B. LA RECHERCHE D'ÉCONOMIES IMPLIQUE UN ARBITRAGE DIFFICILE ENTRE DES OBJECTIFS POLITIQUES CONTRADICTOIRES

Plusieurs exemples peuvent être fournis.

1. La permanence de particularismes

Sans reprendre le dossier édifiant de l'utilisation des fonds publics dans les départements et territoires d'outre-mer, les libertés prises avec l'application des normes légales en Corse se traduisent par des gaspillages que l'on peut supposer non négligeables. Deux illustrations récentes peuvent être rappelées.

Notre collègue Jacques Oudin spécialiste des problèmes de la Corse, nous conduit -dans son rapport sur la prestation autonomie- à observer que le taux de bénéficiaires de l'allocation compensatrice est, par rapport à la moyenne nationale :

- 4,5 fois plus élevé en Haute Corse ;

- 6,5 fois plus élevé en Corse du Sud.

Et notre collègue Paul Girod, dans son rapport sur le projet de loi relatif au statut fiscal de la Corse a rappelé que les droits de succession sur les biens immobiliers situés sur le sol corse n'étaient pas recouvrés et que la perception des impôts était très différente de celle observée sur le "continent", même en tenant compte des recouvrements ultérieurs.

Écart à la moyenne nationale

Corse du Sud

Haute Corse

Impôts directs (% de paiements à l'échéance

Impôts directs (% de paiements à l'échéance

-24,1

- 11,1

- 18,3

8,66

2. La prise en compte de l'aménagement du territoire


• Les opérations de dissolution ou de regroupements d'unités conduites dans le cadre du plan Armées 2000, ont pour objet de limiter les dépenses militaires de la France. Mais elles se heurtent à des oppositions bien compréhensibles. Notre collègue Christian Bonnet vient de déplorer l'insuffisance du plan de charge des arsenaux de Lorient et le départ de Vannes de deux unités d'élite d'infanterie. Au ministre qui déclarait : "Je compte donc sur le sens de l'État de tous les parlementaires, quelles que soient leurs appartenances politiques, pour soutenir le plan de restructuration de l'armée française qui vise à améliorer l'outil militaire tout en réduisant les dépenses publiques", notre collègue répondait : "Monsieur le ministre de la Défense, vous me connaissez assez pour savoir que je suis prêt à voter les décisions les plus impopulaires qu'exige l'ampleur des déficits publics, mais vous savez aussi que je ne puis laisser passer sans réagir des mesures tellement inéquitables qu'elles apparaissent comme discriminatoires à l'encontre du département dont je suis l'élu. "

"La contraction des crédits de la défense s'impose. Je suis cent fois, mille fois d'accord. Mais qu'elle frappe deux fois, coup sur coup, le Morbihan, voilà qui ne me convient plus".


• La rationalisation de l'offre de soins hospitaliers pose de manière aiguë le problème de la fermeture ou de la reconversion de maternités rurales et d'hôpitaux installés dans des villes moyennes (annonce de la fermeture de 22.000 lits). Les légitimes crispations locales, freinent la réflexion indispensable. En juillet 1994, la mission interministérielle sur les hôpitaux avait pourtant établi une problématique pertinente ("la logique d'aménagement du territoire").

On distinguera quatre objectifs :

- l'accessibilité sur l'ensemble du territoire à un service de qualité. Cette accessibilité évaluée en unité temps, doit être chiffrée en suivant une méthodologie nationale homogène et variable suivant le niveau de spécialisation du service ;

- le maintien sur place de la population : il s'agit du maintien sur place des personnes âgées essentiellement mais aussi des malades chroniques et des personnes en phase terminale ;

- le développement des activités et le maintien d'une population jeune : c'est bien sûr le problème de l'emploi, extérieur au domaine sanitaire, dont la prise en compte imposerait, en tout cas en milieu rural et semi urbain, des reconversions et non des fermetures. Il pourrait s'agir d'une contrainte insupportable si l'objectif précédent et l'évolution de la démographie ne donnaient une considérable opportunité de reconversion avec la gestion de la situation des personnes âgées ;

- le désenclavement des zones rurales qui suppose une réflexion en termes de transports, sanitaires ou non.

3. La politique de l'emploi

Le poids de l'État et des régimes sociaux est tel dans l'activité économique de la Nation que la recherche d'économies de dépenses fiscales ou de dépenses budgétaires a un très fort contenu en emplois.

"Dans une conjoncture particulièrement difficile -avec le véritable choc pétrolier que représente l'escalade du prix du papier- une telle aggravation des charges ne pourrait qu'entraîner des conséquences extrêmement dommageables dans le domaine de l'emploi : ce serait de plus contradictoire avec la volonté affichée de ne pas alourdir les prélèvements obligatoires.

Quant aux bénéficiaires de l'abattement eux-mêmes, ils verront leurs charges sociales et fiscales augmenter de façon importante, et ce de manière d'autant plus douloureuse que les salaires sont modestes. Il est aisé d'imaginer les tensions sociales qu'entraînerait une amputation du pouvoir d'achat des journalistes. "


• La menace de la suppression de la déduction fiscale supplémentaire pour frais professionnels des journalistes entraîne légitimement la réaction suivante :


• La modification du régime des B.I.C. inquiète la fédération des industries nautiques.

"Tout en étant solidaires de l'action gouvernementale pour remédier aux abus qui ont pu exister, nous ne pouvons comprendre la mise en cause de ce dispositif fiscal qui mettra un point d'arrêt au secteur de la location maritime si important lorsqu'on souhaite développer le tourisme nautique pour répondre aux attentes de nos compatriotes, sans parler des inévitables conséquences sur les chantiers et les équipementiers qui construisent ces bateaux".


Le président de la F.N.T.P. répète dans les colonnes des journaux : "gare à l'emploi" en réaction à certaines dispositions du PLF 1996 et met en cause les "coupes dans le budget de la Nation".

"Le budget 1996 des routes prépare une année au moins aussi mauvaise, même si le montant des crédits d'entretien devrait se situer au niveau de 1995. En effet, les crédits pour travaux neufs devraient diminuer de 10 % par rapport à la loi de finances rectificative pour 1995 ...au doublement des taxes prélevées par l'État sur les sociétés d'autoroutes ; sans augmentation possible des tarifs de péage, étant tenues à l'autofinancement, celles-ci pourraient être conduites à étaler leurs programmes dans le temps.

Autre facteur d'austérité : la réduction annoncée des dotations globales de l'État à des collectivités dont les charges s'accroissent et dont les recettes diminuent. "


Les coupes budgétaires sur les crédits de la Défense pourraient menacer 10.000 emplois aussi bien dans le secteur privé que dans le secteur public. Le groupe Aérospatiale a ainsi annoncé un sureffectif de 4.000 personnes.

L'exemple le plus spectaculaire en la matière est, sans doute, celui des industries de l'armement terrestre, dont les effectifs, à hauteur de 45.100 en 1990, passeront sous la barre des 30.000 personnes en 1995. GIAT-Industries connaît des difficultés graves qui expliquent que -faute de commandes de chars Leclerc et de munitions en volume suffisant par l'armée française et à l'exportation- elle devrait perdre 1,9 milliard de francs en 1995, étudier la fermeture de deux sites sur la dizaine qu'elle entretient, et mettre en chantier un plan de redressement portant sur de nouveaux départs.

4. La reconnaissance du rôle économique des collectivités locales et sa remise en cause au travers des modalités du Pacte de stabilité

En 1994, le secteur public local a été relativement dynamique en matière d'investissement avec 179 milliards de francs pour la formation brute de capital fixe, soit 13,4 % de la FBCF nationale et 70 % de la FBCF publique.

L'effort des collectivités locales est toutefois étroitement corrélé à l'évolution des dotations que l'État leur verse et qui représentent aujourd'hui près du tiers de leurs ressources.

A ce sujet, l'article 18 du projet de loi de finances initiale pour 1996 adopté par l'Assemblée nationale en première lecture, dispose : "Pour chacune des années 1996, 1997 et 1998, la dotation globale de fonctionnement, la dotation spéciale pour le logement des instituteurs, les dotations de l'État au fonds national de péréquation de la taxe professionnelle et au fonds national de péréquation, la dotation élu local, la dotation globale d'équipement, la dotation générale de décentralisation, la dotation de décentralisation pour la formation professionnelle, la dotation générale de décentralisation pour la Corse, la dotation départementale d'équipement des collèges, la dotation régionale d'équipement scolaire et la dotation de compensation de la taxe professionnelle (hors réduction pour embauche ou investissement), forment un ensemble dont l'évolution globale, à structure constante, de loi de finances initiale à loi de finances initiale, est égale à l'évolution prévisionnelle des prix à la consommation hors tabac associée au projet de loi de finances"

Cette masse, qui comprend l'ensemble des concours déjà indexés en vertu de dispositions de précédentes lois de finances, ne doit ainsi progresser, à structure constante, que de 2,1 % en 1996 par rapport à 1995, de 2,2 % en 1997 par rapport à 1996 et en 1998 par rapport à 1997, alors que son évolution tendancielle est estimée entre + 3,7 % et + 4 % par an.

Ces taux globaux d'évolution résulteraient de l'application combinée de trois régimes distincts :

- Les règles d'indexation fixées par les précédentes lois de finances sont respectées pour l'ensemble des dotations précédemment énumérées à l'exception de celles applicables à la première part de la DGE des communes et à la dotation de compensation de la taxe professionnelle hors réduction pour embauche et investissement.

En particulier, l'indexation de la DGF sur les prix et sur la moitié du taux d'évolution du PIB de l'année en cours est préservée.

- La première part de la dotation globale d'équipement des communes est supprimée à compter du 1er janvier 1996 au détriment des communes de plus de 20.000 habitants et des groupements de communes de plus de 35.000 habitants, dans la version de l'article 19 du projet de loi de finances initiale votée par l'Assemblée nationale.

- La dotation de compensation de la taxe professionnelle, hors remboursement au titre de la réduction pour embauche et investissement, devient, dans cette configuration, la "variable d'ajustement" permettant de limiter, au franc près, au taux prévisionnel d'évolution des prix hors tabac la progression des concours financiers de l'État inscrits dans le périmètre du pacte de stabilité.

L'enveloppe normée doit ainsi passer de 150,5 milliards de francs à 153,7 milliards de francs en 1996 au lieu de 156,3 milliards de francs si les règles d'indexation actuellement en vigueur avaient intégralement été préservées.

Réduit à sa plus simple expression le "pacte de stabilité" peut se résumer en fait à la suppression d'une dotation, la première part communale de la DGE pour les communes de plus de 20.000 habitants et les groupements de plus de 35.000 habitants, et à une nouvelle amputation de la dotation de compensation de la taxe professionnelle, déjà particulièrement affectée par les dispositions de l'article 54 de la loi de finances initiale pour 1994.

Force est ainsi de constater que le "pacte de stabilité", unilatéralement imposé par le gouvernement, reflète avant tout une fois de plus sa volonté d'utiliser les concours qu'il verse aux collectivités locales comme simple variable d'ajustement de son propre budget, sans véritable souci d'assurer la pérennité et la lisibilité des flux financiers.

D'une façon plus générale, fixer l'évolution de l'enveloppe des concours de l'État par référence aux prix est une remise en cause indirecte du rôle économique joué par les collectivités locales.

La commission des finances du Sénat qui s'était très largement investie pour que la DGF soit à nouveau indexée sur une fraction de l'évolution du PIB à compter de 1996 doit reconnaître que les dispositions de l'article 18 du présent projet de loi de finances n'ont d'autre objet que de confisquer, au cours des trois prochaines années, la part de la croissance de la dotation globale de fonctionnement provenant de l'expansion économique via une diminution à due concurrence de la DCTP.

Une seule nuance peut être apportée à cet amer constat : les concours de l'État dont l'évolution n'est pas déterminée par une indexation établie par les précédentes lois de finances sont, en effet, placés hors du périmètre du pacte de stabilité.

Il en est ainsi du fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA), le gouvernement ne fixant aucun objectif à son évolution. En d'autres termes, après la "crise"' qui avait opposé l'exécutif et les élus lors de la discussion du projet de loi de finances pour 1994, il a été décidé de ne plus modifier la législation relative aux remboursements du FCTVA et de le laisser progresser sans contrainte.

Votre commission n'en est pas moins inquiète des conséquences de la rigueur imposée aux collectivités locales à travers le "Pacte de stabilité" dont le périmètre est évidemment plus large que celui du FCTVA (de l'ordre de 150 milliards de francs contre une vingtaine de milliards de francs).

Elle note, en particulier, que selon le Crédit local de France, leurs dépenses d'équipement, tous niveaux de collectivités confondus, devraient déjà chuter de plus de 6 % en 1995.

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