II. LES OBSERVATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL SUR LES CRÉDITS RELATIFS AU LOGEMENT ET À L'URBANISME

Les programmes suivis par le rapporteur spécial en charge des crédits relatifs au logement et à l'urbanisme sont les programmes 177 « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables », 109 « Aide à l'accès au logement », 135 « Urbanisme, territoires et amélioration de l'habitat » et 147 « Politique de la ville ».

A. SUR LE PROGRAMME 177, LE PARC D'HÉBERGEMENT DEMEURE À UN NIVEAU EXCEPTIONNELLEMENT ÉLEVÉ DE 200 000 PLACES

Le programme 177 « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables » porte la politique d'hébergement et d'accès au logement des personnes sans abri ou mal logées. Elle se compose de trois actions dont les crédits sont très inégaux. S'agissant pour l'essentiel de dépenses d'intervention, versés notamment aux acteurs du secteur de l'hébergement et de l'insertion, les crédits sont pratiquement égaux en autorisations d'engagement et en crédits de paiement.

L'action 11 « Prévention de l'exclusion » (49,9 millions d'euros en crédits de paiement) finance une aide au logement temporaire (dite « ALT 2 ») servie aux gestionnaires des aires d'accueil des gens du voyage et des actions en faveur de la résorption des bidonvilles et de la prévention des expulsions locatives, ainsi que des subventions à des associations en faveur des gens du voyage.

La sur-exécution de plus de 50 % des crédits de cette action concerne tout particulièrement les dispositifs de résorption des bidonvilles et de prévention des expulsions locatives.

L'action 12 « Hébergement et logement adapté » (2,9 milliards d'euros, soit la quasi-totalité des crédits de paiement du programme) comprend les politiques de veille sociale, d'hébergement d'urgence et de logement adapté.

L'action 14 « Conduite et animation des politiques de l'hébergement et de l'inclusion sociale » (19,3 milliards d'euros en crédits de paiement) finance des actions de pilotage du secteur de l'accueil, de l'hébergement et de l'insertion (AHI), ainsi qu'un soutien aux fédérations locales des centres sociaux.

Les crédits consommés en 2022 sont au total de 3,0 milliards d'euros en autorisations d'engagement et 2,9 milliards d'euros en crédits de paiement. En crédits de paiement, ils sont en hausse de 207,9 millions d'euros, soit 7,8 %, par rapport à la prévision en loi de finances initiale et en très légère diminution de 12,5 millions d'euros, soit 0,4 %, par rapport aux crédits consommés en 2021.

Sur deux ans, la hausse des crédits est particulièrement importante : les crédits de paiement consommés sont passés de 2,1 milliards d'euros en 2019 à 2,9 milliards d'euros en 2021, soit une hausse de 37,0 %.

Évolution des crédits par action du programme 177

(en millions d'euros et en %)

   

2021

2022

Exécution / prévision 2022

Exécution

2022 / 2021

Exécution

Prévision
LFI

Exécution

en volume

en %

en volume

en %

11 - Prévention de l'exclusion

AE

72,2

31,8

49,9

+ 18,1

+ 57,0 %

- 22,3

- 30,9 %

CP

71,8

31,8

49,5

+ 17,7

+ 55,8 %

- 22,3

- 31,0 %

12 - Hébergement et logement adapté

AE

2 787,0

2 744,9

2 903,9

+ 159,0

+ 5,8 %

+ 116,9

+ 4,2 %

CP

2 809,4

2 636,6

2 811,6

+ 175,0

+ 6,6 %

+ 2,2

+ 0,1 %

14 - Conduite et animation des politiques de l'hébergement et de l'inclusion sociale

AE

17,5

9,1

22,6

+ 13,5

+ 147,9 %

+ 5,2

+ 29,7 %

CP

16,7

9,1

24,3

+ 15,1

+ 165,8 %

+ 7,6

+ 45,4 %

Total programme

AE

2 876,6

2 785,8

2 976,4

+ 190,6

+ 6,8 %

+ 99,8

+ 3,5 %

CP

2 897,9

2 677,5

2 885,4

+ 207,9

+ 7,8 %

- 12,5

- 0,4 %

LFI : loi de finances initiale. La prévision en LFI inclut les prévisions de fonds de concours (FDC) et d'attribution de produits (ADP), ce qui n'est pas le cas des crédits votés en LFI. L'exécution constatée dans le projet de loi de règlement inclut les FDC et ADP constatés.

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Comme les années précédentes, le programme a fait l'objet d'ouvertures de crédits importantes, sans toutefois atteindre les mêmes montants qu'en 20215(*).

D'une part, le décret d'avance du 7 avril 20226(*) a ouvert des crédits de 100 millions d'euros afin de financer l'accès au logement des réfugiés ukrainiens (hébergement citoyen, intermédiation locative).

D'autre part, la première loi de finances rectificative7(*) a ouvert des crédits de 134,3 millions d'euros supplémentaires en autorisations d'engagement et en crédits de paiement afin de financer, d'une part, une première tranche de l'extension des accords du Ségur aux travailleurs sociaux (104 millions d'euros) et, d'autre part, de financer le surcoût lié aux opérations de mise à l'abri (30 millions d'euros).

1. Malgré la fin de la crise sanitaire, le budget de l'hébergement d'urgence demeure à un niveau très élevé

Parmi les quatre principaux ensembles de dispositifs relevant du programme 177, le plus fortement impacté par la crise sanitaire a été celui de l'hébergement d'urgence (hors centres d'hébergement et de réinsertion sociale ou CHRS), dont la consommation de crédits est passée de moins de 900 millions d'euros en 2019 à 1 500 millions d'euros en 2021, et demeure à un niveau de 1 367,7 millions d'euros en 2022.

Le budget du logement adapté a également augmenté de plus de moitié entre 2019 et 2022, ce qui correspond moins à l'impact de la crise sanitaire qu'à la mise en oeuvre d'une politique désignée comme prioritaire pendant le quinquennat 2017-2022.

Évolution des crédits des principaux dispositifs du programme 177

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat (à partir des rapports annuels de performance)

S'agissant des crédits destinés aux centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS), l'augmentation exceptionnelle en 2022 (+ 74,1 millions d'euros) intègre la compensation des employeurs par l'État du coût du « Ségur social » ainsi que le coût d'opérations de transformation de l'offre d'hébergement d'urgence sous statut CHRS réalisées en 2022.

2. En particulier, l'hébergement des réfugiés ukrainiens a fait l'objet d'un effort important du Gouvernement mais plus largement des Français

Plus de 100 000 personnes déplacées d'Ukraine ont été accueillies en France en 2022, le flux entrant étant encore de 2 000 à 4 000 réfugiés par mois en fin d'année. Un dispositif exceptionnel a été mis en place, avec une forte mobilisation des services de l'État. Un statut de protection temporaire leur a été accordé, leur donnant des droits en matière d'allocations familiales, de logement et d'accès à l'emploi.

L'hébergement des réfugiés d'Ukraine pose des enjeux spécifiques par son caractère massif et l'incertitude qui pèse toujours sur la fin de la guerre et donc sur l'éventuel retour des personnes.

Plus de 87 000 places d'hébergement ont été créées, dont près de 60 000 demeuraient actives à la fin de l'année 2022. Selon la Cour des comptes8(*), l'hébergement collectif directement financé par l'État a représenté un tiers des réponses, pour un coût unitaire de 38 euros par place et par jour, proche du double de celui des dispositifs offerts aux demandeurs d'asile classiques.

La mobilisation des Français a également été remarquable : l'hébergement citoyen a représenté plus de 40 % des solutions d'hébergement.

Sur le plan budgétaire, l'accueil des réfugiés d'Ukraine a représenté un coût de 57,4 millions d'euros sur l'action 12 « Hébergement et logement adapté »9(*) et de 6,4 millions d'euros sur l'action 14 « Conduite et animation des politiques de l'hébergement et de l'inclusion sociale » du programme 177, soit un total de 62,1 millions d'euros, inférieur au montant de 100 millions d'euros prévu par le décret d'avance.

Ce coût concerne moins l'hébergement proprement dit, pris en charge dans la plupart des cas dans des dispositifs relevant du ministère de l'intérieur10(*), que des actions d'accès au logement mises en oeuvre par la délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (DIHAL) : intermédiation locative, accompagnement social, y compris des réfugiés en hébergement citoyen, et financement d'opérations de logements en modulaire ; mesure de soutien aux ménages accueillants ; recrutement de chargés de mission au sein des opérateurs associatifs.

Malgré la prolongation du conflit et, par conséquent, la nécessité de maintenir un dispositif d'accueil sur l'année 2023, aucun crédit n'a été ouvert en loi de finances initiale pour 2023 sur ce dispositif. Or, comme le reconnaît la Première ministre elle-même en réponse à la Cour des comptes, « l'absence d'inscription de crédits dans la loi de finances pour 2023 pour l'accueil et la prise en charge des déplacés d'Ukraine a soulevé un certain nombre de difficultés à l'automne 2022 »11(*). Les associations manquaient en effet de visibilité, notamment pour le renouvellement des conventions d'hébergement collectif avec les hôteliers et les centres d'accueil. Les services déconcentrés de l'État eux-mêmes ont craint un moment la suppression de renforts ponctuels consacrés à cette question depuis le printemps 2022.

Un montant de crédits de 51,6 millions d'euros en autorisations d'engagement et de 54,2 millions d'euros en crédits de paiement non consommés en 2022 a certes été reporté sur 202312(*), ce qui peut permettre de poursuivre les actions.

Ces pratiques ne sont pas satisfaisantes : le besoin de crédits étant manifeste dès l'automne 2022, il aurait été préférable, pour assurer un meilleur respect de l'autorisation parlementaire et de donner une meilleure visibilité aux associations, d'ouvrir les crédits nécessaires dans la loi de finances initiale pour 2023 et d'annuler les crédits ouverts en 2022 et non consommés dans le collectif budgétaire de fin d'années ou la loi de règlement.

3. L'amélioration du pilotage budgétaire du programme 177 ne peut dispenser le Gouvernement de la définition de méthodes et de moyens pour le Logement d'abord

La délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (DIHAL), gestionnaire du programme 177 depuis 2021, a mis en oeuvre une nouvelle approche du pilotage de la politique d'hébergement d'urgence globalement saluée par la Cour des comptes13(*).

La Cour constate que les ouvertures de crédit réalisées en cours d'année ont résulté de facteurs exogènes et non d'un manque d'anticipation du gestionnaire du programme. La DIHAL a mis en place un dispositif de dialogues de gestion avec les directions régionales et a amélioré le suivi de la consommation des crédits. Enfin, le travail d'analyse des coûts d'hébergement engagé permettrait d'amorcer une réduction des coûts unitaires par place.

Cette amélioration du pilotage ne se traduit pour l'instant pas par de véritables économies budgétaires en absolu, car dans le même temps les objectifs de réduction du parc d'hébergement n'ont pas été atteints : alors qu'une instruction ministérielle du 26 mai 202114(*) prévoyait le maintien d'un parc de 200 000 places jusqu'au 31 mars 2022 avant qu'une décrue progressive soit engagée au cours de l'année 2022 jusqu'à atteindre un seuil de 186 000 places en 2023, cet objectif a finalement été abandonné et le parc d'hébergement d'urgence était toujours supérieur à 200 000 places à la fin 2022.

Composition du parc d'hébergement
au 31 décembre 2022

(en nombre de places)

Source : commission des finances, à partir du rapport annuel de performances

Un point positif est une légère décrue du nombre de places en hôtel, qui était de 67 213 à la fin 2022 contre 69 433 à la fin de 2021 (avec un point haut supérieur à 70 000 places en cours d'année) : ce mode d'hébergement est l'un des moins satisfaisants, car, outre son coût, il ne permet pas d'apporter un accompagnement suffisant aux ménages concernés. En outre, l'organisation des Jeux olympiques à Paris en 2024 risque de réduire le nombre de places disponibles en Île-de-France.

Dans ces conditions, comme il le fera pour les autres aspects de la politique du logement15(*), le rapporteur ne peut que constater que le nouveau Gouvernement issu des élections du printemps 2022 n'a pas, dans les mois qui suivaient sa nomination, défini les objectifs et les moyens qu'il compte apporter à la politique d'hébergement et du logement adapté.

En particulier, les suites données au dispositif « Logement d'abord », qui depuis 2018 cherche à faciliter l'accès à un logement pérenne pour les personnes en difficulté, n'ont fait l'objet d'une annonce que le 5 juin 2023, la Première ministre annonçant une dotation supplémentaire de 160 millions d'euros sur le quinquennat, sans préciser ce que recouvre exactement cette enveloppe, ni quels en seront les objectifs.

Un tel retard est regrettable car cette politique est mise en oeuvre par des acteurs associatifs qui peuvent difficilement projeter leur action sur plusieurs années (par exemple pour recruter des personnels ou conclure des marchés) s'ils ne disposent pas d'une visibilité sur les crédits dont ils pourront disposer.


* 5 En 2021, la loi n° 2021-953 du 19 juillet 2021 de finances rectificative pour 2021 avait ouvert 700 millions d'euros de crédits supplémentaires sur le programme 177.

* 6 Décret n° 2022-512 du 7 avril 2022 portant ouverture et annulation de crédits à titre d'avance.

* 7 Loi n° 2022-1157 du 16 août 2022 de finances rectificative pour 2022.

* 8 Cour des comptes, L'accueil et la prise en charge des réfugiés d'Ukraine en France en 2022, audit flash, février 2023.

* 9 Montant confirmé au rapporteur spécial.

* 10 Le programme 303 « Immigration et asile » de la mission « Immigration, asile et intégration » a fait lui-même l'objet d'une ouverture de crédits de 300 millions d'euros dans le décret d'avance du 7 avril 2022.

* 11 Première ministre, réponse à l'audit flash de la Cour des comptes.

* 12 Arrêté du 10 mars 2023 portant report de crédits. La Cour des comptes indique, dans sa note d'exécution budgétaire, que la DIHAL a demandé le report des crédits non consommés sur l'enveloppe de 100 millions d'euros ouverte par le décret d'avance.

* 13 Cour des comptes, Note d'exécution budgétaire sur la mission « Cohésion des territoires » en 2022.

* 14 Instruction ML/2021-05/13841 du 26 mai 2021 relative au pilotage du parc d'hébergement et au lancement d'une campagne de programmation pluriannuelle de l'offre pour la mise en oeuvre du « Logement d'abord ».

* 15 Voir infra l'analyse de l'exécution des programmes 109, 135 et 147.