EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE

Article unique
Ratification de l'ordonnance n° 2023-285 du 19 avril 2023

Cet article vise à ratifier l'ordonnance du 19 avril 2023 portant extension et adaptation à la Polynésie française, à la Nouvelle-Calédonie et aux îles Wallis et Futuna de diverses dispositions législatives relatives à la santé.

La commission a adopté cet article sans modification et, partant, l'ensemble du projet de loi.

I - Le dispositif proposé

A. La ratification d'une ordonnance prise sur le fondement de l'article 74-1 de la Constitution

L'article unique du présent projet de loi vise à ratifier l'ordonnance n° 2023-285 du 19 avril 2023 portant extension et adaptation à la Polynésie française, à la Nouvelle-Calédonie et aux îles Wallis et Futuna de diverses dispositions législatives relatives à la santé.

Cette ordonnance a été prise sur le fondement de l'article 74-1 de la Constitution, lequel permet au Gouvernement d'étendre par ordonnance le droit commun dans un territoire régi par l'article 74 de la Constitution.

L'article 74-1 de la Constitution

Aux termes de l'article 74-1 de la Constitution, le Gouvernement peut, dans les collectivités régies par l'article 74 ou en Nouvelle-Calédonie, étendre, avec les adaptations nécessaires, les dispositions de nature législative en vigueur dans l'Hexagone.

Cette extension du droit commun est réalisée par ordonnance et ne peut intervenir que dans les seules matières qui demeurent de la compétence de l'État. Les assemblées des collectivités sont consultées sur le projet d'ordonnance.

Contrepartie de cette habilitation permanente, les ordonnances prises sur ce fondement doivent nécessairement être ratifiées par le Parlement. Faute de ratification expresse dans un délai de dix-huit mois, l'ordonnance deviendrait caduque de plein droit.

Si les ordonnances prises sur le fondement de l'article 38 de la Constitution ne nécessitent pas de ratification pour demeurer en vigueur, les ordonnances de l'article 74-1 sont frappées de caducité de plein droit faute de ratification dans un délai de dix-huit mois.

· Aussi, alors que les dispositions de l'ordonnance ont pris effet dès leur publication, le présent projet de loi de ratification ne propose-t-il pas de modifier le droit pour l'avenir mais d'assurer la pérennité des modifications apportées au code de la santé publique.

Les sept articles de fond de cette ordonnance comprennent exclusivement des dispositions de modification du code de la santé publique, toutes relatives à l'extension ou à l'adaptation de dispositions du même code, dans l'un ou plusieurs des trois territoires français du Pacifique.

B. L'extension et l'adaptation de dispositions relatives à la recherche impliquant la personne humaine

Comme l'indique le Gouvernement1(*), « le droit applicable en matière de recherche impliquant la personne humaine était antérieur aux dernières évolutions législatives intervenues depuis 2012 » et n'intégrait pas les changements intervenus en application de récents règlements européens.

L'ordonnance d'avril 2023 avait ainsi pour principal objet de rendre applicables dans les trois collectivités françaises du Pacifique les récentes dispositions du code de la santé publique se rapportant aux recherches impliquant la personne humaine (RIPH)2(*). L'ordonnance étend ainsi des dispositions qui permettent de préciser les conditions dans lesquelles peuvent être menées ces recherches et de garantir la sécurité et la bonne information du participant.

L'ordonnance prévoit en outre l'extension de la compétence des comités de protection des personnes hexagonaux aux recherches dont le promoteur est établi en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie ou à Wallis-et-Futuna afin que les recherches puissent être évaluées par un comité de protection des personnes.

Cette même ordonnance permet par ailleurs de garantir l'application de dispositions issues du droit européen dans le champ de la recherche clinique. Elle modifie à cette fin de nombreuses références en conséquence des récentes adaptations du droit français aux règlements européens portant sur les essais cliniques de médicaments, les dispositifs médicaux et les dispositifs médicaux de diagnostic in vitro3(*). Il convient de rappeler en effet que les règlements européens ne sont pas directement applicables dans ces territoires relevant du statut européen de « pays et territoires d'outre-mer ».

Certaines adaptations sont prévues pour la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française, avec la mention des autorités sanitaires compétentes en vue de leur permettre notamment l'accès à toutes les informations utiles portant sur la RIPH, ou encore l'extension de la compétence de l'agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM).

En outre, des adaptations sont également réalisées pour Wallis-et-Futuna. Ainsi, considérant l'absence d'organisme de sécurité sociale à Wallis-et-Futuna, l'ordonnance adapte le droit commun en prévoyant la prise en charge intégrale des frais liés à la recherche par le promoteur qui ne peut, à titre dérogatoire, recourir à une prise en charge partielle par l'assurance maladie. Le texte de l'ordonnance assure également la référence à l'agence de santé, établissement unique chargé de l'offre de soins à Wallis-et-Futuna, et tient compte de l'absence de pharmacie à usage intérieur (PUI) dans le territoire.

C. L'extension de l'allongement du délai de recours à l'interruption volontaire de grossesse

Cette même ordonnance d'avril 2023 a étendu au territoire des îles Wallis et Futuna, en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française certaines dispositions de la loi de 20224(*) relative à l'avortement, que sont :

l'allongement des délais de recours à l'interruption volontaire de grossesse (IVG), passé de douze à quatorze semaines ;

la suppression du délai minimum de réflexion à l'issue d'un entretien psychosocial.

Sur le territoire de Wallis-et-Futuna, ont en outre été étendues les dispositions relatives à l'organisation de l'offre de soins en matière d'IVG, quand cette dernière se concentre dans le territoire à l'agence de santé. Au-delà des dispositions relatives à l'allongement des délais de recours et à la suppression du délai de réflexion, l'ordonnance étend ainsi et adapte pour Wallis-et-Futuna les dispositions relatives au possible recours à la téléconsultation et à l'autorisation pour les sages-femmes de réaliser en établissement de santé des interruptions volontaires de grossesse par voie instrumentale.

D. L'extension et l'adaptation de dispositions relatives à la santé et aux droits des patients

Dans le champ de la santé, l'ordonnance de 2023 a également étendu à Wallis-et-Futuna des dispositions de la loi « Rist 1 »5(*) de 2021, relatives à l'extension des compétences des sages-femmes en matière de dépistage et de traitement des infections sexuellement transmissibles. L'ordonnance prévoit par ailleurs la complète application à Wallis-et-Futuna des dispositions relatives aux produits pharmaceutiques, le Gouvernement signalant l'intégration « notamment des dispositifs d'accès précoce et d'accès compassionnel, et particulièrement le dispositif du cadre de prescription compassionnelle qui garantira aux femmes de Wallis et de Futuna l'accès aux interruptions volontaires de grossesse médicamenteuse réalisées lors de la huitième ou la neuvième semaine d'aménorrhée ».

Pour la Polynésie française, ont été en outre étendues par cette même ordonnance les dispositions de la loi santé de 20166(*) relatives à la protection par le secret de la prescription de la contraception aux personnes mineures et la suppression de la notion de détresse pour délivrer la contraception d'urgence. A également été rendue applicable la disposition légale permettant à davantage de professionnels de santé de déroger à l'obligation de recueillir le consentement de l'autorité parentale à la demande de la personne mineure lorsque l'action de prévention, le dépistage ou le traitement s'impose pour sauvegarder la santé sexuelle et reproductive d'une personne mineure.

Enfin, cette ordonnance a permis d'étendre à la Polynésie française et à Wallis-et-Futuna les garanties prévues en matière de données des personnes malades.

II - La position de la commission

A. Un respect du champ de compétence de l'État sur les matières concernées par l'ordonnance

1. Une compétence santé dévolue en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie

· Si l'État exerce la compétence santé dans les îles Wallis et Futuna, cette compétence relève du pays en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française.

· Le territoire des îles Wallis et Futuna ne dispose pour le moment pas de loi organique définissant son statut comme le prévoit la Constitution, depuis 2003, pour les collectivités d'outre-mer relevant de l'article 74.

Cependant, en matière de compétences, la loi de 19617(*) prévoit que « la République assure (...) l'hygiène et la santé publique »8(*) quand le décret de 19579(*) modifié, qui précise les attributions de l'assemblée territoriale, ne mentionne pas la recherche.

· La Polynésie française dispose d'un statut prévu par la loi organique de 200410(*). Aux termes de ce statut, le pays dispose d'une compétence générale quand l'État dispose une compétence d'attribution, limitée aux seules matières énumérées11(*).

L'article 14 de ce statut prévoit à ce titre une compétence de l'État en matière de « droits civils, état et capacité des personnes » (1°), de « garantie des libertés publiques » (2°) et de « recherche » (13°). La santé, non mentionnée à cet article, relève ainsi de la compétence du pays.

À Wallis-et-Futuna comme en Polynésie française, les statuts prévoient l'applicabilité de plein droit des dispositions relatives à l'état et la capacité des personnes.

· La Nouvelle-Calédonie dispose d'un statut régi par la loi organique de 199912(*), comme le prévoit, conformément à l'accord de Nouméa, le titre XIII de la Constitution.

Aux termes de l'article 21 de ce statut, l'État est compétent13(*) en matière de garanties des libertés publiques (1° du I) et recherche (7° du II). Compétence est en revanche donnée à la Nouvelle-Calédonie14(*) en matière de « Protection sociale, hygiène publique et santé, contrôle sanitaire aux frontières » (4° de l'article 22).

Pour ce qui est du droit civil, la Polynésie française est compétente, à l'exception des matières réservées à l'État15(*). La compétence de l'État a en revanche cessé en Nouvelle-Calédonie lors du transfert de cette dernière par la loi du pays du 20 janvier 2012 - les dispositions relatives au régime de protection juridique ne peuvent désormais plus y être modifiées par l'État.

2. Une jurisprudence subtile en matière de bioéthique

La doctrine juridique relative au partage des compétences en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française en matière de bioéthique repose sur les avis et décisions du Conseil d'État et du Conseil constitutionnel.

Concernant les sujets de bioéthique, le Conseil constitutionnel a ainsi jugé en 200116(*) à l'occasion d'une saisine sur une loi relative à l'avortement, que « la compétence de la Polynésie française en matière de santé ne fait pas obstacle à la reconnaissance d'une compétence de l'État lorsque sont en jeu le droit des personnes et les garanties des libertés publiques », reconnaissant cependant que « la mise en oeuvre de ces dispositions dans le domaine de la santé publique relève de la compétence du territoire ».

Le Conseil d'État17(*), dans un avis de 2011, a conclu que sont à exclure des matières dévolues, « même s'ils relèvent ou sont susceptibles de relever du droit civil, le droit de la nationalité et le régime juridique des garanties des libertés publiques, dans l'ensemble de leur composante de fond, de forme et de procédure. Au rang de ces dernières figurent notamment, dans le code civil, les dispositions de l'article 9 sur le respect de la vie privée, celles des articles 16 et suivants sur le respect du corps humain [...] », avant de préciser la même année18(*) que « dans le domaine de la bioéthique, la Nouvelle-Calédonie est donc compétente pour fixer les règles d'ordre médico-technique, sous réserve que ces règles ne soient pas indissociables des normes de fond mettant en jeu le droit des personnes, les garanties des libertés publiques et la recherche, auquel cas il appartiendrait à l'État de les définir »19(*).

3. Une ordonnance ne relevant en réalité essentiellement pas de la compétence santé

· Si les « diverses dispositions relatives à la santé » étendues dans les territoires du Pacifique figurent au sein du code de la santé publique, elles se rattachent en réalité à des compétences qui ne relèvent principalement pas de la santé et, partant, permettent bien à l'État d'intervenir.

L'extension des dispositions portant sur les recherches impliquant la personne humaine se fonde ainsi sur la compétence de l'État en matière de recherche. Les dispositions qui ont pour objet la protection des personnes en matière de santé portant l'information, le consentement libre et éclairé et les dispositions relatives au délai de recours à l'IVG prennent elles appui sur la compétence de l'État en matière de garantie des libertés publiques.

Force est de constater que certaines dispositions étendues en Polynésie française et à Wallis-et-Futuna relevaient parfois du champ de l'état et de la capacité des personnes, comme les dispositions relatives aux droits des patients et à la protection juridique. Si celles-ci étaient ainsi en principe applicables de plein droit dans ces deux territoires, leur précision par l'ordonnance peut cependant se justifier par la sécurité juridique apportée par une extension expresse.

· La rapporteure constate que les représentants et services des territoires n'ont soulevé, concernant l'ordonnance précitée, aucun empiètement de l'État sur une compétence dévolue.

B. Une extension de dispositions inégalement opportune ou réaliste au regard des réalités locales

1. Une extension bienvenue de dispositions relatives à la recherche

L'extension des dispositions relatives aux recherches impliquant la personne humaine a fait l'objet d'une demande forte de la Polynésie française, ainsi que de la Nouvelle-Calédonie. Il s'agit ici notamment de pouvoir intégrer des patients de ces territoires au sein d'essais thérapeutiques, et ainsi leur permettre l'accès à des traitements innovants.

La Polynésie française a, sur ce point, souligné que « la version antérieure du code de la santé publique dans sa version applicable en Polynésie française ne permettait pas à cette collectivité d'outre-mer de faire de la recherche impliquant la personne humaine (RIPH) et donc d'inclure des patients dans des essais thérapeutiques. Pourtant, notamment dans le traitement des cancers, il y a de plus en plus d'essais thérapeutiques en cours qui permettraient à des patients en échec thérapeutique d'accéder à de nouveaux traitements. Cela permettrait donc de réduire la perte de chance des patients polynésiens, face aux patients de l'Hexagone. »

La Nouvelle-Calédonie20(*) a également salué une extension demandée de longue date par le gouvernement néo-calédonien, indiquant qu' « avant cette extension, la capacité de la Nouvelle-Calédonie à mener des recherches impliquant la personne humaine était limitée. Cette situation empêchait la participation de certains patients, notamment ceux atteints de cancers en échec thérapeutique, à des protocoles de recherche. De plus, cela restreignait la possibilité pour la Nouvelle-Calédonie de conduire des recherches spécifiques sur des problématiques régionales telles que les arboviroses, la leptospirose ou encore le rhumatisme articulaire aigu» Ont été cependant soulignées des lacunes juridiques, comme l'absence de précision des modalités opérationnelles relatives aux demandes d'autorisation par les établissements pouvant mener ces recherches.

Cependant, la commission ne peut que déplorer une extension en trompe-l'oeil à Wallis-et-Futuna. L'extension de la réglementation relative à la RIPH dans le territoire, réalisée à la demande de l'agence de santé vise à ne pas priver les patients d'opportunités cliniques « dès lors que les praticiens exerçant sur le territoire les utilisent régulièrement lorsqu'ils exercent en métropole »21(*). Toutefois, elle ne peut, en réalité, pas s'appliquer au regard de la faiblesse de l'offre de soins sur ce territoire. Ainsi, l'assemblée territoriale a considéré dans son avis ces extensions « sans objet », constatant qu'il est « techniquement impossible d'avoir ces types de recherches sur le territoire en raison de l'absence de structures adaptées et de l'insuffisance (voire de l'absence) de personnels compétents en matière de recherche ».

· La rapporteure remarque que les dispositions relatives aux recherches sur la personne humaine étendues ici ont parfois été adoptées dans les mêmes termes par le Sénat et l'Assemblée nationale ou ne relèvent pas a priori de désaccords majeurs qui avaient pu persister au cours de la navette.

En outre, le meilleur accès, ainsi rendu possible, des patients aux essais cliniques et thérapies innovantes, bien qu'inégalement effectif sur les territoires, doit être salué.

2. Une extension plus discutable de l'allongement à quatorze semaines du délai de recours à l'IVG

Concernant l'extension de dispositions de la loi de 2022 sur l'avortement, la rapporteure considère qu'une approche différente pourrait être retenue.

Si l'extension des dispositions relatives à l'allongement du délai de recours n'a pas fait l'objet de demandes des territoires, ceux-ci ont signalé22(*) l'intérêt que peut avoir l'application du droit commun, dès lors que l'insularité et l'offre de soins disponible rendent parfois difficile l'accès à l'IVG. En outre, la pertinence d'un alignement du droit des femmes résidant dans ces territoires sur le droit commun a été souligné dans les réponses transmises à la rapporteure.

Cependant, la rapporteure souligne que les contextes locaux ont insuffisamment été pris en compte par le Gouvernement. Sur le principe, d'une part : les représentants des trois territoires ont rappelé l'absence de débat spécifique malgré la sensibilité éthique de cette question dans des sociétés très religieuses. Sur les modalités opérationnelles, d'autre part : l'extension de ce principe se heurte ainsi parfois aux réalités de l'offre de soins locale et aux adaptations, non anticipées, des dispositions territoriales, quand la mise en oeuvre de l'IVG relève de la compétence santé, et donc du pays en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie.

Or, comme il a été signalé à la rapporteure, l'équipement disponible - en Polynésie française notamment23(*) -, les compétences attribuées aux professionnels de santé ou les règles applicables ne permettent pas nécessairement de rendre ce droit effectif, ou d'assurer sa prise en charge financière.

Ainsi, en Nouvelle-Calédonie, la prise en charge de l'IVG à quatorze semaines nécessite une intégration à l'objectif calédonien d'évolution des dépenses d'assurance maladie (Océam), qui devrait intervenir au cours de l'année 2024, ainsi qu'une modification de la loi du pays relative à la sécurité sociale24(*). Enfin, il revient aux territoires d'organiser la formation des professionnels en la matière.

· Force est de constater qu'un décalage préjudiciable peut se révéler entre le droit positif et son applicabilité. Si l'État a ici étendu des principes, il existe un risque que ceux-ci ne soient en définitive que fictifs dans ces territoires.

Par ailleurs, la rapporteure souligne l'opposition du Sénat à la loi de 2022 et aux articles allongeant le délai de recours à quatorze semaines et supprimant le délai de réflexion, traduite par l'adoption en 2021 et 2022, à une très large majorité, des motions opposant la question préalable. Le premier considérant de ces motions rappelait systématiquement que, selon les données de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees), en 2017, seulement 5 % des interruptions volontaires de grossesse ont été réalisées dans les deux dernières semaines du délai légal, alors de douze semaines. Ce même considérant soulignait qu'il s'agit d'un acte considéré par les professionnels de santé eux-mêmes comme d'autant moins anodin qu'il est pratiqué tardivement au cours de la grossesse. La rapporteure adhère à ces arguments qui conservent selon elle leur pleine pertinence.

Aussi, alors que l'extension réalisée par le Gouvernement ne s'appuie sur aucune évaluation d'un besoin identifié, pas plus que sur une anticipation de la capacité et de la volonté des collectivités de la mettre en oeuvre, la rapporteure estime-t-elle qu'il n'apparaissait pas souhaitable d'adopter une telle disposition par le biais d'une ordonnance.

C. Des techniques d'extension juridiquement discutées, des modifications à envisager

1. Des modalités perfectibles d'association des collectivités

En application de l'article 74-1 de la Constitution et des différentes dispositions organiques, les trois territoires ont été formellement consultés sur le ou les projets d'ordonnance.

· Cependant, les représentants des collectivités ont tous déploré les conditions de saisine qui ne permettent pas toujours de rendre un avis étayé sur le fond ou d'assurer une analyse juridique fine, ce qui ne peut être que regretté par la rapporteure.

La rapporteure constate que seul l'avis du congrès de Nouvelle-Calédonie a ainsi été reçu par le Gouvernement, lequel avis était favorable25(*).

L'assemblée territoriale de Wallis-et-Futuna a transmis à la rapporteure une délibération du 9 mars 2023 portant avis favorable. Cependant, cette délibération n'a manifestement pas été reçue par les services du Gouvernement26(*).

Enfin, le gouvernement de la Polynésie française a indiqué qu'un projet d'avis, a priori favorable sous réserve de certaines modifications, avait été préparé, sans finalement pouvoir être formalisé par l'assemblée de la Polynésie française avant la publication de l'ordonnance.

Néanmoins, il convient de noter que pour les dispositions dont l'extension était réclamée par les territoires, des échanges nourris semblent avoir été tenus entre le ministère de la santé et les services des collectivités.

Cela a ainsi été particulièrement le cas concernant la recherche impliquant la personne humaine en Polynésie française à l'initiative du bureau juridique de l'agence de régulation de l'action sanitaire et sociale, ou à Wallis-et-Futuna par le biais également d'échanges avec l'agence de santé concernant les sujets de santé sexuelle.

2. Des réserves de la part de certains territoires quant à la sécurité juridique et à la clarté du droit

· Les auditions comme les avis formulés par les territoires ont fait apparaître certaines réserves sur les modalités juridiques d'extension et d'adaptation du droit outre-mer.

La Nouvelle-Calédonie regrette ainsi que pour répondre à l'inapplicabilité des règlements européens dans le Pacifique, l'adaptation vise à substituer les références à ces règlements par les références « aux règles applicables en métropole » en vertu de [ces règlements] ». Le gouvernement comme le congrès voient dans ces références globales un problème de lisibilité, par défaut de mention claire des dispositions applicables, et un risque de sécurité juridique, par défaut de transposition expresse.

En outre, la technique légistique du « compteur Lifou » ne permet pas, selon le congrès, d'assurer une lisibilité et une accessibilité satisfaisantes du droit applicable sur le territoire. Pour rappel, cette modalité a été régulièrement retenue depuis 2016 par le Gouvernement sur la recommandation du Conseil d'État27(*), faisant figurer sous forme de tableau des listes de dispositions rendues applicables et, en regard, la version dans laquelle leur lecture doit être faite.

3. Des modifications à envisager lors de la poursuite de l'examen du texte

· L'ordonnance du 19 avril 2023 n'a, depuis sa publication, fait l'objet d'aucune modification par la loi ou une ordonnance ultérieure.

Si le Gouvernement n'a pas assorti le projet de loi de ratification de propositions de modifications, la rapporteure a été destinataire de la part du gouvernement de Polynésie française et du gouvernement de Nouvelle-Calédonie de demandes de modifications, de précisions ou d'adaptations des dispositions relatives aux recherches impliquant la personne humaine.

Ainsi, la Polynésie française a indiqué à la rapporteure avoir transmis au Gouvernement des demandes relatives :

- aux mentions de l'autorité compétente localement en matière sanitaire ;

- à des améliorations de la lisibilité des dispositions étendues ;

- à des clarifications des missions de l'agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) et de l'agence de la biomédecine (ABM).

En outre, la Nouvelle-Calédonie a indiqué considérer nécessaire de prévoir des adaptations relatives :

- à la consultation du haut-commissaire et d'associations locales par les comités de protection des personnes ;

- à la précision de l'attribution de certaines missions à l'autorité compétente en matière sanitaire ;

- à la désignation de la commission de conciliation et d'indemnisation des victimes d'accidents médicaux compétente, afin de garantir l'applicabilité de la prise en charge des victimes de dommages.

*

La commission constate que, bien que les réalités locales ne conduisent pas nécessairement à pouvoir les rendre effectives, les modifications de nature législative apportées par l'ordonnance du 19 avril 2023 sont, depuis cette date, le droit applicable dans les territoires concernés.

Partant, sur la proposition de la rapporteure, la commission a choisi, à défaut d'une validation politique de l'ensemble des dispositions de l'ordonnance, la voie d'une validation juridique et, sous les réserves exposées, a ainsi décidé de prendre acte de l'évolution du droit.

Enfin, la rapporteure a insisté sur la nécessité de poursuivre des travaux relatifs à la santé des territoires ultramarins, au regard de problématiques spécifiques et, dans des territoires comme Wallis-et-Futuna, de conditions préoccupantes d'accès aux soins.

La commission a adopté cet article, et ainsi le projet de loi, sans modification.


* 1 Réponses au questionnaire.

* 2 Livre 1er du titre II du code de la santé publique.

* 3 Règlement (UE) 536/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 relatif aux essais cliniques de médicaments à usage humain et abrogeant la directive 2001/20/CE, règlement (UE) 2017/745 du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2017 relatif aux dispositifs médicaux, et règlement (UE) 2017/746 du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2017 relatif aux dispositifs médicaux de diagnostic in vitro.

* 4 Loi n° 2022-295 du 2 mars 2022 visant à renforcer le droit à l'avortement.

* 5 Loi n° 2021-502 du 26 avril 2021 visant à améliorer le système de santé par la confiance et la simplification.

* 6 Loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé.

* 7 Loi n° 61-814 du 29 juillet 1961 conférant aux îles Wallis et Futuna le statut de territoire d'outre-mer.

* 8 Article 7 de la loi précitée.

* 9 Décret n° 57-811 du 22 juillet 1957 relatif aux attributions de l'assemblée territoriale, du conseil territorial et de l'administrateur supérieur des îles Wallis et Futuna.

* 10 Loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française.

* 11 Ainsi « les autorités de la Polynésie française sont compétentes dans toutes les matières qui ne sont pas dévolues à l'État par l'article 14 et celles qui ne sont pas dévolues aux communes en vertu des lois et règlements applicables en Polynésie française. »

* 12 Loi n° 99-209 organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie.

* 13 Article 21 de la loi organique.

* 14 Article 22 de la loi précitée.

* 15 Conseil constitutionnel, décision DC n° 2015-9 LOM du 21 octobre 2015 - Pacte civil de solidarité en Polynésie française.

* 16 Conseil constitutionnel, décision n° 2001-446 DC du 27 juin 2001 sur la loi relative à l'interruption volontaire de grossesse (IVG).

* 17 Conseil d'État, avis n° 385.207 du 7 juin 2011.

* 18 Conseil d'État, avis n° 385.380 du 19 juillet 2011.

* 19 Aux termes de ce second avis, qui s'appuie notamment sur la décision du Conseil constitutionnel de 2001, « dans le domaine de la bioéthique, la compétence de droit commun alors exercée par la Nouvelle-Calédonie, tant en matière sanitaire que de droit des personnes, ne sera limitée que par les normes de fond fixées par l'État relatives à la recherche et aux garanties des libertés publiques, notamment les articles 16 à 16-9 du code civil sur le respect du corps humain, ainsi que par les règles de mise en oeuvre de ces normes de fond qui en seraient indissociables et qu'il appartiendrait donc à l'État de définir. »

* 20 Audition et réponses au questionnaire.

* 21 Réponses du Gouvernement au questionnaire.

* 22 Auditions et réponses des collectivités aux questionnaires.

* 23 Réponse du gouvernement au questionnaire de la rapporteure.

* 24 Réponse du gouvernement au questionnaire de la rapporteure.

* 25 Réunion de la commission permanente du 2 mars 2023, avis du 20 mars 2023.

* 26 Absence de mention dans les visas de l'ordonnance du 19 avril 2023 et réponses au questionnaire.

* 27 Avis du 7 janvier 2016, Conseil d'État.

Partager cette page