B. L'URGENCE DE DÉFINIR, ENFIN, UNE NOUVELLE DOCTRINE D'INTERVENTION DE L'ÉTAT ACTIONNAIRE

1. La doctrine de 2017 a largement été remise en cause

Alors que le recentrage du portefeuille de l'APE, décidé dans le cadre de la doctrine de l'État actionnaire définie en 2017, devait accentuer le rôle des cessions de participations dans le désendettement de l'État et le financement des besoins de croissance des autres entreprises du portefeuille, la crise sanitaire a conduit à modifier radicalement l'approche de l'APE. La Cour des comptes estime d'ailleurs sur ce point que « le contexte nouveau rend en partie obsolète la doctrine des actionnaires publics, en particulier celle de l'APE. »35(*)

Deux évolutions principales sont à relever :

- premièrement, l'interruption du programme de cessions et de « respiration » du portefeuille engagé depuis 2017 ;

- deuxièmement, le recours aux interventions en capital comme outil de soutien à l'économie.

Cette inflexion de la doctrine d'intervention de l'APE est salutaire : elle admet explicitement le recours à l'intervention en capital comme outil de politique économique. Un tel choix correspond à la conviction selon laquelle le rôle principal de l'État actionnaire doit d'abord être d'agir en stratège et de définir des priorités claires pour son intervention économique.

Sous couvert d'une respiration du portefeuille et d'un objectif de financement de l'innovation dite « de rupture », la doctrine de 2017 a rapidement démontré ses limites. Alors que le recours aux cessions de participations pour contribuer au désendettement de l'État et financer les besoins de croissance des autres entreprises du portefeuille étaient au coeur de cette doctrine, force est de constater que la pratique de l'État a actionnaire a été bien différente au cours des six dernières années.

2. Vers un retour à la stratégie de 2014 ?

Déjà, lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2022, le précédent Commissaire aux participations de l'État, Martin Vial, avait indiqué travailler à la redéfinition d'une doctrine d'intervention de l'Agence.

Alors que la feuille de route de l'APE pour les cinq prochaines années n'a pas encore été définie, les principaux éléments de réflexion retenus à ce stade ne sont pas sans rappeler les principes retenus dans la stratégie de 201436(*), définie lors du quinquennat de François Hollande :

le soutien auprès d'entreprises durement touchées par la crise, ce qui inclut en particulier le secteur des transports - aérien et ferroviaire ;

le soutien à la souveraineté économique et à la réindustrialisation du pays, ce qui peut justifier une action de l'APE pour trouver un actionnariat français et durable de fleurons de notre économie ;

- l'accompagnement des transitions environnementales ;

- l'accompagnement face aux ruptures technologiques et numériques.

En tout état de cause, il apparaît nécessaire de mieux coordonner les interventions entre les différents détenteurs publics que sont l'APE, la Caisse des dépôts et Consignations et Bpifrance. En effet, comme le relève la Cour des comptes dans son rapport de février 2022, il conviendrait « de mieux articuler les modes d'interventions des actionnaires publics et de coordonner leurs stratégies actionnariales, comme le recommandait déjà la Cour dans son rapport public thématique de janvier 2017 sur l'État actionnaire. »37(*)

Alors que la répartition entre acteurs rend le suivi des crédits publics toujours plus complexe pour les parlementaires, il semble nécessaire de limiter les interventions conjointes entre entités publiques.

Outre la situation spécifique d'Orange, dont la détention est partagée entre Bpifrance et l'APE, les fonds de soutien sectoriels (Fonds avenir automobile par exemple) sont parfois l'occasion d'une intervention conjointe de l'APE et de Bpifrance que le rapporteur spécial ne peut que déplorer. Une clarification dans la répartition des rôles serait bienvenue.

Si la présence de différents intervenants est compréhensible, elle doit se trouver justifiée par des conditions d'intervention distinctes.


* 35 Cour des comptes, La gestion des participations financières de l'État durant la crise sanitaire, février 2022.

* 36 La stratégie de 2014 s'articulait autour des objectifs suivants :

- la souveraineté, pour contrôler les entreprises intervenant dans des secteurs stratégiques et sensibles ;

- les infrastructures et opérateurs de service public, afin de s'assurer de l'existence « d'opérateurs résilients pour pourvoir aux besoins fondamentaux du pays » ;

- l'accompagnement de secteurs et filières stratégiques pour la croissance économique nationale ;

- le sauvetage, lorsque la disparition d'une entreprise présenterait un risque systémique avéré.

* 37 Cour des comptes, La gestion des participations financières de l'État durant la crise sanitaire, février 2022.

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