N° 771

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 28 juin 2023

RAPPORT

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des finances (1) sur le projet de loi,
rejeté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée,
de
règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2022,

Par M. Jean-François HUSSON,
Rapporteur général,

Sénateur

TOME II
CONTRIBUTION DES RAPPORTEURS SPÉCIAUX

ANNEXE N° 3
Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales
COMPTE D'AFFECTATION SPÉCIALE : DÉVELOPPEMENT AGRICOLE ET RURAL

Rapporteurs spéciaux : MM. Vincent SEGOUIN et Patrice JOLY

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Éric Bocquet, Daniel Breuiller, Emmanuel Capus, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Charles Guené, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Jean-Claude Requier, Mme Sylvie Vermeillet, vice-présidents ; MM. Jérôme Bascher, Rémi Féraud, Marc Laménie, Stéphane Sautarel, secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Arnaud Bazin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Mme Isabelle Briquet, MM. Michel Canévet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Cozic, Vincent Delahaye, Philippe Dominati, Mme Frédérique Espagnac, MM. Éric Jeansannetas, Patrice Joly, Roger Karoutchi, Christian Klinger, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Thierry Meignen, Sébastien Meurant, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Paul Toussaint Parigi, Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Pascal Savoldelli, Vincent Segouin, Jean Pierre Vogel.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (16ème législ.) : 1095, 1271 et T.A. 125

Sénat : 684 (2022-2023)

LES PRINCIPALES OBSERVATIONS
DES RAPPORTEURS SPÉCIAUX

1. Avec un niveau de dépenses constaté de 4,67 milliards d'euros en crédits de paiement (CP) et une consommation des autorisations d'engagement (AE) de 4,66 milliards euros, les dépenses de la mission agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales (AAFAR) ont été supérieures de plus d'un milliard d'euros sur crédits de paiement par rapport au niveau exécuté l'année précédente, au cours de laquelle une hausse de 714 millions d'euros avait déjà été constatée.

La consommation réalisée s'établit à 154 % des AE et 155 % des CP ouverts en loi de finances initiale, dans une tendance désormais malheureusement établie. Le constat formulé l'an dernier se vérifie donc encore en 2022 : les contraintes non anticipées, du fait des aléas climatiques d'une part et des maladies animales d'autre part, ont imposé d'importantes ouvertures de crédits en cours de gestion, posant une nouvelle fois la question de la sincérité des engagements initiaux et de la capacité gouvernementale à mieux anticiper des aléas dont la nature reste certes, par définition, imprévisible, mais la survenance de plus en plus probable.

2. Comme en 2021, l'exécution des crédits a été, en 2022, très supérieure aux ouvertures de la loi de finances initiale (LFI), de presque 1,7 milliard d'euros, tout en restant dans l'enveloppe des crédits finalement disponibles : les crédits ouverts en cours de gestion ont égalé les autorisations de la LFI, tant en AE qu'en CP. Par suite, la sous-consommation des CP finalement ouverts s'est élevée à 363,31 millions d'euros en AE et 352,45 millions d'euros en CP, en baisse par rapport à 2021 mais demeurant très élevés. Celle-ci a entraîné un niveau de reports de crédits sur l'année 2023 sans précédent (412 millions d'euros en AE et 402 millions d'euros en CP) au-delà encore du « record » de l'an passé (388 millions d'euros en AE et 402 millions d'euros en CP) ainsi que des annulations de crédits.

Il n'est donc pas étonnant que le contrôle budgétaire et comptable ministériel (CBCM) ait renouvelé son avis défavorable sur le caractère soutenable des dépenses des deux programmes 149 et 206, même s'il s'agissait dans les deux cas, selon ses propres termes, « d'une insoutenabilité très largement subie », du fait de la survenance d'aléas.

3. L'exécution budgétaire du programme 149, qui s'établit à 3,28 milliards d'euros en CP, s'est révélée significativement éloignée de l'autorisation donnée en loi de finances initiale. Le programme 149 a en effet bénéficié d'une ouverture supplémentaire de crédits en cours de gestion d'un montant équivalent à l'ouverture initiale de crédits, principalement afin de financer les mesures d'indemnisation des agriculteurs. Cette exécution résulte en réalité d'une sous-programmation structurelle des besoins d'accompagnement d'exploitations systématiquement confrontées aux effets des aléas climatiques, sous programmation qui a mis sous tension le programme 149 en 2021, en 2022 et devrait à nouveau exercer ses effets délétères en 2023.

4. En 2022, les dépenses du programme 206 ont augmenté de 30 % par rapport à celles constatées en 2021. La charge d'abattage d'animaux contaminés par diverses maladies, de nettoyage des élevages et d'indemnisation des éleveurs a eu un impact budgétaire important sur l'exécution du programme.

5. Les rapporteurs spéciaux regrettent enfin, comme l'an passé, la sous-exécution chronique des crédits de paiement du compte d'affectation spéciale « développement agricole et rural » (CASDAR). Ils en appellent désormais au rapatriement dans le budget général des deux programmes 775 et 776 concernés.

La mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » (AAFAR) comprend trois programmes budgétaires :

- le programme 149 « Compétitivité et durabilité de l'agriculture, de l'agroalimentaire, de la forêt, de la pêche et de l'aquaculture » (3,283 milliards d'euros en crédits de paiement en 2022 contre 2,383 milliards d'euros en 2021 et 1,712 milliards d'euros de crédits de paiement en 2020, soit + 92 % en deux ans) correspond principalement à la composante nationale des interventions en faveur du développement rural portées au niveau européen par le FEADER mais aussi aux interventions en faveur de la pêche et de la forêt ;

- le programme 206 « Sécurité et qualité sanitaires de l'alimentation » (791,68 millions d'euros en 2022 contre 608,3 millions d'euros en 2021 et 555,6 millions d'euros de dépenses en 2020, soit + 42 % en deux ans) couvre pour l'essentiel, en dépit de son intitulé, des interventions visant à assurer l'intégrité des animaux et végétaux, ne réservant qu'une faible partie de ses interventions à la sécurité sanitaire des aliments proprement dite ;

- le programme 215 « Conduite et pilotage des politiques de l'agriculture » (596,16 millions d'euros contre 609 millions d'euros en 2021 et 618,7 millions d'euros de dépenses en 2020, soit une baisse de 3,6 % sur deux ans) est le programme support du ministère de l'agriculture et réunit la plupart des moyens nécessaires à la couverture des coûts de gestion des missions du ministère (hors éducation).

Davantage encore qu'en 2021, l'année 2022 a été caractérisée par une situation sanitaire difficile et par une restructuration des interventions au profit des exploitations frappées par un contexte défavorable. L'exercice budgétaire 2022 a donc une nouvelle fois été marqué par une augmentation importante des crédits exécutés, découlant majoritairement de soutiens apportés aux agriculteurs pour faire face aux aléas climatiques, aux maladies animales et aux conséquences de la situation géopolitique. Ces budgets supplémentaires sont déployés pour faire face à des crises qui se répètent et s'intensifient, sans que de nouveaux moyens pour une prévention plus efficace de ces aléas soient consentis parallèlement.

I. EN 2022, UNE AUGMENTATION DE 30 % DES CRÉDITS EXÉCUTÉS PAR RAPPORT AUX CRÉDITS INITIALEMENT PRÉVUS, EN RÉPONSE AUX MULTIPLES CRISES AYANT FRAPPÉ LE SECTEUR

1. Comme lors du précédent exercice, l'exécution des crédits de la mission en 2022 excède largement les prévisions initiales

Les ouvertures de crédits en loi de finances initiales pour 2022 ont été légèrement supérieures à celles de l'exercice précédent, tandis que les dépenses l'ont été bien davantage. Comme l'illustre le tableau ci-après, les crédits de paiement consommés (4,6 milliards d'euros) ont augmenté de presque 30 % par rapport à 2022.

Données relatives à l'exécution des crédits de la mission en 2022

(en millions d'euros)

Programmes

 

Exécution 2021

Crédits ouverts en LFI 20221(*)

Total des crédits ouverts en 2022

Exécution 2022

Variation exécution 2022/2021

Écart exécution 2022/LFI 2022

149 « Économie et développement durable de l'agriculture, de la pêche et des territoires »

AE

2 365,7

1 774,9

3 555,9

3 264,9

899,2

1 490

CP

2 383,1

1 764,5

3 590,4

3 283

899,9

1 518,5

206 « Sécurité et qualité
sanitaires de l'alimentation »

AE

612

614,1

865,6

797,5

185,5

183,4

CP

608,3

611,3

845,5

791,7

183,4

180,4

215 « Conduite et pilotage des politiques de l'agriculture »

AE

604,8

641,1

658,4

602,5

- 2,3

- 38,6

CP

609

630,4

639

596,1

- 12,99

- 34,3

Total Mission

AE

3 582,5

3 030,1

5 079,8

5 075

1 492,5

2 044,9

CP

3 600,3

3 006,2

4 664,9

4 670,9

1 070,6

1 664,7

Source : commission des finances du Sénat d'après les données du RAP 2022 

Avec une consommation des crédits en AE de 4,6 milliards d'euros, les dépenses de la mission AAFAR sur crédits de paiement ont été supérieures en 2022 de 1,07 milliard d'euros par rapport au niveau atteint l'année précédente.

Les dépenses ont toutefois connu des dynamiques contrastées entre programmes.

Comme cela avait été le cas l'an passé, le programme 149 a contribué à une très grande part de l'augmentation des crédits consommés, que ce soit en CP ou en AE, quand le programme 206 a été légèrement plus dépensier qu'en 2021, les dépenses du programme 215 parvenant quant-à-elles à être réduites.

2. Des modifications budgétaires à un niveau inédit en cours d'exercice

L'exécution des crédits a été en 2022 largement supérieure aux ouvertures de crédits ouverts en loi de finances initiale, tout en demeurant dans l'enveloppe de crédits finalement disponibles du fait de modifications budgétaires conséquentes en cours d'exercice.

Ces crédits ouverts en cours de gestion ont presque égalé les autorisations de la LFI, tant en AE qu'en CP, principalement du fait des ouvertures opérées en lois de de finances rectificatives (939 millions d'euros en CP), des reports de crédits (402 millions d'euros en CP), et plus marginalement de fonds de concours et attributions de produits (45 millions d'euros).

Une fois de plus, ces abondements en cours de gestion ont surtout concerné le programme 149, qui a bénéficié de près de 1,78 milliard d'euros en AE et de 1,52 milliard d'euros en CP, soit respectivement 100,2 % et 100,9 % des crédits prévus initialement. 78 % des ouvertures de crédits réalisées en lois de finances rectificatives ont d'ailleurs concerné ce programme.

Le programme 206 a bénéficié de l'ordre de 251 millions d'euros d'AE supplémentaires et 234 millions d'euros de crédits de paiement, le programme 215 bénéficiant lui aussi d'ouvertures nettes dans des proportions bien moindres (17,3 millions d'euros en AE et 8,6 millions d'euros en crédits de paiement).

Les ouvertures de crédits ont principalement résulté de deux lois de finances rectificatives, à hauteur de 916 millions d'euros en AE et 939 millions d'euros en CP.

La première, la loi de finances rectificative n° 2022-1157 du 16 août 2022 a permis une majoration des ressources de 290 millions d'euros en AE et en CP du programme 149 et 200,3 millions d'euros en AE et en CP du programme 206. La seconde, la loi de finances rectificative n° 2022-1499 du 1er décembre 2022 a complété la dotation du programme 149 à hauteur de 400,8 millions d'euros en AE et 444,2 millions d'euros en CP et celle du programme 206 de 30,5 millions d'euros en AE et 9,8 millions d'euros en CP.

Il s'est agi principalement d'intervenir pour compenser l'impact sur la filière agricole de multiples crises, qu'elles soient climatiques, sanitaires ou économiques.

Sans les citer exhaustivement, on relève entre autres :

- un versement de 150 millions d'euros à la Caisse centrale de la mutualité sociale agricole (CCMSA), provenant pour partie de la loi de finances rectificative pour 2022 et pour partie d'un décret d'avance d'avril 2022, pour venir en aide aux agriculteurs impactés par les conséquences mondiales de l'agression de la Russie contre l'Ukraine ;

- un versement à la CCMSA pour les prises en charge de cotisations sociales par le Fond national d'action sanitaire et sociale (FNASS) à hauteur de 17 944 856 euros en compensation des pertes exceptionnelles de la filière porcine entre septembre 2021 et février 2022 ;

- un versement de 5 millions d'euros, également à destination de la CCMSA, pour les prises en charge de cotisations sociales par le FNASS ;

- la prise en charge de 3 millions d'euros supplémentaires, issue de la loi de finances rectificatives de décembre 2022, pour financer le surplus d'exonération de charges patronales pour l'embauche de travailleurs saisonniers du fait du maintien d'un plateau d'exonération totale jusqu'à 1,2 SMIC par rapport aux allègements généraux.

Les reports de crédits de 2021 sur 2022 ont atteint le niveau historique de 400 millions d'euros en AE et 403 millions d'euros en CP soit un peu plus de 13 % des AE et CP programmés en LFI. Ces reports sont corrélés à la sous-consommation des crédits programmés pour les évènements de 2021 notamment du fait d'épisodes de gel et de la crise aviaire.

Mouvements infra-annuels de crédits sur les différents programmes
de la mission en 2022

(en millions d'euros)

 

Programme 149

Programme 206

Programme 215

Total mission

AE

CP

AE

CP

AE

CP

AE

CP

LFI

1 774,88

1 764,47

614,17

611,30

641,11

630,40

3 030,16

3 006,17

LFR

690,81

734,17

230,78

210,15

- 5,00

- 5,05

916,59

939,28

Fonds de concours et attribution de produits

32,57

32,57

5,65

5,65

7,14

7,14

45,36

45,36

Autres mouvements de crédits

1 057,59

1 059,20

15,02

18,46

15,16

6,55

1 087,77

1 084,21

dont Reports

368,87

377,08

15,15

18,59

15,63

7,04

399,65

402,71

dont Avance

580,00

580,00

0,00

0,00

0,00

0,00

580,00

580,00

dont Virements

- 4,36

- 4,36

- 0,45

- 0,45

0,01

0,01

- 4,80

- 4,80

dont Transferts

113,08

106,48

0,00

0,00

- 1,57

- 1,59

111,51

104,89

dont Répartitions

0,00

0,00

0,32

0,32

1,09

1,09

1,41

1,41

Total des crédits ouverts

3 555,85

3 590,41

865,62

845,56

658,41

639,04

5 079,88

5 075,01

Crédits consommés

3 264,89

3 283,05

797,46

791,68

602,54

596,16

4 664,89

4 670,90

Source : commission des finances du Sénat à partir de la note d'évaluation budgétaire de la Cour des comptes

Au total, les crédits ouverts durant l'exercice 2022 ont excédé de près de 2 milliards d'euros les prévisions de la LFI, pour atteindre 5 milliards d'euros en CP. Toutefois, la sous-consommation des crédits finalement ouverts s'est élevée à près de 363 millions d'euros en AE et 352 millions d'euros en CP.

Cette sous-consommation, qui représente tout de même 10 % des CP ouverts est imputable aux dispositifs de gestion des crises et des aléas du programme 149, en particulier le fonds d'allègement des charges pour 159 millions d'euros, pour des mesures de crise restant à engager et payer.

Le tableau ci-après récapitule le niveau de sous-consommation pour chacun des trois programmes de la mission :

Crédits de la mission AAFAR non consommés en 2022

(en millions d'euros)

 

Crédits ouverts

Crédits consommés

Sous-consommation constatée

AE

CP

AE

CP

AE

CP

Programme 149

3 555,85

3 590,42

3 264,89

3 283,05

290,96

307,37

Programme 206

522,14

502,07

473,68

467,9

48,46

34,17

Programme 215

105,54

86,18

81,65

75,27

23,89

10,91

Total

4 183,53

4 178,67

3 820,22

3 826,22

363,31

352,45

Source : commission des finances du Sénat à partir de la note d'exécution budgétaire de la Cour des comptes

3. Un niveau de reports de crédits sans précèdent

Comme le mentionne la Cour des comptes dans sa note d'exécution budgétaire relative à la présente mission, cette sous-consommation des crédits disponibles ainsi que des annulations de crédits a entraîné un niveau significatif de reports de crédits sur l'année 2023 (412 millions d'euros en AE et 402 millions d'euros en CP). Ces reports ont principalement concerné le programme 149 de la mission et découlent de réactions tardives du Gouvernement, puisqu'il s'agit de reports d'ouvertures de crédits réalisées par la loi de finances rectificative du 1er décembre 2022 : comme l'indique la Cour des comptes, il serait « plus respectueux des principes d'annualité et de sincérité budgétaires que le ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire (MASA) ouvre les crédits pour les besoins résiduels du seul exercice en cours et non pour des besoins prévisionnels de l'exercice à venir. »

Rappelons toutefois que depuis le 1er janvier 2023, le régime de report des crédits est davantage encadré. La loi organique du 28 décembre 2021 relative à la modernisation de la gestion des finances publiques plafonne désormais le montant total des crédits de paiement reportés à 5 % des crédits ouverts, modifiant les conditions de report jusqu'alors fixées à l'article 15 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances.

Les rapporteurs spéciaux constatent que les reports de crédits sur l'année 2022 représentent tout de même vingt fois le montant des reports effectués trois ans plus tôt. La simultanéité entre, la même année, un niveau jamais égalé de crédits reportés et de crédits non consommés constitue une tendance qui ne saurait perdurer, c'est pourquoi ils plaident là aussi pour davantage de rigueur, de réalisme et de sincérité dans le prévisionnel budgétaire du MASA.

4. Un nouvel alourdissement des dépenses d'intervention

Les dépenses d'intervention, qui constituent le coeur de la mission, atteignent 2,6 milliards d'euros en 2022 contre 1,4 milliard d'euros en 2021, soit une progression de 1,2 milliards d'euros (+ 86 %), principalement en raison des mesures de soutien aux filières face à diverses crises sanitaire et de santé animale et de mesures d'indemnisation des agriculteurs face à plusieurs épisodes climatiques ayant eu d'importantes conséquences.

Évolution des dépenses de la mission, en CP consommés, par titre
entre 2021 et 2022

(en millions d'euros)

 

2021

2022

Variation 2022/2021

Variation 2022/2021 (en %)

Dépenses de personnel

849,6

844,6

-5

- 0,6

Autres dépenses

2 751

3 833,7

1 082,7

39,4

Dont :

       

Dépenses de fonctionnement

847

940

93

11

Dépenses d'investissement

7,3

10,2

2,9

39,7

Dépenses d'intervention

1 383

2 589

1206

87

Dépenses d'opérations financières

513,5

294,5

- 219

- 42,6

Total

3 600

4 686,3

1 086,3

30

Source : Commission des finances du Sénat d'après les données du rapport annuel de performances de la mission pour 2022

Les dépenses effectives de personnel qui diminuent légèrement cette année encore (845 millions d'euros en 2022 contre 850 millions d'euros en 2021 et 860 millions d'euros en 2020) voient leur part dans le total des dépenses reculer année après année en raison de la très forte hausse des autres dépenses. Elles ont pesé pour 18 % du total des dépenses en 2022 contre le quart l'année précédente.

Au total, 11 714 ETPT ont été mobilisés par la mission en LFI 2022, en augmentation de 222 ETPT (+ 1,9 %) après deux années consécutives de baisse (- 1,4 % entre 2020 et 2021 et - 1,6 % entre 2019 et 2020). Dans ce cadre, les évolutions d'emploi ont été très différenciées selon le programme considéré.

En LFI, le programme 206, sécurité et qualité sanitaire de l'alimentation, a vu ses effectifs augmenter de 103 ETPT par rapport à 2021, passant à 4 909 ETPT, compte tenu principalement de l'inscription des emplois nécessaires aux contrôles sanitaires aux frontières dans la perspective du Brexit. Le programme 215, conduite et pilotage des politiques de l'agriculture, a vu ses effectifs augmenter de 119 ETPT pour faciliter la mise en oeuvre de la nouvelle PAC 2023-2027.

L'exécution de la mission s'est établie à 11 585 ETPT respectant ainsi le plafond retraité des transferts, consécutif à la suppression de la direction des pêches maritimes et de l'aquaculture (DPMA) qui a été fusionnée avec la direction des affaires maritimes relevant du Secrétariat d'État auprès de la Première ministre, chargé de la Mer, pour devenir la direction générale des affaires maritimes, de la pêche et de l'aquaculture, soit 12 ETPT en moins relevant du MASA. Le plafond d'emplois n'a pas été consommé en totalité, avec une sous-exécution qui demeure néanmoins assez marginale (autour de 1,2 %). Le schéma d'emploi au titre du programme 206 est inférieur de 26 ETP par rapport à la programmation initiale, du fait du report à 2023 d'une partie de l'activité de certification export dans le cadre du Brexit.

Le programme 215 fait apparaître une sous-consommation du plafond d'emplois de 68 ETPT s'expliquant par des difficultés à pourvoir certains postes, témoignant une nouvelle fois de la moindre attractivité des services territoriaux ainsi que par des vacances infra-annuelles consécutives à la mise en place des secrétariats généraux communs départementaux (SGCD) qui ont ralenti certaines procédures de recrutement.

De surcroit, le transfert du Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER) aux conseils régionaux depuis le 1er janvier 2023 entrainera à terme la suppression à l'échelon ministériel de 385 ETP dont certains sont d'ores et déjà gelés.

Enfin, les moyens supplémentaires prévus pour la mise en oeuvre de la nouvelle PAC (2023-2027) n'ont pas tous été utilisés en raison du décalage temporel de sa mise en oeuvre. Une partie de ces moyens a néanmoins été réaffectée à la gestion de crises d'une part et au solde de dossiers liés à l'ancienne PAC. Le programme 215 réalise un schéma d'emploi avec la création de 3 ETP, conséquence de recrutements au titre de la police unique en charge de la sécurité sanitaire.

Les crédits du titre 2 de la mission ont été exécutés à hauteur de 94,3 % des crédits disponibles (845 millions d'euros pour 896 millions d'euros). Cette sous-exécution s'explique pour partie par le report sur 2023 de mesures de revalorisations, alors même que le ministère a pourtant pu financer en gestion la revalorisation du point d'indice de la fonction publique de 3,5 %.

II. LES PRINCIPALES OBSERVATIONS DES RAPPORTEURS SPÉCIAUX PORTENT SUR CE NOUVEAU DÉRAPAGE BUDGÉTAIRE

1. Mettre fin au « Yo-Yo budgétaire » en agissant contre le sous-dimensionnement structurel de la programmation initiale de la mission agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales (AAFAR)

Le programme 149 a bénéficié de près de 1,78 milliard d'euros en AE et de 1,52 milliard d'euros en CP, soit respectivement 100,2 % et 100,9 % des crédits prévus initialement. 78 % des ouvertures de crédits réalisées en lois de finances rectificatives sont venus abonder ce programme.

290,96 millions d'euros en AE et 307,37 millions d'euros en crédits de paiement n'ont toutefois pas été consommés sur ce programme et ont fait l'objet d'un report pour 2023, mais l'exécution excède de près de 1,5 milliard d'euros les prévisions faites en loi de finances initiale (soit 2,5 fois le dépassement déjà constaté entre la LFI pour 2021 et l'exécution constatée en 2021, qui s'était élevé à 600 millions d'euros).

Cette exécution résulte d'une sous-programmation structurelle des besoins d'accompagnement d'exploitations de plus en plus systématiquement confrontées aux effets des aléas climatiques, sous-programmation qui met sous tension le programme 149 depuis 2018.

En effet, les dotations initiales ont de nouveau été insuffisantes pour faire face aux conséquences des aléas climatiques (sécheresse, gel tardif, épisodes de grêle) et financer le fonds national de gestion des risques agricoles (FNGRA). Le coût des indemnisations dues aux exploitants agricoles pour l'année 2022 a, comme en 2021, très largement dépassé les ressources dont dispose le Fond national de gestion des risques en agriculture (FNGRA), contraignant l'État à abonder le fonds en fin d'année à hauteur de 250 millions d'euros (après déjà un abondement supplémentaire en cours de gestion de 480 millions d'euros en 2021 et 150 millions d'euros en 2020).

Les rapporteurs spéciaux considèrent que les aléas climatiques et les maladies animales à répétition sont devenus des caractéristiques pérennes à prendre en compte dans les prévisionnels budgétaires du MASA. Certes, leur nature évoluera, mais leur ampleur est structurellement et volontairement sous-évaluée, ce qui ne peut être accepté de la part de décideurs politiques dont le sens de l'anticipation doit finalement être la principale qualité. Ils plaident pour une réévaluation des programmes 149 et 206 en LFI pour 2024 à hauteur de la moyenne constatée des trois derniers exercices afin de mettre un terme à ce qu'il convient de qualifier de « Yo-Yo budgétaire ».

Dans la même optique, ils sont particulièrement attentifs à la mise en oeuvre de la réforme introduite par la loi n° 2022-298 du 2 mars 2022 d'orientation relative à une meilleure diffusion de l'assurance récolte en agriculture et portant réforme des outils de gestion des risques climatiques en agriculture, et aux crédits qui y seront consacrés en 2024.

2. Une exécution budgétaire marquée par les crises à répétition qu'il faut apprendre à intégrer dans le prévisionnel budgétaire

Les exploitants agricoles viennent de connaître deux années particulièrement difficiles en raison des crises à répétition. Les rapporteurs spéciaux ne mésestiment pas la difficulté à anticiper la fréquence et l'ampleur des conséquences budgétaires de ces crises. Toutefois, ils ont le sentiment que les évaluations budgétaires initiales du ministère sont sous-dimensionnées au regard d'un contexte objectivement amené à se durcir.

L'année 2021 avait en effet déjà été marquée par la multiplication de crises aux lourdes conséquences pour le secteur agricole : outre la pandémie de Covid-19, les agriculteurs ont été frappés par l'influenza aviaire, la jaunisse de la betterave et plusieurs épisodes climatiques dont le plus marquant fut sans doute le gel d'avril 2021.

L'année 2022 a malheureusement été caractérisée par l'intensification de cette tendance. L'épidémie d'influenza aviaire a redoublé d'intensité, provoquant un véritable effondrement de la filière « volailles », l'attaque russe en Ukraine à partir de février 2022 a déséquilibré plusieurs cours mondiaux se répercutant in fine sur les agriculteurs français (cours du blé, de l'énergie, hausse coût des exportations, etc.) et enfin les aléas climatiques se sont multipliés : incendies et sécheresse et épisodes multiples de grêle et de gel qui ont été jusqu'à déstabiliser certains des secteurs les plus solides comme la viticulture.

Cette situation explique la hausse importante des crédits ouverts dans le cadre du programme 206 « Sécurité et qualité sanitaires de l'alimentation ».

En 2022, les dépenses du programme ont augmenté de 30 % par rapport à celles constatées en 2021, l'exécution des crédits ayant conduit à adopter des ajustements significatifs par rapport à l'autorisation budgétaire initiale.

Plusieurs maladies ont eu un impact budgétaire important sur l'exécution 2022, au premier rang desquelles l'Influenza aviaire.

Les menaces sanitaires sont extrêmement vives et les risques tendent à se concrétiser, comme l'ont montré une série d'événements retentissants ces dernières années, les infections à plus bas bruits demeurant tout à fait ordinaires. La multiplication de foyers importants de maladies animales ou végétales s'est reproduite en 2022 : parmi les plus redoutables, on citera la tuberculose bovine, la brucellose qui peut se propager de l'animal à l'être humain, la salmonelle en élevage avicole ainsi que plusieurs foyers de capricorne asiatique actifs dans le domaine végétal.

3. Adapter les travaux de la commission des comptes de l'agriculture de la Nation au calendrier parlementaire

Les crédits de la mission AAFAR correspondent à une partie seulement des concours publics à l'agriculture, à la forêt et à la pêche2(*).

L'examen du projet de loi de règlement devrait offrir l'occasion d'appréhender au plus près la contribution de la mission aux concours publics soutenant in fine les revenus agricoles, objectif d'autant plus légitime que les dépenses de la mission sont, pour une part prépondérante, la contrepartie nationale d'interventions européennes.

Or, cette information n'est pas rendue disponible dans le rapport annuel de performances de la mission annexé au projet de loi de règlement. Les délais de confection des comptes nationaux agricoles sont en cause. À la date d'examen du projet de loi de règlement, seuls sont disponibles les comptes prévisionnels de l'agriculture publiés en décembre 20223(*).

Les rapporteurs spéciaux réitèrent, comme chaque année, leur demande que la commission des comptes de l'agriculture de la Nation puisse tenir compte du calendrier d'examen parlementaire des opérations budgétaires sur crédits nationaux pour organiser ses travaux. Il conviendra d'exposer les résultats de ces travaux dans les rapports de performances annexés aux projets de loi de règlement.

Dans ce contexte, l'évaluation publiée par la Cour des comptes dans sa note d'exécution budgétaire fournit un point de repère. La Cour y précise que les caractéristiques des années précédentes (la première source de soutien provient du budget européen et les dépenses sur crédits de la mission AAFAR sont depuis quelques années largement devancées par le total constitué des dépenses fiscales et des allégements de cotisations sociales) se confirment en 2022.

4. Les coûts contenus des fonctions support se font au prix du report de la mise en oeuvre de certaines actions et des transferts de compétences

Le programme 215 semble faire figure d'exception au sein de la mission. Il est le seul à ne pas être caractérisé par les dérapages budgétaires en cours de gestion entre la LFI et l'exécution finale. Certes, les crédits votés en loi de finances initiale ont dû être réévalués à hauteur de 19 millions d'euros en AE et 10 millions d'euros en CP. Les reports de 2021 sur 2022 ont représenté 16 millions d'euros en AE et 7 millions d'euros en CP. Par ailleurs, la Cour des comptes souligne qu'ils ont été « complétés par des fonds de concours à hauteur de 7 millions d'euros en AE et CP au titre de l'assistance technique du Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER) et des études statistiques ».

Ces modifications infra-annuelles sont d'avantage objectivées par le ministère que celles concernant les deux autres programmes. En effet, l'exécution budgétaire a été marquée par un contexte défavorable que connaît tout le secteur des travaux et des prestations de service et qui expliquent une majoration du coût de certaines opérations.

En revanche, ces majorations apparaissent artificiellement compensées sur l'exercice 2022 par des reports d'opérations, choisis ou subis, parmi lesquels :

- le report du projet du pôle agriculture à Maisons-Alfort pour 4,7 millions d'euros en AE et 8,3 millions d'euros en CP ;

- le report de projets informatiques pour 7,6 millions d'euros en AE et 7,5 millions d'euros en CP non consommés (d'autant plus dommageable à terme que seule une meilleure modélisation informatique permettra au MASA de progresser en termes de prévisions) ;

- l'ouverture tardive de fonds de concours finalement non consommés en 2022, représentant 2,5 millions d'euros en AE et en CP ;

- des annulations de crédits en loi de finances rectificative (5 millions d'euros en AE et CP hors titre 2) en l'absence de dégel de la réserve de précaution (4,5 millions d'euros en AE et 4,1 millions d'euros en CP) et de moindres dépenses sur les frais judiciaires.

Le tableau suivant récapitule cette apparente maîtrise des moyens généraux en 2022 du programme 215, qui semble devoir être soulignée comparativement à ce qui peut être constaté dans les deux autres programmes, au prix toutefois d'un jeu sur les réalisations reportées :

Crédits du programme 215, hors titre 2, en 2022

(en millions d'euros)

 

Crédits LFI

Crédits ouverts

Crédits consommés

AE

CP

AE

CP

AE

CP

Action 1 - Moyens de l'administration centrale

30,09

25,58

31,03

27,28

32,45

29,01

Action 2 - Évaluation

4,25

4,35

5,84

6,09

5,30

5,23

Action 3 - Moyens directions régionales

7,36

7,56

12,62

14,72

9,98

11,51

Action 4 - Moyens communs

45,08

38,58

56,05

38,09

33,92

29,52

Total

86,78

76,07

105,54

86,18

81,65

75,27

Source : Cour des comptes, d'après les données du MASA

S'agissant des emplois et de la masse salariale, la maitrise des coûts a également a été rendue possible par le report de la mise en oeuvre de certaines actions.

À la suite de la demande des autorités britanniques visant à reporter une partie de l'activité de certification à l'export, le MASA a procédé, dans l'attente d'une clarification par les instances européennes, au gel des 20 ETP correspondant aux derniers recrutements prévus pour septembre 2022. En outre, les créations d'emplois initialement fléchés au titre de la création d'une police unique de la sécurité sanitaire des aliments (SSA) ont été abandonnées en 2022 La mise en oeuvre progressive de cette police unique, désormais intégralement sous la responsabilité du MASA, s'est opérée début 2023. Elle a mis fin à la gestion partagée entre la direction générale de l'alimentation (DGAL) et la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), pour faire suite aux recommandations émises par la mission inter-inspections menée par l'inspection générale des finances (IGF), l'inspection générale des affaires sociales (IGAS), l'inspection générale de l'administration (IGA) et le conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAER) sur l'organisation du contrôle de la sécurité sanitaire des aliments.

Le schéma d'emplois du programme 215 est d'autant plus maîtrisé qu'il ne tient pas encore compte des impacts en emplois du transfert aux conseils régionaux de l'instruction des mesures hors surfaciques de la programmation de la PAC depuis le début de l'année 2023.

Enfin, s'agissant du programme 206, les rapporteurs spéciaux prennent acte du report sur 2023 de plusieurs recrutements prévus en 2022, en particulier le gel de 20 recrutements « Brexit » et l'abandon de 45 créations d'emplois initialement prévues au titre de la sécurité sanitaire des aliments.

III. DES DIFFICULTÉS D'ANTICIPATION QUE L'ON RETROUVE ÉGALEMENT S'AGISSANT DU COMPTE D'AFFECTATION SPÉCIALE « DÉVELOPPEMENT AGRICOLE ET RURAL »

A. DE NOUVEAU UNE SOUS-CONSOMMATION CHRONIQUE DES CRÉDITS

Le compte d'affectation spéciale « développement agricole et rural » (CASDAR) a pour objet le financement d'opérations de développement agricole et rural orientées par les priorités du programme national de développement agricole et rural (PNDAR). Celui-ci a pour priorité de « viser à intensifier et massifier la transition agro-écologique en combinant la création de valeur économique et environnementale » en s'appuyant sur les principes de l'agroécologie. Il a été renouvelé en 2022 pour une période de cinq ans (2022-2027) prenant le relai du plan 2014-2020 qui avait finalement été prolongé d'une année pour couvrir l'année 2021.

Il comprend les programmes 775 et 776 respectivement intitulés « Développement et transfert en agriculture » et « Recherche appliquée et innovation en agriculture ».

Le programme 775 oriente les structures qui conseillent les agriculteurs vers l'agro-écologie, c'est-à-dire des modalités de production agricole cherchant à concilier le respect de l'environnement et les contraintes sanitaires tout en conservant un modèle économique viable. Il comprend des actions d'accompagnement thématique via des appels à projets ainsi que plusieurs volets de financement à destination :

- des programmes pluriannuels des chambres d'agriculture ;

- de Chambres d'agriculture France ;

- de la fédération des coopératives agricoles ;

- et des organismes nationaux à vocation agricole et rurale (ONVAR).

Le programme 776 poursuit principalement quatre objectifs, à savoir améliorer l'autonomie alimentaire française, améliorer la compétitivité des agriculteurs, promouvoir la diversité des modèles agricoles et des systèmes de production et enfin améliorer les capacités d'anticipation des acteurs de l'agriculture. À travers le financement de l'association de coordination technique agricole (ACTA), une association créée il y a 67 ans, qui représente les 19 instituts techniques agricoles auprès des pouvoirs publics et dispose d'un budget annuel de 6 millions d'euros environ, le programme 776 contribue au financement de ce que l'on pourrait qualifier de « R & D » agricole.

Conformément à l'article 21 de la LOLF4(*), « [si], en cours d'année, les recettes effectives sont supérieures aux évaluations des lois de finances, des crédits supplémentaires peuvent être ouverts, par arrêté du ministre chargé des finances, dans la limite de cet excédent. ». Autrement dit, une ressource supplémentaire par rapport aux prévisions ne pourra être réutilisée dans le cadre du présent programme qu'à la condition de faire expressément l'objet d'une ouverture de crédits par le ministre en charge des finances. Les crédits budgétaires sont donc ouverts à hauteur des prévisions de recettes, en l'espèce le montant de la taxe sur le chiffre d'affaires des exploitants agricoles et les autorisations d'engagement sont égales aux crédits de paiement. Les rapporteurs spéciaux sont donc particulièrement attentifs à la sincérité et à l'efficacité de cette prévision. Or, cette année encore, les recettes ont été sous-évaluées.

1. Des recettes une nouvelle fois mal anticipées et supérieures aux prévisions

Le CASDAR est alimenté par le produit de la taxe sur le chiffre d'affaires des exploitants agricoles. Conformément à l'article 302 bis MB du code général des impôts, cette taxe est « assise sur le chiffre d'affaires de l'année précédente ou du dernier exercice clos tel que défini à l'article 293 D, auquel sont ajoutés les paiements accordés aux agriculteurs au titre des soutiens directs attribués en application du règlement (CE) n° 73/2009 du Conseil du 19 janvier 2009, à l'exclusion du chiffre d'affaires issu des activités de sylviculture, de conchyliculture et de pêche en eau douce. Elle est également assise sur le chiffre d'affaires mentionné sur la déclaration prévue à la dernière phrase du 1° du I de l'article 298 bis. ».

Pour 2022, comparées à une prévision de recettes reconduite à 126 millions d'euros, sans que le ministère n'indique les hypothèses qui ont entrainé à cette reconduction mécanique des recettes prévues, les recettes finalement perçues ont atteint 145 millions d'euros, soit une plus-value de 21 millions d'euros par rapport aux attentes initiales. Ces cinq dernières années, le différentiel entre la prévision initiale et la recette constatée n'a cessé de s'accentuer. Les rapporteurs spéciaux s'interrogent sur la sincérité de la programmation budgétaire.

De façon plus problématique encore, même si un effort a été consenti en 2022 par des ouvertures de crédits plus conséquentes en cours d'année, par voie d'arrêtés, une grande partie de cette taxe, qui pèse davantage sur les petites exploitations, reste inemployée et améliore le solde comptable du CASDAR (cf. infra). La poursuite de cette situation apparait désormais incompréhensible pour les rapporteurs spéciaux, alors même que le MASA, dans le cadre du budget général, est à la recherche de financements.

2. Une nouvelle sous-exécution de crédits, aboutissant à l'augmentation continue du solde comptable du CASDAR

Alors que le taux de consommation des crédits votés apparaît de prime abord habituel, une fois pris en compte les crédits reportés, la sous consommation des crédits est en réalité manifeste : la consommation des crédits disponibles s'est ainsi élevée à 76 % en AE et à 58 % en CP.

Cette sous-consommation résulte en réalité de difficultés structurelles et également de la répétition assumée d'erreurs, à savoir principalement :

- d'une ouverture de crédits calculée chaque année en fonction des estimations de rendement de la taxe, sans que soient pris en compte les reports des exercices précédents, qui résultent de la pluriannualité des opérations financées par le CASDAR ;

- de prévisions de rendements de la taxe très prudentes (reconduction du rendement estimé en 2022 à 126 millions d'euros, alors que les recettes s'établissent in fine à 145 millions d'euros).

En outre, la gestion des projets soutenus par le CAS implique, tout particulièrement pour le programme 776, un dépassement de l'annualité budgétaire. Ils sont conduits sur une durée souvent supérieure à l'année et mobilisent une séquence de versements qui l'excède. Dans ce contexte, des reports et des restes à payer interviennent à chaque fin d'exercice.

Crédits ouverts et crédits consommés du CAS DAR

(en millions d'euros)

Source : Cour des comptes, note d'analyse de l'exécution budgétaire du CAS DAR, avril 202

Toutefois, l'exécution des crédits s'établit en 2022 à 135 millions d'euros en AE et de 142 millions d'euros en CP, contre 126 millions d'euros en AE et de 114 millions d'euros en CP en 2021. L'exécution 2022 est donc en hausse par rapport à 2021 (alors qu'elle était apparue en baisse entre 2020 et 2021).

Ce point, qui doit être d'autant plus souligné qu'il est plutôt positif, est la conséquence d'un montant plus important d'ouverture de crédits par voie d'arrêté en cours d'année. Autrement dit, constatant en cours d'année la faiblesse de la prévision initiale de recettes, le Gouvernement a cette fois-ci réagi en ouvrant de nouveaux crédits au cours de l'exercice, sur le fondement de l'article 21 de la LOLF précité. C'est ainsi que, malgré un écart plus important encore que les années précédentes entre la prévision initiale de recettes et le niveau constaté de dépenses, le solde venant alimenter en fin d'exercice le disponible comptable du CAS DAR s'est avéré moins important que les années précédentes (3 millions d'euros supplémentaires et un solde comptable disponible au 31 décembre 2022 d'environ 121,09 millions d'euros, cf. infra), au prix là aussi de modifications infra-annuelles, décidément très prisées du MASA.

Par ailleurs, le ministère justifie la faible consommation passée des crédits par la situation sanitaire, laquelle a ralenti certains travaux (recherches, laboratoires...). Les rapporteurs spéciaux relèvent toutefois que la sous-consommation des crédits apparaît chronique et non liée à la situation sanitaire.

Enfin, les rapporteurs spéciaux soulignent qu'un écart d'environ 7 millions d'euros est constaté depuis la création du CASDAR entre le solde comptable et les crédits reportés. Les justifications avancées par le ministère de l'agriculture font valoir que l'écart entre les crédits reportables et la capacité de reports tenant à la situation du solde comptable du compte proviendrait d'une erreur de programmation commise en 2006, les autorisations d'engagement alors inscrites n'ayant pas donné lieu à autant d'inscriptions en crédits de paiement à la suite de la cessation d'activité de l'Agence de développement agricole et rural. Sur ce point la Cour formule une nouvelle recommandation que les rapporteurs spéciaux appuient : elle préconise de mener à son terme l'expertise conduite sur l'écart constaté entre le solde comptable et les crédits reportables du CAS DAR pour pouvoir engager la différence en cours d'année 2023.

Exécution et prévision des recettes du CASDAR
et dépenses constatées5(*)

(en millions d'euros)

Année

Recettes LFI

Recettes constatées

Exécution (CP)

Solde cumulé au 31 décembre

2006

134,46

145,96

99,70

46,26

2007

98,00

102,05

101,34

46,97

2008

102,50

106,30

98,47

54,8

2009

113,50

110,56

112,34

53,02

2010

114,50

104,89

111,21

46,7

2011

110,50

110,44

108,38

48,72

2012

110,50

116,76

114,35

51,13

2013

110,50

120,58

106,98

64,73

2014

125,50

117,10

132,40

49,43

2015

147,50

137,10

131,30

55,23

2016

147,5

130,8

129,2

56,83

2017

147,5

133,4

128,1

62,13

2018

136

136,5

131,2

67,6

2019

136

142,9

130,5

80

2020

136

140,3

127,2

93,2

2021

126

138

114

118

2022

126

145

142

121,09

Source : commission des finances du Sénat

En toute hypothèse, l'ampleur du solde comptable conduit à nourrir quelques inquiétudes sur les modalités de budgétisation du CASDAR dans l'avenir.

Compte tenu de ces problématiques devenues chroniques (une sous-exécution des crédits, l'inemploi d'une partie de la taxe prélevée sur les exploitations, la récurrence des subventions versées à plusieurs structures, et l'absence de démonstration de l'efficacité de certains dispositifs financés), la question se pose du maintien du CASDAR. C'est d'autant plus vrai que la Cour des comptes souligne d'autres difficultés (cf. infra).

B. UN COMPTE D'AFFECTATION SPÉCIALE QUI COMPREND DES MESURES DEVANT RELEVER DU BUDGET GÉNÉRAL ET QUI A VOCATION, À CE TITRE, À ÊTRE ENFIN SUPPRIMÉ

De nouvelles modalités de gestion ont été définies dans le cadre du Programme national pour le développement agricole et rural (PNDAR) 2022-2027. Parmi celles-ci, la Cour des comptes cite notamment une rationalisation de la gestion des appels à projets et des modalités d'évaluation des programmes. Le PNDAR 2022-2027 est axé autour de 9 priorités. Les rapporteurs spéciaux formulent le souhait que ces priorités tiendront enfin compte des améliorations qu'ils préconisent depuis plusieurs années : en particulier la mise en place d'une évaluation effective des activités, une juste estimation de leur impact environnemental et un recours accru aux procédures d'appel à projets.

Les rapporteurs spéciaux seront attentifs à l'évaluation de la performance associée à ce nouveau programme. Il importe que le ministère de l'agriculture s'attache à restituer les résultats des recherches appliquées financées par les exploitations agricoles, qui, de leur côté, ont droit à cette information.

À l'heure où la thématique de l'agro-écologie oriente fortement les choix publics dans le domaine de l'agriculture, il est nécessaire de renforcer la programmation de la recherche, ce qui passe par une information plus satisfaisante du Parlement.

De manière plus globale, les rapporteurs spéciaux partagent le point de vue exprimé par la Cour des comptes sur le caractère visiblement inadapté d'un compte d'affectation spéciale « développement agricole et rural ». Parmi les comptes spéciaux6(*), les comptes d'affectation spéciale doivent, conformément à la LOLF, présenter une « relation directe, par nature, entre la recette et la dépense ». Le différentiel, année après année, entre les dépenses et les recettes dans le CAS DAR illustre le fait que cette relation directe n'est pas avérée. Par ailleurs, le CAS DAR déroge en tous points aux principes d'annualité et d'universalité budgétaire auxquels il est en théorie soumis, d'une part par la pratique systématique et massive des reports de crédits, d'autre part en isolant du budget général des politiques qui devraient en relever. Les rapporteurs spéciaux notent par exemple avec étonnement la contradiction qui consiste à maintenir un compte d'affectation spéciale contenant le programme 776, auquel est conféré une mission d'appui à la « souveraineté alimentaire », alors même que c'est une politique publique d'autant plus générale qu'elle figure depuis 2022 dans l'intitulé même du ministère.

Outre leurs objections théoriques, les rapporteurs spéciaux partagent en particulier les inquiétudes de la Cour sur le coût élevé de gestion du CAS DAR, pour un montant modeste au regard du budget global de l'État, ainsi que la porosité avec le budget général et la récurrence des subventions versées à certaines structures, malgré la mise en oeuvre du nouveau PNDAR.

Enfin, dans le prolongement des observation de la Cour, les rapporteurs spéciaux indiquent qu'ils porteront une attention spéciale sur le devenir de la taxe sur le chiffre d'affaires des exploitants agricoles instituée à l'article 302 bis MB précité du code général des impôts, principalement assise sur les petites exploitation et dont le rendement est dérisoire. Sans aller, comme la Cour, jusqu'à proposer sa suppression, ils appellent à en revoir l'assiette.


* 1 Crédits ouverts en loi de finances initiale hors fonds de concours (FDC) et attributions de produits (ADP).

* 2 Il faut ajouter aux dépenses sur crédits nationaux les dépenses sur crédit européen notamment de la politique agricole commune (PAC) et de la politique commune des pêches (PCP) , les dépenses fiscales et les dépenses sociales non compensées à partir de la mission.

* 3 Le document est consultable à l'adresse :

https://agreste.agriculture.gouv.fr/agreste-web/download/publication/publie/Dos2203/CCAN-2022-3_d%C3%A9cembre2022_VersionD%C3%A9fnitive.pdf.

* 4 Deuxième alinéa du II de l'article 21 de la loi organique n° 2001-692 relative aux lois de finances du 1er août 2001.

* 5 Aux arrondis près jusqu'en 2018.

* 6 Les comptes spéciaux, distincts du budget général et des budgets annexes, comprennent les comptes d'affectation spéciale, les comptes de commerce, les comptes monétaires et les comptes de concours financiers. Très prisés après la seconde guerre mondiale pour leur simplicité d'utilisation - on en compte environ 400 en 1947 - ils sont été de plus en plus encadré, en particulier par l'ordonnance budgétaire de 1959 puis par la LOLF.