N° 67

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024

Enregistré à la Présidence du Sénat le 25 octobre 2023

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication (1) sur la proposition de loi visant à interdire l'usage de l'écriture inclusive,

Par M. Cédric VIAL,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Laurent Lafon, président ; MM. Jérémy Bacchi, Max Brisson, Yan Chantrel, Mme Laure Darcos, MM. Bernard Fialaire, Jacques Grosperrin, Martin Lévrier, Mmes Monique de Marco, Marie-Pierre Monier, M. Michel Savin, vice-présidents ; Mmes Colombe Brossel, Else Joseph, M. Pierre-Antoine Levi, Mme Anne Ventalon, secrétaires ; Mmes Catherine Belrhiti, Annick Billon, Alexandra Borchio Fontimp, MM. Yves Bouloux, Christian Bruyen, Mmes Samantha Cazebonne, Karine Daniel, Sabine Drexler, M. Aymeric Durox, Mmes Agnès Evren, Laurence Garnier, Annick Girardin, Béatrice Gosselin, MM. Jean Hingray, Patrick Kanner, Claude Kern, Mikaele Kulimoetoke, Mme Sonia de La Provôté, MM. Gérard Lahellec, Ahmed Laouedj, Michel Laugier, Jean-Jacques Lozach, Mmes Pauline Martin, Catherine Morin-Desailly, Mathilde Ollivier, MM. Pierre Ouzoulias, Jean-Gérard Paumier, Stéphane Piednoir, Bruno Retailleau, Mme Sylvie Robert, MM. David Ros, Pierre-Jean Verzelen, Cédric Vial, Adel Ziane.

Voir les numéros :

Sénat :

404 (2021-2022) et 68 (2023-2024)

AVANT-PROPOS

Alors que sera prochainement inaugurée la Cité internationale de la langue française au château de Villers-Cotterêts, notre langue est confrontée à de multiples défis : baisse du niveau des élèves en lecture et en orthographe ; usage croissant de l'anglais et du « franglais » dans les médias, mais aussi dans toute la société française ; recul de l'apprentissage du français dans le monde et de son usage dans les instances internationales, dans les échanges économiques, dans la recherche et l'enseignement.

La langue française est donc en situation de fragilité.

C'est dans ce contexte que se développe l'écriture dite « inclusive », qui porte l'ambition de transformer la société en faisant évoluer le langage. La féminisation des titres, grades et fonctions s'est développée depuis quarante ans : elle est aujourd'hui parfaitement admise, y compris par l'Académie française. Elle accompagne, de façon légitime, la visibilité croissante des femmes dans la société et l'évolution de leur place dans le monde du travail.

En revanche, l'usage de signes typographiques entre plusieurs terminaisons d'un mot, de même que l'invention de mots nouveaux, posent de nombreuses questions. Ils déstructurent notre langue, portent atteinte à sa lisibilité et, plus fondamentalement, à l'universalité de sa portée.

C'est pourquoi, au nom de la sauvegarde de la langue française, et pour préserver la clarté et l'intelligibilité de la norme, une intervention du législateur est nécessaire.

« Et afin qu'il n'y ait cause de douter sur l'intelligence desdits arrêts, nous voulons et ordonnons qu'ils soient faits et écrits si clairement,
qu'il n'y ait ni puisse avoir aucune ambiguïté ou incertitude
ni lieu à demander interprétation ».

Ordonnance de Villers-Cotterêts, 1539, article 110 (en vigueur)

I. ÉCRITURE « INCLUSIVE » OU NOVLANGUE EXCLUANTE ?

A. DES PRATIQUES QUI SE DÉVELOPPENT RAPIDEMENT

1. Qu'est-ce que l'écriture dite « inclusive » ?

La proposition de loi reprend la définition de l'écriture dite inclusive donnée par la circulaire du Premier ministre en date du 21 novembre 2017 relative aux règles de féminisation et de rédaction des textes publiés au Journal officiel de la République française. D'après ce texte, « l'écriture dite inclusive » couvre « les pratiques rédactionnelles et typographiques visant à substituer à l'emploi du masculin, lorsqu'il est utilisé dans un sens générique, une graphie faisant ressortir l'existence d'une forme féminine ».

Les pratiques de l'écriture dite inclusive sont diverses et non stabilisées. Dans une première acception, qui se pratique depuis des décennies, la féminisation du langage vise à y rendre la présence des femmes plus visible. La pratique systématique de la double flexion et l'usage du point médian sont apparus plus récemment.

Aujourd'hui, certains contestent le fait de devoir choisir entre deux genres linguistiques, le masculin et le féminin, portant ainsi sur le terrain du langage un combat d'ordre sociétal.

Dans son guide pratique « Pour une communication publique sans stéréotypes de sexe », le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes formule les recommandations suivantes :

Ø accorder les métiers, titres, grades et fonctions avec le genre de la personne concernée ;

Ø en présence d'un public mixte, décliner les noms et les adjectifs au féminin et au masculin, au moyen de la double flexion (« les citoyennes et les citoyens », en suivant l'ordre alphabétique) ou du point médian (« les citoyen.nes », désormais recommandé en lieu et place de : « les citoyen.ne.s ») ;

Ø recourir à des termes dits épicènes, c'est-à-dire à des mots dont la forme ne varie pas entre le masculin et le féminin (« les membres du corps professoral » plutôt que « les professeurs »).

Sans aller jusqu'à préconiser une révision des fondamentaux de la grammaire française, le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCE) mentionne dans son « guide pratique » l'existence oubliée de l'« accord de proximité », qui s'opère non pas selon la règle (grammaticale !) du « masculin qui l'emporte sur le féminin », mais avec le terme le plus proche (« Les droits et libertés fondamentales »). La tentation existe donc de modifier non seulement le lexique, mais aussi les règles de la grammaire française.

Faut-il aller « au-delà du genre ? », s'interroge aussi le HCE dans son « guide pratique » : « Ces expérimentations ne doivent pas faire peur. Elles sont légitimes ». Il est fait référence, ici, au développement d'une écriture dite inclusive non binaire, inspirée notamment d'usages répandus aux États-Unis et au Canada, où le pronom « they » est de plus en plus utilisé, en lieu et place des pronoms genrés (« he », « she ») pour désigner les personnes dont on ne connaît pas l'identité de genre ou qui se désignent comme non binaires. En français, cet usage s'est traduit par l'apparition de néologismes tels que « iel(s) » (admis par le dictionnaire Le Robert), « al(s) » ou « ul(s) ». Cette pratique n'est pas stabilisée. Elle fait l'objet de recherches et de propositions diverses, qui vont jusqu'à une refonte complète de la grammaire et du vocabulaire1(*).

2. Un phénomène loin d'être marginal

L'usage de la double flexion et du point médian est désormais largement répandu, y compris (et peut-être surtout) dans la sphère publique. De nombreuses collectivités territoriales les ont adoptés dans leur communication (Paris, Lyon, Grenoble, Périgueux par exemple).

L'écriture dite inclusive est évidemment mise en oeuvre par le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes, comme on le voit ci-avant, sur son site internet. Cet organisme, placé auprès du Premier ministre, préconise son extension à l'ensemble de la communication publique.

À l'université, toutes les composantes de l'écriture dite inclusive progressent, y compris ses formes les plus extrêmes et ce, non seulement dans les correspondances internes à ces institutions, mais aussi dans l'enseignement, comme l'illustre le sujet d'examen en écriture non binaire donné en 2022 à l'université Lyon 2.

Sujet d'examen de droit donné en 2022 à l'université Lyon 2


* 1 Par exemple dans la « grammaire du français inclusif » d'Alpheratz qui introduit dans la langue un genre neutre.

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