N° 771

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 28 juin 2023

RAPPORT

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des finances (1) sur le projet de loi,
rejeté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée,
de
règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2022,

Par M. Jean-François HUSSON,
Rapporteur général,

Sénateur

TOME II
CONTRIBUTION DES RAPPORTEURS SPÉCIAUX

ANNEXE N° 6b
Cohésion des territoires - Aménagement des territoires

(Programmes 112 « Impulsion et coordination de la politique d'aménagement du

Territoire » et 162 « Interventions territoriales de l'État »)

Rapporteur spécial : M. Bernard DELCROS

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Éric Bocquet, Daniel Breuiller, Emmanuel Capus, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Charles Guené, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Jean-Claude Requier, Mme Sylvie Vermeillet, vice-présidents ; MM. Jérôme Bascher, Rémi Féraud, Marc Laménie, Stéphane Sautarel, secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Arnaud Bazin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Mme Isabelle Briquet, MM. Michel Canévet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Cozic, Vincent Delahaye, Philippe Dominati, Mme Frédérique Espagnac, MM. Éric Jeansannetas, Patrice Joly, Roger Karoutchi, Christian Klinger, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Thierry Meignen, Sébastien Meurant, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Paul Toussaint Parigi, Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Pascal Savoldelli, Vincent Segouin, Jean Pierre Vogel.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (16ème législ.) : 1095, 1271 et T.A. 125

Sénat : 684 (2022-2023)

LES PRINCIPALES OBSERVATIONS
DU RAPPORTEUR SPÉCIAL

1. Les crédits du programme 112 s'élèvent en 2022 à 382,5 millions d'euros en autorisations d'engagement et 338 millions d'euros en crédits de paiement, de nouveau en nette hausse par rapport à l'année précédente, essentiellement du fait de l'augmentation des moyens dédiés au fonds national d'aménagement et de développement du territoire (FNADT).

2. La hausse des dépenses du programme 112 est également liée à la montée en puissance de plusieurs dispositifs, comme le programme France Services.

3. Le rapporteur spécial note l'inversion de cap opérée par le Gouvernement qui a appuyé une légère augmentation des crédits de l'agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), entre autres dédiés au soutien à l'ingénierie des collectivités. Il considère toutefois que cette première étape doit être poursuivie afin de consacrer davantage de moyens au développement rural.

4. Il note, comme chaque année, pour les programmes 112 et 162, l'importance des mouvements de crédits, aboutissant à des surconsommations ou à des sous-consommations selon les actions par rapport à la loi de finances initiale. Ceux-ci rendent peu fiables les prévisions initiales et incertaines les lignes de conduite suivies par les différentes politiques publiques concernées.

5. La hausse des crédits exécutés en 2022 sur le programme 162, après un net recul en 2021, traduit notamment l'implication de l'État en Guyane à travers l'augmentation des financements de l'agence de financement des infrastructures de transport de France (AFIT France) au sein de l'action 10 « Fonds interministériel pour la transformation de la Guyane ».

6. Enfin, il note avec satisfaction la création d'une huitième action sur le programme 162 « Algues sargasses », qui traduit une réelle prise en compte du problème dans les Antilles, tout en souhaitant que les insuffisances constatées dans la lutte contre les algues vertes en Bretagne ne se reproduisent pas.

I. UNE EXÉCUTION QUI MOBILISE TOUJOURS DAVANTAGE DE CRÉDITS

La mission « Cohésion des territoires » est composée de six programmes portant des politiques de natures diverses, allant de la politique du logement à celle de l'aménagement du territoire :

- le programme 109 « Aide à l'accès au logement » porte les crédits des aides personnelles au logement ;

- le programme 112 « Impulsion et coordination de la politique d'aménagement du territoire » comprend le fonds national d'aménagement et de développement du territoire (FNADT), qui finance une partie des contrats de plan État-régions ainsi que divers dispositifs, dont les maisons France Services ;

- le programme 135 « Urbanisme, territoires et amélioration de l'habitat » finance, via des fonds de concours, les aides à la pierre et, au moyen de crédits budgétaires, d'autres actions relatives au logement, à la construction, à l'urbanisme et à l'aménagement ;

- le programme 147 « Politique de la ville » porte les moyens de l'État consacrés aux quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) et au nouveau programme de renouvellement urbain (NPNRU).

- le programme 162 « Interventions territoriales de l'État » (PITE) porte sept actions spécifiques de portée régionale ou interrégionale ;

- le programme 177 « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables » met en oeuvre la politique d'hébergement et de veille sociale.

A. LA MISSION « COHÉSION DES TERRITOIRES » REGROUPE DES POLITIQUES VARIÉES POUR UN MONTANT DE CRÉDITS TOTAL AVOISINANT 18 MILLIARDS D'EUROS

Les crédits exécutés de la mission « Cohésion des territoires » se sont élevés en 2022 à 18,3 milliards d'euros en autorisations d'engagement et 17,9 milliards d'euros en crédits de paiement, ce qui représente une augmentation de 361,8 millions d'euros, soit + 2,0 %, en autorisations d'engagement, et de 42,9 millions d'euros, soit + 0,2 %, en crédits de paiement par rapport à 2021.

Évolution des crédits de la mission « Cohésion des territoires » en 2022

(en millions d'euros et en pourcentage)

   

2021

2022

Exécution / prévision 2022

Exécution

2022 / 2021

Prévision

Exécution

Prévision

Exécution

en volume

en %

en volume

en %

177 - Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables

AE

2 174,5

2 876,6

+ 32,3 %

2 785,8

2 976,4

+ 190,6

+ 6,8 %

+ 99,8

+ 3,5 %

CP

2 200,0

2 897,9

+ 31,7 %

2 677,5

2 885,4

+ 207,9

+ 7,8 %

- 12,5

- 0,4 %

109 - Aide à l'accès au logement

AE

12 439,3

12 438,3

- 0,0 %

13 079,4

13 078,5

- 0,9

- 0,0 %

+ 640,2

+ 5,1 %

CP

12 439,3

12 437,4

- 0,0 %

13 079,4

13 079,4

- 0,0

- 0,0 %

+ 642,0

+ 5,2 %

162 - Interventions territoriales de l'État

AE

159,0

87,1

- 45,2 %

147,1

328,1

+ 181,0

+ 123,0 %

+ 241,0

+ 276,6 %

CP

72,8

68,0

- 6,6 %

176,4

137,7

- 38,7

- 21,9 %

+ 69,8

+ 102,7 %

135 - Urbanisme, territoires et amélioration de l'habitat

AE

975,5

1 395,6

+ 43,1 %

1 064,5

962,1

- 102,4

- 9,6 %

- 433,5

- 31,1 %

CP

975,5

941,2

- 3,5 %

1 064,5

891,7

- 172,9

- 16,2 %

- 49,6

- 5,3 %

112 - Impulsion et coordination de la politique d'aménagement du territoire

AE

192,5

300,6

+ 56,1 %

282,2

382,5

+ 100,4

+ 35,6 %

+ 81,9

+ 27,3 %

CP

247,5

282,5

+ 14,1 %

284,9

338,0

+ 53,1

+ 18,6 %

+ 55,6

+ 19,7 %

147 - Politique de la ville

AE

513,2

523,3

+ 2,0 %

558,3

551,5

- 6,8

- 1,2 %

+ 28,2

+ 5,4 %

CP

513,2

523,9

+ 2,1 %

558,3

551,8

- 6,5

- 1,2 %

+ 28,0

+ 5,3 %

Total mission

AE

16 454,1

17 621,6

+ 7,1 %

17 917,4

18 279,1

+ 361,8

+ 2,0 %

+ 657,5

+ 3,7 %

CP

16 448,2

17 150,8

+ 4,3 %

17 841,1

17 884,0

+ 42,9

+ 0,2 %

+ 733,2

+ 4,3 %

AE : autorisations d'engagement. CP : crédits de paiement. Prévision : prévision en loi de finances initiale, y compris les prévisions de fonds de concours (FDC) et attributions de produits (ADP). Exécution : consommation constatée dans le projet de loi de règlement.

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Cette augmentation résulte d'effets plus importants allant en sens opposé :

- les crédits du programme 177 « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables » poursuivent leur augmentation (+ 207,9 millions d'euros en crédits de paiement, après une augmentation de 463,9 millions d'euros en 2021), ainsi que ceux du programme 112 « Impulsion et coordination de la politique d'aménagement du territoire » (+ 53,1 millions d'euros) ;

- le programme 135 « Urbanisme, territoires et amélioration de l'habitat », après une augmentation ponctuelle en 2021 liée à la mise en oeuvre du plan de relance et à une subvention à l'Agence nationale d'amélioration de l'habitat (ANAH), voit ses crédits diminuer de 172,9 millions d'euros en 2022 ;

- il en est de même du programme 162 « Interventions territoriales de l'État » pour les crédits de paiement (- 38,7 millions d'euros), mais dont les autorisations d'engagement consommées sont en très forte hausse (+ 181,0 millions d'euros) en raison notamment de fonds de concours versés sur le fonds interministériel pour la transformation de la Guyane ;

- les crédits consommés par les programmes 109 « Aide à l'accès au logement » et 147 « Politique de la ville », avec une augmentation limitée, respectivement, à + 5,2 % et + 5,3 %, sont en réalité stables en euros constants puisque l'inflation1(*) s'est établie à 5,2 % en 2022.

La très grande majorité des crédits de la mission correspondent à des dépenses largement contraintes : dépenses de guichet (aides au logement du programme 109, qui représentent plus de 70 % des crédits de la mission), ou fortement déterminées par l'évolution de la situation économique et sociale (dépenses d'hébergement et de veille sociale portées par le programme 177) et donc difficilement pilotables.

La mission comporte très peu de dépenses de personnel. Le montant des crédits de paiement de titre 2 exécuté en 2021 est de 1,4 million d'euros, exclusivement imputés sur le programme 147 « Politique de la ville » au titre de la masse salariale des délégués du préfet pour 292 équivalents temps plein travaillés (ETPT).

Comme chaque année, le programme 135 est celui qui a été le plus concerné par les mouvements de crédits en cours d'année, en raison du financement par fonds de concours des projets relevant du fonds national d'aide à la pierre (FNAP, voir infra), des transferts en provenance de la mission « Plan de relance » et de la nature pluriannuelle des projets qui a pour conséquence un niveau élevé de reports de crédits d'année en année.

L'année 2022 a enfin connu un décret d'avance et deux lois de finances rectificatives.

Le décret d'avance du 21 mai 2022 a annulé 70,7 millions d'euros de crédits sur la mission « Cohésion des territoires », en autorisations d'engagement et en crédits de paiement, répartis sur l'ensemble des programmes de la mission, à l'exception du programme 177 « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables ». Celui-ci a fait l'objet d'une ouverture de crédits de 100 millions d'euros afin de financer les surcoûts attendus de l'accueil des réfugiés ukrainiens.

Les annulations de crédit réalisées par le décret d'avance avaient pour seul objectif d'assurer l'équilibre formel du décret d'avance. Ces crédits ont en effet été rétablis par la première loi de finances rectificative du 16 août 2022, qui a, en outre, ouvert des crédits supplémentaires sur les programmes 177, 135 et 147. La loi de finances rectificative de fin d'année a procédé à des ajustements de crédits sur les programmes 135, 112 et 162.

Mouvements de crédits intervenus en gestion pendant l'exercice 2022

(en millions d'euros)

   

Ouverts LFI
(hors FDC et ADP)

Ouverts / annulés après la LFI

Total crédits ouverts

Crédits consommés

Crédits annulés en PLR

Crédits reportés à 2023

   

Reports de la gestion précédente

Mouvements
réglementaires

FDC et ADP

LFR

177 - Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables

AE

2 785,8

1,5

116,7

0,0

134,3

3 038,3

2 976,4

10,3

51,6

CP

2 677,5

11,0

116,7

0,0

134,3

2 939,5

2 885,4

0,0

54,2

109 - Aide à l'accès au logement 

AE

13 079,4

0,0

-38,7

0,0

38,5

13 079,2

13 078,5

0,7

51,6

CP

13 079,4

0,5

-38,7

0,0

38,5

13 079,7

13 079,4

0,3

54,2

135 - Urbanisme, territoires et amélioration de l'habitat 

AE

529,5

211,9

67,0

359,0

17,5

1 185,0

962,1

61,4

51,6

CP

529,5

607,4

143,3

359,0

-0,2

1 639,1

891,7

5,5

54,2

112 - Impulsion et coordination de la politique d'aménagement du territoire

AE

244,2

17,6

122,2

36,6

53,2

473,8

382,5

31,0

51,6

CP

247,0

20,1

94,2

36,6

41,0

438,9

338,0

47,2

54,2

162 - Interventions territoriales de l'État

AE

98,4

152,3

34,9

58,3

-1,8

342,1

328,1

1,9

51,6

CP

92,3

26,5

10,5

50,7

-2,1

177,9

137,7

1,6

54,2

147 - Politique de la ville

AE

558,0

2,6

-24,9

0,3

18,9

554,9

551,5

3,4

51,6

CP

558,0

4,5

-24,9

0,3

18,9

556,8

551,8

3,5

54,2

Total mission

AE

17 295,4

385,7

277,2

454,2

260,7

18 673,2

18 279,1

108,7

-285,4

CP

17 183,7

670,0

301,1

446,6

230,5

18 831,9

17 884,0

58,2

-889,6

Source : commission des finances du Sénat d'après les documents budgétaires et les données Chorus. FDC et ADP : fonds de concours et attributions de produit

B. DES DÉPENSES FISCALES ÉLEVÉES AU CHIFFRAGE INCERTAIN

D'après le rapport annuel de performances, le coût total des dépenses fiscales rattachées à la mission « Cohésion des territoires » ne peut pas être calculé pour 2022 car certaines d'entre elles, parmi les plus importantes, comme la déduction des dépenses de réparations et d'amélioration ou le taux de TVA de 10 % pour des opérations relatives aux logements locatifs sociaux, n'est pas encore connu. Leur coût total pour 2021 est évalué à 15,6 milliards d'euros en 2021. Toutefois, la Cour des comptes, dans sa note d'exécution budgétaire, évalue ces dépenses fiscales pour l'ensemble de la mission à 15,8 milliards d'euros pour 2022, comptabilisant un total de 86 dépenses fiscales à titre principal (contre 85 en 2021 et 84 en 2020 comme en 2019) soit 17 % de leur montant total qui devrait s'élever en 2022 à 94,2 milliards d'euros.

Le coût des dépenses fiscales, en retenant le chiffrage de l'exercice 2021, représente donc 90,7 % des crédits consommés, ce qui signifie que l'action de l'État, pour les politiques publiques portées par la mission « Cohésion des territoires », passe presque autant par l'outil de la dépense fiscale que par celui des crédits budgétaires.

Les « niches fiscales » sont concentrées presque entièrement sur les programmes 135 (93,7 % des dépenses fiscales de la mission en montant) et 112 (4,4 %). Ainsi, alors que les dépenses fiscales se traduisent en fin de compte par le même impact négatif sur le solde budgétaire que les dépenses budgétaires, il est possible d'esquisser deux cartographies très différentes de la mission « Cohésion des territoires » :

- si on considère les crédits budgétaires, les programmes 109 « Aide à l'accès au logement » et 177 « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables » dominent très largement l'exécution de la mission ;

- si l'on prend en compte les dépenses fiscales, ce sont les programmes 135 « Urbanisme, territoires et amélioration de l'habitat » et 112 « Impulsion et coordination de la politique d'aménagement du territoire » qui occupent la première place.

Dépenses budgétaires et dépenses fiscales sur les programmes
de la mission « Cohésion des territoires »

(en millions d'euros)

Source : commission des finances, à partir du rapport annuel de performances. Crédits consommés en 2022 et dépenses fiscales relatives à l'exercice 20212(*)

Plus parlante encore est la présentation par programme pour prendre conscience du poids respectif des dépenses budgétaires et fiscales :

Dépenses budgétaires et fiscales par programme

(en millions d'euros)

Source : Cour des comptes

La situation des programmes 112 et 162 apparait donc très différente : le programme 162 ne comprend aucune dépense fiscale tandis que ces dernières représentent les deux-tiers du programme 112, pour moitié du fait de l'importance des exonérations d'impôt sur les bénéfices ou sur le revenu pour les entreprises créées ou reprises dans les zones de revitalisation rurale (ZRR). En valeur absolue, cette dernière représente la neuvième exonération fiscale de l'ensemble de la mission, avec un total d'approximativement 294 millions d'euros en 2022.

II. LES OBSERVATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL SUR LES PROGRAMMES 112 ET 162

A. LE PROGRAMME 112 : UNE MISSION D'ACCOMPAGNEMENT DES TERRITOIRES QUI MOBILISE DES CRÉDITS EN HAUSSE

1. Un champ d'intervention particulièrement éclectique sous l'appellation « Impulsion et coordination de la politique d'aménagement du territoire » 

L'intervention de l'État en matière d'aménagement du territoire se traduit aujourd'hui davantage par un accompagnement des collectivités que par des politiques conduites directement : il s'agit d'intervenir de manière ciblée selon que sont visés les territoires ruraux, les territoires périurbains ou les centres de villes moyennes. Ces dispositifs ciblés se manifestent principalement par le rattachement au programme 112 des crédits destinés :

- au programme France Services, lancé début 2020, (61,62 millions d'euros consommés en 2022, dont 31,8 millions d'euros de crédits destinés au Fonds national d'aménagement et de développement du Territoire - le FNADT - pour le financement de 2 099 structures France Services) ;

- à l'agenda rural, lequel intègre 181 actions mises en oeuvre par différents ministères, sous le pilotage de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (en 2022, 11,3 millions d'euros de crédits de paiement, issus du plan de Relance ont été consommés, notamment pour la mise en place des volontaires territoriaux en administration (VTA) ;

- au programme « Petites Villes de demain » qui cible un peu plus de 1 500 communes de moins de 20 000 habitants qui exercent des fonctions de centralité et qui présentent des signes de fragilité, le programme (23,25 millions d'euros consommés pour ce dispositif sur le programme 112 en 2022) ;

- au programme « Nouveaux lieux, nouveaux liens » qui met à disposition des lieux aujourd'hui nécessaires dans des territoires qui en étaient totalement dépourvus, par exemple des espaces de co-working dans des territoires ruraux (300 structures pour 16,38 millions d'euros en 2022) ;

- ou encore au programme « Territoires d'industrie » par lequel des postes de chefs de projet, à hauteur de 80 000 euros par emploi, sont financés.

Par ailleurs, le programme contribue au financement de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (cf. infra) et mobilise aussi une part des crédits destinés à la contractualisation entre l'État et les territoires : sans prétendre à l'exhaustivité compte tenu des nombreux mécanismes contractuels concernés, on citera les contrats de plan État-régions (CPER), les contrats de plan interrégionaux (CPIER) de fleuves et de massifs, ainsi que des contrats territoriaux infra-régionaux, principalement axés autour de la transition écologique et l'accès au numérique.

2. Des dépenses d'exécution en hausse dont ont bénéficié tous les acteurs concernés en 2022

En 2022, la consommation des crédits de paiement du programme 112 s'est élevée à un montant total de 382,5 millions d'euros en autorisations d'engagement et 338 millions d'euros en crédits de paiement. Cela représente une croissance du programme de 27,3 % en AE (consécutives à une croissance de 33 % entre 2020 et 2021) et de 19,7 % en CP (contre 6 % entre 2020 et 2021).

Cette hausse est toutefois inférieure à celle prévue en LFI. En effet, la hausse inscrite au budget initial du programme 112 s'élevait, à 69 millions d'euros, en AE, soit + 40 % par rapport à 2021 et en CP à + 17 millions d'euros, soit + 7 %.

Si l'on observe l'évolution des crédits effectivement consommés sous le prisme des différentes actions, cette tendance à la hausse sur le programme s'explique en grande partie par le financement du fonds national d'aménagement et de développement du territoire (FNADT) par lequel transitent les trois-quarts des crédits du programme en 2022.

Exécution budgétaire du programme 112 par titre et catégorie pour l'exercice 2022

Titre et catégorie

Autorisations d'engagement

Crédits de paiement

Consommées
en 2021

Ouvertes
en 2022

Consommées
en 2022

Consommés
en 2021

Ouverts
en 2022

Consommés
en 2022

Titre 3 - Dépenses de fonctionnement

67 910 706

65 329 442

70 848 540

68 550 719

65 329 442

71 242 967

Dépenses de fonctionnement autres que celles de personnel

1 812 821

0

1 015 724

2 308 940

0

1 350 200

Subventions pour charges de service public

66 097 885

65 329 442

69 832 816

66 241 779

65 329 442

69 892 767

Titre 6 - Dépenses d'intervention

232 178 475

178 905 722

311 689 272

213 624 382

181 660 753

266 789 298

Transferts aux ménages

188 559

0

2 132

46 068

0

1 066

Transferts aux entreprises

9 850 620

0

5 910 933

16 073 729

9 577 429

22 599 685

Transferts aux collectivités territoriales

157 372 270

178 905 722

238 002 419

141 936 209

172 083 324

182 634 096

Transferts aux autres collectivités

64 767 026

0

67 773 789

55 568 377

0

61 554 451

Titre 7 - Dépenses d'Operations financières

500 000

0

0

300 000

0

0

Dotations en fonds propres

500 000

0

0

300 000

0

0

Total

(hors FdC et Ad)P

 

244 235164

   

246 990 195

 

Ouvertures et annulations*

(hors titre 2)

 

229 569 230

   

191 866 731

 

Total*

300 589 181

473 804 394

382 537 812

282 475 101

438 856 926

338 032 265

Source : Commission des finances du Sénat à partir du rapport annuel de performances pour 2022

En effet, comme chaque année, l'exécution est très variable selon les actions, en raison du caractère spécifique de certaines d'entre elles. L'action 11, qui porte la section locale du FNADT, c'est-à-dire essentiellement des crédits contractualisés entre l'État et les collectivités territoriales, est en effet de nouveau en nette hausse pour assurer le financement des CPER.

L'action 12 croît également fortement, notamment du fait de la montée en puissance du dispositif France Services et de la croissance du nombre de maisons. Comme l'année dernière, il faut souligner que la sur-exécution des crédits (en autorisations d'engagement, l'exécution est portée à 133,5 millions d'euros en 2022, incluant les dépenses de fonctionnement et les dépenses d'intervention contre une ouverture en LFI de 60,6 millions d'euros) est cependant moindre qu'il n'y paraît, une fois soustraite la participation des opérateurs France Services. Cette croissance des crédits répond au moins partiellement, en tout état de cause, à la préconisation de poursuivre le déploiement du réseau France services sur le territoire, déjà formulée par le rapporteur spécial3(*).

Contrairement à ce qui avait été observé entre 2020 et 2021, l'action 13 « Soutien aux opérateurs » ressort, quant à elle, en très légère hausse, ce qui bénéficie à l'agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) dont le rapporteur spécial considère qu'elle a toutefois vocation à bénéficier de moyens largement plus importants pour répondre aux besoins de la ruralité (cf. infra).

L'action 14 ressort, en 2022, de nouveau en baisse CP comme en AE, car les dispositifs qu'elle porte sont soit en extinction, soit rattachés aujourd'hui à d'autres programmes. La prime d'aménagement du territoire (PAT), qui constituait l'essentiel de l'action, a pris fin au 31 décembre 20204(*). En conséquence, plus aucun crédit ne figure en AE depuis 2021. D'autre part, la loi de finances pour 2018 a acté l'arrêt du financement de nouveaux engagements concernant les contrats de ruralité et des pactes État-métropoles sur le programme 112, transférés vers le programme 119 « Concours financiers aux collectivités territoriales et à leurs groupements » de la mission « Relations avec les collectivités territoriales » (RCT) .

Il est, enfin, intéressant de relever la nette accentuation, en cours d'année, de l'effort vers les collectivités territoriales et leurs groupements, au sein des dépenses d'intervention du programme, traduisant leurs attentes importantes, car elles avaient connu des arbitrages moins favorables ces dernières années.

3. Faire de l'agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) un véritable levier du réengagement de l'État dans les territoires

En 2022, la subvention pour charges de service public (SCSP) versée à l'ANCT s'est élevée à 65,08 millions d'euros en AE comme en CP, contre 61,97 millions d'euros en AE et en CP en 2021. Cette hausse bienvenue, à laquelle on doit ajouter des transferts supplémentaires à hauteur de 4,5 millions d'euros en AE (4,6 millions d'euros en CP), porte le total du financement de l'ANCT, en 2022 sur le programme 112, à 69,6 millions d'euros.

Rappelons qu'entre 2020 et 2021, les crédits alloués à l'ANCT avaient diminué : la SCSP versée à l'ANCT en 2020 s'était élevée à 50,34 millions d'euros en AE et CP, auxquels s'étaient ajoutés 20,8 millions d'euros transférés à l'ANCT en gestion, puis ont baissé l'année suivante de 3,9 % en AE et 6,1 % en CP, malgré une sur-exécution de 5 % par rapport à la prévision initiale.

Le rapporteur se réjouit du changement de cap opéré mais considère que le mouvement de hausse des crédits doit se poursuivre compte tenu de l'extension du champ d'action de l'agence, à travers le déploiement de ses programmes dans les territoires, notamment les maisons France services, les « petites villes de demain », les dispositifs du plan de relance, sa participation à la mise en place des contrats de relance et de transition écologique (CRTE), etc.

Il sera ainsi particulièrement attentif aux résultats de l'enquête qu'il a diligentée auprès de la Cour des comptes, sur le fondement du 2° de l'article 58 de la loi organique relative aux lois de finances du 1er aout 2001, et sera remise à la commission des finances du Sénat. Cette enquête a notamment vocation à déterminer l'adéquation des moyens conférés à l'ANCT au regard de ses missions, ainsi que de sa nécessaire appropriation par les petites collectivités.

Enfin, le rapporteur spécial prend acte de l'augmentation importante de trésorerie de l'ANCT au cours de l'année 2022. S'il est sain de disposer d'une trésorerie permettant de répondre aux aléas de ses missions, le rapporteur spécial relève l'importance de ce niveau de trésorerie au regard du budget annuel de l'agence. En fin d'exercice 2022, cette trésorerie s'élève à 58,17 millions d'euros5(*), soit un abondement sur un an de 7,8 millions d'euros.

Il prend acte de la régularisation, intervenue en début d'exercice 2023, à la suite d'un virement infondé du ministère de l'agriculture de 2,58 millions d'euros. Le RAP précise qu'il s'agit d'un « virement relatif à la réserve d'ajustement du Brexit, mais qui n'est pas en lien avec les dispositifs pour lesquels l'ANCT doit percevoir des versements ».

B. LE PROGRAMME 162 « INTERVENTIONS TERRITORIALES DE L'ÉTAT »

Le programme 162 « Interventions territoriales de l'État » (PITE), créé en 2006, est composé de sept actions territorialisées répondant à des enjeux très variés. Il est abondé par des contributions de différents ministères et des fonds de concours.

L'action 02 « Eau et agriculture en Bretagne » est maintenue avec un deuxième plan de lutte contre les algues vertes (PLAV).

L'action 04 est dorénavant intitulée « Plans d'investissements pour la Corse » afin de porter plusieurs d'aménagement de l'Ile.

L'action 08 « Volet territorialisé du plan national d'action Chlordécone », adossée aux plans Chlordécone mis en oeuvre depuis 2009 en Martinique et en Guadeloupe, porte les mesures du plan IV (2021-2027).

L'action 09 « Littoral 21» porte la stratégie nationale pour la mer et le littoral conduite conjointement par l'État, le conseil régional d'Occitanie et la caisse des dépôts et consignations.

L'action 10 « Fonds interministériel pour la transformation de la Guyane » porte la majorité des mesures inscrites, au titre de la participation de l'État, dans le contrat de convergence et de transformation (CCT) de la Guyane pour la période 2019-2022, signé le 8 juillet 2019 avec le président de la collectivité, en vue de réduire les écarts de développement avec l'Hexagone.

L'action 11 « Reconquête de la qualité des cours d'eau en Pays de la Loire », doit répondre aux enjeux écologiques, économiques, d'aménagement du territoire et de santé publique liés à la qualité des eaux ligériennes très dégradées.

L'action 12 « Service d'incendie et de secours de Wallis-et-Futuna » porte, depuis 2021, les crédits permettant aux deux centres de secours d'assurer les interventions courantes et les missions de gestion des crises avant le transfert à venir de cette compétence à l'assemblée territoriale.

1. Une exécution très variable selon les actions du programme

En loi de finances initiale, les crédits du programme 162 ont quasiment doublé, tant en AE qu'en CP, par rapport à l'exercice antérieur. Ils atteignent ainsi 98,42 millions d'euros en AE et 92,28 millions d'euros en CP. Ces montants sont conformes au plafond des dépenses fixé, à l'exception de l'action 04 qui a fait l'objet d'un abondement de 5,3 millions d'euros d'AE afin d'engager certaines opérations du Programme exceptionnel d'investissements (PEI) en faveur de la Corse.

Au 31 décembre 2022, le montant total des crédits exécutés sur le programme s'élève à 328,1 millions d'euros en AE (dont quasiment les deux-tiers au titre des fonds de concours) et 137,7 millions d'euros en CP (dont 66,6 millions d'euros au titre des fonds de concours), soit respectivement 95,9 % et 77,4 % de la ressource finalement disponible à l'issue de l'ensemble des mouvements de gestion.

Comme le souligne la Cour des comptes dans sa note d'exécution budgétaire, « par rapport à l'année 2021, la consommation est beaucoup plus élevée en AE (de 247 % à 337,3 %) et légèrement moindre en CP (de 168 % à 149,2 %). »

Le volume de crédits exécutés en 2022, en nette hausse par rapport à 2021 (de 227,4 millions d'euros en AE et 69,8 millions d'euros en CP), s'explique principalement par trois facteurs :

- l'augmentation des moyens alloués à l'agence de financement des infrastructures de transport de France (AFIT France) consacrés à l'action 10 « Fonds interministériel pour la transformation de la Guyane » ;

- des crédits ouverts par un amendement voté dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2022 (presque 50 millions d'euros en AE et en CP)6(*) ;

- et de crédits de transfert, dans le cadre du plan de relance, s'agissant de l'action 4 « Plans d'investissement pour la Corse »7(*).

2. La création pour 2023 d'une nouvelle action du programme 162 « Algues sargasses »

Au cours de l'année 2022, le projet de création d'une nouvelle action au sein du programme 162 a été décidé. L'action 13 « Algues sargasses » est mise en oeuvre depuis cette année afin de développer une approche curative et préventive, en procédant à la collecte des sargasses en mer, en répondant aux enjeux de stockage et en développant un processus de valorisation. Ce nouveau plan mobilise 39,5 millions d'euros sur cinq ans, dont 5 millions d'euros au titre de la loi de finances initiale pour 2023.

Il comporte 26 mesures, réparties en cinq axes : action préventive, réponse opérationnelle, gouvernance, recherche-développement-innovation et coopération internationale.

Le rapporteur spécial avait mené au premier semestre 2021 un contrôle budgétaire portant sur le financement de la politique de lutte contre les algues vertes en Bretagne, intitulé « Algues vertes en Bretagne, de la nécessité d'une ambition plus forte », à l'issue duquel il formulait 23 recommandations afin d'améliorer l'efficience de la politique de lutte contre la prolifération des algues vertes.

À ce titre, il se réjouit de la prise en compte du problème des algues dans les Antilles par cette initiative, tout en espérant que ce plan Sargasse II tire les leçons de l'expérience bretonne. Il renouvelle le souhait, formulé8(*) lors de l'examen du projet de loi finances initial pour 2023, que des premières évaluations soient rapidement mises en oeuvre sur ce sujet.


* 1 Indice des prix à la consommation, mesuré par l'Insee.

* 2 Comme expliqué supra, les données relatives à l'exercice 2022 ne sont pas encore disponibles pour certaines dépenses fiscales d'un montant élevé.

* 3 Rapport d'information n° 778 (2021-2022) du 13 juillet 2022, de M. Bernard DELCROS, fait au nom de la commission des finances, « Les maisons France services, levier de cohésion sociale », consultable à l'adresse : https://www.senat.fr/rap/r21-778/r21-778.html.

* 4 Conformément aux dispositions du décret n° 2014-1056 du 16 septembre 2014 relatif à la prime d'aménagement du territoire pour l'industrie et les services.

* 5 Le rapport annuel de performances pour 2022 précise que cette somme se répartit entre 12,8 millions d'euros au titre de la trésorerie non fléchée et 45,4 millions d'euros au titre de la trésorerie fléchée, principalement pour des dispositifs du Plan de Relance.

* 6 Les crédits inscrits au PLF 2022 ont été modifiés par l'amendement AN II -918 présenté par le Gouvernement à l'Assemblée nationale, se traduisant par une majoration de 49,98 millions d'euros en AE et CP. Le programme 162 a ainsi été doté en LFI de 98 420 635 € en AE et 92 284 223 € en CP, hors fonds de concours.

* 7 Ce montant au titre des transferts s'élève pour l'action 04 à 30,4 millions d'euros en AE et à 6,7 millions d'euros en CP au titre du « Plan de Relance ».

* 8 Annexe numéro 6 au rapport général de M. Bernard DELCROS, fait au nom de la commission des finances : Cohésion des territoires - Aménagement des territoires consultable à l'adresse : https://www.senat.fr/rap/l22-115-36-2/l22-115-36-211.html#toc131.