CHAPITRE III EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le Mardi 14 novembre 1995 sous la Présidence de M. François Trucy, secrétaire, la commission des finances a procédé à l'examen des crédits de l'outre-mer sur le rapport de M. Roland du Luart, rapporteur spécial.

M. Roland du Luart, rapporteur spécial, a, en premier lieu, rendu hommage à M. Henri Goetschy, ancien sénateur du Haut-Rhin, qui avait été rapporteur des crédits de l'outre-mer jusqu'au mois de septembre 1995.

Il a ensuite indiqué que les crédits demandés au titre de l'outre-mer atteignaient pour 1996, en dépenses ordinaires et crédits de paiement, 4,9 milliards de francs, soit un montant à peu près double de celui inscrit dans la loi de finances initiale pour 1995. Cette forte progression est essentiellement due à des transferts positifs. L'un de 871,6 millions de francs, en provenance du budget des charges communes et correspondant à la créance de proratisation du revenu minimum d'insertion. L'autre de 1.173 millions de francs en autorisations de programme et 631,9 millions de francs en crédits de paiement en provenance du budget du logement correspondant aux subventions d'investissement au titre de l'aide à la pierre dans les départements d'outre-mer, à Saint-Pierre-et-Miquelon et à Mayotte.

Le rapporteur spécial a ajouté qu'une fois défalqués du budget de 1996 les crédits transférés au profit de l'outre-mer, les taux de progression s'établissaient encore à + 36,6 % pour les dépenses ordinaires et les crédits de paiement et à - 9,1 % pour les autorisations de programme. Ces évolutions contrastées reflètent, d'une part, la montée en régime du fonds pour l'emploi dans les départements d'outre-mer, le FEDOM, qui, doté de 135 millions de francs en loi de finances initiale pour 1995, passe à 1.060 millions de francs en 1995 ; d'autre part, les dotations du fonds d'investissement des départements d'outre-mer, le FIDOM, bénéficient d'un début d'assainissement dans un contexte marqué jusqu'ici par un décalage croissant entre le total des autorisations de programme et celui des crédits de paiement. Sur la section générale du FIDOM, les premières diminuent ainsi de 421 millions de francs à 310 millions de francs et passent donc sous le montant des autorisations de programme qui augmentent de 361 millions de francs à 365 millions de francs.

M. Roland du Luart, rapporteur spécial, a souligné le fait qu'en conséquence le budget de l'outre-mer, qui ne représentait encore jusqu'à cette année qu'environ 5 % de l'effort budgétaire de l'État consacré aux collectivités d'outre-mer, devrait, à compter de 1996, concentrer plus de 10 % de cet effort. Il a estimé qu'il s'agissait en l'occurrence d'un véritable choix politique visant à transformer le ministère de l'outre-mer d'administration de mission en structure gestionnaire de plein exercice.

Avant de proposer l'adoption des crédits de l'outre-mer pour 1996, le rapporteur spécial a toutefois souhaité faire valider par la commission son désir de procéder à une réflexion sur le terrain de l'efficacité des transferts financiers publics au regard de l'objectif de développement endogène et durable de l'outre-mer.

De ce point de vue, il a estimé que la commission devait exprimer ses regrets auprès du ministre de l'économie et des finances au sujet de l'absence de dépôt sur les Bureaux des Assemblées du rapport annuel sur l'application de la loi Pons de défiscalisation des investissements outre-mer alors que les données relatives à 1993 avaient été adressées au Parlement dès le début du mois d'octobre 1994.

Puis, il a énuméré les rendez-vous politiques et institutionnels qui pourraient appeler de la part de la commission une analyse rigoureuse sous l'angle de leurs conséquences budgétaires et financières : le processus devant conduire au référendum d'autodétermination de 1998 en Nouvelle-Calédonie qui a été relancé au mois d'octobre dernier ; le dépôt avant la fin de l'année d'un projet de loi modifiant le statut adopté en 1984 pour la Polynésie française ; la réouverture du dossier de la création d'un deuxième département à la Réunion dans l'optique d'apporter une réponse au déséquilibre entre le nord et le sud de l'île ; enfin le référendum annoncé par M. Jean-Jacques de Peretti comme devant se tenir au plus tard en 1999 sur le statut de la collectivité territoriale de Mayotte.

Concluant sur la question de la bidépartementalisation de l'île de la Réunion, M. Roland du Luart, rapporteur spécial, a jugé que celle-ci devait faire l'objet d'une étude sérieuse sous l'angle du rapport coût-efficacité compte tenu de son caractère éventuellement contagieux pour les autres départements d'outre-mer. Il a rappelé qu'au moment où le développement endogène de l'outre-mer devenait une ardente obligation, 40 % des rémunérations versées aux salariés de ces départements venaient en effet déjà des administrations publiques dont le poids dans l'économie locale était près de deux fois plus important qu'en métropole.

M. Rodolphe Désiré, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, a souligné le fait qu'au-delà du doublement du budget spécifique de l'outre-mer, l'effort global de la Nation tel qu'il ressortait de la lecture des jaunes budgétaires laissait apparaître une stagnation des moyens en francs courants.

Il a plaidé pour qu'il n'y ait pas de relâchement dans les transferts publics alors que les économies de l'outre-mer traversaient une phase critique. Malgré le rôle favorable joué notamment par la décentralisation ainsi que par les lois Pons et Perben de 1986 et 1994 qui ont incontestablement accru la solidité des structures locales, celles-ci conservent des éléments de fragilité.

Analysant l'effet des politiques publiques sur l'économie de l'outre-mer, M. Rodolphe Désiré, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, s'est demandé si la privatisation de la compagnie générale maritime (CGM) n'aurait pas pour conséquence positive une diminution des coûts du fret. Il a également insisté sur le fait que la loi Pons sur la défiscalisation des investissements outre-mer avait entraîné des effets bénéfiques, notamment dans les secteurs du bâtiment et des transports aériens. Les déviations observées ici ou là incombaient à son avis à l'absence de vigilance du ministère de l'économie et des finances qui avait accordé des agréments pour des investissements contestables.

À titre d'exemple, le rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques a précisé que la loi Pons avait permis la création d'un secteur de la construction de navires de plaisance dans le département de la Martinique employant 1.660 personnes pour un chiffre d'affaires global de 90 millions de francs. Dans ces conditions, les critiques adressées à l'encontre de la loi de 1986 au sujet du montant excessif de la dépense fiscale consentie par nombre d'emplois créés lui avaient paru infondées.

Poursuivant son plaidoyer en faveur de la loi Pons, il a ajouté qu'elle avait pour autre effet bénéfique de pallier les conséquences défavorables des écarts positifs de taux constatés entre la métropole et l'outre-mer, qui atteignent deux points sur les crédits à long et moyen terme et quatre à six points sur les crédits à court terme.

En conclusion, il a donc appelé l'attention des commissaires sur la très grande prudence qui devrait présider à toute modification de ce texte et a orienté la réflexion vers les conditions d'octroi des agréments qui ne sont effectivement pas satisfaisantes en l'état.

Abordant la question de la création de deux départements sur l'île de la Réunion, M. Rodolphe Désiré, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, a souligné les effets qu'il avait jugés catastrophiques de l'empilement des exécutifs dans les régions d'outre-mer.

Enfin, réagissant à la remarque du rapporteur spécial sur le poids du secteur public dans les revenus salariés de l'outre-mer, il a indiqué qu'il était favorable à une planification sur vingt ans de la suppression de la surrémunération des fonctionnaires dont le coût était évalué à 6 milliards de francs.

M. Pierre Lagourgue, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales, a tout d'abord fait observer que si les transferts de plusieurs lignes budgétaires sur le budget de l'outre-mer pouvaient justifier la formule "ministère de plein exercice" utilisée par le rapporteur spécial dans son intervention liminaire, il convenait également de constater, comme l'avait fait le président de l'intergroupe des élus des départements et territoires d'outre-mer, que dans le nouveau Gouvernement M. Jean-Jacques de Peretti n'avait plus que le statut de ministre délégué.

Il a ensuite regretté que la loi du 4 février 1995 d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire ne s'applique pas dans les départements d'outre-mer.

Il a également déploré le fait que les nouveaux prêts "à taux zéro" devant remplacer les prêts d'accession à la propriété n'aient pas été étendus aux départements d'outre-mer. Il a rappelé à ce sujet que le secteur du bâtiment avait déjà subi le relèvement de deux points de la taxe sur la valeur ajoutée décidé en 1994 dans les DOM.

Abordant les problèmes relatifs à l'agence nationale pour l'insertion et la protection des travailleurs d'outre-mer (ANT), il a regretté la baisse des crédits imposée dans le cadre du projet de budget pour 1996.

Il a fait également observer que la promesse faite voici un an par le Gouvernement d'alors de transférer dans le département de la Réunion l'administration des terres antarctiques et australes françaises (TAAF) n'était toujours pas concrétisée.

Il a souhaité obtenir confirmation que les crédits de la créance de proratisation du revenu minimum d'insertion seraient bien gérés dorénavant par le ministre, de l'outre-mer.

M. Pierre Lagourgue, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales, a en outre indiqué que le département de la Réunion n'avait toujours pas perçu une enveloppe de 116 millions de francs, dont 34,46 millions de francs au titre de 1994 et 81,63 millions de francs au titre de 1995, correspondant à l'extension de l'allocation parentale d'éducation (APE) à cette collectivité.

Il a souhaité qu'en séance publique le ministre fasse le point sur la réalisation en 1995 de l'équilibre financier entre les exonérations de charges sociales prévues par la loi Perben du 25 juillet 1994 et les recettes nouvelles procurées par l'augmentation de deux points du taux normal de la taxe sur la valeur ajoutée.

Il a demandé des précisions sur la date de création du comité de gestion du fonds pour l'emploi dans les départements d'outre-mer (FEDOM)

Réagissant à son tour aux propos du rapporteur spécial, sur la création de deux départements sur l'île de la Réunion ainsi que sur le poids relatif des salaires du secteur public dans l'ensemble des traitements perçus dans les DOM, il a tenu à souligner le fait que le département qu'il représentait comptait 660.000 habitants et que, d'une façon générale, les départements d'outre-mer souffraient d'une sous-administration chronique. Il s'est néanmoins montré favorable à ce que la bidépartementalisation donne lieu à un débat sous l'angle du rapport coût/avantage.

M. Claude Lise a tout d'abord fait observer que la croissance de 36,6 % des crédits de l'outre-mer à structure constante n'était plus que de 20 % si l'on comparaît le projet de budget pour 1996 et les moyens d'engagement issus de la première loi de finances rectificative pour 1995.

Il a ensuite estimé que l'on ne pouvait pas se satisfaire d'une diminution des autorisations de programme qui reflètait en réalité non pas tant un assainissement de la situation qu'une incapacité à préparer l'avenir.

S'agissant de la loi Pons sur la défiscalisation des investissements outre-mer, il a plaidé en faveur d'un débat sur le terrain avec les élus avant toute modification de son contenu.

M. Claude Lise a ensuite pris la défense de l'agence nationale pour l'insertion et la protection des travailleurs d'outre-mer. Il a notamment regretté la remise en cause de la spécificité de cet instrument et a alerté les commissaires sur le risque induit de traiter la communauté des personnes originaires des départements et territoires d'outre-mer vivant en métropole comme une communauté d'immigrés.

S'il a approuvé le regroupement entre les mains du ministre de l'outre-mer de moyens jusqu'à présent répartis entre plusieurs ministères, il a jugé qu'il convenait toutefois de se garder de tout excès d'optimisme. En particulier, le transfert réalisé ne règle pas la question de la meilleure utilisation de la ligne budgétaire unique qui concentre les aides au logement dans les départements d'outre-mer. À ce sujet, M. Claude Lise a plaidé pour le transfert de la gestion de cette ligne budgétaire unique aux conseils généraux des départements d'outre-mer, mieux à même d'assurer l'adéquation des besoins à la demande.

Au chapitre de la créance de proratisation du revenu minimum d'insertion, il a qualifié de dangereuses les nouvelles agences d'insertion prévues par la loi Perben dont il a souligné le caractère dérogatoire au droit commun. Il a notamment reproché à ces établissements d'être des structures bureaucratiques engendrant d'importants frais de fonctionnement. Leur efficacité au regard du "tandem" autrefois constitué par le président du conseil général et le préfet restait en outre à démontrer.

En conclusion de son propos, M. Claude Lise a estimé qu'au-delà de l'apparence trompeuse des chiffres, il conviendrait de s'assurer que le ministre de l'outre-mer ne soit pas moins bien loti que ses prédécesseurs car les départements et territoires d'outre-mer devront très certainement affronter dans les prochaines années des crises dont l'ampleur exigera d'apporter des réponses adéquates.

M. Yann Gaillard a déclaré qu'il avait beaucoup apprécié le souci du rapporteur spécial d'analyser l'efficacité de la dépense publique au profit de l'outre-mer. Si le principe de solidarité nationale imposait un maintien, voire très certainement un accroissement des transferts publics vers les départements et territoires d'outre-mer, rien n'interdisait en effet d'optimiser leur affectation.

Il a ensuite fait observer que les différences de revenu par tête d'habitant entre les départements et les territoires d'outre-mer d'une part, et les pays qui les entourent d'autre part, qui s'expliquent par l'importance des transferts sociaux, notamment au titre du revenu minimum d'insertion, interdisaient de fait l'insertion des départements et territoires d'outre-mer dans leur environnement économique.

Il a néanmoins approuvé le désir du président de la République d'assurer l'égalité sociale entre la métropole et les départements d'outre-mer, notamment grâce au relèvement du salaire minimum. La faiblesse de l'écart permettait en effet qu'il fût supprimé.

M. Yann Gaillard a par ailleurs estimé que même si, ultérieurement, le niveau du revenu minimum d'insertion devait être aligné sur celui de la métropole, il conviendrait de conserver l'enveloppe constituée par la créance de proratisation du RMI qui constitue un bon instrument pour les actions d'insertion. Il a ensuite exprimé ses plus vives réticences à l'encontre de tout projet de départementalisation et d'extension des règles de la décentralisation à la collectivité territoriale de Mayotte.

Approuvant les propos du rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales, M. Yann Gaillard a à son tour jugé que l'administration des départements d'outre-mer exigeait un taux d'encadrement plus élevé qu'en métropole. Il a ainsi fait remarquer qu'il existait un véritable refus de l'impôt dans les départements d'outre-mer qui se traduisait par un faible taux de recouvrement.

Enfin, M. Yann Gaillard a approuvé le projet d'une évaluation rigoureuse des effets de la loi Pons de défiscalisation des investissements outre-mer. Estimant globalement positif le bilan de l'application de ce texte, il a toutefois désigné plusieurs pistes de remise en cause possible des avantages fiscaux consentis, notamment dans le secteur de la construction navale et dans celui de l'hôtellerie, en particulier sur l'île de Saint-Martin.

Mme Marie-Claude Beaudeau a noté la progression en trompe-l'oeil du budget de l'outre-mer liée à l'importance des transferts.

Reprenant les critiques exprimées par le rapporteur spécial, dans sa note de présentation, sur les problèmes récurrents de gestion affectant tant la créance de proratisation du RMI que la ligne budgétaire unique, elle a jugé dangereux de faire un diagnostic sans apporter de remède, ajoutant que cette attitude consistait à laisser la porte ouverte au développement de la violence.

Mme Marie-Claude Beaudeau s'est également inquiétée, à la suite de M. Claude Lise, du risque de voir les personnes originaires des départements d'outre-mer considérées comme des immigrés. Elle a notamment souligné les interrogations identitaires que connaissaient les "domiens" de la deuxième génération.

En réponse aux différents intervenants, M. Roland du Luart, rapporteur spécial, a exprimé le sentiment que les transferts de lignes au profit du budget de l'outre-mer auraient pour effet d'accroître "la lisibilité" de l'effort public.

S'adressant à M. Claude Lise, il lui a indiqué qu'il comptait regretter dans le rapport l'absence de réunion du comité directeur du Fonds d'investissement des départements d'outre-mer qui aurait dû, dès le début de l'année, répartir les crédits ne relevant pas des contrats de plan. L'effort d'assainissement entrepris risquait ainsi d'être en partie remis en cause par des reports d'autorisations de programmes.

Revenant sur la loi Pons de défiscalisation des investissements outre-mer, il a répété que son intention n'était pas tant de la remettre en cause que de faire des propositions pour en optimiser l'application en évitant les dérives malsaines.

M. Roland du Luart, rapporteur spécial, a ensuite estimé que le constat du poids considérable du secteur public dans le revenu salarié des départements d'outre-mer et celui de l'empilement contreproductif des exécutifs locaux n'étaient pas contradictoires avec les remarques de plusieurs intervenants relatives à la sous-administration des départements d'outre-mer. Il s'agit, là encore, de rationaliser l'existant afin d'éviter des gaspillages évidents.

Le rapporteur spécial a, enfin, indiqué qu'il avait pris bonne note des suggestions et des critiques adressées par ses collègues et qu'il poserait, en séance publique, au ministre de l'outre-mer, les questions ponctuelles soulevées au cours du débat.

La commission a alors décidé de proposer au Sénat d'adopter le budget de l'outre-mer pour 1996.

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