Rapport n° 140 (1974-1975) de M. Marcel LUCOTTE , fait au nom de la commission des affaires économiques, déposé le 12 décembre 1974

Disponible au format Acrobat (48 Koctets)

N° 140

SÉNAT

PREMIÈRE SESSION ORDINAIRE DE 1977-1978

Annexe au procès-verbal de la séance du 12 décembre 1974.

RAPPORT

FAIT

au nom de la Commission des Affaires économiques et du Plan (1) sur la proposition de résolution de MM. Henri CAILLAiVET et Jacques BORDENEUVE, tendant à la création d'une commission d'enquête parlementaire chargée d'examiner les conditions dans lesquelles sont organisés, du producteur au consommateur, les circuits de distribution de la viande et des fruits et légumes,

Par M. Marcel LUCOTTE,

Sénateur .

_____________

___________________________________________________________________

(1) Cette commission est composée de : MM. Jean Bertaud, président ; Paul Mistral, Joseph Yvon, Marcel Luccotte, Michel Chauty, vice-présidents ; Jean-Marie Bouloux, Fernand Chatelain, Marcel Lemaire, Joseph Voyant, secrétaires ; Charles Alliès, Octave Bajeux, André Barroux, Charles Beaupetit, Georges Berchet, Auguste Billiemaz, Amédée Bouquerel, Frédéric Bourguet, Jacques Braconnier, Marcel Brégégère, Raymond Brun, Auguste Chupin, Jean Colin, Francisque Collomb, Jacques Coudert, Maurice Coutrot, Pierre Croze, Léon David, René Debesson, Hector Dubois, Emile Durieux, Gérard Ehlers, Jean Filippi, Jean Francou, Léon-Jean Grégory, Mme Brigitte Gros, MM. Paul Guillaumot, Maxime Javelly, Pierre Jeambrun, Alfred Kieffer, Pierre Labonde, Maurice Lalloy, Robert Laucournet, Bernard Legrand, Louis Le Montagner, Léandre Létoquart, Paul Malassagne, Louis Marré, Pierre Marzin, Henri Olivier, Louis Orvoen, Gaston Pams, Albert Pen, Pierre Perrin, André Picard, Jean-François Pintat, Richard Pouille, Henri Prêtre, Maurice Prévoteau, Jean Proriol, Roger Quilliot, Jean-Marie Rausch, Jules Roujon, Guy Schmaus, Michel Sordel, René Travert, Raoul Vadepied, Jacques Verneuil, Raymond Villatte, Charles Zwickert.

Voir les numéros :

Sénat : 13 (1974-1975).

Distribution - Viande - Fruits et légumes - Commerce - Commission d'enquête et de contrôte

Mesdames, Messieurs,

C'est le 10 octobre dernier que deux de nos collègues, MM. Caillavet et Bordeneuve, déposaient sur le bureau du Sénat une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête parlementaire chargée d'examiner les conditions dans lesquelles sont organisés, du producteur au consommateur, les circuits de distribution de la viande et des fruits et légumes.

Dans l'exposé des motifs de cette proposition, nos collègues constataient que les prix de détail de ces produits augmentaient constamment, tandis que les prix payés aux producteurs ou aux éleveurs baissaient de façon considérable. Pour résoudre ce problème que ni les producteurs, ni les consommateurs n'appréhendent dans sa totalité, ils jugeaient souhaitable qu'une commission d'enquête établisse les véritables raisons d'une telle disproportion et propose éventuellement une réforme des circuits de distribution de ces produits.

Or, depuis la réforme du règlement du Sénat en date du 22 avril 1971, une proposition de résolution tendant à la création d'une telle commission est renvoyée devant la Commission compétente sur le fond de la question soulevée. Comme le soulignait alors M. Prélot : « il est évident que la commission de législation n'est pas faite pour statuer sur l'opportunité de telles enquêtes. Son rôle doit simplement être de dire si, juridiquement, une commission d'enquête est conforme à la loi ». ( 1 ( * ) )

La Commission des Affaires économiques n'a donc pas à examiner la conformité de cette proposition de résolution avec les dispositions qui régissent la matière, et, en particulier, avec l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des Assemblées parlementaires, mais à déterminer l'opportunité de la création de cette commission d'enquête.

Pour cela, nous tenterons d'abord de déterminer si la question soulevée est suffisamment importante pour que l'on doive envisager une réforme des circuits de distribution de la viande et des fruits et légumes. Puis nous nous demanderons si la création d'une commission d'enquête est la formule la plus adéquate et la plus opportune pour aboutir à une solution rapide et effective.

I. -- UNE RÉFORME DES CIRCUITS DE DISTRIBUTION DE LA VIANDE ET DES FRUITS ET LÉGUMES EST-ELLE SOUHAITABLE?

Un article récent d'un grand quotidien du soir commence ainsi : « Dans la ligne de mire de l'inflation : le boucher. Il tranche quotidiennement dans le revenu des ménages proportionnellement à l'épaisseur des biftecks».

Il est vrai que le prix de la viande, et plus particulièrement le prix du boeuf, est un des points de sensibilisation principaux de nos compatriotes à l'augmentation des prix. Cela s'explique par la forte consommation française (le Français mange en moyenne 96 kilogrammes de viande par an dont près de 30 kilogrammes de viande boeuf, ce qui représente la plus forte consommation d'Europe) ; cela s'explique également par l'évolution des prix. En effet, si l'on prend comme base 100 l'année 1953, les prix agricoles à la production ont atteint, en 1973 , l'indice 250, tandis que les prix de la viande bovine sont à l'indice 432.

La très forte croissance relative du prix de la viande bovine apparaît plus encore si l'on met en parallèle le prix du porc qui, dans le même temps, est passé de l'indice 100 à l'indice 210 ; le prix du lait, qui a atteint l'indice 220 ; ou celui des volailles qui est à l'indice 118.

Cette croissance relative du prix de la viande bovine s'explique par la moindre industrialisation de ce secteur ; or on peut se demander s'il est raisonnable d'attendre une industrialisation prochaine de la production de viande bovine, car celle-ci semble s'accompagner d'une dégradation de la qualité du produit que le consommateur français n'accepte pas.

Mais ce qui nous intéresse ici plus particulièrement, c'est l'évolution de la marge retenue par les intermédiaires et par la distribution.

Il nous faut d'abord examiner cette évolution sur une longue période. Si l'on retient une base 100 en 1962, on observe que l'indice du prix du bétail sur pied est, en février 1974, à 202,4 ; l'indice des prix de gros sur les marchés alimentaires parisiens est à 201 ; et l'indice du prix de détail est à 202, On constate donc un parallélisme d'évolution des prix à la production et à la consommation.

Ce résultat, qui peut surprendre, mais qui est confirmé par l'évolution des indices portant sur d'autres périodes, ne doit pas nous satisfaire ; en effet, si les gains de productivité ont été faibles pour la production de viande bovine, ce qui s'explique par ses spécificités, ce parallélisme montre que le pourcentage que prélèvent les intermédiaires et les détaillants est resté stable tout au long de cette période de vingt ans. On peut en conclure Soit que les gains de productivité, au stade de la distribution, ont été aussi faibles qu'au stade de la production -- et il conviendrait de s'interroger sur les causes de cette faiblesse -- soit qu'ils ont été plus importants, mais que les détaillants et intermédiaires en ont empoché tout le bénéfice.

Sur la courte période, les évolutions de prix à la production et au détail sont, en revanche, fort différentes. En 1972, les prix du boeuf se sont « envolés » aussi bien pour le producteur que pour le consommateur. A partir du début de 1973, les producteurs ont ressenti une vive baisse, mais les consommateurs l'ont totalement ignorée ; tout au contraire, les prix à la consommation ont continué de monter. Sans doute les prix à la consommation ont-ils moins augmenté, de février 1971 à janvier 1973, que les prix à la production, mais, depuis cette dernière date, les intermédiaires et détaillants ont su trouver une compensation, il semblerait donc que détaillants et intermédiaires amortissent les variations, à la baisse comme à la hausse, des prix de la viande bovine. C'est là l'impression qui se dégage des chiffres globaux dont on peut avoir connaissance, mais il serait sans aucun doute utile de connaître exactement le mécanisme qui aboutit à ce résultat.

Car ce mécanisme d'amortissement peut être particulièrement gênant lorsque les pouvoirs publics mènent une action afin d'obtenir une baisse du prix à la consommation. On l'a bien vu lorsque la T.V.A. sur la viande a été supprimée. Comme le signalait le Ministre de l'Agriculture devant le Sénat, le 12 novembre dernier : « la suppression de T.V.A. ne bénéficiait en réalité ni aux producteurs, ni aux consommateurs ; l'avantage correspondant se perdait dans des circuits sur lesquels la lumière n'est pas encore faite. »

Pour les fruits et légumes, les indices sont moins facilement utilisables car, d'une part, il n'est pas possible d'isoler une production particulièrement importante parmi tant d'autres, et, d'autre part, les prix à la consommation sont extrêmement variables d'un jour à l'autre et d'un point de vente à l'autre. Cependant, il serait du plus grand intérêt de déterminer, par exemple, le circuit qui permet à un kilogramme de pêches qui part de chez le producteur à 0,60 franc d'être vendu au consommateur au prix de 3,00 francs, soit six fois plus cher.

Aussi bien pour la viande que pour les fruits et légumes, il nous paraît donc souhaitable que des études approfondies soient effectuées afin que les phénomènes régissant la distribution de ces produits soient mieux connus et que des réformes puissent, éventuellement être proposées. Afin de réaliser ces études et d'aboutir à des propositions, on pourrait évidemment songer à créer une commission d'enquête. Encore convient-il de savoir si la création d'une telle commission est le plus opportun et le plus simple moyen de parvenir à ce but.

II. -- UNE COMMISSION D'ENQUÊTE EST-ELLE NÉCESSAIRE ?

Il nous faut ici distinguer nettement le cas de la viande de celui des fruits et légumes.

En effet, le 18 octobre dernier, l'Assemblée Nationale décidait la création d'une commission d'enquête ayant pour objet de déterminer avec précision les pratiques dans les circuits intérieurs de commercialisation des viandes, les problèmes posés par les importations et les exportations des viandes, les problèmes posés par les importations des oeufs et poulets et, enfin, les rapports entre les circuits intérieurs et les circuits extérieurs des viandes, ainsi que les interventions de l'Etat.

La simple courtoisie, d'une part, la tradition parlementaire, d'autre part, enfin le simple souci de ne pas engager inutilement des efforts similaires et parallèles en une même voie et pour un même objet nous amènent à penser que la création d'une commission d'enquête sénatoriale chargée d'examiner les circuits de distribution de la viande n'est pas souhaitable.

Il serait en effet discourtois de la part du Sénat de constituer une commission d'enquête dont l'objet serait identique à celui d'une commission composée de députés ; nous donnerions alors à penser que nous nous défions du travail effectué par nos collègues députés.

La tradition parlementaire -- peut-être influencée par ces exigences de courtoisie -- veut d'ailleurs que les deux Assemblées du Parlement ne constituent pas des organes d'enquête rivaux fonctionnant parallèlement.

Enfin, il nous faut bien reconnaître qu'il y aurait dans ce cas un gaspillage de temps et d'énergie, tant de notre part que de celle des fonctionnaires de l'Etat et des professionnels, que rien ne légitime.

Une enquête sénatoriale sur les circuits de distribution de la viande n'étant donc pas actuellement souhaitable, il nous reste à examiner dans quelles conditions les circuits de distribution des fruits et légumes qui ne sont aucunement visés par les travaux de l'Assemblée Nationale, peuvent être examinés.

Le Ministre du Commerce et de l'Artisanat avait indiqué à l'Assemblée Nationale qu' un groupe de travail avait été mis en place par le Gouvernement afin d'étudier la situation du marché des fruits et légumes . Aussi votre Rapporteur a-t-il pris contact avec les services du Ministère du Commerce et de l'Artisanat afin de connaître la teneur et l'état de ces travaux. Les renseignements qui lui ont été fournis montrent que les préoccupations qui ont animé ce groupe de travail sont précisément celles qui ont motivé le dépôt de la proposition de résolution que nous examinons ici.

En effet, le groupe de travail étudiant le marché des fruits et légumes, qui a été installé le 15 septembre dernier, doit déterminer le schéma exact de la distribution ainsi que la structure des coûts afin de proposer des orientations et des réformes au système de distribution et de prix, Ce groupe comprend des membres de l'administration provenant du Ministère de l'Economie et des Finances, du Ministère de l'Agriculture ainsi que du Ministère du Commerce et de l'Artisanat, des membres des organisations professionnelles allant des producteurs aux détaillants, enfin des représentants des consommateurs.

Le groupe a, d'ores et déjà, mené une étude approfondie des mécanismes de formation des prix qui devrait permettre une meilleure connaissance des phénomènes régissant le système distributif de ces produits. Il lui reste, actuellement, à émettre des propositions concrètes de réforme. Le rapport d'ensemble devrait être achevé à la fin de l'année 1974.

Ce rapport sera porté à la connaissance du Parlement et du public et le Ministre du Commerce et de l'Artisanat est prêt à se rendre devant la Commission des Affaires économiques et du Plan, au début de l'année 1975, pour s'entretenir avec les commissaires du contenu de ce rapport et des réformes qu'il serait bon d'entreprendre.

En conséquence, il ne paraît pas souhaitable de constituer aujourd'hui une commission d'enquête sur ce sujet. Si le rapport du groupe de travail et les mesures que le Gouvernement sera amené à prendre nous satisfont, cette commission serait simplement inutile. Si le rapport du groupe de travail paraissait insuffisant ou critiquable, ce n'est qu'après avoir pris connaissance et après avoir entendu le Ministre du Commerce que nous pourrions songer à créer une commission d'enquête ; la créer aujourd'hui serait perdre deux mois, alors que nous ne savons que trop que le délai de quatre mois dans lequel ces commissions se trouvent enfermées est tout à fait insuffisant.

*

* *

Au cours de l'examen en Commission, MM. Coudert, Lemaire, Bouloux, Filippi, David, Berchet et Malassagne sont tous intervenus pour souligner l'importance du problème et souhaiter que la Commission et le Sénat disposent d'informations précises à ce propos. La formule d'une commission d'enquête n'a cependant paru ni la plus opportune ni la plus efficace. Elle ne confère, en effet, à ses membres aucun pouvoir particulier, mais les soumet à un certain nombre de contraintes et, en particulier, à un calendrier très strict.

Aussi la Commission des Affaires économiques et du Plan a-t-elle décidé la création de deux groupes de travail chargés d'étudier, l'un les circuits de distribution de la viande, l'autre ceux des fruits et légumes -- et de lui présenter leurs conclusions.

Votre Commission propose en conséquence au Sénat de repousser la proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

(Texte repoussé par la Commission .)

Article unique.

Une Commission d'enquête chargée d'examiner les conditions dans lesquelles sont organisés les circuits de distribution de la viande et des fruits et légumes, du producteur au consommateur, est constituée. Elle comprend seize membres.

* 1 J.O. Débats Sénat, Séance du 22 avril 1971.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page