B. UN BUDGET MALLÉABLE ?

Le poids de l'endettement, des charges de personnel, des dépenses sociales laissent mal présager des marges de manoeuvre du budget de l'État. Une analyse plus détaillée s'impose pour aller, là encore, au-delà des apparences.

En effet, la difficulté de réduire les dépenses de l'État est le plus souvent présentée à partir du poids des charges dites "incompressibles" soit la charge de la dette publique, les dépenses de personnel, les interventions pour l'emploi.

Cette analyse n'est pas inexacte mais elle reste incomplète : ces charges certes importantes représentent quelques 900 milliards sur un total de dépenses supérieur à 1 500 milliards de francs, et laissent donc une marge -théorique- d'action sur 600 milliards de francs.

La réalité est autre, et appelle à un examen des contraintes qui s'appliquent à l'État, afin de mieux apprécier les différentes possibilités de réduire la dépense.

Une clé de lecture des contraintes pesant sur les dépenses est fournie par la nature du cadre dans lequel ces dépenses s'opèrent, et permet d'apprécier la flexibilité des charges de l'État 20 ( * )

1. Les dépenses "imposées"

Les dépenses intégralement imposées à l'État sont rares : au-delà des prélèvements sur recettes affectés à l'Union Européenne (qui apparaissent en moindres recettes et non pas en dépenses), des contributions obligatoires aux organisations internationales ou des frais de justice prescrits par les magistrats, les dépenses inéluctables peuvent en fait être modulées à la marge par l'État.

Il s'agit des dépenses ayant un caractère de dette : dette publique, rémunérations et pensions des fonctionnaires -dues à leur statut-pensions des anciens combattants, indexées sur les traitements des fonctionnaires.

a) la dette publique

Les charges de la dette de l'État, conditionnées par le niveau des déficits antérieurs et l'évolution des taux d'intérêt, sont des dépenses auxquelles l'État ne peut bien sûr se soustraire, une action étant seulement possible sur le calendrier des émissions de titres. Ces dépenses s'élèvent en 1996 à 226,4 milliards de francs, en augmentation de 8,2 %.

b) Les pensions et rémunérations des fonctionnaires

Les charges de personnel dépendent du taux fixé pour la revalorisation du point de la fonction publique, du niveau des effectifs, et de l'évolution des carrières. L'État conserve la maîtrise du point de la fonction publique, peut agir -assez marginalement- sur l'évolution des carrières, et maîtriser, à la marge, les effectifs de fonctionnaires, mais pas ceux des pensionnés.

En 1996, la non revalorisation du point est un facteur de freinage des dépenses de personnel. Toutefois, les charges de rémunérations augmentent de 3,2 % et s'établissent à 352,8 milliards de francs, sous l'effet de l'augmentation du point décidée en 1994, des protocoles de revalorisation de la fonction publique antérieurs à 1995, et d'un solde positif net de 3 557 créations d'emplois. Parallèlement, les charges de pensions progressent de 11,9 % et s'établissent à 87,13 milliards de francs, sous l'effet de l'augmentation des effectifs.

On peut assimiler aux charges de pensions des fonctionnaires les dépenses de pensions des anciens combattants, indexées sur l'évolution du point de la fonction publique, dont l'évolution est toutefois freinée spontanément par la diminution naturelle du nombre des ayant-droits : la dépense est de 21,37 milliards de francs en 1996 au lieu de 21,7 milliards de francs en 1995.

2. Les dépenses de structures

Dans l'ordre de 1' "inéluctable" décroissant, les dépenses liées au fonctionnement des structures occupent la deuxième place. Sauf à bloquer l'activité d'une administration ou d'un établissement public, voire à en supprimer l'existence, la réduction des dépenses de fonctionnement s'avère difficile à manier même si les exercices de régulation et d'annulation des crédits imposés en cours d'année par la Direction du Budget y ont régulièrement recours.

a) Le matériel et le fonctionnement de l'administration

Ainsi, dans le projet de loi de finances pour 1996, les dépenses de matériel et fonctionnement des services progressent de 0,65 %, alors que la norme imposée par la lettre de cadrage envoyée le 8 juin 1995 par le Premier Ministre aux ministres dépensiers imposait une diminution de 8 % des dépenses de fonctionnement hors personnel.

b) Les subventions de fonctionnement aux établissements publics.

Elles devraient théoriquement être plus facilement modulables, l'établissement pouvant être sommé de procéder à des redéploiements de dépenses, voire de renoncer à certaines opérations. Toutefois, là encore, c'est une progression des dépenses de 3,3 % qui est prévue en 1996, certaines augmentations accordées à des établissements compensant les quelques diminutions opérées.

Ainsi :

- à la culture, les subventions de fonctionnement progressent de 17,9% et atteignent 3,35 milliards de francs, dont :

587,37 millions de francs pour la Bibliothèque nationale de France, soit + 7 %,

619,2 millions de francs pour l'Opéra de Paris, soit + 6,5 %,

355,0 millions de francs pour le Centre Georges Pompidou, soit + 1 %.

Les difficultés rencontrées par l'Assemblée nationale pour diminuer la subvention à la Bibliothèque nationale illustrent la nécessité de pouvoir disposer d'une information complète sur les établissements, leurs programmes et l'adéquation de la nature et du montant de leurs moyens, afin de cibler les possibilités d'économies.

- à la recherche, les subventions de fonctionnement augmentent de 3,5 % et atteignent 19,960 milliards de francs.

La subvention au CNRS progresse de 500,3 millions de francs et atteint 10,676 milliards de francs.

L'exemple du CNRS illustre une autre difficulté à réaliser des économies sur les subventions de fonctionnement : en effet, l'augmentation brutale des moyens de 1996 rattrape les diminutions de crédits des années antérieures, qui n'avaient pas été intégrées dans les programmes de recherche : les économies supposent en effet une évaluation préalable des établissements, et notamment de leurs capacités de redéploiement interne.

c) Les subventions d'équilibre

On peut rapprocher des subventions de fonctionnement les subventions versées par l'État afin d'assurer l'équilibre financier de divers régimes, qu'elles interviennent -ou non- dans un cadre contractuel.

Ainsi, les subventions aux régimes de sécurité sociale (BAPSA). Caisse des mines, ENIM, retraites de la SNCF, SEITA) atteignent 28,45 milliards de francs en 1996 (-6,7 %).

De même la subvention au Fonds de solidarité, qui finance l'indemnisation des chômeurs ayant épuisé leurs droits aux allocations de chômage s'établit à 7,53 milliards de francs (+ 19,2 %).

3. Les dépenses contractuelles

L'État est aussi lié à des organismes par des liens contractuels qui prédéterminent sa contribution financière.

Il en est ainsi pour :

- le financement de l'enseignement privé sous contrat : 36,91 milliards de francs en 1996,

- les subventions à la SNCF, intervenant dans le cadre d'un contrat de plan,

- le transport gratuit de la presse, prévu dans le cadre d'un contrat avec la Poste : 1,9 milliard de francs en 1996.

On peut sans doute y ajouter d'ores et déjà les dotations de décentralisation (32,5 milliards de francs) dans la mesure où elles sont appelées à s'inscrire dans le pacte de stabilité qui devrait être conclu avec l'État.

4. Les dépenses "à guichet ouvert"

Une grande part des dépenses d'intervention correspond à des prestations dont l'accès est subordonné à des conditions objectives, fixées par voie législative et réglementaire, qui doivent elles-mêmes être modifiées si l'on veut infléchir la dépense.

Il en est ainsi en 1996 pour :

- L'allégement du coût du travail sur les plus bas salaires : 38,8 milliards de francs,

- les aides au logement versées aux personnes : 27,72 milliards de francs,

- le revenu minimum d'insertion : 23 milliards de francs,

- l'allocation aux adultes handicapés : 20,86 milliards de francs,

- les bourses scolaires et universitaires : 9,39 milliards de francs,

- l'aide juridique : 1,1 milliard de francs.

5. Les dépenses conditionnelles

Proches de la catégorie précédente, ces dépenses sont toutefois subordonnées :

- à l'intervention d'un tiers (par exemple un employeur pour déclencher l'aide au contrat d'apprentissage) ;

- ou à un examen en opportunité de la situation par l'administration.

Entrent dans cette catégorie :

- Les actions du Fonds national de l'Emploi : 33,54 milliards de francs dont :

* l'incitation au retrait d'activité (préretraites...) : 15,42 milliards de francs

* les contrats emploi solidarité : 10,84 milliards de francs

- Les exonérations de charges sur certains contrats de travail (apprentissage...) : 16,12 milliards de francs

- Les aides à l'agriculture : 12,16 milliards de francs

- Le reclassement des travailleurs handicapés : 4,99 milliards de francs.

- Les actions pour la promotion de l'emploi : 1,457 milliards de francs -dont 900 millions de francs pour l'aide aux demandeurs d'emploi créant ou reprenant une entreprise.

6. Les dépenses "flexibles"

Il est rare qu'une dépense échappe à toute contrainte législative, réglementaire ou contractuelle.

On doit toutefois considérer que l'État peut agir plus librement sur certains postes de dépenses qui sont, au moins en théorie, quasi discrétionnaires, comme le montrent les économies pratiquées dans le budget de 1996 :

* L'action internationale

Les contributions non obligatoires aux organisations internationales : ainsi, la France diminue-t-elle cette année sa participation à l'Unicef, au Haut commissariat aux réfugiés, au programme alimentaire mondial, ...

En ce qui concerne l'aide au développement, les actions de coopération civile et militaire sont réduites en 1996, respectivement à 2,11 milliards de francs (-200 millions de francs) et à 776 millions de francs (- 7 millions de francs).

* La politique économique

L'État garde la maîtrise, en opportunité, du volume des dépenses de bonification industrielle : 6,94 milliards de francs, ou encore des aides "à la pierre" au logement : 7,43 milliards de francs.

* La lutte contre les fléaux sociaux

L'État est également maître d'interventions d'intérêt général, telles que la lutte contre le SIDA (0,45 milliard de francs), contre la drogue (0,67 milliard de francs), la lutte contre l'alcoolisme et le tabagisme (0,18 milliards de francs).

* La politique culturelle

Au sein du budget de la culture, les actions de "développement culturel et formation" (2,465 milliards de francs), de "soutien" (3,206 milliards de francs), de "recherche "(762 millions de francs), restent très largement discrétionnaires, étant le plus souvent versées sous forme de subvention aux associations.

On peut considérer qu'il en est de même pour les actions en faveur de la jeunesse, de la vie associative du sport, qui diminuent de 10 millions de francs et s'établissent à 1,101 milliards de francs en 1996 au sein du budget de la jeunesse et des sports.

Les dépenses ordinaires civiles de l'État par ordre de flexibilité croissante (énumération non exhaustive)

(en milliards de francs

Cette classification s'applique à 1.137,5 milliards de francs, soit 87,5 % des dépenses civiles ordinaires.

Cette présentation -inévitablement un peu théorique- des dépenses permet de mieux apprécier la faible marge de manoeuvre dévolue aux économies, à champ d'intervention constant. Cette contrainte implique :

1) que soit revu le mode de gestion de certaines dépenses. Ainsi, l'ampleur de la subvention de fonctionnement à certains organismes pose un problème d'évaluation de leurs résultats. A cet égard, la gestion confiée au service privé des nouveaux établissements pénitentiaires peut constituer un bon exemple d'économies potentielles.

2) que soit apprécié le bien-fondé même de l'intervention de l'État dans certains secteurs. En effet, la répartition des dépenses montre qu'il n'y a pas a priori d'intervention inutile, et que l'État doit choisir de confier certaines dépenses à d'autres acteurs, s'il entend y renoncer. Ainsi devrait être revu le mode de fonctionnement de la formation professionnelle entre l'État, l'entreprise, les régions, ou bien le poids et la répartition des dépenses de l'État en matière de recherche, par rapport aux interventions du secteur privé.

* 20 De manière illustrative et non exhaustive.

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