022.