PREMIÈRE PARTIE :
DANS UN CONTEXTE DE MONTÉE DE LA PRESSION MIGRATOIRE, DES CRÉDITS QUI NE CONNAISSENT PAS D'ÉVOLUTIONS STRUCTURELLES

I. LES CRÉDITS DE LA MISSION, QUI NE CORRESPONDENT QU'À UNE PARTIE DES DÉPENSES LIÉES À LA POLITIQUE D'IMMIGRATION ET D'INTÉGRATION, S'INSCRIVENT DANS UN CONTEXTE DE HAUSSE DES DEMANDES D'ASILE

A. LES CRÉDITS DE LA MISSION NE REPRÉSENTENT QU'UNE PART MINORITAIRE DES DÉPENSES DE L'ÉTAT EN MATIÈRE DE POLITIQUE D'IMMIGRATION ET D'INTÉGRATION

Les dépenses de l'État induites par l'immigration ne se limitent pas à la mission « Immigration, asile et intégration ». Le coût estimé de la politique française de l'immigration et de l'intégration était ainsi de 6,4 milliards d'euros en 2020 en crédits de paiement (CP), de 6,7 milliards d'euros en 2021, de 6,8 milliards en 2022 et de 7,5 milliards d'euros en 2023. Il serait de 7,9 milliards d'euros en 2024.

En outre, ce coût, issu du document de politique transversale (DPT) « Politique française de l'immigration et de l'intégration » annexé au projet de loi de finances pour 2024, auquel contribuent 19 programmes répartis au sein de 13 missions budgétaires, prend en compte les dépenses directes et orientées à titre principal vers les étrangers. Le coût complet des forces de sécurité intérieure, de l'hébergement d'urgence et de l'enseignement scolaire n'est par exemple que partiellement intégré.

Part des crédits de paiement de la mission « Immigration, asile et intégration » par rapport à l'ensemble des crédits de la « Politique française
de l'immigration et de l'intégration » en 2024

(en %)

Source : commission des finances, d'après le document de politique transversale « Politique française de l'immigration et de l'intégration » annexé au présent projet de loi de finances

B. DES FLUX MIGRATOIRES ET DE DEMANDES D'ASILE QUI ATTEIGNENT DES NIVEAUX TRÈS ÉLEVÉS

1. Après une année 2020 marquée par l'épidémie de COVID- 19, la pression migratoire a repris sa tendance haussière en Europe et en France à partir de 2021

En 2020, la situation de crise sanitaire liée à la Covid- 19 avait entrainé une baisse des flux migratoires à destination de la France et de l'Europe. Les restrictions sur les déplacements intérieurs et internationaux intervenus en France et en Europe ainsi que dans les pays de départ et de transit avaient concouru à cette diminution, notamment les restrictions sur les vols commerciaux. Les flux migratoires à destination des pays de l'Union européenne avaient ainsi diminué de moitié au premier semestre 20207(*). En Europe, les demandes d'asile étaient en baisse de 33 % au cours des six premiers mois de 2020 par rapport à la même période en 2019, ce qui coïncidait avec la restriction des déplacements sur le continent pour endiguer la crise sanitaire8(*). En 2020, l'Europe demeurait néanmoins la plus grande terre d'accueil de migrants internationaux en volume, avec un total de 87 millions de migrants y vivant9(*).

Cette situation était conjoncturelle et le retour progressif à une situation sanitaire maitrisée s'accompagne d'un retour progressif des flux migratoires à un niveau proche de celui d'avant-crise. En 2021, plus de 617 800 personnes avaient demandé l'asile dans les États membres ou associés de l'Union européenne, « ce qui [représentait] une augmentation d'un tiers par rapport à 2020 et un retour à la situation antérieure à la pandémie de Covid-19 »10(*). Le nombre de demandes d'asile, après une baisse en 2020, est ainsi reparti à la hausse dès 2021 (+ 7 % avec 103 164 demandes devant l'OFPRA11(*)). En 2022, les flux migratoires se sont encore renforcés en Europe. Ainsi, 962 160 ressortissants de pays tiers ont demandé l'asile dans l'Union européenne en 2022. La France fait partie des trois principaux pays d'accueil, derrière l'Allemagne (244 000) et devant l'Espagne (118 000). Les demandes d'asile y ont en effet augmenté en 2022 de 27 %, pour atteindre 131 254 demandes devant l'OFPRA, soit un niveau très proche de celui de 2019 (132 826 demandes).

Outre les flux en eux-mêmes et les demandes d'asile, les autres volets de la politique migratoire ont également progressé de nouveau à partir de 2021. Les délivrances de visas avaient augmenté cette année-là de 2,9 % et les acquisitions de nationalité par décret ou déclarations de 53,6 % par rapport à 202012(*). En 2022, les délivrances de visas ont augmenté de 137,1 %, tandis que les acquisitions de nationalité ont un peu réduit (- 19,5 % pour les acquisitions par décret, - 2,6 % pour les acquisitions par déclaration). Les contrats d'intégration républicaine13(*) ont également été signés en plus grand nombre (78 764 CIR ont été signés en 2020, 109 000 CIR en 2021, 110 080 en 2022).

2. Des demandes d'asile qui devraient augmenter en 2023 et 2024 pour atteindre un niveau record

Les indicateurs sur la demande d'asile ont fait l'objet d'un changement de méthode de calcul en 2020. Le système d'information asile (SI Asile) a succédé à la source de l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides (Ofpra). La nouvelle méthodologie permet désormais de dénombrer, outre les demandes passant par l'Ofpra, les demandes en procédure Dublin « III »14(*) et les demandes déposées en guichet unique pour demandeur d'asile (Guda) mais jamais arrivées à l'Ofpra. Pour rappel, le règlement européen Dublin « III » prévoit qu'un seul État membre est responsable du traitement d'une même demande d'asile au sein de l'Union européenne. Les demandes d'asile concernées sont celles qui relèvent de la compétence d'un autre État membre, c'est-à-dire de migrants arrivés en Europe qui, après avoir enregistré cette demande dans un premier pays européen, la réitèrent dans un autre État membre de l'Union européenne. Ce nouvel indicateur donne ainsi une image plus fidèle de l'évolution du nombre de demandes d'asile à partir de 2018, année depuis laquelle le nouveau périmètre est applicable.

Évolution du nombre de demandes d'asile introduites devant l'OFPRA

 

Premières demandes

Réexamens et réouvertures de dossiers clos

Total demandes d'asile

Évolution nombre demandes d'asile

2018

114 226

9 399

123 625

+ 22,7 %

2019

123 682

9 144

132 826

+ 7,4 %

2020

87 514

8 910

96 424

- 27,4 %

2021

89 256

13 908

103 164

+ 7,0 %

2022

115 091

16 163

131 254

+ 27,2 %

Source : commission des finances du Sénat, d'après l'Ofpra

La baisse observée entre 2019 et 2020 revêtait un caractère exceptionnel (- 27,4 %). En 2021, le nombre de demandes d'asile est ainsi reparti à la hausse pour s'établir à 103 164 demandes, soit 7 %. La poursuite de la levée des restrictions sanitaires au cours des années 2021 et 2022, le contexte international et les effets de rattrapage ont accentué cette augmentation15(*). En 2022, la hausse a été de 27,2 %, les demandes d'asile s'établissant à 131 254. Pour 2023, le Gouvernement ne donne pas d'estimation mais prévoit 160 000 demandes en 2024, soit un niveau record.

Les décisions de protection rendues par l'Ofpra et la CNDA

En 2022, l'Ofpra et la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) ont rendu 56 276 décisions de protection (octroi du statut de réfugié ou d'apatride, protection subsidiaire), contre 54 384 en 2021 (et 33 204 en 2020), soit une hausse de 3,5 %. 43 517 demandeurs d'asile se sont vus accorder le statut de réfugié (+ 25,2 % par rapport à 2021) et 12 759 demandeurs d'asile ont obtenu une protection subsidiaire (- 35 % par rapport à 2021).

La majorité de ces décisions sont prises par l'Ofpra : 38 885 admissions ont été enregistrées en 2022, contre 35 919 en 2021 (+ 8,3 %). 31 136 personnes protégées par l'Ofpra en 2022 se sont vus octroyer un statut de réfugié ou d'apatride et 7 749 une protection subsidiaire. L'Ofpra ayant rendu 134 513 décisions en 2022, le taux de protection de l'Ofpra, qui augmente de 3,3 points, s'établit à 29,2 %, en 2021.

La CNDA a quant à elle rendu en appel 17 391 décisions de protection en 2022, contre 18 465 en 2021 (- 5,8 %). 12 381 personnes se sont vues octroyer un statut de réfugié ou d'apatride et 5 010 une protection subsidiaire.

À l'issue des décisions de l'OFPRA et de la CNDA, 42 % des demandes examinées en 2022 ont conduit à une protection, contre 38,9 % en 2021.

Au total (décisions de l'OFPRA et de la CNDA), les trois principales nationalités concernées par la protection subsidiaire en 2022 sont les Syriens (17,4 % du total des bénéficiaires de la protection subsidiaire), les Somaliens (13,5 %) et les Albanais (5,7 %). Le statut de réfugié a été octroyé principalement à des Afghans (30,2 % du total des statuts de réfugié), des Ivoiriens (6 %), des Syriens (5,9 %) et des Guinéens (5,8 %). Les Ukrainiens bénéficient quant à eux principalement de la protection temporaire, dans un cadre différent16(*).

Source : commission des finances, d'après l'Ofpra

3. Un dispositif d'éloignement qui produit des résultats insuffisants

S'il est par principe très difficile d'estimer le nombre d'étrangers en situation irrégulière en France, certains indicateurs permettent de tenter d'appréhender l'ampleur de l'immigration irrégulière sur le territoire français.

Il en est ainsi du nombre de bénéficiaires de l'aide médicale d'État (AME), qui sont des étrangers en situation irrégulière. En 2020, il s'établissait à 382 899, soit une hausse de + 15 % par rapport à 2019. En 2021, il s'établissait à 380 762. En 2022, il atteint 411 36417(*), soit le niveau le plus élevé jamais enregistré et supérieur de 228 % par rapport à 2003.

Il convient de rappeler que cette aide est versée sous condition de résidence ininterrompue en France de trois mois, et que son taux de recours n'est pas connu, et ne peut donc donner qu'une image tronquée du nombre d'étrangers résidant en France en situation irrégulière.

Dans le même temps, les retours forcés exécutés n'ont augmenté que de 13,1 % en 2022 (pour s'établir à 11 410 retours) par rapport à 2021, année qui étaient encore marquée par les restrictions sur les déplacements liées à l'épidémie de COVID- 19. Ils restent inférieurs de 39,6 % au nombre de retours forcés constatés en 2019.

Nombre de retours forcés exécutés

Source : commission des finances du Sénat, d'après le ministère de l'intérieur

Plus spécifiquement, les obligations de quitter le territoire français (OQTF), qui constituent la majorité des mesures administratives d'éloignement des étrangers en situation irrégulière, connaissent un taux d'exécution inférieur à 10 % depuis début 2020 (voir infra) ; il s'établissait à 6,0 % en 2021 et à 6,9 % pour la première partie de 2022.

Évolution du nombre d'OQTF prononcées
et exécutées depuis 2010

Source : commission des finances, d'après le ministère de l'intérieur

Évolution du taux d'exécution des OQTF depuis 2010 (en %)

Source : commission des finances, d'après le ministère de l'intérieur


* 7 Edition 2020 des perspectives des migrations internationales, OCDE, Octobre 2020.

* 8 Rapport d'activité 2020 de l'OFPRA.

* 9 Organisation internationale pour les migrations, World migration report 2022.

* 10 Rapport d'activité 2021 de l'OFPRA.

* 11 Office français de protection des réfugiés et apatrides.

* 12 Les principales données de l'immigration en France, Ministère de l'Intérieur, 20 juin 2022.

* 13 Voir infra.

* 14 Règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

* 15 Voir supra.

* 16 Voir infra.

* 17 Projet annuel de performances de la mission « Santé » annexé au projet de loi de finances pour 2024.

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