CHAPITRE IER BIS : RENFORCER LA PROTECTION
DES MINEURS VICTIMES DE DÉRIVES SECTAIRES (NOUVEAU)

Article 2 bis (nouveau)
Allongement des délais de prescription applicables
en cas d'abus de faiblesse d'un mineur

Soucieuse de prendre en compte la situation spécifique des mineurs victimes de dérives sectaires, la commission a souhaité, par l'adoption des amendements du rapporteur et de Nathalie Delattre créant un nouvel article 2 bis, prévoir que le délai de prescription des infractions d'abus de faiblesse sur les mineurs ne court qu'à partir de leur majorité.

I. Les enfants victimes de dérives sectaires : des victimes nombreuses dont l'action en justice est souvent reculée dans le temps

Comme l'avait révélé la commission d'enquête conduite par le député Georges Fenech, s'il est particulièrement malaisé de dénombrer le nombre d'enfants victimes de phénomènes et mouvements sectaires ceux-ci en sont « les victimes idéales et absolues de tels mouvements »12(*).

Dans son récent rapport annuel pour 2021, la Miviludes rappelle « la place centrale occupée par les mineurs en tant que cible privilégiée des organisations sectaires » et chiffre à 396 les saisies reçues pour la seule année 2021 impliquant directement ou indirectement des mineurs, soit 10 % du total des saisies. Sur cette même période, la gendarmerie nationale recensé 47 mineurs âgés de moins de 15 ans et 7 âgés de plus de 15 ans victimes déclarées d'infractions en lien avec les dérives sectaires. Plus inquiétant encore, selon ces mêmes sources, près d'un viol sur deux relevés dans des dossiers impliquant des mouvements sectaires a concerné des mineurs.

Force est pourtant de constater qu'aucune disposition proposée par le Gouvernement dans le texte initial ne vise à traiter, par des mesures spécifiques et adaptées, la situation des mineurs victimes de mouvements ou dérives sectaires.

Néanmoins, comme l'ont déjà souligné les rapports parlementaires précités établis par Georges Fenech et Jacques Mézard, la répression du phénomène sectaire, en particulier s'agissant de mineurs, se heurte fréquemment à la difficulté des victimes de se considérer comme telles et au temps nécessaire à celles-ci pour parvenir à déposer plainte pour de tels faits, alors qu'en l'état du droit ceux-ci sont soumis au régime de droit commun de la prescription.

Les délais de prescriptions applicables aux mineurs
victimes de dérives sectaires : une préoccupation ancienne du Parlement

« La commission d'enquête constate qu'en l'état actuel de notre droit, les délais de prescription des actions pénales sont tels qu'ils ne garantissent pas aux jeunes adultes sortis de mouvements à caractère sectaire la possibilité de se retourner contre ceux qui, dans le cadre de ces mouvements, pourraient se voir accuser d'abus d'ignorance ou de faiblesse, tel que défini par l'article 223-15-2 du code pénal.

« Compte tenu, d'une part, de la nécessité d'un temps de « reconstruction » psychologique après la sortie de secte, compte tenu, d'autre part, de la quasi-impossibilité pour un mineur sous emprise sectaire de dénoncer des faits dont il est victime, ce délai peut sembler très court.

« Le problème du délai de prescription a été soulevé à diverses reprises, au cours des auditions, par les membres de la commission d'enquête, qui ont interrogé plusieurs de leurs interlocuteurs sur la possibilité de le rouvrir, pour les mineurs victimes, à compter de leur majorité. »

Source : rapport fait au nom de la commission d'enquête relative à l'influence des mouvements à caractère sectaire et aux conséquences de leurs pratiques sur la santé physique et mentale des mineurs par Georges Fenech, déposé le 12 décembre 2006, pp. 106-107.

Lors de leur audition par le rapporteur, les services enquêteurs spécialisés de l'office central pour la répression des violences faites aux personnes (OCRVP) de la police nationale ont confirmé se heurter à la prescription de l'action publique, en particulier s'agissant de mineurs échappant des sectes à leur majorité, soit parfois plusieurs années après la commission d'infractions, épuisant ainsi le délai de prescription de l'action publique.

II. La position de la commission : allonger les délais de prescription applicable au délit d'abus de faiblesse commis sur un mineur

Soucieux de trouver un juste équilibre entre la prise en compte de la situation traumatique dans laquelle se trouvent ces mineurs et la nécessité de se prémunir des risques quant à la préservation des preuves, la commission a souhaité, à l'instar des délais de prescription dérogatoires existant en matière de violences sexuelles commises sur les mineurs, qu'en cas d'abus de faiblesse sur un mineur, le délai de prescription de six ans - le délai de prescription de droit commun - commence à courir à compter de la majorité du mineur se déclarant victime.

Elle a ainsi, à l'initiative du rapporteur et de Nathalie Delattre (amendements identiques COM-18 et COM-5), traduit les recommandations des travaux parlementaires conduits, notamment par Jacques Mézard et Georges Fenech, qui ont, dès 2008, appelé à une évolution des délais de prescription applicables aux infractions commises sur un mineur du fait des dérives sectaires.

La commission a adopté l'article 2 bis ainsi rédigé.

Article 2 ter (nouveau)
Circonstance aggravante des délits de privation d'aliments ou de soins
et de manquement à ses obligations par une personne ayant autorité
sur mineur en cas de manquement à l'obligation de déclaration
à l'état civil d'un enfant

Afin de mieux protéger les mineurs victimes de mouvements ou organisations sectaires, la commission a introduit, à l'initiative du rapporteur, un nouvel article 2 ter renforçant les sanctions applicables aux situations d'isolement social volontaire des enfants.

Pour ce faire, elle a érigé en circonstance aggravante des délits de privation d'aliments ou de soin et de manquement à ses obligations par une personne ayant autorité sur mineur au point de compromettre sa santé, sa sécurité, sa moralité ou son éducation, le fait de ne pas avoir déclaré l'enfant concerné à l'état civil. Les peines seraient alors portées, respectivement, à dix ans d'emprisonnement et 300 000 euros d'amende et quatre ans d'emprisonnement et 60 000 euros d'amende.

I. Les enfants victimes de dérives sectaires : des victimes souffrant d'un isolement social, parfois depuis leur naissance, jusqu'à leur découverte par les pouvoirs publics

Identifiée de longue date par les travaux parlementaires, la difficulté essentielle dans la prise en charge des enfants victimes de dérives sectaire réside dans la non-détection de leur situation, allant même jusqu'à la totale méconnaissance, par les pouvoirs publics de leur existence.

De telles pratiques s'appuient sur des comportements de soustraction volontaire des enfants à tout contrôle et visant à les placer dans des situations d'isolement social au détriment de leur santé, de leur sécurité, de leur moralité ou de leur éducation.

Cet enfermement social des enfants par les titulaires de l'autorité parentale est, en l'état du droit, susceptible d'être pénalement réprimé par deux autres infractions spécifiques :

- d'une part, l'article 227-15 du code pénal sanctionne la privation d'aliments ou de soins par une personne ayant autorité sur un mineur de 15 ans au point de compromettre sa santé d'une peine de 7 ans d'emprisonnement et de 100 000 euros d'amende. La jurisprudence interprète largement la notion de privation d'aliments ou de soins, qui peut résulter par exemple d'un défaut d'hygiène ou de l'absence de suivi médical approprié ;

- d'autre part, l'article 227-17 du code pénal sanctionne le fait, pour le parent d'un enfant mineur, de se soustraire sans motif légitime à ses obligations légales au point de compromettre sa santé, sa sécurité, sa moralité ou son éducation d'une peine de 2 ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende. Sur ce fondement, le tribunal correctionnel de Pau a par exemple condamné les membres d'une secte vivant à l'écart du monde avec des règles de vie austères et génératrices de carences graves pour les enfants liées notamment à l'absence d'ouverture culturelle et de stimulation sociale13(*).

En pratique, cet isolement peut également se réaliser par l'absence de déclaration de la naissance des enfants, prévue à l'article 56 du code civil. Comme l'avait ainsi mis en lumière la commission d'enquête conduite par le député Georges Fenech, « la difficulté de repérage des situations à risque était accrue par l'ignorance de l'existence même des enfants, certains pouvant ne pas avoir été déclarés à l'état civil »14(*).

Face à ce constat, le législateur a progressivement renforcé l'arsenal répressif à l'encontre des parents manquant à leur obligation de déclarer la naissance de leur enfant, prévue à l'article 56 du code civil depuis la loi du 21 mars 1803.

Les articles 55 et 56 du code civil : une obligation ancienne
de déclaration d'une naissance

En application d'un principe inchangé depuis 1803 et codifié aux articles 55 et 56 du code civil, la naissance d'un enfant doit être déclarée dans les cinq jours suivant l'accouchement à l'officier d'état civil du lieu de naissance. Une telle obligation est sanctionnée par la délivrance immédiate d'un acte de naissance.

Seule la liste des personnes sur lesquelles cette obligation pèse a connu des évolutions. Elle peut aujourd'hui être accomplie « par le père, ou, à défaut du père, par les docteurs en médecine ou en chirurgie, sages-femmes, officiers de santé ou autres personnes qui auront assisté à l'accouchement ; et lorsque la mère sera accouchée hors de son domicile, par la personne chez qui elle sera accouchée ».

Le non-respect de cette obligation était jusqu'à la loi 2007-293 du 5 mars 2007 réformant la protection de l'enfance sanctionnée d'une simple contravention de 5ème classe. En réponse aux recommandations de la commission d'enquête conduite par Georges Fenech, le défaut de déclaration d'un enfant à l'état civil constitue désormais un délit et est, à ce titre et aux termes de l'article 433-18-1 du code pénal, puni de 6 mois d'emprisonnement et de 3 750 euros d'amende.

Si cet article sert de fondement à moins de deux condamnations par an depuis 201715(*), cela peut s'expliquer par le délai de prescription de droit commun fixé à six ans pour un tel délit. Ainsi, s'il était révélé qu'à la majorité de l'enfant ou plus tardivement, celui-ci ne pourrait être sanctionné.

Au surplus, les auditions menées par le rapporteur ont révélé que cette pratique de non-déclaration d'un enfant participait très directement des actions de certains mouvements ou organisations sectaires organisant la soustraction volontaire d'enfants de tout contrôle par les pouvoirs publics. Toutefois, aucun lien entre l'ensemble de ces pratiques n'est aujourd'hui établi par le code pénal.

II. La position de la commission : ériger la non-déclaration à l'état civil en circonstance aggravante des délits de privation d'aliments ou de soins et de manquement à ses obligations par une personne ayant autorité sur mineur au

Si le défaut de déclaration d'un enfant à l'état civil constitue aujourd'hui un délit sanctionné de six mois d'emprisonnement de 3 750 euros d'amende, il apparait nécessaire de mieux réprimer les phénomènes de soustraction volontaire des enfants victimes de dérives sectaires à tout contrôle, particulièrement néfastes pour le mineur.

Consciente que la situation spécifique des mineurs victimes de mouvements à caractère sectaire appelle des mesures fortes et que le Gouvernement n'en a pas, à ce stade, pris toute la mesure, la commission a souhaité, à l'initiative du rapporteur et par l'adoption d'un amendement COM-19, ériger en circonstance aggravante des délits de privation d'aliments ou de soin et de manquement à ses obligations par une personne ayant autorité sur mineur au point de compromettre sa santé, sa sécurité, sa moralité ou son éducation, mentionnés ci-avant, le fait de ne pas avoir déclaré l'enfant concerné à l'état civil.

Plus précisément, les peines seraient alors portées à dix ans d'emprisonnement et 300 000 euros d'amende pour le premier délit mentionné à l'article 227-15 du code pénal et à quatre ans d'emprisonnement et 60 000 euros d'amende, pour le second, inscrit à l'article 227-17 du même code.

La commission a adopté l'article 2 ter ainsi rédigé.


* 12 Rapport fait au nom de la commission d'enquête relative à l'influence des mouvements à caractère sectaire et aux conséquences de leurs pratiques sur la santé physique et mentale des mineurs par Georges Fenech, déposé le 12 décembre 2006, p. 106.

* 13 Tribunal correctionnel de Pau, 19 mars 2002 : JCP 2002. IV. 2923.

* 14 Rapport fait au nom de la commission d'enquête relative à l'influence des mouvements à caractère sectaire et aux conséquences de leurs pratiques sur la santé physique et mentale des mineurs par Georges Fenech, déposé le 12 décembre 2006, p. 96.

* 15 Sources statistiques de la direction des affaires criminelles et des grâces dans sa contribution écrite envoyée au rapporteur.

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