N° 575

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024

Enregistré à la Présidence du Sénat le 7 mai 2024

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à réduire et à encadrer les frais bancaires sur succession,

Par M. Hervé MAUREY,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Bruno Belin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Emmanuel Capus, Thierry Cozic, Bernard Delcros, Thomas Dossus, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Stéphane Sautarel, Pascal Savoldelli, vice-présidents ; M. Michel Canévet,
Mmes Marie-Claire Carrère-Gée, Frédérique Espagnac, M. Marc Laménie, secrétaires ; MM. Arnaud Bazin, Grégory Blanc, Mme Florence Blatrix Contat, M. Éric Bocquet, Mme Isabelle Briquet, M. Vincent Capo-Canellas, Mme Marie-Carole Ciuntu, MM. Raphaël Daubet, Vincent Delahaye, Vincent Éblé, Rémi Féraud, Mme Nathalie Goulet, MM. Jean-Raymond Hugonet, Éric Jeansannetas, Christian Klinger, Mme Christine Lavarde, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Olivier Paccaud, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Mme Ghislaine Senée, MM. Laurent Somon, Christopher Szczurek, Mme Sylvie Vermeillet, M. Jean Pierre Vogel.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (16ème législ.) :

2056, 2204 et T.A. 246

Sénat :

374 et 576 (2023-2024)

L'ESSENTIEL

Dans la période récente, la régulation et l'encadrement des frais bancaires sur succession ont fait l'objet de nombreuses initiatives parlementaires. Le cas de parents qui s'étaient vus réclamer des frais de 138 euros pour clôturer le livret A de leur enfant de 8 ans décédé en mai 2021 et la publication d'une première étude de l'UFC Que Choisir en octobre 2021 ont appuyé ces démarches.

Ainsi, la proposition de loi n° 309 (2021-2022) du 4 janvier 2022 visant à encadrer les frais bancaires sur succession, présentée par M. Hervé Maurey, énonçait que les frais bancaires et opérations facturés devaient être « en rapport avec les coûts réellement supportés » par les établissements. Plus récemment, deux amendements identiques, respectivement déposés par M. Hervé Maurey et par Mme Vanina Paoli-Gagin, adoptés par le Sénat en janvier 2023 sur la proposition de loi n° 46 (2022-2023) tendant à renforcer la protection des épargnants prévoyaient la gratuité pour les comptes inférieurs à 5 000 euros bénéficiant de la procédure de clôture simplifiée et instituaient, pour les autres cas, un plafonnement à 1 % du montant total des sommes détenues par l'établissement. Face à ces différentes initiatives, le Gouvernement a longtemps indiqué privilégier la solution d'un accord de place entre les acteurs, avant d'admettre son caractère irréaliste.

C'est dans ce contexte que s'inscrit la proposition de loi n° 374 (2023-2024) visant à réduire et à encadrer les frais bancaires sur succession, déposée à l'Assemblée nationale le 16 janvier 2024 par Mme Christine Pirès Beaune. Le 29 février 2024, l'Assemblée nationale a adopté le texte en première lecture, avec modifications, et à l'unanimité.

Le texte étant désormais inscrit à l'ordre du jour du Sénat du mercredi 15 mai 2024, la commission des finances s'est réunie le 7 mai 2024 pour examiner le rapport de M. Hervé Maurey sur ce dispositif qui entend répondre aux difficultés soulevées par l'opacité et la grande disparité des frais prélevés au titre des opérations de succession, en prévoyant un encadrement et notamment trois cas de gratuité.

Soutenant l'encadrement des frais bancaires sur succession prévu à l'article 1er de la proposition de loi, la commission a adopté deux amendements du rapporteur afin d'assurer l'intelligibilité, la validité juridique et la mise en oeuvre effective du dispositif :

- en procédant à une réécriture globale du dispositif de l'article 1er, afin notamment de clarifier la structuration du dispositif, de le préciser, de mieux encadrer le renvoi au décret d'application et de prévoir expressément le contrôle par les agents de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) et de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) ( COM-3) ;

en adaptant la rédaction de l'article 2, relatif à une demande de rapport d'évaluation, avec celle de l'article 1er ( COM-4).

La commission a adopté la proposition de loi ainsi modifiée.

I. LES FRAIS APPLIQUÉS AU TITRE DES OPÉRATIONS DE SUCCESSION CONNAISSENT UNE FORTE HÉTÉROGÉNÉITÉ QUI N'A PU ÊTRE RÉSOLUE PAR LA CONCLUSION D'UN ACCORD ENTRE LES ACTEURS

A. EN L'ABSENCE DE CADRE LÉGAL SPÉCIFIQUE, LES FRAIS ACTUELLEMENT APPLIQUÉS AU TITRE DES OPÉRATIONS DE SUCCESSION SE DISTINGUENT PAR LEUR OPACITÉ, UN COÛT ÉLEVÉ ET UNE DISPARITÉ CERTAINE

Les frais appliqués par les établissements teneurs de comptes au titre des opérations liées aux successions sont évalués en France à un montant annuel total d'environ 125 millions d'euros, voire 200 millions d'euros selon une estimation haute (soit au plus 1 % du total des frais bancaires, compris entre 20 et 25 milliards d'euros par an).

Ces frais se caractérisent par leur opacité, un niveau élevé et une disparité marquée, liées à leur nature très particulière. D'une part, en raison de leur caractère ponctuel, ceux-ci ne font pas l'objet d'une attention particulière de la part des consommateurs. D'autre part, et plus fondamentalement, les successibles, qui en assument la charge en pratique, sont dans l'impossibilité de mettre en concurrence les établissements pour les services associés. Dans ce contexte, les établissements peuvent pratiquer des tarifs très variables, y compris parfois relativement décorrélés de la réalité des coûts supportés.

Selon une étude de l'UFC Que Choisir de février 2024, les frais bancaires acquittés par les héritiers pour une succession de 20 000 euros s'échelonnent entre 80 euros et 527,50 euros. Toutes banques confondues, ces frais s'élevaient à 291 euros en moyenne en 2023, en hausse de 25 % par rapport à 2021 et de 50 % par rapport à 2012. Les frais facturés en France seraient ainsi près de trois fois supérieurs à ceux pratiqués en Belgique et en Italie et même près de quatre fois plus élevés qu'en Espagne.

Les frais bancaires sur succession sont évalués en France à un montant annuel total de 125 millions d'euros.

Les frais pour une succession de 20 000 euros peuvent s'élever jusqu'à 527,50 euros dans certaines banques.

Toutes banques confondues, ces frais s'élèvent en moyenne en France à 291 euros.

125 M€

527,50 €

291 €

 

Ces frais spécifiques représenteraient ainsi 1 % du total des frais bancaires.

Ce montant est de seulement 80 euros dans d'autres établissements.

Ce niveau est 3 fois supérieur aux montants pratiqués en Belgique et en Italie et 4 fois plus élevé qu'en Espagne.

Si la réalité des opérations effectuées par les établissements de crédit ne saurait être contestée, la justification exacte de ces opérations, tout comme l'importance des coûts associés, apparaissent peu évidentes.

D'après le Conseil supérieur du notariat (CSN), les opérations effectuées par les banques dans le cadre des successions, mises en avant pour justifier les frais appliqués, seraient même en partie redondantes avec les actions réalisées par les notaires.

B. ALORS QUE DE NOMBREUSES INITIATIVES PARLEMENTAIRES ONT APPELÉ À LA RÉGULATION DES FRAIS BANCAIRES SUR SUCCESSION, L'ACCORD DE PLACE PROMIS PAR LE GOUVERNEMENT N'A PAS ABOUTI

1. Plusieurs initiatives parlementaires ont défendu un encadrement des frais bancaires sur succession, sans recueillir le soutien du Gouvernement

La question des frais bancaires sur succession a fait l'objet d'une forte médiatisation à la suite de l'émotion créée par le cas de parents qui s'étaient vus réclamer des frais de 138 euros pour clôturer le livret A de leur enfant de 8 ans décédé en mai 2021. Elle a suscité un certain nombre de réactions parlementaires dans la période récente.

Plusieurs questions écrites ont ainsi interpellé l'exécutif. Dès novembre 2021, M. Hervé Maurey, rapporteur, a attiré l'attention du ministre Bruno Le Maire sur ce sujet, l'interrogeant sur les mesures qu'il comptait prendre pour remédier aux difficultés observées. Dans sa réponse de janvier 2022, le ministre indiquait avoir demandé à ses services, en consultation avec les acteurs bancaires, d'examiner des pistes de réforme en la matière. Celui-ci précisait que le Gouvernement était déterminé à ce que « une solution soit rapidement dégagée dans le cadre des instances de concertation de Place ».

Face à l'absence de « solution rapidement dégagée », M. Hervé Maurey a déposé en janvier 2022 la proposition de loi n° 309 (2021-2022) visant à encadrer les frais bancaires sur succession, qui prévoyait que ces frais devaient être « en rapport avec les coûts réellement supportés ». En septembre, le ministre de l'économie et des finances assurait dans un courrier vouloir faire évoluer les pratiques des banques « d'ici le début de l'automne ».

Dans ce contexte, et en l'absence de toute avancée, deux amendements identiques, respectivement déposés par M. Hervé Maurey et par Mme Vanina Paoli-Gagin, ont été adoptés par le Sénat en janvier 2023 sur la proposition de loi n° 46 (2022-2023) tendant à renforcer la protection des épargnants, et ce malgré l'avis défavorable donné par le Gouvernement. Ces amendements instituaient, d'une part, une gratuité pour les comptes inférieurs à 5 000 euros bénéficiant de la procédure de clôture simplifiée, et, d'autre part, dans les cas non couverts par cette gratuité, un plafonnement à 1 % du montant total des sommes détenues par l'établissement, dans la limite d'un plafond fixé par arrêté du ministre chargé de l'économie.

Lors de l'examen de ces amendements, le ministre délégué Jean-Noël Barrot annonçait la conclusion sous un mois d'un « accord de place engageant pleinement les banques au-delà des exigences légales ». Le ministre délégué déclarait alors espérer « parvenir à un accord de place prévoyant que le plafonnement des frais soit inférieur à 1 % des sommes du compte ». Il n'en a rien été.

2. Alors que des échanges avec les banques ont été initiés à plusieurs reprises par le Gouvernement, les conditions d'un accord de place entre les acteurs n'ont jamais été réunies

D'après la direction générale du Trésor, interrogée par le rapporteur, en 2021 comme en février 2023, les conditions n'ont jamais été réunies pour un accord de place permettant une modération tarifaire de la part des acteurs bancaires.

La piste d'un accord de place s'est avérée une solution illusoire

Au-delà des questions de fond posées par une modération des frais bancaires sur succession, la validité juridique d'un accord de place en matière tarifaire aurait été très incertaine au regard de la prohibition des ententes anticoncurrentielles.

De fait, la conclusion d'un tel accord sur les prix aurait exposé les banques impliquées à des sanctions pécuniaires pouvant atteindre un maximum de 10 % du montant du chiffre d'affaires annuel mondial hors taxes des activités en cause.

II. LA PROPOSITION DE LOI : UN DISPOSITIF LÉGISLATIF ATTENDU DONT LES MODALITÉS DOIVENT ÊTRE CONSOLIDÉES

A. UN ENCADREMENT DES FRAIS ÉQUILIBRÉ, AVEC DES CAS DE GRATUITÉ COUVRANT LES SITUATIONS LES PLUS PROBLÉMATIQUES

L'article 1er de la proposition de loi institue trois cas de gratuité répondant aux situations les plus critiquées par les consommateurs et par leurs représentants :

lorsque l'héritier justifie de sa qualité d'héritier dans les conditions de la procédure de clôture des comptes simplifiée, prévues à l'article L. 312-1-4 du CMF, autrement dit soit par la production d'un acte de notoriété, soit par la production d'une attestation signée de l'ensemble des héritiers (cas correspondant aux successions les plus simples) ;

- lorsque le montant total des soldes des comptes est inférieur à un seuil fixé à 5 000 euros (cas correspondant aux successions les plus modestes) ;

- lorsque le détenteur des comptes était mineur à la date du décès.

Ces cas de gratuité devraient ainsi bénéficier à une part importante des clients, qu'il s'agisse des successions les plus modestes (environ 30 % de la population) ou des successions les plus simples.

Dans les autres cas, les opérations liées à la succession pourraient donner lieu à un prélèvement de frais, dont un décret d'application définirait le barème.

Quant aux articles 1er bis et 2, ceux-ci prévoient respectivement l'application de l'encadrement des frais bancaires sur succession à la Nouvelle-Calédonie, à la Polynésie française et aux îles de Wallis et Futuna, et la remise d'un rapport d'évaluation un an après la publication du décret d'application.

B. DES PRÉCISIONS NÉCESSAIRES AFIN D'ASSURER L'INTELLIGIBILITÉ ET LA VALIDITÉ JURIDIQUE DU DISPOSITIF AINSI QUE SA MISE EN oeUVRE EFFECTIVE

Tout d'abord, afin de prévenir toute confusion et assurer le respect des impératifs constitutionnels en matière d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi, la structuration de l'article a été refondue afin de distinguer plus clairement les différents cas de gratuité, avec un alinéa dédié pour chacun des trois cas. S'agissant du champ d'application, la mention des comptes visés a été harmonisée. De même, ont été inclus dans le dispositif les frais prélevés par les établissements de paiement, dont les offres attirent un nombre croissant de clients. Par ailleurs, les conditions du cas de gratuité relatif aux successions les plus simples ont été complétées.

Conformément à la mesure votée par le Sénat en janvier 2023, le barème relatif au plafonnement des frais dans les cas non couverts par la gratuité, qui sera déterminé au niveau du décret d'application, a été précisé pour prévoir une limite de 1 % du montant total des soldes des comptes et des produits d'épargne.

En complément, les agents de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) et de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) sont expressément habilités à contrôler le respect de ces nouvelles règles.

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