C. PLUS GÉNÉRALEMENT, L'ABSENCE DE « CLAUSES MIROIRS » DANS LES ACCORDS DE LIBRE-ÉCHANGE CONCLUS PAR L'UNION EUROPÉENNE N'EST PAS ACCEPTABLE

Certes les stipulations de l'AECG ne modifient aucune des règles sanitaires applicables à l'entrée dans le marché européen. Mais l'interdiction de l'utilisation de certaines substances applicable dans l'Union européenne ne concerne pas nécessairement les produits importés du fait de la définition de limites maximales de résidus (LMR), c'est-à-dire de niveaux supérieurs de concentration de substances autorisés dans ou sur les denrées alimentaires et les aliments pour animaux.

Une stricte réciprocité des normes applicables nécessite la définition de « clauses miroirs ». Or aucune mesure de ce type ne figure dans l'AECG.

Dans son rapport de 2017, la commission d'évaluation de l'impact de l'AECG sur l'environnement, le climat et la santé relevait ainsi : « Pour les pesticides, le Canada autorise encore 46 substances actives qui ont été interdites depuis longtemps dans les autres pays. Les limites maximales de résidus de pesticides autorisées dans les produits alimentaires sont beaucoup moins exigeantes au Canada, voire pour certaines moins exigeantes que celles du Codex Alimentarius ».

En réponse au questionnaire du rapporteur, le ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire a indiqué avoir recensé en 2021 97 substances actives phytopharmaceutiques non approuvées dans l'Union européenne, pour lesquelles des préoccupations sanitaires peuvent exister, et pour lesquelles des LMR supérieures à la limite de quantification sont établies et sont compatibles avec des usages phytosanitaires. Ces LMR peuvent être d'anciennes LMR de l'Union européenne non abaissées après l'interdiction de la substance, des tolérances à l'importation instaurées spécifiquement pour permettre le commerce de denrées végétales, ou encore des LMR du Codex alimentarius transposées dans la règlementation Union européenne.

À ce jour, seules deux réglementations européennes peuvent être considérées comme introduisant une forme de mesures miroirs.

Il s'agit tout d'abord de l'interdiction des traitements hormonaux pour les animaux tant au sein de l'Union européenne que pour les produits importés. Par ailleurs, le produit est jugé dangereux quelle que soit la dose contenue dans la viande.

Il s'agit ensuite de l'interdiction d'utilisation de certains antimicrobiens ou de certains usages (promoteurs de croissance) pour les animaux élevés dans les pays tiers, dont les produits seraient importés dans l'Union européenne établie par l'article 118 du règlement (UE) n° 2019/6.

L'adoption du dernier acte d'exécution nécessaire est intervenue en janvier 202429(*). Au cours des auditions, ce texte a cependant été présenté comme très insuffisant, dans la mesure où il n'est prévu que la fourniture d'une attestation vétérinaire certifiant que les viandes ont été produites « conformément à ces exigences, et notamment que les animaux dont les viandes sont tirées n'ont pas reçu de médicaments antimicrobiens destinés à favoriser la croissance ou à augmenter le rendement ou de médicaments antimicrobiens contenant un antimicrobien qui figure sur la liste des antimicrobiens réservés au traitement de certaines infections chez l'homme ». Par ailleurs, cette interdiction n'interviendra qu'en septembre 2026.

L'absence de mesures miroirs dans l'AECG se double en outre de demandes régulières de la partie canadienne pour une reconnaissance de certaines pratiques ou certains usage de substances actuellement interdits au sein de l'Union européenne, ou un assouplissement des règles européennes.

Ainsi, dans le compte-rendu de la réunion comité mixte de gestion des mesures sanitaires et phytosanitaires de l'AECG qui s'est tenue du 25 au 27 octobre 2022, il est indiqué : « Le Canada souligne que les intervenants canadiens sont préoccupés par le fait que la mesure proposée par l'UE pour révoquer les LMR des néonicotinoïdes est plus restrictive sur le plan commercial qu'il le faut pour atteindre l'objectif fixé par l'UE ».

Au cours de cette même réunion, les représentants canadiens ont par ailleurs demandé, s'agissant des règles européennes en matière d'utilisation des certains produits médicaux vétérinaires, « une mise à jour du calendrier de la dernière partie de la deuxième législation et des règles d'importation pour les pays tiers et d'envisager une période de transition qui reflète la réalité de la chaîne d'approvisionnement agricole ».

La réponse apportée par les représentants de l'Union européenne interpelle fortement, ces derniers indiquant que « les obligations aux termes de l'article 118 et de la réglementation sur les PMV concernent les États membres et qu'elles devraient être moins restrictives sur le plan commercial afin d'équilibrer les règles en cause et les obligations à respecter ». On relèvera en outre que la Commission européenne a accédé à la demande de délai formulée par la partie canadienne.

S'agissant de l'usage des pesticides, le compte-rendu de la réunion du comité qui s'est tenue du 3 au 5 octobre 2023 fait état d'une proposition de la partie canadienne tendant à ce que la Commission « autorise les pays tiers à réglementer les pesticides dans leur pays souverain de la manière qu'ils jugent appropriée et adaptée à leur environnement local ». Or, les représentants de l'Union européenne se sont déclarés disposés à « poursuivre la discussion sur les préoccupations particulières que le Canada pourrait avoir en ce qui concerne la fixation des limites maximales de résidus pour les pesticides et les tolérances à l'importation ».

Au total, le risque d'un nivellement par le bas des règles européennes ou, à tout le moins, d'un assouplissement de ces dernières en faveur des importations ne semble donc pas à exclure.

En tout état de cause, le respect de la réglementation suppose l'existence de dispositifs de contrôle efficaces.

En France, ces contrôles relèvent de la direction générale des douanes et droits indirects (DGCCRF), pour ce qui concerne les denrées alimentaires d'origine non animale, et de la direction générale de l'alimentation (DGAL) pour les produits d'origine animale et les aliments pour animaux.

Bilan des contrôles les marchandises agricoles originaires du Canada réalisés en 2023 par les autorités françaises

En ce qui concerne les produits d'origine animale, destinés à la consommation humaine ou non, en 2023, 1 125 envois depuis le Canada destinés à des opérateurs français ont été contrôlés dans des points de contrôle aux frontières (PCF) de l'Union européenne. Parmi ces 1 125 envois, près des deux tiers (725) ont été contrôlés par des PCF français. Par ailleurs, au total, sur ces 1 125 envois, 22 ont été refusés, soit moins de 2%, dont 9 par un PCF français.

En ce qui concerne les animaux vivants, en 2023, 106 envois depuis le Canada destinés à des opérateurs français ont été contrôlés dans des PCF de l'Union européenne. Parmi ces 106 envois, 83% (88) ont été contrôlés par des PCF français. Il n'y a pas eu de refus.

En ce qui concerne les contrôles phytosanitaires sur les végétaux et produits végétaux, en 2023, 770 envois depuis le Canada destinés à des opérateurs français ont été contrôlés dans des PCF de l'Union européenne. Parmi ces 770 envois, 99% (765) ont été contrôlés par des PCF français. Parmi ces 770 envois, 0,3% (2) ont été refusés par des PCF français.

Source : Direction générale de l'alimentation, réponses au questionnaire du rapporteur

L'AECG prévoit cependant un abaissement du taux de contrôle physique sur les produits animaux de 20 % à 10 % des lots dans les postes d'inspection aux frontières.

Côté canadien, les contrôles relèvent de l'Agence canadienne d'inspection des aliments (ACIA). Or, à l'occasion d'un audit mené en 2019, la Commission européenne a relevé des défaillances dans le système de contrôle canadien. La Commission estimait en premier lieu qu'il n'était pas garanti que les établissements autorisés à exporter vers l'Union européenne respectent tous les exigences européennes. Elle considérait en deuxième lieu que le dispositif de traçabilité de la viande bovine n'était pas satisfaisant dans la mesure où celui-ci reposait sur des documents en version papier, pour lesquels des contrôles avaient montré qu'ils pouvaient s'avérer incomplets ou contenant des informations erronées. L'audit identifiait en troisième et dernier lieu un « conflit d'intérêts potentiel » pour les vétérinaires privés agréés chargés de contrôler le respect des règles sanitaires dans la mesure où ces derniers étaient rémunérés par les exploitants qu'ils contrôlaient et à qui ils fournissaient par ailleurs une assistance zootechnique et sanitaire.

Un second audit conduit en 2022 a mis en évidence la persistance des lacunes constatées 3 ans plus tôt.

Au total, le rapporteur ne peut que faire siennes les prescriptions du Sénat qui demandait, en février 2018, que tout accord : « soit établi sur l'exigence de mise en oeuvre de normes comparables à celles de l'Union Européenne, concernant les produits destinés aux consommateurs de l'espace communautaire, cela tant au niveau des normes sanitaires et phytosanitaires, environnementales, sociales, qu'au niveau des normes relatives au bien-être animal et aux prescriptions de la dénomination de vente »30(*) et, en janvier 2024, à « obtenir l'adoption et l'application systématiques de mesures miroirs dans nos relations commerciales avec les États tiers et à renforcer la qualité et la quantité des contrôles aux frontières, une fois ces mesures miroirs instaurées, pour en assurer l'effectivité »31(*).


* 29 Règlement d'exécution 2024/399 de la Commission du 29 janvier 2024 modifiant l'annexe III du règlement d'exécution (UE) 2020/2235 et l'annexe II du règlement d'exécution (UE) 2021/403 en ce qui concerne les modèles de certificats pour l'entrée dans l'Union d'envois de certains produits d'origine animale et de certaines catégories d'animaux.

* 30 Résolution européenne du Sénat du 21 février 2018 sur les directives de négociation en vue d'un accord de libre-échange entre l'Union européenne et l'Australie, d'une part, et la Nouvelle-Zélande.

* 31 Résolution du Sénat du 16 janvier 2024 relative aux négociations en cours en vue d'un accord commercial entre l'Union européenne et le Mercosur.

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