I. L'ÉVALUATION DES POLITIQUES PUBLIQUES : UNE IDÉE FORTE MAIS DES RÉSULTATS DÉCEVANTS

Évaluer une politique publique, c'est en mesurer et en analyser les effets pour en apprécier l'efficacité au regard des objectifs poursuivis. Autrement dit, l'évaluation est un outil de connaissance pratique qui permet de porter un jugement de valeur sur les politiques publiques pour éventuellement les adapter, les modifier, voire les supprimer.

Instrument de mesure de l'action publique, l'évaluation est donc également un outil de régulation des politiques publiques et de modernisation de l'action administrative. A ces titres et pour reprendre l'expression utilisée par M. Patrick Viveret, dans le rapport sur L'évaluation des politiques publiques qu'il a remis en 1989 au Premier Ministre M. Michel Rocard, l'évaluation constitue « une fonction et un enjeu démocratiques » .

L'actuel Premier Ministre, M. Alain Juppé, se situe d'ailleurs dans cette perspective lorsqu'il préconise, par la circulaire du 26 juillet 1995 relative à la préparation et à la mise en oeuvre de la réforme de l'État et des services publics, une « évaluation systématique » des résultats et de l'efficacité des politiques entreprises pour répondre à l'attente des « citoyens de notre pays » qui « veulent un État et des services publics plus efficaces, plus économes et plus accessibles » .

A. UNE IDÉE FORTE

L'évaluation est tout à la fois mesure, analyse et appréciation des effets d'une politique publique, dans un contexte économique international de plus en plus complexe et singulièrement évolutif où les choix sont d'autant Plus difficiles à faire que leur efficacité dépend en grande partie de paramètres extérieurs.

1. La mesure et l'analyse des effets réels des décisions publiques

- Une méthodologie rigoureuse

Dans une première étape, l'évaluation consiste en une mesure empirique des effets réels d'une politique spécifique, selon une procédure formelle et explicite de collecte et de traitement de l'information. Elle repose donc sur une méthodologie dont les instruments ont été progressivement affinés afin d'en conforter l'objectivité et l'exactitude.

Sans entrer dans le détail des moyens généralement utilisés, on soulignera tout particulièrement la difficulté de l'exercice consistant à discerner les causalités des évolutions constatées. Il ne suffit pas en effet de savoir dans quelle mesure les objectifs initialement fixés ont été atteints mais dans quelle mesure l'action publique en est responsable, en quoi les résultats constatés sont spécifiquement dus à cette politique.

L'évaluation part pour cela de l'examen de la situation antérieure à la mise en oeuvre de la politique et de la définition des objectifs de celle-ci, souvent implicites et donc parfois malaisés à cerner avec précision. Elle recherche ensuite les changements intervenus en appréciant dans quelle mesure ils sont imputables à cette mise en oeuvre. Enfin, elle rapproche ces changements des objectifs initiaux, apprécie leur réalisation, analyse les effets induits non prévus et l'efficacité des moyens mis en oeuvre.

Les techniques d'évaluation varient selon la matière concernée et les données disponibles, l'existence ou non d'un dispositif de suivi de la politique analysée et la précision des objectifs de celle-ci.

Quelles que soient les techniques utilisées, -expérience aléatoire, coupe instantanée, étude longitudinale-, l'essentiel est une bonne adaptation à l'objet étudié, au système d'information disponible ainsi qu'à la nature et la portée des hypothèses explicatives.

- Un pluralisme nécessaire

Quelle que soit la méthodologie retenue, sa rigueur scientifique connaît des limites tenant à son domaine d'application autant qu'aux conditions de sa mise en oeuvre et surtout aux liens de dépendance qu'elle entretient avec des théories ou des idées préalables.

Dans cette perspective, le choix de l'évaluateur est fondamental et une évaluation sera d'autant plus recevable qu'elle sera pluraliste, c'est-à-dire contradictoire et indépendante, et fondée sur une méthodologie rigoureuse et transparente appuyée sur un appareil statistique fiable de connaissance de la réalité.

A cet égard, la distinction entre le prescripteur de l'évaluation, l'évalué et l'évaluateur constitue une garantie de rigueur mais elle n'est pas, dans l'idéal, toujours possible, ni toujours pertinente, ni enfin toujours efficace.

2. Un jugement porté sur la valeur des politiques publiques

Tentative organisée de fournir des éléments d'analyse et de jugement sur les résultats des politiques publiques, l'évaluation s'interroge in fine sur l'efficacité des moyens utilisés pour atteindre les objectifs poursuivis et sur la pertinence même de ces objectifs. En cela, elle n'est pas seulement une technique mais également un enjeu politique.

La pratique montre ainsi que l'évaluation permet de juger la valeur des mesures actuelles, de déterminer à qui (à quels groupes) elles bénéficient directement ou indirectement, à qui (quelle situation souhaitée ou non) elles servent, et ce qui peut éclairer l'utilité de les modifier ou d'adopter de nouvelles mesures. Elle permet également d'améliorer ou de modifier les critères selon lesquels des ressources sont allouées à différents trains de mesures, d'accroître l'efficacité de la gestion des moyens financiers, humains, institutionnels et juridiques.

Ce faisant, elle permet aux protagonistes de l'action publique d'acquérir une vue plus complète et plus riche de l'ensemble dans lequel ils interviennent et du rôle qu'ils y remplissent, des marges d'adaptation dont ils disposent et des contraintes particulières auxquelles ils sont soumis.

En ce sens, l'évaluation est modernisatrice des modes de décision et du fonctionnement de l'administration. Elle oblige les pouvoirs publics à s'adapter aux évolutions et elle responsabilise les agents publics.

L'évaluation est également un instrument stratégique fondamental de régulation des politiques publiques : elle permet de mieux les maîtriser alors qu'elles sont de plus en plus complexes en raison, notamment, de la multiplication des niveaux de responsabilité et d'une pluralité d'acteurs juridiquement autonomes. Elle facilite également une gestion plus efficace de la contrainte budgétaire.

Pour tous ces motifs, l'évaluation des politiques publiques éclaire le débat public, enrichit le dialogue démocratique, favorise la transparence de l'action publique. Dans un contexte budgétaire difficile, elle répond à la demande d'efficacité des citoyens. Sa nature est donc complexe et son maniement doit être prudent. Elle apporte en effet une réponse à la crise de légitimité qui frappe la décision publique mais elle ne suffit pas pour autant, à elle seule, à rendre l'action de l'État à la fois plus acceptable et plus responsable.

Ainsi que le rappelait très justement le premier rapport annuel du Conseil scientifique de l'évaluation, De l'expertise à la responsabilité, publié en décembre 1991 : « le choix politique avec l'art et la vertu qu'il requiert, le risque qu'il comporte, la responsabilité spécifique que ses protagonistes encourent en tant que représentants constitutionnellement investis de compétences demeure irréductible à toute autre procédure » .

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