EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 24 janvier 2024, sous la présidence de M. Cédric Perrin, président, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a procédé à l'examen du rapport de M. Jérôme Darras sur le projet de loi n° 50 (2023-2024) autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Land du Bade-Wurtemberg relatif à la création d'une compagnie de gendarmerie fluviale franco-allemande sur le Rhin.

M. Jérôme Darras, rapporteur. - L'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Land du Bade-Wurtemberg relatif à la création d'une compagnie de gendarmerie fluviale franco-allemande sur le Rhin, signé à Strasbourg le 6 juillet 2022, s'inscrit dans le prolongement naturel d'une coopération bilatérale de plus de cent cinquante ans. Elle remonte en effet à l'Acte de Mannheim du 17 octobre 1868, qui crée la commission centrale pour la navigation du Rhin, laquelle constitue la plus ancienne organisation internationale au monde.

La Convention d'application de l'accord de Schengen, signée le 19 juin 1990, qui permet aux États parties de conclure entre eux des accords ou arrangements d'exécution, constitue le socle juridique de l'accord, lequel constitue un objet original et particulièrement remarquable à plusieurs titres.

Tout d'abord, on soulignera qu'il est conclu, côté allemand, au niveau du Land et non au niveau fédéral : en effet, la Loi fondamentale allemande désigne expressément les Länder comme les entités compétentes pour contracter ce type d'engagement.

Ensuite, la démarche qui a présidé à la genèse de la compagnie de gendarmerie fluviale franco-allemande (CG2FA) est remarquable, et à maints égards exemplaire : le projet, lancé par les acteurs de terrain eux-mêmes, a donné lieu à la mise en place, dès 2011, d'une version expérimentale de la compagnie binationale dans le cadre d'un arrangement administratif entre le commandant de la région de gendarmerie d'Alsace et le ministre de l'intérieur du Land du Bade-Wurtemberg ; le pragmatisme est demeuré le maître mot de l'organisation opérationnelle de la compagnie, et c'est le retour d'expérience des acteurs de terrain, durant plus de dix années, qui a permis la validation ou l'adaptation des modalités initiales en vue du futur accord. Cette démarche expérimentale et pragmatique est pour beaucoup dans la réussite du projet.

La compagnie fluviale commune constitue un concept tout à fait novateur, puisqu'elle est la première unité bilatérale pérenne à caractère opérationnel. La CG2FA, qui n'a pas de personnalité juridique propre, est constituée de deux contingents - l'un français, l'autre allemand -, commandés chacun par un chef de détachement qui n'a autorité que sur son propre contingent. Ainsi, les règles nationales de subordination hiérarchique et d'autorité disciplinaire de chacun des deux États demeurent pleinement applicables. Elle regroupe cinq unités, trois françaises et deux allemandes, pour un effectif de cinquante-six agents. Ces unités sont appelées à participer à des patrouilles et à des interventions communes, qui ont été progressivement généralisées sur les quelque 164 kilomètres du Rhin franco-allemand. Dans ce cadre, chacune des deux parties peut exercer des prérogatives de puissance publique sur le territoire de l'autre État, mais uniquement sous la direction et en présence d'agents territorialement compétents, et dans le respect du droit national, de sorte que la souveraineté policière de chaque partie demeure pleinement assurée sur son territoire.

Les principales missions de la CG2FA concernent la surveillance et le contrôle de la navigation fluviale, la poursuite des infractions, crimes, délits et contraventions, la réalisation de patrouilles communes terrestres, la constatation des accidents en lien avec la navigation fluviale et, plus ponctuellement, des missions de police fluviale à l'occasion d'événements particuliers. De plus, dans le domaine des recherches subaquatiques, la compagnie fluviale dispose d'une compétence reconnue, qui la conduit à être régulièrement sollicitée hors de la zone rhénane.

Le partenariat mis en place s'applique dans d'excellentes conditions. Il repose avant tout sur la qualité des relations tissées entre les personnels de part et d'autre. À cet égard, l'existence de locaux communs encourage les contacts entre les deux détachements, dans un esprit de convivialité et d'entraide qui est une réalité quotidienne sur le terrain.

Condition indispensable à la parfaite coopération entre les agents des deux États, tous les gendarmes français servant au sein de la compagnie fluviale possèdent un niveau d'allemand suffisant pour communiquer de manière fluide avec leurs homologues germaniques, et réciproquement pour les policiers allemands.

S'agissant des moyens matériels, la règle est la mutualisation : cela permet d'importantes économies en investissement comme en fonctionnement. Par exemple, un mécanicien civil allemand, en assurant la maintenance et la réparation des équipements tant français qu'allemand, représente un maillon essentiel de la coopération observée sur le terrain.

Globalement, l'effort financier est équitablement réparti. De plus, la mutualisation des moyens matériels entraîne une source d'économies significative et correspond à un montage financier efficace en vue de l'obtention de financements européens, comme cela a été le cas pour l'acquisition d'une vedette et d'un sonar dans le cadre du programme européen Interreg de coopération territoriale européenne.

Sur le terrain, les résultats sont là. En 2023, la compagne fluviale commune a à son actif - pour une cinquantaine d'agents - la constatation de 1124 infractions (contre 829 en 2018), soit 48 délits et 1076 contraventions ; elle a mené 672 patrouilles. Parmi ses actions notables : des missions de surveillance du canal jouxtant le Parlement européen de Strasbourg lors de visites officielles ; la participation de plongeurs aux recherches à la suite de la disparition de la jeune Lina ; une intervention lors d'un dramatique accident nautique à hauteur de Gerstheim.

L'accord qui vous est soumis aujourd'hui intervient ainsi au terme d'une expérimentation de plus de dix années, qui a démontré la pertinence du modèle binational et sa parfaite efficacité sur le terrain. Il a pour enjeu de pérenniser les acquis de l'arrangement administratif de 2011 et d'offrir le cadre indispensable à la sécurité juridique des actions conduites sur le territoire national de l'autre partie. En conséquence, je préconise l'adoption de ce projet de loi.

Le projet de loi est adopté, à l'unanimité, sans modification.

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