AVANT-PROPOS

Ainsi que l'avaient justement relevé MM. Vincent Segouin et Patrice Joly, alors rapporteurs spéciaux de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » à l'occasion de l'examen, en avril dernier, de leur rapport d'information3(*) consacré à la politique d'installation des nouveaux agriculteurs et de transmission des exploitations agricoles, la sociologie des agriculteurs et des exploitants agricoles français a considérablement changé.

Les travailleurs agricoles sont de moins en moins nombreux et de plus en plus âgés. En moins de soixante-dix ans, le nombre d'exploitants a ainsi été divisé par cinq : de plus de 2,5 millions en 1955, le nombre d'exploitants est passé à 764 000 en 2000 puis à 496 000 en 2020 selon les résultats du dernier recensement agricole. Cette tendance se poursuit depuis 2020, la crise sanitaire l'ayant même accentué. 43 % des exploitants sont âgés de 55 ans ou plus et susceptibles de partir à la retraite d'ici à 2033. L'âge moyen des agriculteurs français est ainsi passé de 50,2 ans en 2010 à 51,4 ans en 2020.

Corollaire de cette évolution, le nombre d'exploitations agricoles diminue fortement pour s'établir à 389 000 en 2020 en France métropolitaine. En parallèle, la proportion de foyers où 100 % des personnes physiques en âge de travailler sont exploitants agricoles diminue. Le rachat d'un nombre important d'exploitations par des entités disposant d'importants capitaux a entrainé un accroissement de la taille moyenne des exploitations - soixante-neuf hectares en moyenne aujourd'hui contre quarante-deux hectares en 2000.

Le modèle « traditionnel », au sein duquel l'exploitant agricole sous statut individuel tire tous ses revenus, modestes, d'une exploitation de petite taille, et dans lequel son conjoint y travaille « bénévolement », disparaît progressivement. Il sera probablement bientôt anachronique de lire, à l'article L. 1 du code rural et de la pêche maritime, que « la politique en faveur de l'agriculture et de l'alimentation, dans ses dimensions internationale, européenne, nationale et territoriale, a pour finalités de (...) préserver le caractère familial de l'agriculture et l'autonomie et la responsabilité individuelle de l'exploitant ».

Cette situation ne signifie pas pour autant que l'agriculture française disparaît : la surface agricole utile se stabilise depuis le début des années 2000. En revanche, sans une politique volontariste, seules survivront les exploitations de taille importante, détenues sous des formes sociétaires jusqu'alors peu répandues en matière agricole et dans lesquelles la plupart des travailleurs agricoles seront salariés.

Le maintien d'une diversité dans les types d'exploitations agricoles est donc conditionné, d'une part, à l'attractivité des professions concernées, ce qui dépend d'une multitude de facteurs (rémunération, horaires, accessibilité des formations, etc.) et d'autre part à l'accessibilité des outils de production parmi lesquels figure le foncier agricole.

Or, les facteurs précédemment décrits produisent un effet mécanique : la taille croissante des exploitations, rendue nécessaire par les économies d'échelle générées dans un secteur devenu extrêmement concurrentiel, réduit la capacité des « particuliers » à intégrer le marché, alors même que les départs à la retraite devraient concerner presque un travailleur agricole sur deux dans les dix ans à venir.

Par ailleurs, la part des enfants d'agriculteurs parmi les nouveaux entrants dans les professions agricoles ne cesse de diminuer : les nouveaux travailleurs agricoles choisissent globalement de rejoindre des professions auxquelles le cercle familial ne les prédestinait pas. Les nouveaux entrants sont donc de plus en plus nombreux à ne pas disposer d'un capital foncier ou productif initial.

L'enjeu de l'accès au foncier agricole est donc double : les politiques publiques doivent à la fois préserver une agriculture de proximité pour que cohabitent plusieurs modèles agricoles et permettre l'accès au secteur agricole de ceux qui ne disposent pas d'un capital foncier agricole.

Les leviers à activer pour atteindre ces deux objectifs sont dès lors multiples. Il ressort des auditions conduites par le rapporteur que les solutions à mettre en oeuvre sont nombreuses et doivent viser tous les aspects qui peuvent être des freins à l'installation : le coût et la préservation du foncier agricole, mais aussi le droit du travail, les règles successorales, les règles concurrentielles, la prise en compte du développement durable, le soutien à certains secteurs spécifiques, la fiscalité agricole, l'adéquation entre les installations recherchées et les installations proposées avec, au final, le souci du rétablissement de la souveraineté alimentaire française.

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La présente proposition de loi, déposée par notre collègue Vanina Paoli-Gagin, vise à créer une nouvelle voie de financement et d'accès au foncier agricole. Elle ne prétend pas pouvoir résoudre, à elle seule, la question de la transmission des exploitations agricoles et du renouvellement générationnel des agriculteurs. Elle repose sur l'idée que l'abondance d'épargne privée des Français devrait pouvoir être mobilisée au profit d'une forme d'investissement « éthique », au service de la souveraineté alimentaire, en soutien aux agriculteurs et dans une forme de proximité et de retour à la terre.

Le dispositif proposé par cette proposition de loi, à savoir la création de groupements fonciers agricoles d'épargnants, doit être considéré comme un nouvel outil, complémentaire de ceux mis en place pour soutenir l'installation des exploitants agricoles et envisageable pour certains profils d'agriculteurs, dans certains secteurs d'activité.

Le rapporteur a souhaité l'envisager comme une piste de réflexion parmi d'autres, alors que le ministère de l'agriculture pourrait bientôt présenter un nouveau projet de loi d'avenir et d'orientation agricoles. Il souscrit donc aux dispositions de la proposition de loi, tout en rappelant, d'une part, que ce nouveau véhicule d'investissement ne constitue qu'une part infime de la politique d'installation-transmission des exploitations agricoles et, d'autre part, que les risques doivent être bien compris par les épargnants et futurs investisseurs.


* 3 « Aides à l'installation des agriculteurs : on ne naît plus agriculteur, on le devient », rapport d'information n° 521 (2022-2023) de MM. Vincent Segouin et Patrice Joly, pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, transmise en application de l'article 58-2° de la LOLF, sur la politique d'installation des nouveaux agriculteurs et de transmission des exploitations agricoles, déposé le 12 avril 2023.

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