N° 38

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024

Enregistré à la Présidence du Sénat le 18 octobre 2023

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires économiques (1) sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant mesures d'urgence pour lutter contre l'inflation concernant les produits de grande consommation,

Par Mme Anne-Catherine LOISIER,

Sénatrice

(1) Cette commission est composée de : Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente ; MM. Alain Chatillon, Daniel Gremillet, Mme Viviane Artigalas, MM. Franck Montaugé, Franck Menonville, Bernard Buis, Fabien Gay, Pierre Médevielle, Mme Antoinette Guhl, M. Philippe Grosvalet, vice-présidents ; MM. Laurent Duplomb, Daniel Laurent, Mme Sylviane Noël, M. Rémi Cardon, Mme Anne-Catherine Loisier, secrétaires ; M. Jean-Pierre Bansard, Mme Martine Berthet, MM. Yves Bleunven, Michel Bonnus, Denis Bouad, Jean-Marc Boyer, Jean-Luc Brault, Frédéric Buval, Henri Cabanel, Alain Cadec, Guislain Cambier, Mme Anne Chain-Larché, MM. Patrick Chaize, Patrick Chauvet, Mme Evelyne Corbière Naminzo, MM. Pierre Cuypers, Daniel Fargeot, Gilbert Favreau, Stéphane Fouassin, Mmes Amel Gacquerre, Annick Jacquemet, Micheline Jacques, MM. Yannick Jadot, Vincent Louault, Mme Marianne Margaté, MM. Serge Mérillou, Jean-Jacques Michau, Sebastien Pla, Mme Sophie Primas, M. Christian Redon-Sarrazy, Mme Évelyne Renaud-Garabedian, MM. Olivier Rietmann, Daniel Salmon, Lucien Stanzione, Jean-Claude Tissot.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (16ème législ.) :

1679, 1690 et T.A. 169

Sénat :

20 et 39 (2023-2024)

L'ESSENTIEL

Par ce projet de loi examiné dans l'urgence après de multiples annonces contradictoires, le Gouvernement entend lutter contre l'inflation en avançant de six semaines la date butoir des prochaines négociations commerciales entre distributeurs et fournisseurs de produits de grande consommation. À une date butoir fixée au 15 janvier par le texte initial, l'Assemblée nationale a ajouté une date anticipée au 31 décembre pour les industriels dont le chiffre d'affaires est inférieur à 350 millions d'euros.

La commission des affaires économiques est dubitative quant à l'effet de ce texte sur l'inflation : modeste, probablement inefficace voire risqué pour le pouvoir d'achat des Français, il acte pour le Gouvernement l'échec d'une politique erratique de soutien au pouvoir d'achat et reporte une fois de plus la responsabilité d'une baisse des prix qui tarde à arriver sur nos industriels, autrement dit, sur les PME de nos territoires.

Dans un esprit constructif, elle a néanmoins souhaité, à l'initiative de sa rapporteure Anne-Catherine Loisier, améliorer le texte pour assurer la protection des PME et ETI, leur évitant de subir un rapport de force qui leur aurait été assurément défavorable si le texte était resté en l'état. Elle a donc adopté des amendements visant notamment à :

- accorder un délai réaliste aux PME et ETI négociant de manière anticipée en fixant leur date butoir au 15 janvier, évitant ainsi tout goulot d'étranglement ;

- sécuriser le seuil de chiffre d'affaires les concernant pour veiller à la distinction entre filiales de multinationales et PME ou ETI de nos territoires ;

- cibler le dispositif du projet de loi sur le commerce à prédominance alimentaire, à l'instar des supermarchés et hypermarchés afin d'écarter les petits commerces spécialisés aux canaux de distribution souvent distincts de la grande distribution.

I. AVANCER LES NÉGOCIATIONS COMMERCIALES DE SIX SEMAINES : UNE MESURE MODESTE AUX EFFETS INCERTAINS

Depuis fin 2021, la France fait face à une inflation inédite : alors qu'elle n'avait dépassé les 2 % qu'à quatre reprises au cours des quinze dernières années, elle a connu une hausse quasi continue depuis fin 2021, atteignant 6,2 % sur un an en février 2023. Elle est particulièrement marquée sur les produits de grande consommation dans la grande distribution, qui ont augmenté de 10,2 % sur un an en septembre malgré un ralentissement depuis avril. Cette inflation pèse donc fortement sur le pouvoir d'achat des ménages français qui ne peuvent qu'arbitrer à la marge sur ces dépenses contraintes.

Dans ce contexte, la commission des affaires économiques déplore que le soutien au pouvoir d'achat des Français ne repose que sur une mesure temporaire aux effets très incertains sur l'inflation. Affirmer que l'avancement de six semaines des négociations commerciales aboutira nécessairement à des baisses de prix significatives dans les rayons est en effet un pari risqué :

· le constat de baisse des prix des matières premières agricoles est loin d'être homogène : le prix du lait, qui constitue l'essentiel de la matière première de bon nombre de produits quotidiens des Français, a par exemple récemment augmenté ;

· un effet de rattrapage sur les matières premières industrielles dont une part significative des hausses n'avaient pas été répercutées en 2022 et en 2023, de même que la hausse des coûts salariaux et de l'énergie pourraient obérer la baisse des prix en rayon souhaitée par le Gouvernement. Après une baisse en juillet, les prix de l'énergie ont par exemple augmenté de 6,8 % sur un an en août, en lien avec la hausse de 10 % des tarifs réglementés ;

· enfin, dans un contexte d'inflation structurelle alimentée notamment par la récurrence des crises internationales, la volatilité des cours de nombre d'intrants rend d'autant plus incertaine l'issue des négociations commerciales. À titre d'exemple, dans la foulée des attentats ayant touché Israël à partir du 7 octobre, le cours du gaz a augmenté de plus de 26 % en l'espace de huit jours.

Au-delà de ces nombreuses incertitudes pesant sur l'issue de ces négociations commerciales, la commission s'interroge sur l'opportunité de modifier le calendrier législatif des négociations commerciales à chaque survenue d'une variation du cours des matières premières. L'expérience de ces deux dernières années montre que les tarifs négociés chaque année peuvent rapidement être frappés d'obsolescence : dans ce contexte, la commission appelle à une amélioration pérenne du cadre des négociations commerciales et notamment à l'application des clauses de révision et de renégociation automatique plutôt qu'à des lois « pulsion », au gré des évolutions de la conjoncture.

La France se singularise en effet par ce calendrier annuel des négociations commerciales, sans équivalent à l'étranger, dont les spécificités sont vues par nombre d'acteurs comme une source de complexités : trois modifications d'ampleur à ce cadre juridique sont intervenues depuis  2018, au gré des différentes lois « Egalim ». Ce projet de loi ajoute donc une instabilité législative préjudiciable aux entreprises qui, dans le cas présent, ont dû commencer à se préparer à envoyer leurs conditions générales de vente (CGV) deux semaines plus tôt que prévu, alors que le texte n'avait même pas encore été présenté au Parlement.

Partager cette page