N° 258

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024

Enregistré à la Présidence du Sénat le 17 janvier 2024

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de loi instituant des mesures judiciaires de sûreté applicables aux condamnés terroristes et renforçant la lutte antiterroriste,

Par M. Marc-Philippe DAUBRESSE,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. François-Noël Buffet, président ; M. Christophe-André Frassa, Mme Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Marc-Philippe Daubresse, Jérôme Durain, Philippe Bonnecarrère, Thani Mohamed Soilihi, Mme Cécile Cukierman, MM. Dany Wattebled, Guy Benarroche, Mme Nathalie Delattre, vice-présidents ; Mmes Agnès Canayer, Muriel Jourda, M. André Reichardt, Mme Isabelle Florennes, secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Philippe Bas, Mme Nadine Bellurot, MM. Olivier Bitz, François Bonhomme, Hussein Bourgi, Ian Brossat, Christophe Chaillou, Mathieu Darnaud, Mmes Catherine Di Folco, Françoise Dumont, Jacqueline Eustache-Brinio, Françoise Gatel, Laurence Harribey, Lauriane Josende, MM. Éric Kerrouche, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Audrey Linkenheld, MM. Alain Marc, Hervé Marseille, Michel Masset, Mmes Marie Mercier, Corinne Narassiguin, M. Paul Toussaint Parigi, Mme Olivia Richard, M. Pierre-Alain Roiron, Mmes Elsa Schalck, Patricia Schillinger, M. Francis Szpiner, Mmes Lana Tetuanui, Dominique Vérien, M. Louis Vogel, Mme Mélanie Vogel.

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Sénat :

202 et 259 (2023-2024)

L'ESSENTIEL

Déposée le 12 décembre 2023, en réponse aux récents attentats d'Arras et de Bir-Hakeim, par François-Noël Buffet, Bruno Retailleau et Hervé Marseille, la proposition de loi a pour but, dans un contexte de persistance d'une menace terroriste très élevée et évolutive, de combler plusieurs lacunes de la législation pénale en vigueur et d'octroyer aux pouvoirs publics les moyens judiciaires et administratifs indispensables à une lutte antiterroriste efficace.

Bien que l'arsenal législatif antiterroriste ait été régulièrement complété au cours des dix dernières années, la commission des lois a considéré, suivant les conclusions du rapporteur, que ce texte - fruit d'une réflexion approfondie nourrie des observations et propositions des acteurs de la lutte antiterroriste - complétait utilement les prérogatives des autorités judiciaires et administratives en la matière.

Approuvant l'économie générale du texte, la commission a adopté vingt amendements du rapporteur visant, d'une part, à garantir la sécurité juridique et l'opérationnalité des dispositifs et, d'autre part, à compléter la proposition de loi par des mesures attendues par les acteurs judiciaires et administratifs de la lutte contre le terrorisme pour garantir l'efficacité de leur action et s'adapter aux évolutions récentes de la menace.

I. FACE À UNE MENACE TERRORISTE TRÈS ÉLEVÉE ET ÉVOLUTIVE, UN ARSENAL JURIDIQUE INCOMPLET

A. UNE MENACE ISLAMISTE PERSISTANTE, MISE EN LUMIÈRE PAR LES RÉCENTS ATTENTATS D'ARRAS ET DE BIR-HAKEIM

Trois phénomènes clairement identifiés par les acteurs de la lutte antiterroriste participent du maintien de la menace terroriste à un niveau très élevé en France.

Il s'agit, en premier lieu, des difficultés de prise en charge à l'issue de leur peine des condamnés terroristes, y compris ceux souffrant de troubles psychologiques ou psychiatriques.

Depuis l'été 2018, 486 détenus islamistes ont été libérés selon la DGSI. Selon l'appréciation portée par ses représentants devant le rapporteur, si plus de la moitié de ces sortants présentent aujourd'hui un profil considéré comme « désengagé », parmi l'autre moitié, aux profils plus ambivalents, certains restent ancrés dans l'idéologie radicale . L'acuité du suivi après leur peine des condamnés terroriste est aujourd'hui entière : la DGSI estime ainsi que « parmi les 391 détenus aujourd'hui incarcérés pour des faits de terrorisme, un noyau dur d'une cinquantaine d'individus présentent, à ce stade de leur peine qui est encore longue, un profil particulièrement inquiétant ».

Auditionné par le rapporteur, le procureur de la République antiterroriste a affirmé que cette problématique des sortants de détention était aujourd'hui nouvelle pour deux raisons cumulatives :

- leur nombre, estimé à 70 pour les deux prochaines années ;

leurs profils, dès lors que les deux prochaines années verront des sorties de détention d'individus ayant été condamnés, en moyenne, à des peines significativement plus lourdes que les détenus libérés ces trois dernières années.

De façon analogue, parmi les 5 200 objectifs inscrits au fichier de traitement des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste et suivis par la DGSI, 20 % présentent un trouble psychique documenté. Son directeur, Nicolas Lerner, a d'ailleurs récemment rappelé, sur ce point, que « sur les douze attentats que la France a connus depuis fin 2018, sept auteurs présentaient des troubles soit psychiatriques, dans un nombre restreint de cas, soit psychologiques ».

En deuxième lieu, il faut relever le caractère plus imprévisible des attaques terroristes qui sont désormais le plus souvent perpétrées par des individus solitaires ne s'étant jamais rendus sur des zones de combats, ne bénéficiant pas de l'appui de réseaux djihadistes très organisés, mais qui se sont radicalisés sur les réseaux sociaux et ont recours à des armes blanches vendues librement.

Cette évolution de la menace endogène inquiète particulièrement la DGSI, dont le directeur a récemment déclaré que, malgré l'investissement des services, ces individus « restent à la merci d'un passage à l'acte soudain, soit au terme d'un comportement dissimulateur, soit du fait d'une décompensation, sans qu'il y ait forcément de signes avant-coureurs, et parfois désorganisé ».

Il semblerait également que les groupes terroristes organisés et connus des services de renseignement aient opéré un changement stratégique visant, plutôt que d'inciter et de recruter des personnes susceptibles de se rendre sur des théâtres d'opérations, à endoctriner et provoquer à la commission d'actes de terrorisme sur le sol national des individus par des contacts opérés au moyen des réseaux sociaux.

Ainsi, le procureur national antiterroriste Jean-François Ricard a alerté le rapporteur sur le rôle essentiel joué par les réseaux sociaux pour alimenter les phénomènes « d'auto-radicalisation » qu'il juge « plus difficiles à suivre et à judiciariser » en l'état du droit puisqu'ils résultent de la consultation répétée de contenus en ligne à caractère religieux ou apologétique sans mise en relation, même virtuelle, avec un individu incitant explicitement au passage à l'acte.

En dernier lieu, la radicalisation croissante de mineurs, parfois particulièrement jeunes, s'opère désormais directement sur le territoire national.

Comme l'a rappelé le 6 décembre dernier Nicolas Lerner, « nous constatons depuis plus d'un an que la menace [islamiste] est de nouveau orientée à la hausse sous l'effet (...) d'abord d'une redynamisation de la mouvance endogène, singulièrement portée par de très jeunes individus ».

Le profil de ces jeunes n'est pas sans interroger les services qui rapportent que dans plusieurs affaires - parfois traitées avec les services d'autres États européens, dans la mesure où ce phénomène n'est pas que français -, ces jeunes individus ne fréquentaient pas de mosquées ni des lieux de socialisation mais se structuraient en ligne, sur les réseaux sociaux, à travers un « enfermement idéologique et numérique très préoccupant ».

Partageant ce constat lors de son audition, le procureur national antiterroriste de la République a affirmé observer en 2023 une nette augmentation des mineurs impliqués pour des faits de terrorisme, 14 mineurs ayant été mis en examen pour des faits exclusivement commis en tant que mineurs dont 4 étaient âgés de moins de 16 ans. Abondant en ce sens, la direction de la protection judiciaire de la jeunesse a affirmé pour sa part que « 2023 constitue la troisième année ayant connu le plus de mise en examen de mineurs, les deux autres étant 2016 et 2017 (...) et concernaient plutôt des tentatives de départs sur zone irako-syrienne » mais observe désormais « des profils de mineurs plus jeunes et également avec des projets d'attentats assez aboutis ».

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