N° 103

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024

Enregistré à la Présidence du Sénat le 15 novembre 2023

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de loi portant réparation des personnes condamnées
pour
homosexualité entre 1942 et 1982,

Par M. Francis SZPINER,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. François-Noël Buffet, président ; M. Christophe-André Frassa, Mme Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Marc-Philippe Daubresse, Jérôme Durain, Philippe Bonnecarrère, Thani Mohamed Soilihi, Mme Cécile Cukierman, MM. Dany Wattebled, Guy Benarroche, Mme Nathalie Delattre, vice-présidents ; Mmes Agnès Canayer, Muriel Jourda, M. André Reichardt, Mme Isabelle Florennes, secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Philippe Bas, Mme Nadine Bellurot, MM. Olivier Bitz, François Bonhomme, Hussein Bourgi, Ian Brossat, Christophe Chaillou, Mathieu Darnaud, Mmes Catherine Di Folco, Françoise Dumont, Jacqueline Eustache-Brinio, Françoise Gatel, Laurence Harribey, Lauriane Josende, MM. Éric Kerrouche, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Audrey Linkenheld, MM. Alain Marc, Hervé Marseille, Michel Masset, Mmes Marie Mercier, Corinne Narassiguin, M. Paul Toussaint Parigi, Mme Olivia Richard, M. Pierre-Alain Roiron, Mmes Elsa Schalck, Patricia Schillinger, M. Francis Szpiner, Mmes Lana Tetuanui, Dominique Vérien, M. Louis Vogel, Mme Mélanie Vogel.

Voir les numéros :

Sénat :

864 (2021-2022) et 104 (2023-2024)

L'ESSENTIEL

Après une première dépénalisation sous la Révolution française, qui avait fait de notre pays un précurseur à l'échelle mondiale, puis un rétablissement d'infractions pénales spécifiques en 1942 sous le régime de Vichy, l'homosexualité a été définitivement dépénalisée en France par la loi n° 82-683 du 4 août 1982 abrogeant le deuxième alinéa de l'article 331 du code pénal. Les travaux de recherche menés sur le sujet1(*) estiment que plus de 10 000 personnes, voire 50 0002(*) - presque exclusivement des hommes - ont été condamnées pour ce motif entre 1945 et 1982 avec, pour plus de 90 % d'entre elles, une condamnation à une peine de prison ferme.

En lien avec les évènements organisés, en 2022, pour commémorer les 40 ans de la dépénalisation de l'homosexualité en France, Hussein Bourgi (Socialiste, écologiste et républicain - Hérault) et plusieurs de ses collègues issus de tous les groupes politiques du Sénat ont déposé une proposition de loi portant réparation des personnes condamnées pour homosexualité.

La commission des lois a estimé que le système de réparation financière proposé par les auteurs soulevait des difficultés et que la contestation de la déportation des personnes homosexuelles depuis la France pendant la Seconde Guerre mondiale était déjà réprimée par le droit en vigueur, rendant superfétatoire la création d'un délit spécifique. En revanche, elle a jugé que la réalité de la discrimination opérée, pendant près de 40 ans, par la loi pénale sur le fondement de l'orientation sexuelle n'était pas contestable.

Ce constat appelle une reconnaissance claire, forte et sans ambiguïté du caractère discriminatoire de lois qui, aujourd'hui abrogées, instituaient une différence de traitement entre hétérosexuels et homosexuels. Robert Badinter, alors Garde des Sceaux, affirmait lors de l'examen du projet de loi visant à dépénaliser l'homosexualité par l'Assemblée nationale en séance publique le 20 décembre 1981 qu'« il n'[était] que temps de prendre conscience de tout ce que la France doit aux homosexuels ». Aujourd'hui, il n'est que temps de reconnaître que le législateur s'est fourvoyé en soumettant l'homosexualité à la loi pénale.

La question se pose toutefois des modalités de cette reconnaissance qui ne semble ni pouvoir juridiquement conduire à une réparation financière, ni devoir s'accompagner de la création d'un délit (déjà couvert par le droit en vigueur) de contestation de la déportation des homosexuels depuis la France pendant la Seconde Guerre mondiale.

Dans ce contexte, la commission des lois n'a pas adopté la proposition de loi, afin que celle-ci puisse être examinée en séance publique dans la rédaction voulue par ses auteurs. Cependant, suivant les recommandations de son rapporteur, elle souhaite que le débat en séance publique puisse conduire à l'adoption d'un dispositif consensuel permettant à la fois d'affirmer la responsabilité de la République pour avoir maintenu en vigueur, entre 1945 et 1982, des infractions à caractère discriminatoire, spécifiques à l'homosexualité, et de rendre cette reconnaissance conforme aux principes généraux de notre droit.

I. LA DÉPÉNALISATION PROGRESSIVE DE L'HOMOSEXUALITÉ EN FRANCE DANS LES ANNÉES 1980

L'histoire de la dépénalisation de l'homosexualité en France est celle d'un paradoxe. Premier pays au monde à avoir supprimé, dès 1791, les infractions réprimant l'homosexualité, la France a vu cet acquis révolutionnaire être remis en cause par le régime de Vichy avec l'interdiction, à compter d'août 1942, des relations sexuelles (un « acte impudique ou contre-nature ») avec un « mineur » du même sexe.

Confirmée à la Libération par l'ordonnance du 8 février 1945, la pénalisation de l'homosexualité reposait sur :

- une circonstance aggravante à l'outrage public à la pudeur, consistant à ce qu'un tel outrage soit commis sur une personne du même sexe3(*) ; elle a été abrogée par la loi n° 80-1041 relative à la répression du viol et de certains attentats aux moeurs du 23 décembre 1980 ;

- surtout, la pénalisation (avec une peine encourue lourde, de 6 mois à 3 ans d'emprisonnement et de 60 à 20 000 francs d'amende) de « quiconque aura commis un acte impudique ou contre-nature avec un mineur du même sexe »4(*), l'appellation « mineur » visant ici des personnes qui, bien que mineures civilement - c'est-à-dire âgées de moins de 21 ans jusqu'à la loi n° 74-631 du 5 juillet 1974, puis de moins de 18 ans -, étaient majeures sexuellement - c'est-à-dire âgées de 16 ans et plus. Appelé à se prononcer sur cette infraction, le Conseil constitutionnel avait estimé qu'elle n'était pas contraire à la Constitution5(*). En tout état de cause, elle a été abrogée par la loi précitée du 4 août 1982.

Les auteurs de ces délits ont été amnistiés par la loi du 4 août 19816(*).

Si sa suppression n'a été acquise qu'en 1982 (et contre l'avis de la majorité sénatoriale de l'époque), le Sénat avait entendu abroger, dès 1978, ce « délit d'homosexualité »7(*) : lors de l'examen du projet de loi relatif à la répression du viol et de certains attentats aux moeurs, il avait en effet souhaité, « compte tenu de l'évolution des moeurs et des esprits », supprimer toute répression pénale de l'homosexualité8(*). Toutefois, face à un désaccord persistant avec l'Assemblée nationale, le Sénat avait fini par concéder aux députés (en troisième lecture, après deux ans de navette parlementaire et contre l'avis de la commission des lois de la Haute assemblée) le maintien de cette infraction. Le Sénat avait, de même, adhéré dès 1978 à l'abrogation - finalement acquise en 1980 - de la circonstance aggravante d'homosexualité en cas d'outrage public à la pudeur.


* 1 «  Les sexualités `contre-nature' face à la justice pénale. Une analyse des condamnations pour `homosexualité' en France (1945-1982) », Jérémie Gauthier et Régis Schlagdenhauffen ; article publié dans Déviance et Société 2019/3 (volume 43), p. 421 à 459, accessible en ligne sur le site https://www.cairn.info.

* 2 Selon le chiffre évoqué par Régis Schlagdenhauffen auprès du rapporteur.

* 3 Deuxième alinéa de l'article 330 du code pénal.

* 4 Troisième puis, à compter de 1980, deuxième alinéa de l'article 331 du code pénal.

* 5 Décision du Conseil constitutionnel n° 80-125 du 19 décembre 1980.

* 6 12° de l'article 2 de la loi n° 81-736 du 4 août 1981 portant amnistie.

* 7  Rapport n° 242 (1979-1980) d'Edgar Tailhades, déposé le 13 mai 1980.

* 8 Idem.

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