CHAPITRE II - L'AIDE FRANÇAISE À LA RECHERCHE D'UNE NOUVELLE EFFICACITÉ

Importante en valeur absolue tout comme en proportion de la richesse nationale, l'aide publique au développement accordée par la France transite par de multiples canaux qui rendent sa compréhension et son évaluation complexes. Un tel constat est déjà ancien et il ne doit pas pour autant conduire à remettre en cause systématiquement l'efficacité ou la cohérence de notre système de coopération. Néanmoins, il ne fait pas de doute que l'unité et la transparence ne sont pas ses vertus premières et, en raison même de l'importance des fonds publics consacrés à l'aide au développement, il importe d'en améliorer sensiblement l'organisation et le fonctionnement afin notamment de veiller à ce qu'une unité de vue politique définisse les priorités et préside à l'affectation de ces concours. C'est la voie sur laquelle se sont engagés les pouvoirs publics dans le cadre de la réflexion en cours sur la réforme de l'aide publique au développement.

I. UNE ORGANISATION COMPLEXE

Les dépenses d'aide publique au développement ont atteint 46,9 milliards de francs en 1994, soit 0,64% du PIB. D'après les estimations d'exécution du budget pour 1995 et les crédits demandes pour le budget de 1996, ces dépenses devraient légèrement baisser en 1995 (46,2 milliards de francs, soit 0,6% du PIB) et en 1996 (45,5 milliards de francs, soit 0,56 % du PIB).

Si l'on retranche de ces sommes les crédits relatifs aux territoires d'outre-mer, qui sont comptabilisés dans l'APD et représentent environ 5 milliards de francs, le montant de l'aide aux pays en développement s'établit depuis quelques années autour de 40 milliards de francs par an.

La France se situe, surtout au sein de l'Union européenne, parmi les pays accordant une réelle prééminence à l'aide bilatérale, mais la part de l'aide multilatérale progresse, sous l'effet notamment des contributions communautaires (contribution au budget général et contribution au FED).

L'aide bilatérale de la France est dirigée en priorité vers l'Afrique qui reçoit environ la moitié des montants.

Au-delà de ces données générales, telles que l'on peut les retrouver dans les études régulièrement publiées par le Comité d'aide au développement de l'OCDE, il est beaucoup plus difficile d'appréhender les différentes formes de l'aide publique française, les différents canaux par lesquels elle transite et son évolution précise.

Le "jaune" annexé au projet de loi de finances récapitulant les crédits concourant à la coopération avec les États en voie de développement permet de suivre dans le détail la nature et l'évolution des charges d'aide au développement. Son existence, qui date d'une dizaine d'années, illustre l'imperfection des moyens dévolus au contrôle parlementaire, dans un secteur "absorbant" plusieurs dizaines de milliards de francs chaque année, et la relative complexité de notre système de coopération.

Il apparaît ainsi que le ministère de l'économie, au travers du budget des charges communes et des comptes spéciaux du Trésor, constitue le premier contributeur pour l'aide au développement et gère, à ce titre, deux fois plus de crédits que le ministère de la coopération et le ministère des affaires étrangères réunis. D'autres ministères mènent également une action extérieure en direction des pays en développement.

Enfin, notre système d'aide repose également sur l'intervention d'une institution financière, la Caisse française de développement, et sur les organismes internationaux et européens destinataires de notre aide bilatérale.

A. L'INTERVENTION DE MULTIPLES DÉPARTEMENTS MINISTÉRIELS

Les départements ministériels chargés de l'action extérieure de la France, les affaires étrangères et la coopération, cette dernière étant plus spécifiquement axée sur les questions de développement, ne gèrent qu'une part relativement faible des crédits budgétaires d'aide publique au développement qui relèvent majoritairement du ministère de l'économie et des finances.

1. La prépondérance du ministère de l'économie

Le ministère de l'économie et des finances intervient sur toutes les questions d'ordre financier relatives à l'aide au développement, c'est-à-dire :

- le suivi des institutions de Bretton Woods et des banques et fonds de développement (négociation des augmentations de capital et des reconstitutions des ressources) ;

- le traitement de la dette des pays en développement dans le cadre du Club de Paris et des institutions multilatérales ;

- la gestion, avec le ministère de la coopération, de l'aide à l'ajustement structurel ;

- la gestion des protocoles financiers destinés à soutenir, sous la forme de dons ou de prêts, des projets auxquels des entreprises françaises sont associées.

En termes budgétaires, et si l'on excepte les crédits inscrits au titre des services financiers, qui recouvrent essentiellement des dépenses de personnel, les moyens d'action du ministère de l'économie en matière d'aide au développement passent par le budget des charges communes (12,2 milliards de francs en 1996) et des comptes de prêts du Trésor (7,3 milliards de francs de dépenses en 1996 et 3,7 milliards de francs de charge nette).

Avec 12,275 milliards de francs de crédits prévus pour 1996, soit une diminution de 3,4 milliards de francs par rapport à 1995, le budget des charges communes constitue le premier budget de l'État pour l'aide au développement.

Crédits d'aide au développement inscrits au budget des charges communes

Les contributions de la France aux organisations intergouvernementales représentent près de 6 milliards de francs pour 1996.

Il s'agit principalement de la contribution au Fonds européen de développement, qui passe de 2,82 milliards de francs en 1995 à 2,85 milliards de francs en 1996, et à l'Association internationale de développement, institution dépendant de la Banque mondiale, qui restera en 1996 au niveau de 1995, soit 2,408 milliards de francs.

Les autres contributions s'élèvent, pour 1996, à 675 millions de francs répartis comme suit :

- Fonds pour l'environnement mondial 244 MF

- Banque européenne d'investissement 125 MF

- Fonds placés auprès de la BERD 100 MF

- Fonds de développement des Caraïbes 76 MF

- Banque internationale de développement 50 MF

- Groupe de la Banque mondiale 40 MF

- Fonds de solidarité africain 30 MF

- Banque asiatique de développement 10 MF

Si les contributions à l'AID et au FED ont un caractère annuel, il n'en est pas de même des autres participations. La charge inscrite au budget des charges communes peut avoir fortement varié d'une année à l'autre, en fonction des appels de contribution.

Les dons aux pays en développement inscrits au budget des charges communes représentent un montant relativement modeste, soit 743 millions de francs pour 1996. Il s'agit :

- de dons en faveur de l'ajustement structurel pour les pays les moins avancés : 250 millions de francs au chapitre 42-01. Une dotation équivalente figure au budget de la coopération. Il s'agissait de financer la transformation en dons des prêts destinés aux PMA qui avait été décidée lors du sommet de La Baule. Cette charge, après avoir été très forte, diminue régulièrement ;

- de dons du Trésor sur protocoles financiers : 493 millions de francs au chapitre 68-00 article 10.

A partir de 1996, les crédits destinés aux dons projets de la CFD qui, pour un tiers figurent au budget des charges communes et pour les deux tiers au budget de la coopération, seront regroupés sur ce dernier. Cette mesure de simplification intervient largement dans la diminution des crédits de dons inscrits aux charges communes (- 951 millions de francs) puisque la dotation destinée aux dons de la CFD représentait 631 millions de francs en 1995.

Le troisième aspect de l'action du ministère de l'économie retracé au budget des charges communes concerne les annulations de dettes qui devraient représenter, d'après les estimations, 3,5 milliards de francs en 1996 contre 4,6 milliards de francs en 1995.

Cette charge budgétaire résulte des différentes mesures d'annulations de dettes prises, soit dans le cadre du Club de Paris, à la suite du sommet de Toronto en 1988, soit dans le cadre d'initiatives propres à la France.

La France a ainsi décidé en 1989 et 1990 d'annuler les créances d'aide publique au développement des 35 pays les plus pauvres et les plus endettés d'Afrique subsaharienne ainsi que de sept autres PMA non africains (mesures dites de "Dakar I" et de "Paris").

Au sommet de Libreville en 1992, elle décidait de mettre en place un fonds de conversion de créances permettant aux quatre PRI de la zone franc de bénéficier d'annulations totales ou partielles de dettes, les créances étant converties en contribution à des projets de développement.

Enfin, à la suite de la dévaluation du franc CFA en janvier 1994, les mesures dites de "Dakar II" ont annulé une partie de la dette d'aide publique au développement qui subsistait après "Dakar I", en totalité pour les PMA et à hauteur de 50 % pour les PRI.

Ces différentes mesures sont autorisées par le Parlement puis inscrites au budget des charges communes au titre de l'indemnisation de la Banque française du commerce extérieur (chapitre 14-01 article 90 § 21) et de la Caisse française de développement (chapitre 44-98 article 36 § 13).

La charge d'annulation des dettes évolue donc fortement d'une année à l'autre en fonction des décisions prises par la France ou le Club de Paris et de l'échéancier des indemnisations des banques créancières.

L'année 1994, marquée par la dévaluation du franc CFA et les mesures de "Dakar II" s'est soldée par une charge budgétaire très importante puisque l'on a atteint 6,6 milliards de francs (5,6 milliards de francs pour la CFD et 1 milliard de francs pour la BFCE) contre 2,1 milliards de francs en 1993.

On s'oriente vers une diminution à 4,6 milliards de francs en 1995 (3,3 milliards de francs pour la CFD et 1,3 milliard de francs pour la BFCE) et à 3,5 milliards de francs en 1996 (2,9 milliards de francs pour la CFD et 625 millions de francs pour la BFCE).

Au 31 décembre 1994, la dette déjà annulée pour les pays du champ s'élevait à 18,3 milliards de francs, les principaux pays concernés étant :

-Sénégal 3.758 MF

- Madagascar 2.361 MF

- Côte d'Ivoire 1-814 MF

- Niger 1.602 MF

- Cameroun 912 MF

-Togo 909 MF

- Zaïre 828 MF

- Congo 795 MF

- Mozambique 749 MF

- Burkina Faso 729 MF

- Guinée 627 MF

- Gabon 517 MF

- Centrafrique 473 MF

- Mali 386 MF

- Mauritanie 367 MF

- Burundi 340 MF

- Autres pays 1.148 MF

A la même date, le montant de la dette restant à annuler s'élevait à plus de 31 milliards de francs, l'échéancier se prolongeant jusqu'en 2025 pour la CFD.

Enfin, le budget des charges communes attribue également les bonifications d'intérêts associées aux opérations de la Caisse française de développement, qu'il s'agisse des prêts à conditions ordinaires en faveur du secteur privé ou des facilités d'ajustement structurel renforcées du FMI. Cette charge inscrite au chapitre 44-98 article 36 (§ 11, 12 et 14) est évaluée à 2 milliards de francs pour 1995 et devrait s'établir à 1,9 milliard de francs en 1996.

Les comptes de prêts du Trésor constituent le second vecteur de l'action du ministère de l'économie et des finances. Les dépenses qui étaient évaluées à près de 16 milliards de francs devraient fortement diminuer en 1996 pour s'établir à 6,8 milliards de francs, la charge nette se réduisant dans la même proportion pour s'établir à 4,4 milliards de francs.

Évolution des charges de prêts du Trésor pour l'aide au développement

Les prêts du Trésor sont de deux ordres :

- les prêts consentis à des organismes ou états étrangers pour faciliter l'achat de produits français et les prêts à la CFD pour le financement de projets de développement (compte 903-07). Les dépenses prévisibles de ce compte diminuent de 1,7 milliard de francs en 1996 alors que les prévisions de remboursements d'États étrangers augmentent légèrement. Les prêts à la CFD sont évalués à 790 millions de francs pour 1996 (+ 65 millions de francs) ;

- les consolidations des dettes consenties par la France à des états étrangers (compte 903-17). Ce compte enregistre une baisse brutale en 1996, puisque ses dépenses sont évaluées à 3 milliards de francs contre 10 milliards de francs en 1995, en raison semble-t-il des mesures d'annulation de Dakar II qui ont réduit le stock des dettes consolidables.

Pour être complet, il faut également ajouter que le ministère de l'économie et des finances agit sur les transferts en faveur des pays en développement par l'intermédiaire de la COFACE et de sa garantie. L'encours de crédits garantis par la COFACE pour le compte de l'État sur les pays du champ s'établissait au 30 juin 1995 à 16,7 milliards de francs, ce qui traduit une diminution par rapport à 1993 (20,3 milliards de francs de francs), mais une légère reprise par rapport à 1994 (15,6 milliards de francs ). Compte tenu de la situation financière des pays du champ, la garantie de la COFACE n'est traditionnellement accordée qu'à un volume très limité de crédits à l'exportation. Toutefois, les améliorations constatées ces derniers mois, à la suite de la dévaluation du franc CFA, ont permis l'ouverture de plafonds d'engagements de faibles montants sur un petit nombre de pays.

Au 30 juin 1995, sur un encours total d'assurance crédit de 16,7 milliards de francs pour les pays du champ, l'essentiel des montants concernait l'Angola (5,8 milliards de francs), le Congo (5,2 milliards de francs) et de Gabon (1,6 milliards de francs) pour des opérations concernant le secteur pétrolier.

2. Des crédits dispersés entre différents ministères

Outre le ministère de la coopération qui avec 7,7 milliards de francs en 1995 et 7,3 milliards de francs prévus pour 1996 constitue l'autre principal gestionnaire de l'aide de développement, et dont les crédits seront analysés en détail dans la seconde partie de ce rapport, divers ministères interviennent dans la dépense budgétaire d'APD.

C'est le cas bien entendu du ministère des affaires étrangères dont les crédits d'aide publique au développement se montent, pour 1996, à 3,8 milliards de francs, soit un peu plus de la moitié des crédits de la coopération.

Les crédits d'aide au développement du Quai d'Orsay sont constitués pour près de 900 millions de francs de contributions aux organismes multilatéraux, certaines de ces contributions étant obligatoires et d'autres volontaires.

Ils recouvrent également pour près de 1,8 milliard de francs, des crédits d'intervention gérés par la Direction générale des relations culturelles, scientifiques et techniques. Il s'agit des crédits concernant les établissements culturels, la coopération linguistique, l'action audiovisuelle extérieure, le financement des projets de coopération, essentiellement dans les pays en développement situés hors du champ spécifique du ministère de la coopération. Une enveloppe de plus de 50 millions de francs pour 1996 est en outre prévue, sur le titre VI, pour la mise en place d'une aide projet comparable à celle du Fonds d'aide et de coopération.

En outre, près de 600 millions de francs sont inscrits pour la subvention à l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger, au titre des pays en développement.

Enfin, l'action du ministère des affaires étrangères se traduit également pour plus de 110 millions de francs, par des crédits d'aide d'urgence et d'aide humanitaire.

Une part conséquente de l'aide au développement provient également des crédits de la recherche (1,8 milliard de francs en 1996) sous la forme de subventions à divers organismes spécialisés dans la recherche dans les pays tropicaux contre l'ORSTOM (1,05 milliard de francs en 1996) et le CIRAD (690 millions de francs en 1996).

Il est à noter que ces subventions progresseront légèrement en 1996.

Enfin, d'autres ministères comme l'agriculture (aide alimentaire), l'enseignement supérieur (bourses et secours d'études) ou l'intérieur (services déconcentrés à l'étranger) participent à l'effort public d'aide au développement.

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