Rapport n° 35 (1995-1996) de M. Emmanuel HAMEL , fait au nom de la commission des finances, déposé le 18 octobre 1995

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N° 35

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1995-1996

Annexe au procès-verbal de la séance du 18 octobre 1995.

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation (1) sur le projet de loi autorisant l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Japon en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d 'impôts sur le revenu (ensemble un protocole),

Par M. Emmanuel HAMEL,

Sénateur

Cette commission est composée de : MM. Christian Poncelet, président ; Jean Cluzel, Henri Collard, Roland du Luart, Jean-Pierre Masseret, vice-présidents ; Mme Marie-Claude Beaudeau, MM. Emmanuel Hamel, René Régnault. François Trucy, secrétaires ; Alain Lambert, rapporteur général ; MM. Philippe Adnot, Denis Badré, René Ballayer, Bernard Barbier, Jacques Baudot, Claude Belot, Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM. Roger Besse, Maurice Blin, Joël Bourdin, Guy Cabanel, Auguste Cazalet, Michel Charasse, Jacques Chaumont, Yvon Collin, Jacques Delong, Yann Gaillard, Hubert Haenel, Jean-Philippe Lachenaud, Claude Lise. Paul Loridant, Philippe Marini, Marc Massion, Michel Mercier, Gérard Miquel, Michel Moreigne, Joseph Ostermann, Jacques Oudin, Alain Richard, Maurice Schumann, Michel Sergent, Henri Torre, René Trégouët.

Voir le numéro :

Sénat : 407 (1994-1995).

Traités et conventions.

Les conventions fiscales internationales bilatérales ont deux objets directs :

- clarifier la répartition des droits d'imposer entre les deux États concernés,

- éviter la fraude et l'évasion fiscale.

Ainsi, l'objectif de toute convention fiscale est tout à la fois d'éviter que le fisc ne soit un obstacle aux mouvements de personnes, de biens et de capitaux et que ces derniers permettent de prendre à contre-pied les règles fiscales des États.

Exercices de conciliation d'abord entre des objectifs parfois contradictoires, les conventions fiscales bilatérales le sont également entre des volontés étatiques souvent opposées.

Car quand bien même le fisc se caractériserait universellement par des Propriétés qui lui seraient particulières, les cultures fiscales nationales sont fréquemment fortement individualisées.

Dans ces conditions, il n'y a rien d'étonnant à ce que le fragile équilibre atteint par une convention fiscale bilatérale soit longtemps préservé contre des modifications que l'écoulement du temps rendrait nécessaire. De la même manière, il s'impose comme une nécessité que la négociation d'un nouvel accord s'inscrive dans le temps long.

I- LE CONTEXTE ECONOMIQUE ET FINANCIER

A. LA SITUATION ECONOMIQUE AU JAPON

Le Japon traverse une crise économique depuis quatre ans et ne paraît pas près d'en sortir En 1994, la croissance a été de 0,5 %, elle ne devrait pas dépasser 1 % en 1995.

L'économie japonaise est doublement handicapée par une appréciation de sa devise qui pèse sur la compétitivité des entreprises et par des effets de richesse négatifs (effondrement de la valeur des actifs boursiers et immobiliers) qui affectent profondément la confiance des ménages.

Dans ces conditions, la consommation privée et l'investissement restent déprimés.

Face à cette situation, des politiques économiques actives ont été mises en oeuvre.

Le taux d'escompte a été ramené de 6 % en 1991 à 1 % Quatre plans de relance budgétaire équivalant à 9,6 % du PIB ont été successivement mis en oeuvre, le déficit budgétaire devrait continuer d'augmenter en 1995, passant de 3,6 à plus de 4% du PIB (en 1992, l'excédent budgétaire s'élevait à 1,6 point du PIB).

Il est remarquable que, dans ces conditions, la reprise ne se produise pas. C'est que les stimulants liés aux politiques économiques pratiqués sont plus que compensés par les effets dépressifs de la surévaluation de la monnaie en termes de capacité bénéficiaire des entreprises japonaises Conséquence d'un affaiblissement sous ce rapport, un nombre toujours plus grand d'entreprises envisagent de délocaliser leur activité, les salaires qu'elles distribuent s'étiolent tandis que le taux de chômage est à son plus haut historique au Japon avec 3,5 %.

B. LES RELATIONS BILATÉRALES

A l'image des relations euro-japonaises en général, les rapports franco-japonais sont rendus difficiles sans doute par quelques pierres d'achoppement d'ordre politique malencontreusement avivées par des déclarations peu responsables, mais surtout par les dossiers économiques.

En un mot, le défaut d'ouverture de l'économie japonaise est un obstacle latent et constant à des relations plus harmonieuses En outre, la prévalence des rapports américano-japonais entretient le sentiment que le Japon estime comme seulement secondaires des progrès dans ses relations avec l'Europe.

Le bilan des échanges commerciaux franco-japonais étaye ces impressions. Le montant des exportations françaises vers le Japon reste, malgré une progression appréciable, assez modeste : 25,4 milliards de francs en 1994 En outre, il n'assure qu'un taux de couverture extrêmement faible de nos importations, la plupart du temps inférieur à 50 %. Il en résulte un déficit structurel conséquent, le premier en valeur de nos déficits bilatéraux.

S'agissant des investissements bilatéraux, la situation n'est guère brillante La France accueille 1,4% des investissements japonais à l'étranger (4,9 milliards de dollars). Elle n'occupe ainsi que la cinquième place en Europe derrière le Royaume-Uni (7,4 %), les Pays-Bas (4,2 %), le Luxembourg (1,7 %) et l'Allemagne (1,6 %).

De la même manière, la France est un investisseur marginal au Japon avec 1,5 % des investissements étrangers seulement contre 7,8 pour les Pays-Bas, 5,9 % pour la Suisse, 4,9 % pour l'Allemagne et 4,8 % pour le Royaume-Uni.

Il est vrai que les 308 implantations françaises au Japon ont dû relever les redoutables défis que constituent la cherté des prix immobiliers, les obstacles culturels et les obstacles non-tarifaires à leur implantation. A ce Propos, on ne peut que se satisfaire, qu'après deux ans d'absence, Renault ait enfin retrouvé un distributeur sur place.

Il faut souhaiter que le projet de convention fiscale qui est examiné ci-dessous suscite l'émergence d'autres conditions propres à dynamiser et à rééquilibrer les relations économiques franco-japonaises.

II. LES DISPOSITIONS TECHNIQUES DE L'ACCORD

La convention fiscale actuellement en vigueur entre la France et le Japon date du 27 novembre 1964.

Son ancienneté a rendu nécessaire une actualisation afin, en Particulier, de se rapprocher des recommandations de l'OCDE.

Comme c'est souvent le cas, une première série d'articles précise le champ d'application de la nouvelle convention signée le 3 mars 1995 à Paris.

L'article 4 indique que la convention ne concerne que les résidents d'un État contractant et fixe les conditions dans lesquelles, en cas de double résidence dans l'un et l'autre État, la personne est réputée résidente de l'un d'entre eux seulement.

Est considéré comme "résident d'un État contractant" toute personne qui en vertu de la législation de cet État, est assujettie à l'impôt dans cet État en faisan de son domicile, de sa résidence, de son siège de direction, de son siège social, ou de tout autre critère de nature analogue".

Quant aux règles de rattachement à l'un des deux États des doubles-résidents, elles diffèrent selon qu'il s'agit d'une personne physique ou morale.

Pour les personnes physiques, la classique série de critères successifs sert pour apprécier le sort des doubles-résidents.

Pour les personnes morales, la question doit être tranchée d'un commun accord par les deux États signataires. A noter qu'aucune mention n'est faite de critères susceptibles de guider le choix des États.

Comme c'est la coutume, l'article 5 réserve un sort particulier aux établissements stables qui, quoique dépourvus de personnalité morale, sont reconnus comme résidents d'un État dès lors qu'ils se présentent comme une installation fixe d'affaire sise dans cet État par laquelle une entreprise exerce tout ou partie de son activité.

L'article 2 de la convention établit la liste des impôts auxquels s'applique la convention. Du côté français, sont concernés :

- l'impôt sur le revenu ;

- l'impôt sur les sociétés ;

- l'imposition forfaitaire annuelle des sociétés

Du côté japonais, sont visés :

- l'impôt sur le revenu ;

- l'impôt sur les sociétés,

- les impôts locaux sur les habitants.

A la demande du Japon semble-t-il, la convention ne traite donc pas de l'impôt sur la fortune.

Une deuxième série d'articles de la convention répartit le droit d'imposer entre les deux États contractants pour chacune des assiettes taxables.

Solution classique, l'article 6 donne à l'État de situation des biens le droit d'imposer les revenus des biens immobiliers.

L'article 7 règle le sort de l'imposition des bénéfices des entreprises.

Les bénéfices d'une entreprise d'un État contractant ne sont imposables que dans cet État, à moins que l'entreprise n'exerce son activité dans l'autre État contractant par l'intermédiaire d'un établissement stable qui y est situé. Si l'entreprise exerce son activité d'une telle façon, les bénéfices de l'entreprise sont imposables dans l'autre État, mais uniquement dans la mesure où ils sont imputables à cet établissement stable.

La réserve relative aux règles d'imposition des établissements stables est traditionnelle, mais elle est assortie d'une précision particulière. Le bénéfice imposable de l'établissement stable s'entend des seuls bénéfices qu'il aurait réalisé s'il avait constitué une personne indépendante. En conséquence, sont par exemple admises en déduction de l'assiette imposable "les dépenses qui ont un lien raisonnable avec ces sociétés, y compris les dépenses de direction et les frais généraux d'administration, que ces dépenses soient exposées dans l'État où est situé cet établissement stable ou ailleurs".

Ce genre de dispositions apparaît justifié, mais il faut observer que l'imprécision des concepts visés est de nature à diminuer la sécurité fiscale et à nourrir le contentieux fiscal Enfin, la mention de dépenses exposées ailleurs" paraît d'une certaine manière étendre le champ géographique d'application de la convention puisqu'elle conduit, via l'élargissement géographique des conditions de calcul de l'assiette imposable qu'elle comporte, à prendre en compte l'activité d'autres personnes que les résidents des deux États contractants.

L'article 8 contient une disposition classiquement dérogatoire qui Précise que "les bénéfices qu'une entreprise d'un État contractant tire de 'exploitation, en trafic international, de navires ou d'aéronefs ne sont imposables que dans cet État '.

En outre, le paragraphe 2 de l'article prévoit qu'une entreprise japonaise qui exploite des navires ou des aéronefs en trafic international est dégrevée d'office en France de la taxe professionnelle.

Ces dispositions appellent quelques observations.

D'abord, compte tenu de l'ouverture inégale des cieux européen et japonais, l'opportunité de déroger aux règles répartissant le droit d'imposer les bénéfices des établissements stables peut être sérieusement mise en cause.

En revanche, la mention du terme dégrèvement de taxe Professionnelle prévu par l'article résous la question de la compensation des pertes de recettes induites pour les collectivités locales par cet avantage fiscal concédé par l'État.

L'article 9 règle le sort des bénéfices d'entreprises liées entre elles et reconnaît à un État contractant la faculté d'imposer les sociétés sur le bénéfice qu'elles auraient réalisé en l'absence de tels liens. Il précise que si l'autre État à imposé ces mêmes bénéfices, un accord entre les deux États contractants intervient pour répartir le droit d'imposer aux termes duquel les impositions sur les bénéfices sont ajustées.

L'article 10 de la convention concerne le sort fiscal des dividendes.

Les dividendes sont imposables à la fois par l'État de la source et l'État de destination.

Mais le droit à imposition du premier est limité puisque l'impôt qu'il établit ne peut excéder 5 % du montant brut des dividendes si leur bénéficiaire effectif détient une part significative - plus de 15 % des droits de vote d'une société japonaise ou de plus de 15 % du capital d'une société française - dans la société qui verse les dividendes et 15 % du montant brut des dividendes dans les autres cas.

Le principe d'une double imposition des dividendes est donc maintenu mais le taux conventionnel appliqué par l'État de la source est réduit par rapport aux dispositions antérieures alors qu'est prorogée l'inégalité de taxation entre "petits et gros porteurs ".

Il est remarquable que le seuil d'imposition à taux réduit des dividendes exigibles dans l'État de la source soit lié à un niveau de participation dans la société distributrice supérieur dans le cas du Japon par rapport à celui des États-Unis - 15 % contre 10 % -

Il n'en reste pas moins que le taux ainsi fixé est inférieur au taux retenu par le modèle OCDE qui est de 25 %.

Une particularité de la convention vient de ce que le droit d'imposer les dividendes est réservé exclusivement à l'État de destination lorsque le bénéficiaire du paiement est une "société-résident qualifiée" de l'État contractant qui détient une participation significative dans la société distributrice.

La définition des sociétés qui sont des résidents qualifiés comprend les sociétés cotées en bourse dans l'un ou l'autre État, ainsi que les sociétés détenues majoritairement, directement ou indirectement, par :

- l'un ou l'autre État (ou un État qualifié), leurs collectivités locales ou leurs personnes morales de droit public ;

- des personnes physiques résidentes de l'un ou l'autre État (ou d'un État qualifié) ;

- des sociétés cotées en bourse dans l'un ou l'autre État (ou d'un État qualifié),

- la combinaison de ces trois catégories d'actionnaires.

Un État qualifié est défini comme celui qui est lié à l'État de la société qui paie les dividendes par une convention fiscale qui prévoit également l'exonération de la retenue à la source.

Le transfert de l'avoir fiscal par le Trésor français 1 ( * ) aux résidents du Japon est prévu sous des conditions classiques, mais il est étendu, pour une fraction seulement, aux fonds de pension japonais nonobstant l'exonération fiscale dont ils bénéficient dans ce pays.

L'article 11 prévoit que les intérêts sont imposables dans l'État de destination et dans l'État de la source. Mais, le taux applicable par ce dernier ne peut excéder 10 % du montant brut des intérêts. Une comparaison peut être établie avec le cas des États-Unis, où le droit d'imposer appartient exclusivement à l'État de destination ce qui n'est le cas dans la présente convention que pour les intérêts reçus par une personne publique ou par une Personne privée, mais de source publique.

L'article 12 traite des redevances et précise que le droit d'imposer appartient à l'État du résident du bénéficiaire du paiement et, dans la limite de 10 % de leur montant, à l'État de provenance du paiement.

Par rapport à la convention franco-américaine, deux différences apparaissent :

- le taux d'imposition dans l'État de la source est plus élevé (10% contre 5 %) ;

- les redevances relatives aux droits d'auteurs ne sont pas exclues du champ des redevances imposables dans l'État de la source.

L'article 13 traite de l'imposition des gains en capital.

Les gains en capital provenant de l'aliénation de biens immobiliers sont imposables dans l'État où sont situés ces biens. Il en va de même pour les biens mobiliers qui font partie de l'actif d'un "établissement stable" et pour les navires ou aéronefs exploités en trafic international.

En revanche, les gains en capital issus de l'aliénation de tous les autres biens mobiliers ne sont imposables que dans l'État de résidence de celui qui les cède.

Une exception importante est prévue pour les gains provenant de l'aliénation d'une part significative du capital d'une société par un actionnaire important de celle-ci. En ce cas, les gains réalisés sont imposables dans l'État de résidence de la société.

L'article 14 traite de l'imposition des revenus des professions libérales. Ceux-ci sont imposables dans l'État de résidence du professionnel, sauf pour les revenus qu'il tire de son activité dans l'autre État dès lors qu'il y dispose d'une base fixe d'activité.

Conformément à l'article 15, les rémunérations d'activités dépendantes sont imposables dans l'État où ces fonctions sont exercées.

L'article 17 concerne l'imposition des cachets des sportifs et des artistes.

L'article 18 prévoit que les pensions privées ne sont imposables que dans l'État de résidence du bénéficiaire alors que l'article 19 prévoit l'imposition des rémunérations et pensions publiques dans l'État de la source.

Les articles 20 et 21 comportent un certain nombre d'exonérations visant à faciliter la mobilité bilatérale des chercheurs et étudiants dans l'un et l'autre État.

L'article 23 fixe les méthodes retenues pour éliminer les doubles impositions.

Pour la France, les doubles impositions sont éliminées en appliquant un crédit d'impôt égal soit au montant de l'impôt français, ce qui a pour effet d'exonérer entièrement les revenus concernés, soit au montant de l'impôt japonais.

L'article 24 établit le principe de non discrimination.

Les articles qui suivent sont relatifs à la coopération fiscale entre les États contractants et aux modalités d'entrée en vigueur et de prise d'effet de la convention. L'article 27 est remarquable en ce qu'il prévoit une coopération en matière de recouvrement des impôts entre les administrations fiscales des deux États afin que les avantages conventionnels ne profitent qu'aux personnes qui y ont droit.

Telles sont les principales dispositions de cet accord.

Votre rapporteur vous en recommande l'adoption.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 18 octobre 1995, sous la présidence de M. Jean Cluzel, vice-président, la commission a procédé, sur le rapport de M. Emmanuel Hamel, à l'examen du projet de loi autorisant l'approbation de la convention fiscale entre la France et le Japon.

Elle a décidé d'adopter le projet de loi dont le texte suit :

Article unique

"Est autorisée l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Japon en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu (ensemble un protocole), signée à Paris le 3 mars 1995, et dont le texte est annexé à la présente loi.

* 1 Le Japon ne connaît pas le mécanisme de l'avoir fiscal

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