EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er
Confidentialité des consultations juridiques des juristes d'entreprise

L'article 1er tend à faire bénéficier les consultations juridiques rédigées par un juriste d'entreprise ou un membre de son équipe placé sous son autorité d'un privilège de confidentialité. La reconnaissance de cette confidentialité serait attachée au respect de certaines conditions matérielles liées à l'acte - in rem - et non à la personne du juriste d'entreprise en tant que telle - in personam. Ces conditions tiendraient à la qualification et à la formation de l'auteur, à la qualité ou la fonction du destinataire ainsi qu'à l'apposition d'une mention distinguant explicitement la consultation juridique concernée comme confidentielle. L'apposition frauduleuse de cette mention serait punissable des peines prévues pour faux. Cette confidentialité s'attacherait également aux documents préparatoires à une consultation juridique.

Il découlerait de cette confidentialité l'insaisissabilité et l'inopposabilité des documents concernés dans le cadre de procédures ou de litiges en matière civile, commerciale ou administrative. À l'inverse, cette confidentialité serait privée d'effet dans le cadre d'une procédure pénale et fiscale. La confidentialité d'un document saisi dans le cadre de procédures ou litiges en matière civile, commerciale ou administrative pourrait être contestée ou levée en saisissant, selon le cas, le président de la juridiction ayant ordonné la mesure d'exécution ou le juge des libertés et de la détention ayant autorisé l'opération de visite à l'occasion de laquelle la saisie du document concerné a été réalisée. Dans ce second cas, la décision du juge des libertés et de la détention pourrait faire l'objet d'un appel devant le premier président de la cour d'appel.

La commission a exprimé son accord avec le principe d'une confidentialité attachée, sous certaines conditions, aux consultations juridiques rédigées par des juristes d'entreprise. Elle a néanmoins souhaité, sur proposition de la rapporteure, renforcer et consolider le dispositif à trois égards.

En premier lieu, la commission a souhaité renforcer les conditions ouvrant le bénéfice de la confidentialité aux consultations juridiques, en particulier s'agissant de la qualification et de la formation des juristes d'entreprise ainsi que des destinataires des consultations juridiques qu'ils rédigent.

En deuxième lieu, elle a entendu modifier les conséquences juridiques qu'emporte la rédaction de consultations juridiques confidentielles par les juristes d'entreprise, en modifiant à la marge la sanction attachée à l'apposition indue de la mention distinctive de la confidentialité de celles-ci et en élargissant le champ des procédures dans lesquelles une telle confidentialité est inopposable.

En troisième lieu la commission a précisé et mieux encadré la procédure de contestation ou de demande de levée de la confidentialité des consultations juridiques des juristes d'entreprise.

La commission a adopté l'article 1er ainsi modifié.

1. Le statut et les prérogatives des juristes d'entreprise : un débat trentenaire

L'opportunité de l'octroi d'une confidentialité aux avis des juristes d'entreprise a fait l'objet de longue date d'un débat. Initialement structuré autour de la question du statut du juriste d'entreprise, ce débat a récemment été renouvelé par les enjeux de conformité, d'extraterritorialité de certains droits nationaux et d'attractivité juridique pour se recentrer autour de l'octroi d'une confidentialité « in rem ».

1.1. De l'intégration à la profession d'avocat à la création de l'avocat en entreprise : le statut longtemps discuté des juristes d'entreprise

Les réformes conduites, à partir des années 1970, tendant à réformer la profession d'avocat ont régulièrement posé la question de ses contours et, ce faisant, celle du statut exact à attribuer aux juristes d'entreprise.

Faisant suite à la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, qui a fusionné les professions d'avocat et d'avoué de première instance6(*), le rapport rendu par Daniel Soulez-Larivière, membre du conseil de l'Ordre des avocats du Barreau de Paris, préconisait de parachever cette « petite fusion »7(*) en fusionnant les professions d'avocat et de conseil juridique8(*). Ce faisant, il proposait également « l'accueil des juristes d'entreprise dans la profession unique avec définition de leurs conditions d'exercice ». Les conditions ouvrant aux juristes d'entreprise l'accès à la profession d'avocat étaient ainsi liées aux qualifications et à la durée d'exercice par les juristes d'entreprise de leur profession9(*). Si l'accès ainsi ouvert à la profession d'avocat n'avait pas vocation à donner la possibilité de plaider ni de voter au conseil de l'Ordre, il devait permettre d'observer « les mêmes règles de confidentialité d'échanges de correspondances ».

Si la loi n° 90-1259 du 31 décembre 1990 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques prévoit bien la fusion des professions d'avocat et de conseil juridique, et reconnaît explicitement aux juristes d'entreprise le droit de « donner des consultations juridiques et rédiger des actes sous seing privé relevant de l'activité desdites entreprises », elle ne prévoit nulle fusion entre la profession unique ainsi créée et celle des juristes d'entreprise. Demeure depuis lors la coexistence de deux professions distinctes : celle d'avocat, indépendante et structurée en particulier par un fonctionnement de nature ordinale ; celle de juriste d'entreprise, qui se caractérise par une relation salariale à une entreprise donnée et l'absence d'organisation ordinale.

Plusieurs rapports ont dès lors remis en cause le statut des juristes d'entreprise et argué de la nécessité d'intégrer les juristes d'entreprise au sein de la profession d'avocat pour créer une « grande profession du droit », ou de doter les juristes d'entreprise d'un statut à part entière. Le rapport d'Henri Nallet au Premier ministre relatif aux réseaux pluridisciplinaires et aux professions du droit se faisait ainsi en 1999 l'écho du souhait exprimé par les représentants des juristes d'entreprise de voir leur activité mieux reconnue10(*). Il relevait ainsi : « plutôt que de proposer un statut spécifique de juriste d'entreprise, qui aurait l'inconvénient essentiel de créer une nouvelle profession là où l'offre est sans doute déjà pléthorique, nous suggérons que les juristes d'entreprise puissent, sous certaines conditions de diplômes, de formation et d'expérience professionnelle, être inscrits au tableau de l'Ordre des avocats tout en continuant à exercer leur profession au sein de leur entreprise. Cette inscription entraînerait, naturellement, soumission à la déontologie de la profession d'avocat. »

Relancé en 2004, le débat est nourri par le rapport d'un groupe de travail dirigé par Marc Guillaume, alors directeur des affaires civiles et du sceau, remis au garde des sceaux Dominique Perben en 200611(*), qui franchit une étape supplémentaire en se prononçant en faveur du rapprochement entre les professions d'avocat et de juriste d'entreprise12(*). Le rapport précise ainsi voir des avantages à un tel rapprochement tant pour les juristes d'entreprise - qui « face à leurs homologues étrangers, notamment anglo-saxons, qui bénéficient du statut d'avocat et donc de la confidentialité de leurs avis juridiques ("legal privilege"), (...) apparaissent en situation de faiblesse », cette « différence de statut [induisant] une certaine réticence des groupes internationaux à localiser en France des responsabilités juridiques importantes ou les [conduisant] à les confier à des avocats étrangers » - que pour les avocats eux-mêmes en apportant un renfort d'effectifs bienvenu et en fluidifiant la conduite de la carrière, en particulier chez les jeunes avocats.

Enfin, le rapport sur les professions du droit, rédigé en 2009 par une commission présidée par l'avocat Jean-Michel Darrois, franchit une ultime étape en proposant la création d'un statut juridique à part entière pour les avocats en entreprise, incluant l'octroi d'un secret professionnel pour leurs consultations juridiques, au même titre que leurs « collègues libéraux »13(*).

Cette initiative est concrétisée en 2014 par l'insertion à l'article 21 du projet de loi pour la croissance et l'activité, porté par Emmanuel Macron, alors ministre de l'économie, d'une habilitation du Gouvernement à légiférer par voie d'ordonnance pour créer la profession d'avocat en entreprise. Supprimée en commission spéciale à l'Assemblée nationale, cette disposition mort-née n'est pas réintroduite au cours de la navette parlementaire et signe le maintien définitif d'un statu quo concernant le statut des juristes d'entreprise.

1.2. Le renouveau d'une réflexion sur l'opportunité d'une confidentialité « in rem »

Face à ce statu quo, a progressivement été demandée la consécration de l'un des principaux attributs liés au statut d'avocat dont ne bénéficient pas les juristes d'entreprise : la confidentialité des avis qu'ils rendent dans le cadre de leurs fonctions.

Notions voisines mais distinctes : le secret professionnel,
la confidentialité et le « legal privilege »

« Le respect du secret professionnel de l'avocat trouve son fondement dans l'article 226-13 du code pénal. Il est absolu, général et illimité dans le temps. Les perquisitions dans les cabinets d'avocat sont encadrées par des règles qui garantissent le respect du secret professionnel et des droits de la défense. En revanche, même si les juristes d'entreprise sont soumis au secret professionnel, leurs écrits ne sont soumis à aucune protection particulière en cas d'enquêtes judiciaires ou administratives.

« La confidentialité des correspondances échangées entre l'avocat et ses confrères est une règle traditionnelle interne à la profession et fondée sur les principes de confraternité et de loyauté. Elle interdit à l'avocat de produire en justice une correspondance qui lui a été adressée par un confrère, par exemple dans le cadre de pourparlers en vue de conclure une transaction, sauf si elle porte la mention « officielle ».

« Contrairement au secret professionnel, dans les systèmes de common law, la notion de « legal privilege » désigne le droit d'un client, (et non l'obligation de l'avocat) ayant reçu un avis juridique d'un avocat de refuser de produire tout document contenant cet avis dans le cadre d'une procédure civile, pénale ou administrative. Dès lors qu'un client a reçu une consultation d'une personne inscrite au barreau, elle peut de façon discrétionnaire refuser de la remettre aux enquêteurs ou aux juridictions. »

Source : rapport du groupe de travail dirigé par Marc Guillaume, précité

Cette confidentialité n'a pas été reconnue par la jurisprudence européenne au conseil juridique interne d'une entreprise. En 2010, la Cour de justice de l'Union européenne a ainsi rejeté le pourvoi formé contre un arrêt rendu en 2007 par le Tribunal de première instance des Communautés européennes (TPICE) qui avait jugé, s'appuyant sur la jurisprudence dite « AM & S » de la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE), que la confidentialité des communications entre une entreprise et ses avocats internes (ou juristes d'entreprise) n'est pas protégée et que c'est à bon droit que la Commission européenne avait pu, dans une procédure relative au respect du droit de la concurrence, solliciter la communication d'échanges entre les dirigeants d'une société et l'équipe d'avocats interne à celle-ci.

L'affaire « Akzo »

Lors d'un contrôle sur place dans les locaux de l'entreprise Akzo Nobel Chemicals, établie au Royaume-Uni, par la Commission européenne, agissant en tant qu'autorité de la concurrence, les dirigeants avaient invoqué la règle de confidentialité entre avocats et clients pour protéger deux copies écrites de courriers électroniques qu'ils avaient échangés avec l'avocat interne de l'entreprise, inscrit au barreau néerlandais. La Commission avait considéré à l'inverse que ces échanges n'étaient pas protégés par la confidentialité des communications entre avocats et clients et rejeté la demande subséquente formulée par les entreprises Akzo Nobel Chemicals et Akcros visant à obtenir la protection de ces documents.

Saisi de l'affaire en 2007, le TPICE donne raison à la Commission14(*). Saisie du pourvoi en 2010, la Cour de justice de l'Union européenne suit l'appréciation du tribunal de première instance en jugeant qu'il a fait une interprétation exacte de son arrêt « AM & S » de 1982, dans lequel elle avait jugé que la confidentialité des communications entre un client et son avocat est liée au respect de deux conditions cumulatives : d'une part, l'échange avec l'avocat doit être lié à l'exercice du « droit de la défense du client » et, d'autre part, il doit s'agir d'un échange émanant « d'avocats indépendants », c'est-à-dire « d'avocats non liés au client par un rapport d'emploi »15(*). Relevant que « l'avocat interne ne saurait, quelles que soient les garanties dont il dispose dans l'exercice de sa profession, être assimilé à un avocat externe du fait de la situation de salariat dans laquelle il se trouve, situation qui, par sa nature même, ne permet pas à l'avocat interne de s'écarter des stratégies commerciales poursuivies par son employeur et met ainsi en cause sa capacité à agir dans une indépendance professionnelle », la Cour juge que « l'exigence d'indépendance implique l'absence de tout rapport d'emploi entre l'avocat et son client, si bien que la protection au titre du principe de la confidentialité ne s'étend pas aux échanges au sein d'une entreprise ou d'un groupe avec des avocats internes »16(*).

Sollicitées par la rapporteure, la direction des affaires civiles et du sceau (DACS) comme la direction générale du Trésor ont estimé que l'absence de reconnaissance par la CJUE de la confidentialité des échanges entre les juristes d'entreprise et leur employeur ne résulte pas en une « interdiction formelle » faite aux États membres de « reconnaître la confidentialité des consultations des juristes d'entreprises dans les procédures internes ».

Dès lors, la question de la reconnaissance en droit national de la confidentialité des consultations des juristes d'entreprise a été posée, celle-ci étant présentée comme un élément de réponse à trois défis auxquels est confronté l'environnement juridique national : l'application extraterritoriale par certaines autorités étrangères de leur droit national ; l'attractivité de la place de Paris ; la mutation du rôle du juriste d'entreprise en raison de l'émergence de la culture de la « conformité » - ou « compliance » - et de la multiplication des textes auxquels les entreprises doivent se conformer.

En premier lieu, à la suite de la condamnation de la banque BNP Paribas par la justice américaine au paiement d'une amende de 8,9 milliards de dollars pour avoir enfreint une loi américaine, l'International Emergency Economic Powers Act, la question de la confidentialité des consultations des juristes d'entreprise s'est insérée dans le débat sur l'extraterritorialité du droit américain. Constatant que « la France est (...) une des rares grandes puissances économiques à ne pas protéger la confidentialité des avis juridiques en entreprise », le rapport du député Raphaël Gauvain17(*) estimait en 2019 que « cette lacune fragilise nos entreprises et contribue à faire de la France une cible de choix et un terrain de chasse privilégié pour les autorités judiciaires étrangères, notamment les autorités américaines. »

Dans cette perspective, dont se sont faites l'écho plusieurs personnes auditionnées par la rapporteure, la relative inefficacité des lois de blocage résiderait notamment dans le défaut de protection de la confidentialité des consultations juridiques des juristes d'entreprise, qui serait davantage respectée par un juge issu d'un pays de « common law » - américain notamment - qu'une décision administrative de blocage, à laquelle les autorités administratives et judiciaires françaises ne se soumettraient pas elles-mêmes.

Procédant à une comparaison internationale avec les principaux partenaires économiques de la France, le rapport soulignait au demeurant « qu'au-delà des pays de "common law", de nombreux autres pays développés, de culture et traditions juridiques différentes, y compris des pays européens de culture juridique de droit civil, ont progressivement adapté ou modifié leur droit de façon à assurer à leurs juristes d'entreprise des conditions de travail leur permettant d'exercer leurs compétences dans un environnement sécurisé, en protégeant la confidentialité des avis juridiques en entreprise », comme l'illustre le tableau ci-dessous.

Règles de confidentialité des avis juridiques applicables aux avocats
en entreprise dans les principaux pays partenaires de la France en 2019

Source : rapport de Raphaël Gauvain précité

En deuxième lieu, l'attribution de la confidentialité aux consultations juridiques des juristes d'entreprise a été présentée comme un atout dans l'acculturation des entreprises au droit de la « conformité ». Comme le rappelle la professeure Marie-Anne Frison-Roche18(*), les entreprises sont confrontées à un changement de culture normative, « le droit de la compliance, dont la réussite dépend de la connaissance que l'entreprise a de ses propres faiblesses constituées par ses non-conformités ». Ainsi, « le droit de la compliance, illustré par exemple par la loi dite « Sapin II » de 2016, par le règlement général sur la protection des données de 2016, par la loi dite « Vigilance » de 2017, confie (...) aux entreprises le soin, le devoir, parfois l'obligation, de prendre à leur charge la concrétisation des textes ». Dans ce cadre, « l'alerte est un mécanisme-clé de la compliance » et il est « indispensable que de l'intérieur les risques de manquement soient portés à la connaissance des managers et que cela n'entraîne pas pour l'entreprise et ses dirigeants une condamnation pour des fautes passées et inconnues ».

En d'autres termes, le risque d'auto-incrimination de l'entreprise inhiberait les juristes d'entreprise à jouer le rôle d'alerte qui leur est de facto dévolu par le droit de la conformité et contraindrait ceux-ci à se limiter à des alertes orales ou à communiquer à leur direction d'entreprise par le truchement d'un avocat afin de garantir la confidentialité de la consultation ainsi donnée.

En dernier lieu, le groupe de travail relatif à la justice économique et commerciale, piloté par Jean-Denis Combrexelle dans le cadre des états généraux de la justice, s'est prononcé en faveur de la confidentialité des avis des juristes d'entreprise, en insistant en particulier sur l'atout qu'une telle disposition représenterait pour l'attractivité de la France. Il a ainsi relevé que « le sujet de la confidentialité des notes et avis des juristes d'entreprises doit être traité, sans a priori, en lien avec l'attractivité de la place de Paris, sans l'enfermer dans un débat sur la transposition du legal privilege en droit français ou l'intégration des juristes dans une grande profession du conseil, de la défense et de la représentation juridique, qui sont des sujets bien plus vastes19(*). » Fort de cette approche pragmatique, il se prononce en faveur de l'octroi d'une confidentialité « in rem », attachée au respect de certaines conditions à définir.

Élément parmi d'autres d'une question statutaire plus vaste, liée à la reconnaissance de la profession de juriste d'entreprise, la confidentialité des consultations juridiques des juristes d'entreprise a donc progressivement été conçue à part entière comme un atout pour l'attractivité économique de la place juridique de Paris et un outil efficace de lutte contre l'action extraterritoriale de certaines autorités étrangères. Elle a ainsi été adoptée dans son principe par le Parlement à l'automne 2023.

2. Une proposition de loi qui reprend l'attribution déjà adoptée par le Parlement d'une confidentialité « in rem » aux consultations juridiques des juristes d'entreprise

2.1. Un dispositif déjà adopté par le Parlement

Les dispositions relatives à la confidentialité des consultations juridiques des juristes d'entreprises ont été ajoutées au projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 par voie d'amendement en première lecture au Sénat20(*), puis précisées lors des débats à l'Assemblée nationale21(*).

Le dispositif du IV de l'article 49 de la loi tel que voté par les deux assemblées prévoyait ainsi l'octroi de la confidentialité aux consultations juridiques des juristes d'entreprise, sans définir précisément celles-ci. Les consultations juridiques couvertes par la confidentialité devraient respecter quatre critères :

- qualification : le juriste d'entreprise qui les rédige devait être titulaire d'un master en droit ou équivalent ;

- formation : le juriste d'entreprise devait avoir suivi des formations initiale et continue en matière de déontologie ;

- destination : les consultations devaient être adressées à certains membres de l'entreprise ;

- matériel : les consultations devaient porter une mention écrite les identifiant comme soumises à la confidentialité. L'apposition frauduleuse de cette mention était passible des sanctions prévues par le code pénal pour faux et usage de faux.

Les principales conséquences juridiques attachées à cette confidentialité étaient l'insaisissabilité et l'inopposabilité du document concerné dans le cadre de procédures ou litiges en matière civile, commerciale ou administrative. À l'inverse, la confidentialité ne pouvait être opposée en matière pénale ou fiscale.

Enfin, le dispositif ainsi adopté par le Parlement prévoyait une procédure de contestation - lorsque les critères de confidentialité ne seraient pas réunis - ou de levée de la confidentialité - lorsqu'il serait jugé que la consultation aurait eu pour finalité d'inciter à ou de faciliter la commission de manquements - d'un document confidentiel saisi, placée selon le cas sous l'autorité du juge des libertés et de la détention ou du président de la juridiction ayant ordonné la mesure d'exécution à l'occasion de laquelle la saisie a été réalisée. Pour les décisions du juge des libertés et de la détention, le premier président de la cour d'appel du ressort pouvait être saisi en appel.

Si ce dispositif avait recueilli l'accord des représentants des juristes d'entreprise, la profession d'avocat s'était divisée sur l'opportunité de le soutenir. La Conférence des bâtonniers y avait été défavorable, de même que le Conseil national des barreaux, qui s'était opposé par une résolution du 3 juillet 2023 « à la reconnaissance d'un privilège de confidentialité (legal privilege) couvrant les avis, consultations et correspondances émis par les juristes d'entreprise au sein de celle-ci, qui aboutirait à la création d'une nouvelle profession réglementée et à l'affaiblissement du secret professionnel de l'avocat au préjudice des entreprises et des particuliers22(*). » À l'inverse, le Barreau de Paris s'était montré favorable à cette mesure par une motion adoptée lors de son conseil de l'ordre du 13 juin 2023. Les auditions conduites par la rapporteure n'ont pas été l'occasion de constater un changement de position de ces trois instances23(*).

Le dispositif avait également suscité l'inquiétude de trois autorités administratives indépendantes - l'Autorité de la concurrence, l'Autorité des marchés financiers et l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution - estimant que leurs pouvoirs de contrôle et d'enquête seraient amoindris par une telle mesure.

Malgré cette opposition, le dispositif décrit ci-avant a été adopté par le Parlement. Il a néanmoins été censuré par le Conseil constitutionnel, son adoption ayant été jugée contraire à l'article 45 de la Constitution24(*). Si le juge constitutionnel ne s'est donc pas prononcé sur la constitutionnalité du dispositif au fond25(*), la constitutionnalité d'une telle disposition ne semble pas faire de doute, au regard non seulement du but d'intérêt général poursuivi, mais également du caractère circonscrit de la limitation des pouvoirs d'enquête de ces autorités et de l'ouverture de la possibilité d'une contestation ou d'une demande de levée de la confidentialité.

2.2. Une proposition de loi très similaire au dispositif adopté par le Parlement

L'unique article de la présente proposition de loi reprend l'essentiel des termes du dispositif censuré par le Conseil constitutionnel. Cependant, plusieurs évolutions substantielles sont à noter.

En premier lieu, le texte de la présente proposition de loi prévoit une définition de la consultation juridique, qui consiste en « une prestation intellectuelle personnalisée tendant, sur une question posée, à la fourniture d'un avis ou d'un conseil fondé sur l'application d'une règle de droit en vue, notamment, d'une éventuelle prise de décision ».

Cette définition reviendrait notamment à étendre le périmètre de la confidentialité, qui porterait également sur les « documents préparatoires », mais non sur « les éléments de fait portés à la connaissance du juriste en vue de la rédaction de la consultation juridique ».

En outre, la présente proposition de loi tend à élargir le nombre de destinataires des consultations juridiques, en y ajoutant les responsables de service opérationnel de l'entreprise.

Elle abaisse également la condition de qualification, en prévoyant qu'une simple maîtrise pourrait permettre à un juriste d'entreprise de revêtir ses consultations juridiques de la confidentialité.

Enfin, la présente proposition de loi tend à réduire le nombre de cas où la confidentialité ne serait pas opposable. Seul le cadre d'une procédure « pénale et fiscale », et non plus « pénale ou fiscale » serait concerné. Plus restrictive car cumulative, cette condition viendrait donc étendre le champ des procédures dans lesquelles l'insaisissabilité et l'inopposabilité des documents couverts par la confidentialité s'appliqueraient.

3. La position de la commission : entériner le principe de la confidentialité des consultations juridiques des juristes d'entreprise tout en sécurisant le dispositif

3.1. Acter le principe d'une confidentialité des consultations juridiques des juristes d'entreprise

Suivant la position qu'elle avait déjà adoptée lors de l'examen du projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027, la commission a souhaité accorder aux juristes d'entreprise le bénéfice d'une confidentialité dans le cadre des consultations juridiques qu'ils sont amenés à rédiger.

Il lui a en particulier paru que l'octroi de cette confidentialité répondait effectivement à trois impératifs :

- d'une part, la nécessité de prémunir les entreprises françaises contre les difficultés posées par l'extraterritorialité du droit, américain en particulier ;

- d'autre part, l'importance de favoriser l'attractivité juridique de la place de Paris ;

- enfin, l'importance de faciliter l'appropriation par les entreprises des exigences de la « conformité », qui impliquent un changement de culture juridique, le rôle du juriste d'entreprise étant non plus seulement celui d'un conseil juridique interne mais également d'un responsable d'une production normative internalisée et de l'alerte de sa direction générale sur d'éventuelles irrégularités de pratiques de l'entreprise au regard du cadre juridique particulièrement dense que celle-ci doit respecter aujourd'hui.

Guidée par ces objectifs, partagés par de nombreux rapports administratifs et parlementaires évoqués ci-avant, la commission a estimé que l'inaction n'était plus une option et a choisi d'acter dans son principe l'octroi d'une confidentialité aux consultations juridiques des entreprises. Ce faisant, elle a néanmoins attaché une attention particulière au respect de deux principes et a en conséquence recherché la solution la plus consensuelle et équilibrée.

En premier lieu, mesurant pleinement l'inquiétude que suscite une telle mesure parmi certains représentants de la profession d'avocat26(*), la commission s'est attachée à ce que la présente proposition de loi ne constitue pas la création, par effraction, d'une nouvelle profession réglementée, disposant d'un statut apparenté à celui d'une hypothétique profession d'avocat en entreprise, potentiellement plus favorable que celle des avocats. À supposer qu'elle doive être menée à son terme, une telle réforme ne saurait être conduite que sur le fondement d'un consensus avec la profession d'avocat elle-même et ne saurait en toute hypothèse, au regard de son caractère structurant, être réalisée dans le cadre d'une proposition de loi adoptée sans étude d'impact.

En second lieu, la commission a souhaité tenir compte des inquiétudes exprimées par plusieurs autorités administratives indépendantes - en particulier l'Autorité de la concurrence, l'Autorité des marchés financiers ainsi que l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution - qui ont souligné qu'une confidentialité excessivement protégée pourrait nuire indûment à la conduite de leurs contrôles et enquêtes. Souhaitant ménager un équilibre entre l'effectivité de la confidentialité ainsi attribuée aux consultations juridiques des juristes d'entreprise et le maintien de pouvoirs de contrôle et d'enquête permettant à ces autorités d'assurer efficacement leurs missions, la commission s'est attachée à renforcer la procédure de contestation ou de levée de la confidentialité des documents susceptibles d'intéresser ces autorités.

Relevant à ce double égard les insuffisances du dispositif de la présente proposition de loi, la commission a néanmoins estimé qu'au bénéfice de l'adoption - avec l'accord de l'auteur de la proposition de loi - des amendements COM-1, COM-2 et COM-3 de la rapporteure, ces principes étaient respectés.

3.2. Renforcer les conditions ouvrant le bénéfice de la confidentialité aux consultations juridiques

En premier lieu, la commission a souhaité, par l'adoption - avec l'accord de l'auteur du texte - de l'amendement COM-1 de la rapporteure, renforcer les conditions ouvrant le bénéfice de la confidentialité aux consultations juridiques des juristes d'entreprise.

D'une part, la commission a souhaité renforcer la condition de qualification, en prévoyant que seuls les juristes d'entreprise titulaires d'un master en droit pourront voir leurs consultations bénéficier de la confidentialité. Une simple maîtrise en droit paraîtrait à cet égard insuffisante. Afin de ne pas pénaliser les juristes d'entreprise ayant déjà achevé leur formation initiale, la commission a néanmoins adopté - avec l'accord de l'auteur - une disposition transitoire tendant à prévoir que les juristes d'entreprise titulaires d'une maîtrise et de huit ans d'expérience sont considérés, pour l'application de cette disposition, comme ayant un master (amendement COM-2 de la rapporteure).

D'autre part, poursuivant l'objectif de ne pas créer de nouvelle profession réglementée, la commission a modifié, par l'adoption du même amendement COM-1 de la rapporteure, la condition de formation pour en supprimer la notion de « déontologie », source de confusion avec les spécificités propres à la profession d'avocat. Les juristes d'entreprise devraient ainsi justifier du suivi de formations initiale et continue non en déontologie mais relatives à la rédaction de consultations juridiques. De telles formations viseraient en particulier à les informer précisément sur les conditions dans lesquelles le bénéfice de la confidentialité peut être accordé à une consultation juridique. En cohérence avec l'objectif d'éviter la création d'une nouvelle profession réglementée, a également été supprimée la commission amenée à se prononcer sur les formations ainsi dispensées aux juristes d'entreprise.

La rapporteure a relevé avec intérêt la proposition formulée lors de son audition par le directeur des affaires civiles et du sceau, Rémi Decout-Paolini, tendant à octroyer la responsabilité de cette formation aux centres régionaux de formation professionnelle des avocats (CRFPA). La rapporteure a néanmoins jugé douteuse la recevabilité financière d'une telle initiative parlementaire, les CRFPA recevant pour leur financement une contribution de l'État27(*).

Enfin, la commission a souhaité restreindre le champ des destinataires des consultations juridiques susceptibles d'être revêtues de la confidentialité. L'ajout par la proposition de loi à la liste des destinataires des « responsables de service opérationnel », fonction mal identifiée dans le droit en vigueur, paraît ainsi préjudiciable au dispositif. La commission a en conséquence supprimé cette fonction de la liste des destinataires, par l'adoption de l'amendement COM-1 de la rapporteure.

3.3. Préciser les conséquences juridiques générales attachées à la rédaction de consultations juridiques confidentielles

La commission a également souhaité, par l'adoption du même amendement COM-1 de la rapporteure, préciser les conséquences juridiques générales attachées à la rédaction par les juristes d'entreprise de consultations juridiques confidentielles.

D'une part, la commission a souhaité modifier la sanction pénale attachée à l'apposition indue de la mention « confidentiel - consultation juridique - juriste d'entreprise ». En effet, la sanction pénale actuellement prévue par la proposition de loi est celle attachée à la production d'un faux, soit aux termes de l'article 441-1 du code pénal28(*), une altération frauduleuse de la vérité. Or, en l'espèce, l'apposition indue de cette mention sur un document, afin de le couvrir d'une confidentialité dont il n'a pas vocation à être revêtu en vertu des dispositions de la présente proposition de loi, constitue moins une altération frauduleuse de la vérité que la violation des conditions d'exercice de la profession de juriste d'entreprise posées par le législateur.

La commission a donc aligné la sanction d'un tel comportement sur celle déjà prévue à l'article 66-2 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques pour la fourniture de consultations ou la rédaction d'actes sous seing privé en violation des obligations légales encadrant ces activités. Celle-ci prévoit ainsi la sanction de tels comportements à hauteur d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende.

D'autre part, la commission a prévu que la confidentialité n'est pas opposable dans le cadre d'une procédure pénale ou fiscale. La présente proposition de loi prévoyait que la confidentialité des consultations juridiques ne serait pas opposable dans le seul cas d'une procédure pénale et fiscale. La limitation d'une telle inopposabilité aux procédures à la fois pénales et fiscales aboutirait pourtant à n'ouvrir le bénéfice de cette inopposabilité qu'à un nombre très réduit de procédures.

3.4. Consolider la procédure de contestation ou de levée de la confidentialité

La commission a attaché une attention particulière à la consolidation de la procédure actuellement prévue de contestation ou de levée de la confidentialité. Celle-ci posait, dans la rédaction initiale de la présente proposition de loi, deux difficultés :

- aucune procédure n'était prévue dans le cas où le document dont la confidentialité est alléguée ferait l'objet non d'une saisie mais d'une simple demande de consultation, en particulier par une autorité administrative dont de telles demandes peuvent constituer un moyen courant d'action29(*) ;

- par son imprécision, la procédure aboutissait au maintien de documents dont la confidentialité serait alléguée dans les locaux de l'entreprise, qui pourrait dès lors altérer celui-ci.

La commission a en conséquence souhaité remédier à ces difficultés par l'adoption de l'amendement COM-1 de la rapporteure, qui tend à préciser la procédure de contestation ou de levée de la confidentialité d'une consultation juridique dans les deux cas de figure dans lesquels elle est susceptible d'être alléguée : la saisie, d'une part ; la demande de consultation, d'autre part.

Dans la première hypothèse, la proposition de loi prévoit, dans le cas d'un litige civil ou commercial, l'intervention du président de la juridiction ayant ordonné la mesure d'instruction et, dans le cas d'une procédure administrative, l'intervention du juge des libertés et de la détention, qui autorise généralement les opérations de visite donnant lieu à de telles saisies de documents. Prenant appui sur la procédure applicable en matière de perquisitions d'un cabinet d'avocat - prévue à l'article 56-1 du code de procédure pénale -, la commission a consolidé la procédure en prévoyant :

- que la consultation dont la confidentialité est alléguée est saisie, placée sous scellé et conservée par un commissaire de justice. Auditionné par la rapporteure, le directeur des affaires civiles et du sceau a ainsi estimé utile de prévoir l'intervention d'un « tiers de confiance » garantissant la protection du document contre le risque d'altération par l'entreprise qu'impliquerait son maintien dans les locaux de celle-ci et contre celui d'une rupture de la confidentialité qu'emporterait son placement auprès de la partie demanderesse à l'action ou l'autorité administrative ayant engagé la procédure à l'occasion de laquelle la saisie est réalisée ;

- que la confidentialité est contestée ou que sa levée est demandée devant le président de la juridiction ayant ordonné la mesure d'instruction pour un litige civil ou commercial ou devant le juge des libertés et de la détention dans le cas d'une procédure administrative. Afin de respecter le contradictoire, il serait prévu que l'ouverture du document scellé ne peut être réalisée que par le juge, en présence des parties, après audition de celles-ci.

Par ailleurs, la présente proposition de loi ne prévoyait pas le cas d'une demande de communication par une autorité administrative, à laquelle il pourrait pourtant être opposé la confidentialité d'une consultation juridique. La commission a donc souhaité prévoir une procédure ad hoc dans cette hypothèse. Dans la mesure où ces procédures reposent déjà sur une relation de coopération entre l'entreprise et l'autorité administrative concernées, il paraîtrait inutile de faire intervenir un tiers de confiance susceptible de prévenir l'altération ou la rupture de confidentialité du document. L'entreprise pourrait en revanche opposer la confidentialité dans le cadre d'un droit de communication d'une autorité administrative. Celle-ci pourrait répondre à cette opposition en saisissant le juge des libertés et de la détention. Ce dernier jugerait de la contestation ou de la demande de levée de la confidentialité après avoir entendu les parties.

3.5. Mieux garantir la sécurité juridique du dispositif

En dernier lieu, la commission a souhaité apporter certaines précisions juridiques au dispositif de la proposition de loi, par l'adoption du même amendement COM-1 de la rapporteure.

Elle a tout d'abord supprimé la définition proposée de la consultation juridique, qui paraît pâtir de plusieurs défauts. En effet, celle-ci revient à circonscrire les consultations juridiques aux seules réponses à une question posée, alors que la proposition de loi vise au contraire à mieux reconnaître le rôle d'alerte reconnu aux juristes d'entreprise qui ont vocation, y compris lorsqu'ils ne sont pas sollicités par la direction de l'entreprise, à prévenir cette dernière d'éventuels manquements et des mesures à prévoir pour garantir la mise en conformité. Plus généralement, l'opportunité d'une telle définition paraît douteuse, les termes de « consultation juridique » étant déjà largement employés dans la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques.

La commission a également entendu substituer à la notion de « documents préparatoires » celle plus précise de « versions successives ». Ne seraient dès lors couvertes par la confidentialité que les versions successives - en d'autres termes, les éventuels brouillons - d'une même consultation juridique, non les documents bruts ayant servi à la préparation de celle-ci. Ce faisant, la commission a également supprimé la précision selon laquelle la confidentialité « ne porte pas sur les éléments de fait portés à la connaissance du juriste en vue de la rédaction de la consultation juridique », ce qui se déduit du champ ainsi défini de la confidentialité ; il découle naturellement de ce dernier que tout autre élément n'y étant pas compris n'est pas couvert par la confidentialité.

Enfin, la commission a légèrement clarifié la rédaction de la présente proposition de loi. Celle-ci revenait ainsi à poser le principe de la confidentialité de l'ensemble des consultations juridiques des juristes d'entreprise tout en assortissant ce principe de conditions excluant de facto certaines consultations juridiques du bénéfice de cette confidentialité. La commission a ainsi simplifié la rédaction en prévoyant que sont confidentielles les consultations répondant aux conditions posées par la présente proposition de loi.

La commission a adopté l'article 1er ainsi modifié.

Article 2 (nouveau)
Dispositions transitoires

Ajouté par la commission à l'initiative de la rapporteure, l'article 2 tend à prévoir des dispositions transitoires visant à ouvrir la confidentialité à des juristes d'entreprise dont la formation initiale est déjà achevée et qui en conséquence ne pourraient remplir les conditions posées par l'article 1er pour revêtir de la confidentialité les consultations juridiques qu'ils rédigent.

La commission a ajouté l'article 2 ainsi rédigé.

Ajouté par la commission par l'adoption, avec l'accord de l'auteur, de l'amendement COM-2 de la rapporteure, l'article 2 tend à prévoir des dispositions transitoires pour les juristes d'entreprise exerçant déjà leur profession.

D'une part, reprenant une disposition transitoire déjà adoptée dans le cadre de la loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023 d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-202730(*), il prévoit une équivalence pour les titulaires d'une maîtrise en droit justifiant de huit ans d'exercice de pratique professionnelle. Cette disposition vise à permettre à des juristes d'entreprise déjà diplômés de ne pas se voir pénalisés par la condition de qualification, liée à l'obtention d'un master et non d'une maîtrise, en particulier lorsque leur diplôme a été obtenu antérieurement à la réforme dite « LMD ». Il serait dès lors considéré qu'une maîtrise accompagnée d'une expérience professionnelle de huit ans est équivalente, pour l'application de la condition de qualification posée à l'article 1er, à un master en droit.

D'autre part, l'article 2 prévoit une disposition transitoire pour la condition de formation. En effet, il paraît problématique de lier le bénéfice de la confidentialité des consultations juridiques au suivi d'une formation initiale répondant à certaines exigences alors que la formation initiale de certains juristes d'entreprise, achevée, peut ne pas correspondre à celles-ci. Il serait ainsi considéré, pour les juristes d'entreprise déjà diplômés, que leur formation initiale satisfait aux exigences ainsi posées ; ils ne seraient dès lors tenus que par l'obligation de formation continue.

La commission a ajouté l'article 2 ainsi rédigé.

Article 3 (nouveau)
Entrée en vigueur

Ajouté par la commission à l'initiative de la rapporteure (amendement COM-3), avec l'accord de l'auteur du texte, l'article 3 tend à prévoir que la présente loi entre en vigueur à une date fixée par décret en Conseil d'État et au plus tard douze mois après la promulgation de la loi.

La commission a ajouté l'article 3 ainsi rédigé.


* 6 La suppression de la profession d'avoué ne sera effective qu'à l'issue de l'intégration des avoués près les cours d'appel à la profession d'avocat, consécutive à la loi n° 2011-94 du 25 janvier 2011 portant réforme de la représentation devant les cours d'appel.

* 7  « L'évolution des métiers de la justice », rapport d'information n° 345 (2001-2002), déposé le 3 juillet 2002, fait par Christian Cointat au nom de la commission des lois.

* 8 « La réforme des professions juridiques et judiciaires - 20 propositions », Daniel Soulez-Larivière, juin 1988. Ce rapport, au ton très libre, est consultable dans son intégralité à l'adresse suivante : https://www.vie-publique.fr/discours/216115-daniel-soulez-lariviere-reforme-des-professions-juridiques-et-judiciaire.

* 9 Comme l'écrivait Daniel Soulez-Larivière : « Pour les titulaires du CAPA, pas de problème. L'onction ainsi donnée pourra, comme tous les diplômes, servir toute la vie. Pour ceux, titulaires d'un diplôme de grande école, HEC, sciences po, ENA, etc. aucune difficulté non plus. Cinq années de pratique dans l'entreprise devraient permettre l'intégration dans les Barreaux. Pour les simples licenciés en droit ou équivalent, cinq années d'entreprise pourraient être suffisantes, accompagnées d'une ou deux années de stage dans un cabinet d'avocat. Pour les non diplômés, on pourrait prévoir jusqu'à 10 ou 15 ans d'entreprise et 5 années de stage chez un avocat. »

* 10  « Les réseaux pluridisciplinaires et les professions du droit », rapport au Premier ministre d'Henri Nallet, 1999.

* 11  « Rapprochement entre les professions d'avocat et de juriste d'entreprise : réflexions et propositions », Marc Guillaume, 2006.

* 12 La solution préconisée par le groupe de travail est la suivante : les avocats pourraient ainsi « exercer leur profession en qualité de salarié d'une entreprise tout en conservant leur titre, leur statut et leur déontologie » tandis que les juristes d'entreprise « répondant à certains critères précis, pourraient devenir avocats, tout en conservant leur emploi et leur fonction au sein de l'entreprise. »

* 13 «  Rapport sur les professions du droit », commission présidée par Jean-Michel Darrois, 2009.

* 14 TPICE, 17 septembre 2007, Akzo Nobel Chemicals Ltd et Akcros Chemicals Ltd contre Commission.

* 15 CJCE, 18 mai 1982, aff. C-155/79, AM & S Europe Limited c/ Commission des Communautés européennes.

* 16 CJUE, 14 sept. 2010, aff. n° C-550/07, Akzo Nobel Chemicals Ltd. e.a. / Commission européenne.

* 17 « Rétablir la souveraineté de la France et de l'Europe et protéger nos entreprises des lois et mesures à portée extraterritoriale », rapport de Raphaël Gauvain remis au Premier ministre, 26 juin 2019.

* 18  « La compliance, socle de la confidentialité nécessaire des avis juridiques élaborés en entreprise », Marie-Anne Frison-Roche, éditorial au recueil Dalloz, 9 novembre 2023.

* 19  Rapport du groupe de travail sur la justice économique et commerciale dirigé par Jean-Denis Combrexelle, rendu dans le cadre des états généraux de la justice, avril 2022.

* 20 Par l'amendement n° 212 rect. présenté par Hervé Marseille.

* 21 Amendements n° 1512, n° 1513, n° 1514, n° 1517 et n° 1518 du 10 juillet 2023, présentés par le Gouvernement et plusieurs groupes parlementaires.

* 22 Résolution adoptée par l'assemblée générale le 3 juillet 2023.

* 23 Le CNB a ainsi adopté en assemblée générale une résolution « réitérant son opposition à la reconnaissance d'un privilège de confidentialité (legal privilege) couvrant les avis, consultations et correspondances émis par les juristes d'entreprise au sein de celle-ci, qui aboutirait nécessairement comme l'induit la proposition de loi : à définir une déontologie applicable à cette nouvelle catégorie de juristes d'entreprise ; à mettre en oeuvre des formations initiales et continues dont le contenu, comme les exigences éthiques, est totalement indéfini ; à la création d'une nouvelle profession réglementée nécessitant un contrôle indispensable ; et, en définitive à l'affaiblissement du secret professionnel de l'avocat au préjudice des entreprises et des particuliers ». Le Barreau de Paris a, à l'occasion du Conseil de l'Ordre du 30 janvier 2024, confirmé son accord sur le principe d'une telle confidentialité, tout en précisant « qu'elle ne doit pas aboutir à la création d'une nouvelle profession réglementée et ne saurait empêcher de poursuivre le projet de l'avocat en entreprise. » La Conférence des bâtonniers a enfin réitéré son opposition au projet de l'octroi d'une confidentialité des juristes d'entreprise en janvier 2024.

* 24 Décision n° 2023-855 DC du 16 novembre 2023, considérants 142 à 148.

* 25 Les députés à l'origine de la saisine n'avaient pas mentionné le caractère de « cavalier législatif » de la disposition mais plutôt le fait « que ces dispositions limiteraient excessivement les pouvoirs de contrôle des autorités de régulation et feraient ainsi obstacle à leur mission, en méconnaissance des objectifs de sauvegarde de l'ordre public économique et de recherche des auteurs d'infractions ». Voir le considérant 143 de la décision précitée.

* 26 Les auditions conduites par la rapporteure ont été l'occasion pour le Conseil national des barreaux, la Conférence des bâtonniers et le Barreau de Paris de réitérer les positions prises à l'été 2023, les deux premières organisations se prononçant en défaveur de la proposition de loi quand la dernière s'y est montrée favorable.

* 27 Voir le 2° de l'article 14-1 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques. Par contraste, le rapport de Philippe Marini relatif à la recevabilité financière des amendements et des initiatives parlementaires au Sénat relevait que les organismes de formation professionnelle ne relevaient pas de l'article 40 de la Constitution précisément en ce qu'ils « sont financés par une contribution sectorielle des employeurs qui n'assurent pas eux-mêmes des actions de formation », une condition que ne semblent donc pas remplir les CRFPA. Voir le rapport d'information n° 263 (2013-2014) de Philippe Marini, fait au nom de la commission des finances, déposé le 7 janvier 2014.

* 28 Le quantum de peine attaché au faux et à l'usage de faux est de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende.

* 29 Sur ce droit de communication, voir par exemple l'article L. 621-10 du code monétaire et financier (pour l'Autorité des marchés financiers), l'article L. 612-24 du même code (pour l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution) ou encore le premier alinéa de l'article 4 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (pour l'Agence française anti-corruption).

* 30 Voir le III de l'article 59 de la loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023 d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027.

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