III. DES DIFFICULTÉS D'ANTICIPATION QUE L'ON RETROUVE ÉGALEMENT S'AGISSANT DU COMPTE D'AFFECTATION SPÉCIALE « DÉVELOPPEMENT AGRICOLE ET RURAL »

A. DE NOUVEAU UNE SOUS-CONSOMMATION CHRONIQUE DES CRÉDITS

Le compte d'affectation spéciale « développement agricole et rural » (CASDAR) a pour objet le financement d'opérations de développement agricole et rural orientées par les priorités du programme national de développement agricole et rural (PNDAR). Celui-ci a pour priorité de « viser à intensifier et massifier la transition agro-écologique en combinant la création de valeur économique et environnementale » en s'appuyant sur les principes de l'agroécologie. Il a été renouvelé en 2022 pour une période de cinq ans (2022-2027) prenant le relai du plan 2014-2020 qui avait finalement été prolongé d'une année pour couvrir l'année 2021.

Il comprend les programmes 775 et 776 respectivement intitulés « Développement et transfert en agriculture » et « Recherche appliquée et innovation en agriculture ».

Le programme 775 oriente les structures qui conseillent les agriculteurs vers l'agro-écologie, c'est-à-dire des modalités de production agricole cherchant à concilier le respect de l'environnement et les contraintes sanitaires tout en conservant un modèle économique viable. Il comprend des actions d'accompagnement thématique via des appels à projets ainsi que plusieurs volets de financement à destination :

- des programmes pluriannuels des chambres d'agriculture ;

- de Chambres d'agriculture France ;

- de la fédération des coopératives agricoles ;

- et des organismes nationaux à vocation agricole et rurale (ONVAR).

Le programme 776 poursuit principalement quatre objectifs, à savoir améliorer l'autonomie alimentaire française, améliorer la compétitivité des agriculteurs, promouvoir la diversité des modèles agricoles et des systèmes de production et enfin améliorer les capacités d'anticipation des acteurs de l'agriculture. À travers le financement de l'association de coordination technique agricole (ACTA), une association créée il y a 67 ans, qui représente les 19 instituts techniques agricoles auprès des pouvoirs publics et dispose d'un budget annuel de 6 millions d'euros environ, le programme 776 contribue au financement de ce que l'on pourrait qualifier de « R & D » agricole.

Conformément à l'article 21 de la LOLF4(*), « [si], en cours d'année, les recettes effectives sont supérieures aux évaluations des lois de finances, des crédits supplémentaires peuvent être ouverts, par arrêté du ministre chargé des finances, dans la limite de cet excédent. ». Autrement dit, une ressource supplémentaire par rapport aux prévisions ne pourra être réutilisée dans le cadre du présent programme qu'à la condition de faire expressément l'objet d'une ouverture de crédits par le ministre en charge des finances. Les crédits budgétaires sont donc ouverts à hauteur des prévisions de recettes, en l'espèce le montant de la taxe sur le chiffre d'affaires des exploitants agricoles et les autorisations d'engagement sont égales aux crédits de paiement. Les rapporteurs spéciaux sont donc particulièrement attentifs à la sincérité et à l'efficacité de cette prévision. Or, cette année encore, les recettes ont été sous-évaluées.

1. Des recettes une nouvelle fois mal anticipées et supérieures aux prévisions

Le CASDAR est alimenté par le produit de la taxe sur le chiffre d'affaires des exploitants agricoles. Conformément à l'article 302 bis MB du code général des impôts, cette taxe est « assise sur le chiffre d'affaires de l'année précédente ou du dernier exercice clos tel que défini à l'article 293 D, auquel sont ajoutés les paiements accordés aux agriculteurs au titre des soutiens directs attribués en application du règlement (CE) n° 73/2009 du Conseil du 19 janvier 2009, à l'exclusion du chiffre d'affaires issu des activités de sylviculture, de conchyliculture et de pêche en eau douce. Elle est également assise sur le chiffre d'affaires mentionné sur la déclaration prévue à la dernière phrase du 1° du I de l'article 298 bis. ».

Pour 2022, comparées à une prévision de recettes reconduite à 126 millions d'euros, sans que le ministère n'indique les hypothèses qui ont entrainé à cette reconduction mécanique des recettes prévues, les recettes finalement perçues ont atteint 145 millions d'euros, soit une plus-value de 21 millions d'euros par rapport aux attentes initiales. Ces cinq dernières années, le différentiel entre la prévision initiale et la recette constatée n'a cessé de s'accentuer. Les rapporteurs spéciaux s'interrogent sur la sincérité de la programmation budgétaire.

De façon plus problématique encore, même si un effort a été consenti en 2022 par des ouvertures de crédits plus conséquentes en cours d'année, par voie d'arrêtés, une grande partie de cette taxe, qui pèse davantage sur les petites exploitations, reste inemployée et améliore le solde comptable du CASDAR (cf. infra). La poursuite de cette situation apparait désormais incompréhensible pour les rapporteurs spéciaux, alors même que le MASA, dans le cadre du budget général, est à la recherche de financements.

2. Une nouvelle sous-exécution de crédits, aboutissant à l'augmentation continue du solde comptable du CASDAR

Alors que le taux de consommation des crédits votés apparaît de prime abord habituel, une fois pris en compte les crédits reportés, la sous consommation des crédits est en réalité manifeste : la consommation des crédits disponibles s'est ainsi élevée à 76 % en AE et à 58 % en CP.

Cette sous-consommation résulte en réalité de difficultés structurelles et également de la répétition assumée d'erreurs, à savoir principalement :

- d'une ouverture de crédits calculée chaque année en fonction des estimations de rendement de la taxe, sans que soient pris en compte les reports des exercices précédents, qui résultent de la pluriannualité des opérations financées par le CASDAR ;

- de prévisions de rendements de la taxe très prudentes (reconduction du rendement estimé en 2022 à 126 millions d'euros, alors que les recettes s'établissent in fine à 145 millions d'euros).

En outre, la gestion des projets soutenus par le CAS implique, tout particulièrement pour le programme 776, un dépassement de l'annualité budgétaire. Ils sont conduits sur une durée souvent supérieure à l'année et mobilisent une séquence de versements qui l'excède. Dans ce contexte, des reports et des restes à payer interviennent à chaque fin d'exercice.

Crédits ouverts et crédits consommés du CAS DAR

(en millions d'euros)

Source : Cour des comptes, note d'analyse de l'exécution budgétaire du CAS DAR, avril 202

Toutefois, l'exécution des crédits s'établit en 2022 à 135 millions d'euros en AE et de 142 millions d'euros en CP, contre 126 millions d'euros en AE et de 114 millions d'euros en CP en 2021. L'exécution 2022 est donc en hausse par rapport à 2021 (alors qu'elle était apparue en baisse entre 2020 et 2021).

Ce point, qui doit être d'autant plus souligné qu'il est plutôt positif, est la conséquence d'un montant plus important d'ouverture de crédits par voie d'arrêté en cours d'année. Autrement dit, constatant en cours d'année la faiblesse de la prévision initiale de recettes, le Gouvernement a cette fois-ci réagi en ouvrant de nouveaux crédits au cours de l'exercice, sur le fondement de l'article 21 de la LOLF précité. C'est ainsi que, malgré un écart plus important encore que les années précédentes entre la prévision initiale de recettes et le niveau constaté de dépenses, le solde venant alimenter en fin d'exercice le disponible comptable du CAS DAR s'est avéré moins important que les années précédentes (3 millions d'euros supplémentaires et un solde comptable disponible au 31 décembre 2022 d'environ 121,09 millions d'euros, cf. infra), au prix là aussi de modifications infra-annuelles, décidément très prisées du MASA.

Par ailleurs, le ministère justifie la faible consommation passée des crédits par la situation sanitaire, laquelle a ralenti certains travaux (recherches, laboratoires...). Les rapporteurs spéciaux relèvent toutefois que la sous-consommation des crédits apparaît chronique et non liée à la situation sanitaire.

Enfin, les rapporteurs spéciaux soulignent qu'un écart d'environ 7 millions d'euros est constaté depuis la création du CASDAR entre le solde comptable et les crédits reportés. Les justifications avancées par le ministère de l'agriculture font valoir que l'écart entre les crédits reportables et la capacité de reports tenant à la situation du solde comptable du compte proviendrait d'une erreur de programmation commise en 2006, les autorisations d'engagement alors inscrites n'ayant pas donné lieu à autant d'inscriptions en crédits de paiement à la suite de la cessation d'activité de l'Agence de développement agricole et rural. Sur ce point la Cour formule une nouvelle recommandation que les rapporteurs spéciaux appuient : elle préconise de mener à son terme l'expertise conduite sur l'écart constaté entre le solde comptable et les crédits reportables du CAS DAR pour pouvoir engager la différence en cours d'année 2023.

Exécution et prévision des recettes du CASDAR
et dépenses constatées5(*)

(en millions d'euros)

Année

Recettes LFI

Recettes constatées

Exécution (CP)

Solde cumulé au 31 décembre

2006

134,46

145,96

99,70

46,26

2007

98,00

102,05

101,34

46,97

2008

102,50

106,30

98,47

54,8

2009

113,50

110,56

112,34

53,02

2010

114,50

104,89

111,21

46,7

2011

110,50

110,44

108,38

48,72

2012

110,50

116,76

114,35

51,13

2013

110,50

120,58

106,98

64,73

2014

125,50

117,10

132,40

49,43

2015

147,50

137,10

131,30

55,23

2016

147,5

130,8

129,2

56,83

2017

147,5

133,4

128,1

62,13

2018

136

136,5

131,2

67,6

2019

136

142,9

130,5

80

2020

136

140,3

127,2

93,2

2021

126

138

114

118

2022

126

145

142

121,09

Source : commission des finances du Sénat

En toute hypothèse, l'ampleur du solde comptable conduit à nourrir quelques inquiétudes sur les modalités de budgétisation du CASDAR dans l'avenir.

Compte tenu de ces problématiques devenues chroniques (une sous-exécution des crédits, l'inemploi d'une partie de la taxe prélevée sur les exploitations, la récurrence des subventions versées à plusieurs structures, et l'absence de démonstration de l'efficacité de certains dispositifs financés), la question se pose du maintien du CASDAR. C'est d'autant plus vrai que la Cour des comptes souligne d'autres difficultés (cf. infra).


* 4 Deuxième alinéa du II de l'article 21 de la loi organique n° 2001-692 relative aux lois de finances du 1er août 2001.

* 5 Aux arrondis près jusqu'en 2018.