EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 6 mars 2024, sous la présidence de M. Cédric Perrin, président, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a procédé à l'examen du rapport de M. Christian Cambon sur le projet de loi n° 665 (2021-2022) autorisant l'approbation de la Convention d'extradition entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume du Cambodge.

M. Christian Cambon, rapporteur. - Monsieur le président, mes chers collègues, le présent projet de loi a pour objet l'approbation d'une convention d'extradition entre le Gouvernement français et celui du royaume du Cambodge, signée à Paris le 26 octobre 2015 par Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice français, et M. Ang Vong Vathana, ministre de la justice cambodgien.

Ce texte s'inscrit dans un double contexte : celui de la situation des droits de l'homme au Cambodge - qui apparaît pour le moins préoccupante - et celui de notre relation bilatérale - qui connaît actuellement une dynamique très positive.

De fait, cette convention, qui attend sa ratification depuis 2015, est un serpent de mer législatif : depuis sa signature, elle a été déposée trois fois sur le bureau de l'une ou de l'autre des assemblées ; trois fois elle a été retirée, avant d'être déposée, une quatrième fois, sur le bureau du Sénat le 15 juin 2022. Sa ratification devrait cette fois être menée à son terme, avec un examen en séance publique prévu le 14 mars prochain.

Ces reculades et atermoiements répétés sont tout sauf inopinés : ils sont liés à la détérioration préoccupante, depuis 2017, de la situation des droits de l'homme dans le royaume, avec notamment la condamnation arbitraire des principaux opposants politiques, qui a privé les dernières élections de toute opposition crédible.

Le régime cambodgien est actuellement caractérisé par un profond décalage entre le droit affiché et la pratique : la constitution cambodgienne comme la loi pénale garantissent en effet l'indépendance des juges, la séparation des pouvoirs, le respect des droits de l'homme, la liberté d'expression, le respect des droits de la défense, la présomption d'innocence, etc. La garde à vue et la détention provisoire sont strictement encadrées.

Force est cependant de constater qu'en dépit de cette panoplie de garanties, qui n'a rien à envier aux démocraties les plus abouties, leur mise en oeuvre n'est pas à la hauteur des principes affichés. C'est ainsi que les élections législatives de juillet 2023 ont été précédées par une vague de répression envers l'opposition au parti gouvernemental : condamnation à vingt-sept ans de prison de l'opposant Kem Sokha et dissolution de son parti ; condamnation par contumace de Sam Rainsy et de soixante-dix autres opposants à des peines allant de vingt ans de prison à la perpétuité ; diverses mesures entravant le droit de vote et la liberté de la presse... Les syndicalistes, les défenseurs des droits fonciers, les militants écologistes font également l'objet d'intimidations et d'arrestations que les ONG dénoncent régulièrement.

Cette situation interne a valu au royaume du Cambodge de se voir retirer par l'Union européenne, dès 2020, une partie des préférences commerciales qui lui avaient été accordées au titre du régime « Tout sauf les armes », dont il bénéficiait depuis 2001.

L'élément nouveau, qui a conduit à l'inscription de cette convention à notre ordre du jour, est que, depuis quelques mois, la relation entre la France et le royaume du Cambodge connaît une dynamique particulièrement constructive, avec la visite officielle de Sa Majesté Norodom Sihamoni, roi du Cambodge, en novembre 2023, et celle du nouveau Premier ministre Hun Manet, le 18 janvier dernier. À cette occasion, les dirigeants cambodgiens ont réaffirmé leur volonté d'approfondir la relation bilatérale et se sont montrés demandeurs d'un partenariat renforcé avec la France.

La convention soumise aujourd'hui à votre examen s'inscrit dans ce contexte encourageant. Je vous proposerai de l'approuver pour plusieurs raisons.

La première tient à la relation franco-cambodgienne privilégiée dans laquelle elle s'inscrit, héritée à la fois d'une histoire commune et du rôle central joué par la France dans le développement du pays, mais aussi dans la mise en place de ses institutions, depuis les accords de Paris de 1991. La présence très active de la communauté cambodgienne en France et la place importante de la francophonie au sein du royaume, contribuent à nourrir ces liens. D'une manière générale, la France a plutôt bonne presse au Cambodge. Le roi comme le Premier ministre sont demandeurs d'un rapprochement. Dans le contexte mondial que vous connaissez, où l'influence française est de toutes parts et par tous moyens remise en question, cela mérite d'être souligné et encouragé.

Cette relation privilégiée permet également d'aborder sans tabou la question des droits de l'homme. Même si aucun résultat tangible n'a été obtenu à ce jour, elle pourrait favoriser une évolution positive dans ce domaine.

Deuxième raison, la rédaction de cette convention d'extradition apporte aux justiciables toutes les garanties souhaitables pour prévenir son instrumentalisation à des fins contraires aux droits de l'homme. Son contenu, qui reprend le texte proposé par la France, est conforme en tous points aux standards juridiques nationaux et internationaux.

Le texte prévoit en effet un certain nombre de motifs de refus obligatoires : ainsi, les demandes d'extradition seront rejetées automatiquement si elles concernent des infractions politiques ou si elles apparaissent motivées par l'origine ethnique, le sexe, la nationalité ou la religion de la personne réclamée. Ces clauses constituent des garde-fous importants dans le contexte politique que je vous ai décrit ; elles préviendront notamment toute demande d'extradition à l'encontre d'un opposant au régime.

Le fait de posséder la nationalité de la partie requise constitue également un motif de refus. Afin d'éviter toute impunité, la partie requise devra toutefois soumettre l'affaire à ses propres autorités, en application du principe aut dedere, aut judicare - extrader ou poursuivre. Cette clause s'avère très protectrice pour nos ressortissants, ainsi que pour les binationaux - ce qui n'est pas anodin, car la quasi-totalité des opposants au régime réfugiés en France possèdent la double nationalité.

D'autre part, alors même que la peine capitale a été abolie au royaume du Cambodge en 1989 et que sa prohibition est inscrite dans la constitution depuis 1993, la convention prévoit une clause de substitution de cette peine, ce qui permet de parer à toute tentation de retour en arrière.

Une clause dite humanitaire permet enfin de rejeter une extradition susceptible de mettre en danger la personne réclamée en raison de son âge ou de son état de santé.

Cet arsenal de précautions, qui figure dans la plupart des conventions bilatérales de ce type conclues par la France, a fait la preuve de son efficacité et permet à notre pays d'opérer des échanges extraditionnels avec cinquante-quatre États - dont la Chine et l'Iran.

La troisième raison en faveur de cette convention est qu'elle permettra de mieux cadrer et sécuriser, tant sur le fond que sur la forme, les procédures d'extradition. Les échanges extraditionnels étaient jusqu'à présent réalisés sur la base d'un principe informel de réciprocité ; de ce fait, ils se trouvaient tributaires du bon vouloir des parties. De plus, les procédures, d'un formalisme mal défini, manquent de rigueur et n'ont pas permis à l'unique demande formulée par la partie cambodgienne d'aboutir, en raison d'un dossier incomplet.

Enfin, la convention prévoit un certain nombre de stipulations visant à fluidifier les échanges entre les deux parties, notamment une procédure accélérée lorsque la personne réclamée consent à être extradée ainsi qu'une procédure permettant une arrestation provisoire du justiciable en cas d'urgence.

L'adoption de cette convention d'extradition permettra d'établir une coopération plus efficace entre nos deux pays en matière de lutte contre la criminalité.

Les échanges extraditionnels opérés entre la France et le Cambodge sont particulièrement modiques : au cours des dix dernières années, aucune demande d'extradition n'a été formulée par les deux parties ; entre 2009 et 2013, seules trois demandes avaient été transmises par la France et une par le Cambodge.

Le Conseil d'État a émis un avis favorable sur ce texte, sous réserve d'une vigilance, de la part des autorités françaises, concernant le respect des principes généraux du droit de l'extradition ainsi que des règles de transmission des données personnelles.

Mes chers collègues, pour toutes ces raisons, je préconise l'adoption de ce projet de loi. Son examen en séance publique au Sénat est prévu le jeudi 14 mars prochain, selon une procédure simplifiée, ce à quoi la Conférence des présidents, de même que votre rapporteur, a souscrit.

Le royaume du Cambodge a quant à lui achevé la ratification de cette convention le 14 octobre 2020.

M. Jean-Baptiste Lemoyne. - J'ai écouté avec attention l'intervention de notre rapporteur. Il n'est pas interdit d'être réaliste et je comprends que l'adoption de cette convention permettrait d'envoyer un signal positif alors que les relations entre nos deux pays se réchauffent sensiblement.

Pour autant, je n'oublie pas le travail accompli par notre ancien collègue, André Gattolin, qui était très mobilisé sur la question du Cambodge. Même si les infractions relevant des seuls domaines militaires ou politiques peuvent conduire à des refus d'extradition, on sait qu'il existe d'autres façons de s'en prendre aux opposants, notamment sous l'angle fiscal ou économique.

À ce stade, je m'abstiendrai sur ce texte eu égard aux pratiques passées du régime concerné.

Mme Michelle Gréaume. - Je m'abstiendrai sur ce vote, notre groupe souhaitant la tenue d'un débat en séance publique sur la question du respect des droits de l'homme.

M. Guillaume Gontard. - Je souhaite m'associer à la demande de Michelle Gréaume et du groupe CRCE. Je salue la qualité du rapport de M. Cambon, mais cette convention n'est pas anodine. Il nous semble donc important de tenir un débat sur ce sujet.

M. Christian Cambon, rapporteur. - Monsieur Lemoyne, c'est à la demande pressante du Gouvernement que cette convention nous parvient.

Il s'agit en somme de l'éternelle question du verre à moitié vide ou à moitié plein. Il faut encourager le Cambodge, qui a pris de bonnes résolutions auprès du gouvernement français, notamment lors de la visite du Premier ministre en janvier dernier. Cela étant dit, la volonté d'en débattre en séance publique me paraît tout à fait légitime.

Le projet de loi est adopté sans modification.

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