LES MODIFICATIONS CONSIDÉRÉES COMME ADOPTÉES
PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE EN APPLICATION DE L'ARTICLE 49, ALINÉA 3 DE LA CONSTITUTION

Les crédits de la mission « Engagements financiers de l'État » et des comptes de concours financiers « Accords monétaires internationaux » et « Prêts et avances à divers services de l'État ou organismes gérant des services publics » n'ont pas été modifiés par le texte sur lequel le Gouvernement a engagé sa responsabilité en application de l'article 49, alinéa 3 de la Constitution.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 8 novembre 2023, sous la présidence de M. Thierry Cozic, vice-président, la commission a examiné le rapport de M. Albéric de Montgolfier, rapporteur spécial, sur la mission « Engagements financiers de l'État » et les comptes de concours financiers « Accords monétaires internationaux » et « Prêts et avances à divers services de l'État ou organismes gérant des services publics ».

M. Thierry Cozic, président. - Nous examinons maintenant le rapport de M. Albéric de Montgolfier, rapporteur spécial sur les crédits de la mission « Engagements financiers de l'État », et les comptes de concours financiers « Prêts et avances à divers services de l'État ou organismes gérant des services publics » et « Accords monétaires internationaux ».

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur spécial de la mission « Engagements financiers de l'État » et des comptes de concours financiers « Accords monétaires internationaux » et « Prêts et avances à divers services de l'État ou organismes gérant des services publics ». - Nous examinons la mission « Engagements financiers de l'État » qui a pour socle le chiffre un peu effrayant d'un peu plus de 3 000 milliards d'euros de dette publique dont 2 560 milliards d'euros pour la dette de l'État en 2024. Malheureusement, d'année en année, cette mission se présente de manière de plus en plus douloureuse car elle traduit la nécessité de payer le coût de l'accoutumance à une dépense publique non maîtrisée et à des comptes publics non équilibrés - le rapporteur général Jean-François Husson l'a souligné dans sa présentation du tome I du rapport général sur le projet de loi de finances pour 2024 et j'indique à mon tour que le Gouvernement poursuit sa politique du « quoi qu'il en coûte ». En conséquence, l'alourdissement de la charge de la dette depuis 2022 devrait se confirmer et s'amplifier à nouveau l'année prochaine avec un endettement qui dépasse le seuil symbolique de 3 000 milliards d'euros.

Le fait nouveau est que l'absence de maîtrise de la dépense publique est dorénavant couplée aux effets de l'inflation et de la remontée des taux d'intérêt : la dette a donc plus que jamais un coût qui porte désormais les crédits de la mission « Engagements financiers de l'État » au rang de deuxième poste de dépenses du budget de l'État après la mission « Enseignement scolaire », en crédits de paiement, hors CAS Pensions et Remboursements et dégrèvements. Si la trajectoire des finances publiques devait poursuivre sa dérive, ces crédits pourraient devenir le premier poste de dépenses du budget de l'État d'ici 2027avec, en comptabilité nationale, environ 84 milliards d'euros d'intérêts de la dette pour l'ensemble des administrations publiques selon les prévisions du Haut Conseil des finances publiques, ce qui correspond à peu près au produit de l'impôt sur le revenu ; je précise ici que la seule prise en compte du montant des charges d'intérêt s'explique par le fait que la mission ne fait pas apparaitre les remboursements en capital puisque cette dette n'est malheureusement pas amortissable.

Pour 2024, les crédits de la mission devraient s'élever à 54,2 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE) et 60,8 milliards d'euros en crédits de paiement (CP). Si ces montants connaissent une stabilisation apparente par rapport à 2023, avec une diminution de 0,61 % en CP, soit 370 millions d'euros, ils se maintiennent donc à un niveau historiquement élevé. Pour mémoire, je rappelle que ces crédits ont augmenté de plus de 35 % en 2022 en CP, soit une hausse spectaculaire de 15,8 milliards d'euros par rapport à 2021. Ce que j'avais, dans un autre cadre, dénoncé depuis plusieurs années s'est donc malheureusement réalisé avec un bond de plus d'un tiers en une seule année

C'est ainsi à « l'arithmétique déplaisante » de l'alourdissement de la charge de la dette de l'État que je consacrerai l'essentiel de mon propos. Je reviendrai ensuite sur le sujet des appels en garantie au titre des prêts garantis par l'État (PGE), avant de conclure sur la situation des comptes spéciaux rattachés à la mission.

Nous sommes aujourd'hui sortis de l'insouciance de la fin de la décennie 2010 où s'est exercé l'effet quasi anesthésiant des taux qui diminuaient chaque année en permettant d'emprunter moins cher et il est vrai qu'on a constaté pendant un certain nombre de budgets une baisse du coût de cette dette. En effet, la maturation moyenne des prêts est d'environ 8 ans et lorsqu'on empruntait en fin d'échéance pour renouveler la dette, on bénéficiait de conditions plus favorables. Le temps où l'État pouvait emprunter à taux très bas ou négatifs est cependant révolu. Désormais, chaque euro d'endettement supplémentaire a un prix croissant. Les taux auxquels l'État se finance ont enregistré une forte hausse sur les deux dernières années : tous instruments confondus, à l'exception des titres indexés, l'État a émis sa dette en moyenne à - 0,3 % en 2021, à 1,0 % en 2022 et, pour les 10 premiers mois de 2023, à 3,1 %. Pour avoir mené un certain nombre d'auditions auprès de l'Agence France Trésor, la Banque de France, de spécialistes en valeurs du Trésor tels que la Société Générale et la Deutsche Bank, ainsi que d'analystes d'agence de notation, je signale que tous s'accordent à dire que le niveau des taux d'intérêt longs au voisinage de 3 % devrait perdurer dans les prochaines années, ce qui validerait l'hypothèse d'un coût de la dette représentant le premier poste du budget de l'État d'ici 2027.

Les crédits liés à la gestion de la dette devraient ainsi s'élever à 50,86 milliards d'euros en 2024. Si ce montant marque une stabilisation provisoire par rapport au chiffre retenu dans le projet de loi de finances de fin de gestion pour 2023 (PLFFG 2023), à 54,65 milliards d'euros, il augmente sensiblement par rapport à la LFI 2023, de 1 milliard d'euros (+ 1,8 %). En incluant la dette de SNCF Réseau reprise par l'État (800 millions d'euros), la charge de la dette représenterait donc 51,7 milliards d'euros en 2024, soit 8,9 % des dépenses du budget général, contre 8 % en loi de finances pour 2022 et 10,8 % en loi de finances pour 2023. Je vous laisse imaginer les marges de manoeuvres que représenteraient ces 51,7 milliards d'euros si on pouvait les allouer aux infrastructures, à l'éducation ou à la sécurité, et je me limite ici aux sujets abordés pendant les questions d'actualité qui viennent d'avoir lieu ce mercredi.

J'ai indiqué que la charge de la dette connaîtrait en 2024 une « stabilisation provisoire » par rapport à 2023, révisé suivant le projet de loi de finances de fin de gestion. Je ne saurais trop souligner l'adjectif « provisoire ». En effet, la diminution de la charge de la dette prévue par le Gouvernement pour 2024, de 3,8 milliards d'euros par rapport à 2023, s'explique essentiellement par le reflux attendu de l'inflation, pour un effet favorable de - 7,2 milliards d'euros.

Cependant, cet effet inflation devrait progressivement être supplanté par un effet taux, désormais défavorable avec la remontée des taux d'intérêt et qui s'est déjà traduit, entre 2022 et 2023 révisé, par un surcroît de charge budgétaire de + 6,8 milliards d'euros. Cette remontée des taux d'intérêt fait suite au resserrement de la politique monétaire de la Banque centrale européenne (BCE) entamé en juillet 2022 et qui s'est poursuivi jusqu'à un dernier relèvement des taux directeurs en septembre 2023, le taux de la facilité de dépôt étant désormais fixé à 4 %. S'ajoute un effet volume en augmentation, avec + 3,3 milliards d'euros entre 2023 révisé et 2024, qui s'explique par l'augmentation de l'encours de la dette négociable, lui-même héritage d'un niveau de dépenses publiques trop élevé et non maîtrisé.

Comme je l'ai rappelé en introduction de mon propos, l'encours de la dette négociable de l'État devrait dépasser 2 560 milliards d'euros en 2024. Depuis 2018, cet encours a augmenté de plus de 45 % : il s'élevait alors à 1 760 milliards d'euros. Je fais observer que dans sa présentation au Sénat du projet de loi de finances pour 2018, retracée par le compte rendu analytique que j'ai relu ce matin, le ministre Bruno Lemaire avait plusieurs fois répété la formule « c'est fini » pour annoncer la fin des dérives - endettement et déficits excessifs - des comptes publics de la France. Or l'augmentation de 45 % de l'encours de la dette depuis 2018 va très au-delà de l'effet imputable au « quoi qu'il en coûte » lié au Covid : on paye également ici sans doute l'absence de stratégie pour la maîtrise de la dépense publique.

De plus, dans le contexte macroéconomique incertain que nous connaissons, les hypothèses optimistes sur lesquelles le Gouvernement fonde ses projections pourraient être remises en cause. Je mentionne ici l'exacerbation des tensions géopolitiques causée par le conflit au Proche-Orient qui, selon les modélisations de la Direction générale du Trésor, pourrait se traduire par une augmentation sensible du prix du baril de pétrole, ce qui pourrait aboutir à des impacts significatifs sur l'inflation et plus encore sur le solde primaire. Les conséquences potentielles sur le déficit primaire pourraient ainsi aller de 0,0 % en année 1 et 0,1 % en année 2 dans le cas d'une hausse du prix du baril de 8 %, à 0,3 % en année 1 et 1,2 % en année 2 pour une hausse du prix du baril de 66 %. Le pire n'étant pas toujours sûr, l'impact reste néanmoins contenu pour le moment avec un prix du baril oscillant autour de 90 dollars.

S'agissant du périmètre de la mission, je souhaiterais, d'une part, saluer une avancée partielle et, d'autre part, souligner un artifice budgétaire persistant.

L'avancée partielle, c'est l'intégration à la mission « Engagements financiers de l'État » du programme 355 « Charge de la dette de SNCF Réseau reprise par l'État », précédemment rattaché à la mission « Écologie ». En effet, l'extraction de la charge de la dette de SNCF Réseau en dehors de la mission « Engagements financiers de l'État » était source de confusion, en ce qu'elle alimentait un doute sur les crédits que devait consacrer l'État à la charge de la dette. S'il convient donc de saluer cette avancée, on peut regretter que le Gouvernement n'ait pas retenu l'option consistant à supprimer le programme 355 et le mécanisme spécifique institué pour la reprise de la charge de la dette de SNCF Réseau, afin de réunir dans un programme unique, le programme 117, les crédits alloués à la charge de la dette assumée par l'État.

L'artifice budgétaire persistant, c'est le maintien du programme 369 «Amortissement de la dette de l'État liée à la covid- 19 », avec 6,5 milliards d'euros en CP ouverts pour 2024. Aucun argument économique ou budgétaire ne justifie l'isolement de la « dette covid », les recettes fiscales supplémentaires pouvant tout aussi bien servir à réduire le déficit budgétaire courant. Le Gouvernement cherche simplement à donner l'impression qu'il « gère la dette » alors que le maintien de sa politique du « quoi qu'il en coûte » et son absence totale de maîtrise de la dépense publique prouvent le contraire. Dans le même sens que l'initiative portée par notre collègue Claude Raynal pour les crédits du compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État » destinés à l'amortissement de la « dette covid », je proposerai donc d'amender les crédits de la mission « Engagements financiers de l'État » afin de supprimer le programme 369.

J'en viens aux crédits dédiés aux appels en garantie de l'État, dont le montant devrait diminuer en 2024 mais qui continuent de nécessiter une forte vigilance dans le contexte économique incertain que nous connaissons. Les crédits du programme 114 « Appels en garantie de l'État » connaissent en 2024 une baisse significative de 26 % et passent de 2,58 milliards d'euros à 1,90 milliard d'euros. Rappelons à cet égard que la baisse attendue de la sinistralité des garanties instituées pendant la crise sanitaire devrait même se traduire par une annulation de 491 millions d'euros (en AE et en CP) dans le projet de loi de finances de fin de gestion pour 2023.

Concernant plus particulièrement les prêts garantis par l'État (PGE et PGE Résilience), la direction générale du Trésor m'a tenu avant-hier soir en audition des propos rassurants mais une grande vigilance me semble s'imposer, notamment dans certains secteurs. La presse économique indique par exemple ce matin que de nombreuses petites entreprises du secteur de la micro-brasserie, très fragilisées par l'augmentation de leurs charges - surtout de leurs factures d'énergie -, risquent de ne pas pouvoir rembourser leurs prêts. Globalement, les décaissements d'appels en garantie anticipés pour 2024 s'élèvent à 1,4 milliard d'euros, soit une diminution de 500 millions d'euros par rapport à la prévision de la LFI 2023. À fin juillet 2023, le capital restant dû sur les PGE s'élève à 76,5 milliards d'euros, soit 53 % du montant total octroyé.

Certes il n'y a pas eu de sinistre important à ce stade mais 53 % du montant des PGE doit donc encore être remboursé. À cet égard, la situation en termes de besoins de trésorerie des entreprises apparaît globalement maîtrisée, mais plusieurs secteurs présentent des vulnérabilités. Nous risquons ainsi d'entrer dans une période plus difficile et restons attentifs au niveau de défaillances d'entreprises qui sera rencontré l'année prochaine.

Je conclurai mon propos par quelques mots sur les comptes spéciaux rattachés à la mission, à savoir les comptes de concours financiers « Accords monétaires internationaux » et « Prêts et avances à divers services de l'État ou organismes gérant des services publics ».

Comme pour les années précédentes, le compte de concours financiers « Accords monétaires internationaux » n'est pas doté de crédits pour 2024. Quant au compte de concours financiers « Prêts et avances à divers services de l'État ou organismes gérant des services publics », celui-ci se stabilise en périmètre et continue sa normalisation, y compris pour les programme 829 et 830 concernant les avances et prêts accordés à la métropole d'Aix-Marseille-Provence et à FranceAgriMer. Cette évolution permet ainsi la poursuite du rétablissement du solde de ce compte, attendu en excédent de 286 millions d'euros en 2024, contre un déficit de près de 102 millions d'euros en prévision pour 2023 et 190 millions en 2022.

Sur la base de ces différents constats, je vous propose donc d'adopter les crédits ainsi modifiés de la mission « Engagements financiers de l'État » ainsi que les crédits des comptes de concours financiers « Accords monétaires internationaux » et « Prêts et avances à divers services de l'État ou organismes gérant des services publics. »

En conclusion, le Gouvernement a bénéficié d'un épisode extraordinaire de taux d'intérêt négatifs : ceux-ci ont joué un rôle anesthésiant et permis de justifier toujours plus de dépenses budgétaires puisque la dette coutait moins. Cette période est révolue et laisse place à une inexorable montée en puissance du coût de la dette. Je pense que les Français n'ont pas encore pleinement conscience du fait que l'équivalent du montant de l'impôt sur le revenu, soit environ un quart des recettes fiscales, pourrait à terme servir simplement à payer les intérêts de notre dette. Voilà pour mon analyse de cette situation sur laquelle nous n'avons guère de moyens d'action à ce stade, si ce n'est de la constater.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. -Je partage à titre personnel et avec au moins la majorité sénatoriale l'analyse du rapporteur spécial. Celle-ci n'est pas nouvelle et repose sur des constats devenus malheureusement récurrents. Le tableau le plus frappant figure dans la note qui nous a été distribuée : il retrace l'évolution de l'encours de la dette négociable de l'État depuis 2018 et sa pente ascendante contraste de façon surprenante avec l'intention initialement affichée de réduction de cet endettement.

Je me souviens effectivement qu'à l'automne 2020, quand nous avions évoqué le risque de devoir faire face au mur de la dette, le ministre de l'Économie et des Finances nous avait aimablement renvoyés dans nos buts en nous expliquant qu'il fallait profiter des taux négatifs. Sans contester cette réalité, nous avions fait observer qu'en cas de retournement de la conjoncture - ce qui n'était alors pas à exclure - et même en l'absence de hausse de taux, le réveil serait douloureux. Comme je l'ai indiqué ce matin, compte tenu de la situation critique de nos finances publiques, je ne comprends pas la poursuite du « quoi qu'il en coûte » : on en redemande, dans une forme de fuite en avant. Je rappellerai en séance publique le caractère extrêmement préoccupant de cette dépendance et le refus d'y apporter des soins pour une désintoxication. À un certain moment, l'opinion pourrait, un peu comme dans le cas de la taxe carbone, avoir le sentiment de faire l'objet d'une vaste duperie et je pense qu'il est de notre responsabilité d'envoyer des messages d'alerte : il ne s'agit pas de susciter des inquiétudes excessives mais ne pas dire la vérité nous expose à mon avis à des réveils douloureux. Face à la montée d'expressions de plus en plus radicales que nous percevons tous dans notre pays, nous avons un devoir de vérité et même d'honnêteté. Ne pas présenter un constat objectif est un mauvais calcul.

Bien entendu, je suivrai les préconisations du rapporteur spécial ainsi que la mesure de sincérisation budgétaire proposée.

Mme Christine Lavarde. - J'adresserai deux questions au rapporteur spécial. Tout d'abord, l'Italie essaye aujourd'hui d'orienter l'épargne des Italiens vers l'achat de titres de dette nationale, ce qui laisse craindre un effet d'éviction pour le financement des investissements du secteur privé. En comparaison, quel regard portez-vous sur la politique d'émission de la dette française, certains critiquant le fait que la dette française est en grande partie détenue par des non-résidents, ce qui nous expose à une dépendance vis-à-vis des choix de ces derniers plutôt qu'à la volonté des épargnants de notre pays ?

En second lieu, vous avez indiqué que le taux d'émission moyen de la dette de l'État avoisine 3,1 %, ce qui est très inférieur aux niveaux proposés aux collectivités territoriales, y compris à celles qui ont une situation financière très satisfaisante, avec un désendettement continu depuis 10 ans et un niveau de dette par habitant très inférieur à celui de la dette de l'État français : pourtant ces collectivités se voient proposer des taux quasiment supérieurs, d'un point de base supplémentaire. Pouvez-vous expliquer cette différence ?

Par ailleurs, je m'interroge sur le programme 829 « Prêts destinés au financement des infrastructures de transports collectifs du quotidien de la métropole d'Aix-Marseille-Provence » qui peut bénéficier à des collectivités locales. Quel est l'avantage pour une collectivité de bénéficier d'un prêt accordé par l'État plutôt que par un prêteur classique : le taux est-il inférieur ? Je me demande également quelles collectivités pourraient demain bénéficier d'un élargissement du périmètre de ce programme 829 au moment où on constate une augmentation des besoins de financement locaux en matière d'infrastructures.

M. Marc Laménie. - À mon tour de remercier notre rapporteur spécial pour sa présentation qui complète opportunément celle du président Claude Raynal sur le compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État ». Ma première demande de précision porte sur le programme 369 « Amortissement de la dette de l'État liée à la covid 19 » et plus particulièrement sur l'échéancier de cette dette : de quel montant annuel s'agit-il ? En second lieu, les 51,7 milliards d'euros de charge de la dette prévus pour 2024 sont calculés en incluant la dette de SNCF Réseau : peut-on prévoir le calendrier de diminution de cette dernière alors même que SNCF Réseau doit poursuivre ses importants efforts d'investissement ?

M. Stéphane Sautarel. - Je m'interroge sur le reflux des intérêts de la dette dans le PLF pour 2024 : on constate une légère hausse par rapport à la loi de finances initiale pour 2023 mais une baisse d'un peu plus de 3,8 milliards d'euros par rapport au projet de loi de finances de fin de gestion. Je comprends que l'inflation peut en partie expliquer cette baisse mais l'affichage de celle-ci me semble encore troubler la pédagogie dont on essaie de faire preuve sur l'accroissement de ce poste de dépenses dont la trajectoire doit aboutir à l'échéance 2027 à un montant qui, de mémoire, avoisinerait 84 milliards d'euros pour la dette de l'ensemble des administrations publiques, en comptabilité nationale. Je crains là aussi les faux-semblants ou une estimation dont la sincérité pourrait soulever des interrogations. Je me demande si cette baisse est bien liée à la prévision d'inflation du Gouvernement pour 2024 car j'avais compris qu'en 2023 on enregistrerait les conséquences de l'inflation mais pas encore l'effet de l'augmentation des taux tandis qu'à partir de 2024 l'effet cumulé - taux et inflation - s'exercerait : d'où mon interrogation.

M. Claude Raynal. - Quelques mots à propos de cette mission dont on peut d'abord regretter le périmètre : en effet, il s'agit d'une mission limitée à la constatation de dépenses liées à la problématique de la dette. Pour lui donner une dimension plus politique, et conformément à l'intitulé de cette mission qui se nomme « Engagements financiers de l'État », on aurait pu y intégrer les données relatives aux investissements de long terme. Nous examinons donc une mission de nature comptable et gestionnaire alors qu'on pourrait imaginer de lui donner une vision prospective et structurante pour la préparation de l'avenir. En l'absence de données sur les moyens de financement des multiples projets d'investissement, cette mission a un caractère « défensif » et non pas stratégique.

D'autre part, je note, comme cela a été dit ce matin, que l'augmentation de la charge de la dette de 15 milliards d'euros en 2023 est en grande partie imputable - à hauteur de 13 milliards d'euros selon l'Insee - à l'impact de la hausse de l'inflation. L'essentiel de la hausse est donc liée aux titres indexés sur l'inflation, qui représentent aux alentours de 10 % du montant total de la dette, mais qui ont aujourd'hui une incidence considérable : je comprends bien que cette hausse a un lien avec les taux d'intérêt actuels mais le facteur principal de dégradation réside bien dans ces titres indexés.

Au final, je ne peux qu'approuver l'amendement présenté par le rapporteur spécial mais le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain que je représente aura une vision négative qui le conduira à rejeter les crédits de cette mission.

M. Grégory Blanc.- Dans le prolongement des propos précédents, je crois qu'il ne faut faire de la dette ni un totem ni un tabou. Nous savons que notre pays doit financer un important stock d'investissements pour adapter notre pays et atténuer les chocs auxquels nous allons être confrontés. Le principal sujet est bien évidemment la soutenabilité de la dette actuelle qui ne s'inscrit pas dans une trajectoire qui va permettre de financer ce stock d'investissements, faute de politique suffisamment volontariste.

Pouvez-vous préciser le taux moyen du stock de la dette et dispose-t-on d'une trajectoire pluriannuelle de son évolution ? Je note qu'on est certes sortis des taux d'intérêts négatifs nominaux mais les taux d'intérêt réels restent négatifs. L'exposé présenté ce matin montre qu'à l'horizon 2027, on risque de conserver des taux d'intérêt élevés tandis que l'inflation reculerait ; il en résulterait un « effet ciseaux » au moment même où il va falloir investir massivement pour adapter notre pays aux chocs environnementaux.

M. Michel Canévet. -Comme notre collègue Stéphane Sautarel, je suis un peu étonné de l'évolution en 2024 du niveau de la charge de la dette car il me semblait qu'on était sur une tendance extrêmement croissante qui conduirait en 2027 à ce que cette charge de la dette devienne le premier poste de dépenses du budget de de l'État. La situation me semble paradoxale parce qu'on continue à emprunter de façon massive, ce qui devrait se traduire par une augmentation de la charge d'intérêt à rembourser.

Le rattachement de la dette de SNCF Réseau à la mission « Engagements financiers de l'État » m'amène à demander au rapporteur spécial si d'autres composantes de la dette apparaissent dans des missions budgétaires distinctes de celle que nous examinons, empêchant ainsi d'avoir une vision globale de la situation de l'endettement réel de l'État et des autres administrations publiques.

Ma troisième question concerne les prêts garantis par l'État dont on constate qu'environ la moitié de l'encours a aujourd'hui été remboursée. Le niveau des risques potentiels est-il connu sur les PGE restants ? De plus, est-on en mesure d'évaluer, au cours des trois années passées, le coût réel pour l'État des PGE ? Y en a-t-il beaucoup qui n'ont pas été remboursés ? Inversement, je note par exemple que le soutien accordé à Air France a été bénéfique pour les comptes de l'État grâce aux intérêts qui lui ont été versés par la compagnie aérienne.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur spécial. - Tout d'abord, s'agissant de la question de Christine Lavarde qui a évoqué la politique italienne tendant à « domestiquer », en quelque sorte, sa dette publique : je rappelle d'abord que traditionnellement on indiquait que la dette française était détenue à hauteur d'un tiers par les résidents français, un tiers par les Européens et un tiers par les résidents étrangers hors Union européenne. Cependant, ces proportions ont évolué car la politique de déversement de liquidités par la BCE, à travers la Banque de France pour notre pays, a conduit notamment les banques et les investisseurs institutionnels français à acquérir de plus en plus de titres de dette si bien qu'aujourd'hui on est plutôt sur un partage de moitié entre la dette domestique et la dette détenue par des non-résidents. Schématiquement, retenez donc que la dette française est pour moitié détenue par les Français à travers différents produits d'épargne. Il est difficile de porter un jugement sur l'effet d'éviction de la dette publique à l'égard de l'investissement privé mais en tout état de cause la dette française est moins exposée qu'avant aux créanciers non-résidents. En particulier, des produits comme les obligations assimilables du Trésor (OAT) à 10 ans indexées sur l'inflation sont très demandés par la Caisse des dépôts et consignations ainsi que par les assureurs-vie pour garantir sécurité et rendement aux épargnants.

Vous vous demandez ensuite pourquoi une collectivité emprunte à des conditions plus onéreuses - environ 100 points de base - que l'État. J'y vois plusieurs raisons : la première qui vient à l'esprit est que les créanciers pensent que le crédit de l'État, même si celui-ci est moins bien noté qu'une collectivité, est assis sur l'épargne générale des Français, ce qui constitue une « super garantie ». La seconde raison, plus technique, tient à la liquidité de la dette. Il ressort des auditions de l'Agence France Trésor et des spécialistes en valeurs du Trésor que la dette française est très liquide et très diversifiée, avec des produits à 50 ans, trois jours ou six mois. De fait, les investisseurs recherchent souvent la possibilité de revendre leurs titres de dette sur un vaste marché secondaire ; or il est vraisemblable que la dette de telle ou telle commune se négocie moins facilement que la dette française sur le marché secondaire qui est très animé. Les transactions sont quotidiennes sur des produits à taux fixes ou variables et les émissions sont réalisées très régulièrement. C'est donc grâce à cette liquidité de marché que l'État emprunte moins cher que des collectivités qui pourtant et paradoxalement peuvent avoir une meilleure signature ; j'ajoute que celles-ci sont soumises à des ratios d'endettement, c'est-à-dire à une « règle d'or » à laquelle l'État ne s'astreint pas.

Enfin, le programme 829 me parait plutôt relever de l'affichage. Crée par la loi de finances pour 2022, il est destiné au financement des infrastructures de transports collectifs de la métropole d'Aix-Marseille. Aucun crédit n'y est ouvert en 2024 tandis que 100 millions d'euros ont été alloués en 2023 mais il semblerait qu'il n'y ait pas beaucoup de dépenses. N'espérez donc pas trop pouvoir financer les infrastructures locales de transport avec ce programme 829 qui n'est pas doté de crédits en 2024 et qui relève plutôt à mon avis de l'ornement budgétaire.

Grégory Blanc a soulevé la question essentielle de la soutenabilité de la dette et du niveau des taux d'intérêt réels, c'est-à-dire des taux d'intérêt nominaux corrigés de l'inflation. À cet égard, on peut également apprécier la soutenabilité de la dette au regard de l'écart entre taux d'intérêt et croissance : je vous invite à vous référer au tableau figurant page 22 du projet de rapport écrit qui retrace la période pendant laquelle l'endettement public a pu bénéficier de taux d'intérêt nominaux inférieurs au taux de croissance nominale, c'est-à-dire le taux de croissance incluant l'inflation. Selon les projections, le ralentissement de l'inflation conjugué au maintien de taux relativement élevés renverse la situation avec des taux d'intérêt réels positifs, ce qui renforce les inquiétudes sur le coût et la soutenabilité de la dette.

En réponse à Marc Laménie, je précise tout d'abord que la notion d'amortissement de la « dette covid » présente un caractère artificiel car il est extrêmement difficile de déterminer le périmètre de cette dernière. Plutôt que d'isoler cette « dette covid » en se demandant s'il faudrait y inclure les dépenses de santé et de soutien aux entreprises, nous étions favorables à l'intégration de cette dette dans l'endettement général de l'État.

En second lieu, nous avons salué le fait que l'État reprenne la dette de SNCF Réseau qui de toute façon est, au final, garantie par l'État. Je précise qu'il s'agit de la reprise de la dette antérieure de SNCF Réseau et que cette comptabilisation n'a pas d'influence sur les financements futurs qui seront alloués aux investissements considérables dont notre pays a besoin. Mais c'est un autre sujet qui fera l'objet d'un débat spécifique pendant l'examen du projet de loi de finances.

Michel Canévet s'est d'abord interrogé sur le périmètre global de la dette : je précise que sur les quelques 3000 milliards d'euros de dette publique, 2 560 milliards d'euros relèvent de l'État et le reste est essentiellement constitué par la dette sociale qui a théoriquement vocation à s'éteindre. La dette sociale est, elle aussi, gérée par l'Agence France Trésor avec des conditions de financement qui sont un peu moins favorables que celle de l'État - à quelques points de base près.

S'agissant des PGE, à ce stade aucun sinistre majeur n'est intervenu mais le Trésor a rappelé en audition que plus de 70% des entreprises ont choisi d'amortir les PGE sur une durée maximale et donc de les rembourser très lentement, ce qui appelle à la vigilance. Les grandes entreprises comme Air France qui ont contracté des montants de prêts très importants ne suscitent pas d'inquiétudes particulières mais un certain nombre de petites entreprises - comme les micro-brasseries que j'ai évoquées - ayant bénéficié d'un peu de trésorerie grâce aux PGE sont fragilisées et certaines risquent de fermer. Cela ne va sans doute pas représenter des montants considérables pour l'État : les pertes nettes dues aux PGE sont évaluées pour 2024 à 1,330 milliard d'euros, contre 1,372 milliard d'euros en 2023. Concrètement, en cas de défaillance de l'entreprise, les banques font appel à la garantie de l'État qui, au final, éteint la dette avec une sorte de « ticket modérateur » de 10 % restant à la charge de la banque. J'ajoute que, dans certains cas, les PGE ont pu renforcer la trésorerie d'entreprises qui n'étaient pas viables à long terme ou qui ont par la suite subi l'impact de facteurs exogènes comme l'augmentation du coût des matières premières ou de l'énergie. On peut également signaler le risque de défaillances dans le secteur du bâtiment qui a, comme les autres, bénéficié de ces prêts.

Notre collègue Stéphane Sautarel s'est interrogé sur la baisse de la charge de la dette prévue pour 2024. Elle est très largement due à l'effet de l'inflation car environ 10 % des OAT sont indexés sur la hausse des prix et, l'inflation étant aujourd'hui moins forte, il s'ensuit une baisse provisoire du coût de cette indexation d'une partie de la dette. Cette baisse sera malheureusement compensée dans les prochaines années par l'augmentation des taux d'intérêt, puisque ces derniers continuent à se maintenir à un niveau élevé, à quoi s'ajoute un effet volume car notre pays va, cette année, emprunter le montant record de 285 milliards d'euros. L'augmentation des besoins de financement de l'État et le maintien d'un niveau élevé de taux d'intérêt vont donc contrecarrer les effets de la diminution provisoire de la charge de la dette que permet le recul de ses composantes indexées sur l'inflation.

Claude Raynal a regretté que cette mission « Engagements financiers de l'État » se ramène à une mission de constat et le rapporteur spécial que je suis a bien conscience des capacités de proposition limitées offertes par l'examen de ces crédits. Comme vous, je fais des constats et le premier d'entre eux est que, sur tous les bancs, personne ne peut aujourd'hui se satisfaire que d'ici environ trois ans, le premier poste du budget de l'État devienne celui qui alimente la charge de la dette. Ensuite les divergences porteront sans doute sur les chemins permettant de réduire les déficits, certains privilégiant les réductions de dépenses et d'autres l'augmentation des prélèvements obligatoires. Cependant le constat que l'on peut faire collectivement est que l'État continue à s'endetter lourdement dans un contexte où la baisse des taux qui a facilité la tâche des gouvernements est terminée : personne, au cours des auditions que j'ai menées, n'a d'ailleurs envisagé un reflux des taux d'intérêt à 1 % ou 0 %, principalement en raison de la fin de la politique accommodante de la BCE. Cela signifie qu'il faut s'habituer à des taux élevés qui vont se traduire inexorablement par un coût élevé de la charge de la dette qui atteindra environ le quart de nos recettes fiscales.

Pour résumer en une phrase ma position sur ces crédits, je rappelle que s'agissant du stock de la dette, il faut reconnaitre que beaucoup d'États sont endettés même si la France l'est sans doute un peu plus que les autres. L'élément nouveau qui commence à poindre réside dans le coût de cette dette : après avoir été pendant longtemps un poste d'ajustement facilitateur des budgets en déficit, la charge de la dette va devenir l'un des postes les plus lourds du budget de l'État et dépasser celui de l'Éducation ou de la Défense ainsi que d'autres missions tout à fait essentielles de l'État.

C'est donc à regret que je vous invite à adopter ces crédits modifiés par l'amendement que je vous soumets.

M. Thierry Cozic, président. - Merci Monsieur le rapporteur spécial ; je vous laisse présenter votre amendement.

Article 35

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur spécial. - L'amendement n°  II-1 (FINC.1) vise à supprimer le programme 369 « Amortissement de la dette de l'État liée à la covid-19 », créé par la loi de finances initiale pour 2022 et maintenu dans la mission « Engagements financiers de l'État » pour 2024. Il s'agit de s'opposer à ce qui m'apparait comme un artifice comptable et que le Président Claude Raynal a également considéré comme tel.

L'amendement n°  II-1 (FINC.1) a été adopté.

La commission a décidé de proposer au Sénat d'adopter les crédits de la mission « Engagements financiers de l'État » sous réserve de l'adoption de son amendement.

La commission a décidé de proposer au Sénat d'adopter, sans modification, les crédits des comptes de concours financiers « Accords monétaires internationaux » et « Prêts et avances à divers services de l'État ou organismes gérant des services publics ».

*

* *

Réunie à nouveau le jeudi 23 novembre 2023, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a confirmé sa décision de proposer au Sénat d'adopter les crédits de la mission « Engagements financiers de l'État » tels que modifiés par son amendement et d'adopter, sans modification, les crédits des comptes de concours financiers « Accords monétaires internationaux » et « Prêts et avances à divers services de l'État ou organismes gérant des services publics ».

Partager cette page