II. UNE PROPOSITION DE LOI QUI, LÉGITIME DANS SES OBJECTIFS, SOULÈVE DES DIFFICULTÉS JURIDIQUES

La commission des lois a reconnu la réalité indiscutable de la discrimination opérée par la loi pénale entre 1945 et 1982 : les lois pénales visées par les auteurs et abrogées entre 1980 et 1982 constituaient, sans doute possible, une discrimination vis-à-vis des personnes homosexuelles. Elle a cependant constaté l'existence de difficultés juridiques tenant, d'une part, au système de réparation financière proposé et, d'autre part, à la création d'une nouvelle infraction pénale venant réprimer la négation ou la minoration outrancière de la déportation des homosexuels depuis la France pendant la Seconde Guerre mondiale. Elle a estimé que ces difficultés, qui sont autant de sources de fragilité et donc d'insécurité juridique, empêchaient l'adoption de la proposition de loi en l'état et justifiaient en réécriture du texte en séance publique.

A. LA RECONNAISSANCE D'UNE RESPONSABILITÉ DE LA RÉPUBLIQUE DANS LA PÉNALISATION DE L'HOMOSEXUALITÉ

La proposition de loi entend reconnaître la responsabilité de la République française dans « la politique de criminalisation et de discrimination » envers les personnes homosexuelles entre 1942 et 1982 (article 1er) et leur accorder, après instruction de leur dossier par une commission ad hoc placée auprès du Premier ministre (article 4), une réparation financière d'un montant minimal de 10 000 € (article 3), les dépenses correspondantes étant classiquement gagées par la création d'une taxe additionnelle à l'accise sur les tabacs (article 5).

Ce système pose trois difficultés majeures :

- premièrement, il présente des différences substantielles avec le dispositif prévu par les autres lois dites « mémorielles », avec notamment l'expression de « regret[s] » qui ont une valeur morale, mais non juridique, et avec le traitement au même degré et dans les mêmes formes d'une responsabilité de l'État du fait d'une loi mise en oeuvre par le régime de Vichy de 1942 à 1944, puis par la République de 1945 à 19829(*) ;

- deuxièmement, l'immense majorité des États ayant réhabilité les personnes condamnées pour homosexualité l'ont fait par le biais d'une reconnaissance symbolique qui s'est accompagnée d'un important travail de mémoire et de recherche historique, mais non du versement d'une indemnité financière. Ainsi, si des exemples de réparation financière existent à l'étranger, ils sont observés seulement dans trois pays (l'Allemagne, l'Espagne et le Canada) dont l'histoire diffère substantiellement de celle de la France et selon des modalités qui ne sont pas comparables avec ce que proposent les auteurs ;

- enfin et surtout, la réparation financière voulue par les auteurs ne semble pas pouvoir valablement découler, sur le plan juridique, de l'application directe d'une loi pénale.

Dans ce contexte, la commission des lois n'a pas estimé possible de retenir le principe d'une réparation financière.

Pour autant, la commission souhaite que l'examen du texte en séance publique permette l'adoption d'une rédaction consensuelle reconnaissant, sans ambiguïté, la responsabilité de la République quant à des lois pénales qui ont constitué une discrimination envers les personnes homosexuelles.

Le rapporteur, à titre personnel, appelle de ses voeux une telle évolution ; il gage qu'elle fera passer un message clair quant à l'impérieuse nécessité d'une lutte résolue contre l'homophobie et qu'elle fera écho, comme le soulignait Ariane Chemin, grand reporter, lors de son audition, aux souffrances de celles et ceux qui aujourd'hui encore sont rejetés ou subissent des discriminations en raison de leur orientation sexuelle. Il estime que ce vote incarnerait l'attachement du Sénat à une vision ouverte de la liberté et à la protection du droit de chacun au respect de sa vie privée car, ainsi que le déclarait le 20 décembre 1980 Gisèle Halimi en sa qualité de rapporteure d'un texte qui allait devenir la loi du 4 août 1982 parachevant la dépénalisation en France de l'homosexualité, « c'est bien, en dernière analyse, de culture et de liberté qu'il s'agit ».


* 9 La recherche sociologique et historique distingue l'analyse de la période 1942-1945 de celle qui s'étend de 1945 à 1982, comme en témoigne l'article précité de Jérémie Gauthier et Régis Schlagdenhauffen.

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