N° 46

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024

Enregistré à la Présidence du Sénat le 18 octobre 2023

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable (1) sur la proposition de loi relative à l'ouverture à la concurrence du réseau de bus francilien de la RATP (procédure accélérée),

Par M. Franck DHERSIN,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-François Longeot, président ; M. Didier Mandelli, premier vice-président ; Mmes Nicole Bonnefoy, Marta de Cidrac, MM. Hervé Gillé, Rémy Pointereau, Mme Nadège Havet, M. Guillaume Chevrollier, Mme Marie-Claude Varaillas, MM. Jean-Yves Roux, Cédric Chevalier, Ronan Dantec, vice-présidents ; M. Cyril Pellevat, Mme Audrey Bélim, MM. Pascal Martin, Jean-Claude Anglars, secrétaires ; Mme Jocelyne Antoine, MM. Jean Bacci, Pierre Barros, Jean-Pierre Corbisez, Stéphane Demilly, Gilbert-Luc Devinaz, Franck Dhersin, Alain Duffourg, Sébastien Fagnen, Jacques Fernique, Fabien Genet, Éric Gold, Daniel Gueret, Mme Christine Herzog, MM. Joshua Hochart, Olivier Jacquin, Damien Michallet, Georges Naturel, Louis-Jean de Nicolaÿ, Saïd Omar Oili, Alexandre Ouizille, Clément Pernot, Mme Marie-Laure Phinera-Horth, M. Bernard Pillefer, Mme Kristina Pluchet, MM. Hervé Reynaud, Pierre Jean Rochette, Bruno Rojouan, Mme Denise Saint-Pé, MM. Philippe Tabarot, Simon Uzenat, Mme Sylvie Valente Le Hir, M. Michaël Weber.

Voir les numéros :

Sénat :

943 (2022-2023) et 47 (2023-2024)

L'ESSENTIEL

La commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, suivant les orientations du rapporteur Franck Dhersin, a adopté, le 18 octobre 2023, la proposition de loi de Vincent Capo-Canellas relative à l'ouverture à la concurrence du réseau de bus francilien de la RATP.

L'ouverture à la concurrence des services de bus francilien est un processus initié par le droit européen et anticipé par le législateur français depuis plus de 15 ans, précaution nécessaire dans la mesure où le réseau francilien est l'un des plus denses d'Europe. Mais ces dernières années, des difficultés imprévisibles sont survenues, impliquant une révision du cadre légal.

Face à un défi technique, opérationnel et social d'ampleur inédite, ce texte parvient à un point d'équilibre qui évite un processus délétère avec des gagnants et des perdants. En élargissant le socle des bénéficiaires du « sac à dos social », en améliorant la qualité de l'information et en proposant un calendrier réaliste, il permettra de tirer pleinement parti des bénéfices de l'ouverture à la concurrence.

Pour ce faire, ce texte prévoit désormais le transfert des salariés par centre-bus et non plus par ligne, instaure une procédure de volontariat pour lisser les sureffectifs ou sous-effectifs et donne la possibilité à IDFM d'échelonner le calendrier d'ouverture effective à la concurrence pendant une durée maximale de deux ans, entre le 31 décembre 2024 et le 31 décembre 2026. Il sécurise enfin le bénéfice des acquis sociaux pour l'ensemble des salariés transférés.

Partageant le bien-fondé de la méthode, la commission, à l'initiative du rapporteur, a apporté des évolutions afin de sécuriser juridiquement ses dispositions et d'améliorer les délais de mise à disposition de l'information, pour garantir une ouverture à la concurrence équitable, juste et bénéfique à tous.

I. UN CALENDRIER D'OUVERTURE À LA CONCURRENCE PLUS RÉALISTE ET DES CONDITIONS SOCIALES JUSTES POUR TOUS LES SALARIÉS

A. UN PROCESSUS QUI S'INSCRIT DANS LE TEMPS LONG

Voulue par le droit européen, l'ouverture à la concurrence du réseau de bus francilien de la RATP est un processus déjà à l'oeuvre.

Les acteurs n'ont pas attendu l'échéance fixée par le législateur au 31 décembre 2024 pour se préparer : l'autorité organisatrice des mobilités (IDFM, Île-de-France Mobilités) a procédé à l'allotissement et lancé les appels d'offres, le monopole historique mène une concertation sociale afin d'anticiper cette étape socialement sensible et les entreprises de transports peaufinent leurs offres en vue de candidater.

Cette ouverture à la concurrence représente un défi technique, social et opérationnel d'une ampleur inédite. Chacun des 13 lots représente l'équivalent d'un réseau comme celui de Rennes ou de Nantes : à l'issue du processus, 19 000 salariés, 308 lignes et plus de 4 500 bus seront transférés !

De l'avis unanime des acteurs entendus par le rapporteur, un pareil transfert en une seule fois ne peut avoir lieu sans provoquer une désorganisation de grande ampleur du réseau et des services aux voyageurs, avec un risque sérieux de rupture de continuité du service public.

B. UNE SYNTHÈSE RÉUSSIE ENTRE GARANTIES SOCIALES, ÉQUITÉ CONCURRENTIELLE ET RESPECT DES ENGAGEMENTS EUROPÉENS

En premier lieu, ce texte vise à sécuriser le bénéfice du « sac à dos social » pour tous les salariés transférés, en comblant les impensés et les angles morts de la loi d'orientation des mobilités de 2019 (LOM) : y sont désormais éligibles l'ensemble des contrats de travail transférés, y compris les salariés transférés à IDFM, les salariés qui pourraient être employés dans une filiale non couverte par les conventions collectives du transport public et ceux concernés en cas de reprise en régie ou quasi-régie de certaines missions par l'autorité organisatrice.

Il opère une transformation substantielle des modalités du transfert, qui ne s'effectue plus ligne par ligne mais par centre-bus, évitant ainsi à plus de 3 000 salariés de devoir changer de lieu de prise de poste. Il instaure également une procédure de volontariat afin de limiter les phénomènes induits de sureffectif ou sous-effectif.

Le texte laisse également à IDFM la latitude d'échelonner le calendrier d'ouverture effective à la concurrence pendant une durée maximale de deux ans par rapport à la date initialement fixée par le législateur, c'est-à-dire entre le 31 décembre 2024 et le 31 décembre 2026.

Ce dispositif permet de fluidifier le processus d'attribution des lots : ce séquençage évite une désorganisation des services de transport public et laisse le temps aux candidats de préparer des offres mieux calibrées.

Cet aménagement de calendrier apporte une réponse au défi inédit que constituent les Jeux olympiques de l'été 2024, en matière de transport public de voyageurs. L'échelonnement du calendrier permet d'anticiper le risque de rupture de continuité du service, du fait des potentiels mouvements sociaux liés aux opérations de repositionnement des personnels RATP, avec des risques de troubles à l'ordre public.

Le texte organise également le report, pour une période transitoire de 15 mois, de l'entrée en vigueur du cadre social territorialisé (CST), qui prévoit notamment une ampleur journalière maximale de travail de 11 heures, alors que cette amplitude est de 13 heures à la RATP en vertu d'un accord collectif d'entreprise.

Une entrée en vigueur immédiate du CST lors du changement d'employeur aurait entraîné un besoin immédiat de 500 à 700 conducteurs supplémentaires pour compenser la baisse de l'amplitude horaire de deux heures. Cette mesure aurait entraîné une distorsion concurrentielle et une rupture d'inégalité entre les candidats.

Ce texte attribue aussi à l'Autorité de régulation des transports (ART) une compétence de règlement des différends en cas de litige entre la RATP et IDFM sur le nombre de salariés transférés par centre-bus, à trancher sous 3 mois.

En définitive, sans remettre en cause l'ouverture à la concurrence, ce texte permet d'en sécuriser les modalités, tout en levant les inquiétudes des salariés à propos de leur situation professionnelle et du maintien des garanties sociales de haut niveau tout en promouvant l'équité du processus concurrentiel.

II. LES APPORTS DE LA COMMISSION : SÉCURISER JURIDIQUEMENT LE TEXTE ET FLUIDIFIER LE PROCESSUS CONCURRENTIEL GRÂCE À DES INFORMATIONS DE QUALITÉ

La commission, suivant l'avis du rapporteur, n'a pas souhaité modifier l'équilibre général du texte, jugé satisfaisant par les acteurs entendus par le rapporteur et respectueux du cadre du règlement européen de 2007 qui planifie l'ouverture à la concurrence - avec des aménagements de calendrier d'une durée raisonnable.

Le texte déposé par Vincent Capo-Canellas traduit législativement les préconisations de la mission de préfiguration sociale confiée par IDFM à Jean-Paul Bailly et Jean Grosset afin de faciliter et fluidifier l'ouverture effective à la concurrence. Cette concertation ayant associé toutes les parties prenantes à ce processus, le consensus forgé avec l'ensemble des acteurs en juin dernier quant aux solutions à mettre en oeuvre bénéficie, par ricochet, à la présente proposition de loi.

En outre, des procédures trop rapides et en décalage avec les aspirations du personnel auraient pu mener à de nombreux départs volontaires, qui, dans un contexte durable de difficultés de recrutement et de pénurie de main d'oeuvre, auraient fragilisé la continuité de service.

La sérénité et la qualité du processus d'ouverture à la concurrence sont gages d'efficacité, d'acceptabilité et de progrès. C'est cet esprit qui a animé le rapporteur et la commission dans le cadre de l'examen de ce texte.

Soucieuse de préserver les acquis d'un dialogue social fructueux, la commission a adopté sept amendements visant à :

modifier la période de référence pour la détermination du nombre de salariés transférés ( COM-1), en faisant référence à l'année antérieure à la notification du contrat de concession, afin d'assurer la qualité de l'information aux nouveaux employeurs ;

permettre aux salariés d'être informés, au moins six mois avant la date prévue pour le changement effectif d'exploitant du service, des conditions du transfert de leur contrat de travail, au lieu du délai des quatre mois qui prévaut actuellement ( COM-2) ;

- ouvrir la possibilité à l'ART, sur décision motivée, de prolonger le délai de règlement des différends pour une durée pouvant aller jusqu'à trois mois supplémentaires à compter d'une saisine complète ( COM-5) ;

- demander la remise d'un rapport au Parlement sur les moyens de l'ART au regard de la compétence en matière de différends relatifs à l'ouverture à la concurrence du réseau de bus francilien, à l'initiative de Philippe Tabarot ( COM-8).

En outre, la commission a adopté trois amendements de coordination et de clarification du rapporteur, afin de sécuriser juridiquement le texte et améliorer l'intelligibilité de la loi ( COM-3, COM-4 et COM-6).

Avec ces apports, chaque acteur pourra au mieux anticiper cette échéance charnière, ce qui garantira ainsi une ouverture à la concurrence équitable, juste, bénéfique aux voyageurs et lisible pour les salariés comme pour les entreprises qui candidatent aux appels d'offres.