EXAMEN DES ARTICLES

Article 1 er - Modification du régime des investissements étrangers en

France

Commentaire : cet article a pour objet de confier un pouvoir d'injonction au ministre chargé de l'économie à l'égard de certains investissements étrangers illicites et d'instituer une cause de nullité d'ordre public des opérations ayant réalisé directement ou indirectement lesdits investissements.

I. LE DISPOSITIF PROPOSE

Le présent projet de loi a pour objet de compléter la loi n° 66-1008 du 28 décembre 1966 relative aux opérations financières avec l'étranger en ce qui concerne les investissements étrangers en France.

Il s'agit de créer :


• un pouvoir administratif d'injonction confié au ministre chargé de l'économie ;


• et une cause de nullité des opérations ayant réalisé certains investissements étrangers de façon illicite.

A. LE POUVOIR ADMINISTRATIF D'INJONCTION

Le pouvoir d'injonction du ministre est soumis aux conditions suivantes.

Il faut d'abord que l'investissement étranger soit ou ait été réalisé dans des activités participant en France, même à titre occasionnel, à l'exercice de l'autorité publique ou dans des activités de recherche, de production ou de commerce d'armes, de munitions, de poudres et substances explosives, destinées à des fins militaires ou de matériels de guerre ou qu'il soit de nature à mettre en cause l'ordre public, la santé publique ou la sécurité publique.

Il faut en outre que l'investissement soit ou ait été réalisé en l'absence de la demande d'autorisation préalable exigée sur le fondement de l'article 3 de la loi du 28 décembre 1966 ou malgré un refus d'autorisation ou sans qu'il soit satisfait aux conditions dont l'autorisation est assortie.

Si ces conditions sont remplies, le ministre chargé de l'économie peut enjoindre à l'investisseur de ne pas donner suite à l'opération, de la modifier ou de faire rétablir à ses frais la situation antérieure.

L'injonction ne peut intervenir qu'après l'envoi d'une mise en demeure à l'investisseur de faire connaître ses observations dans un délai de quinze jours.

La sanction du non respect d'une injonction prise sur le fondement du nouveau dispositif est organisée de la manière suivante. Le ministre peut infliger une sanction pécuniaire dont le montant maximum s'élèvera au double du montant de l'investissement irrégulier.

Ce dispositif ayant été amplement commenté à l'occasion de l'exposé général, il y a lieu d'apporter quelques précisions seulement.

Il semble que le motif le plus fréquemment utilisé pour ajourner des investissements étrangers soit celui tiré de la mise en cause de l'ordre public.

Selon les informations transmises par l'administration, on peut ainsi citer le cas d'un investissement projeté par un homme d'affaires proche-oriental aux activités soulevant de nombreuses interrogations et ayant notamment fait l'objet d'une interpellation pour port d'arme illégal, d'opérations envisagées par une société appartenant à un État sur le point d'être sanctionné par l'ONU, ou encore d'un investissement d'une organisation parareligieuse dont certains avaient fait l'objet de condamnations en France, notamment, pour exercice illégal de la médecine.

On peut considérer que la préservation de l'ordre public recouvre également le cas des opérations ayant pour effet de faire échec à l'application des lois et règlements français, actuellement spécifiquement prévu par l'article 11ter du décret du 29 décembre 1989 qui n'a pas été maintenu en tant que tel dans le texte du présent projet de loi, compte tenu d'une part de l'absence de cas où cette disposition avait trouvé à s'appliquer dans le passé, et de son caractère superfétatoire par rapport à la notion d'ordre public.

La notion d'ordre public a un contenu évolutif en fonction de la représentation qu'on se fait des conditions d'une vie sociale paisible.

Fondé sur les considérations liées à la sécurité des biens et des personnes à la salubrité et à la tranquillité publiques, l'ordre public a progressivement gagé de nombreux domaines -esthétique, économique...- et se trouve ainsi de plus en plus fréquemment invoqué.

Ce n'est pas à dire que sa simple évocation suffise à justifier l'intervention de l'administration. Encore faut-il pour que celle-ci soit légale, que la mise en cause de l'ordre public soit avérée et, lorsque l'administration entend intervenir dans le domaine des libertés publiques, cette mise en cause soit suffisamment grave.

Une dernière observation doit être faite. L'Assemblée Nationale a introduit une disposition tendant à mentionner parmi les activités sensibles les activités de recherche et de production de poudres et substances explosives destinées à des fins militaires.

En effet, elle a estimé que le droit français distinguant le régime des matériels de guerre et des matériels assimilés et le régime des poudres et substances explosives destinées à des fins militaires, il existait donc un doute juridique quant à la possibilité d'assimiler ces deux régimes en matière d'investissements directs étrangers, en particulier dans le cas où les poudres explosives étant intégrées dans des systèmes de munitions ou d'armes (ce qui est le cas lorsqu'elles servent à la propulsion d'engins, notamment balistiques, dont le caractère stratégique est indubitable).

Elle a donc jugé nécessaire de spécifier que ces activités demeureraient soumises à autorisation préalable du ministre de l'économie.

B. L'INSTAURATION D'UNE CAUSE DE NULLITE DES OPÉRATIONS RÉALISANT UN INVESTISSEMENT ÉTRANGER IRRÉGULIER

La nullité concerne tout engagement, convention ou clause contractuelle qui réalise directement ou indirectement un investissement étranger dans les domaines mentionnés plus haut lorsque cet investissement n'a pas fait l'objet de l'autorisation préalable exigée sur le fondement de l'article 3 de la loi du 28 décembre 1966.

La nullité est automatique. Elle sera prononcée par les tribunaux compétents, le rôle de ceux-ci étant simplement de vérifier que les conditions mises à son prononcé sont réunies.

II. POSITION DE LA COMMISSION

Si l'essentiel du dispositif projeté ainsi que l'option choisie d'assouplir et de libéraliser le régime des investissements étrangers en France peuvent être approuvés, force est d'observer que le projet examiné pose un problème juridique essentiel et pourrait être amélioré marginalement.

A. UN PROBLÈME JURIDIQUE ESSENTIEL

Le régime de police des investissements étrangers est fixé par des dispositions réglementaires prises sur le fondement de l'habitation très large consentie par l'article 3 de la loi du 28 décembre 1966.

Le pouvoir d'injonction et la cause de nullité institués par le présent projet de loi sont conditionnés au constat d'un défaut de respect du régime d'autorisation préalable qui est édicté par les décrets d'application de la loi de 1966.

Le pouvoir réglementaire dispose, à tout moment, de la possibilité de modifier la réglementation des investissements étrangers. Il lui est donc possible de paralyser entièrement le dispositif légal que le Gouvernement sollicite le Parlement d'adapter.

Cette situation n'est, à l'évidence, pas satisfaisante. La corriger apparaît nécessaire de ce seul fait sans même qu'il faille invoquer, au soutien de cette entreprise, les difficultés que pose au regard du droit constitutionnel le régime en vigueur.

Il convient ainsi, sans s'écarter sur le fond des réformes envisagées par le gouvernement que la loi fixe les éléments essentiels du régime de police des investissements étrangers.

B. QUELQUES AMÉLIORATIONS APPORTÉES AU TEXTE


Le texte désigne le ministre chargé de l'économie comme seul compétent pour exercer le pouvoir d'injonction institué.

Du fait de la diversité des domaines d'activité considérés comme sensibles par le texte et, donc, de sa dimension interministérielle, il aurait été envisageable d'adopter une rédaction qui tienne formellement compte de ces caractéristiques.

Cependant compte tenu de la tradition qui confie au ministre chargé de l'économie une compétence de principe dans le domaine des investissements étrangers et des difficultés pratiques et, éventuellement, juridiques qu'aurait pu poser un dispositif alternatif, il a été décidé de laisser sur ce point, le texte en l'état.


• L'énumération des domaines sensibles.

Alors que le texte procède en général par référence à des notions abstraites et globales pour définir les investissements sensibles, il emploi pour les activités intéressant la défense nationale une méthode consistant à les énumérer objet par objet.

Ce faisant, il encourt le risque de manquer d'exhaustivité. C'est pourquoi il apparaît préférable de prévoir une disposition plus globale ce que permet de réaliser la mention des impératifs de la défense nationale.


• Un défaut rédactionnel des dispositions procédurales :

Le texte entend ménager le principe du contradictoire en prévoyant un délai de réponse au profit de l'investisseur :

ï avant le prononcé de l'injonction, et

ï avant le prononcé des sanctions prévues en cas de non respect de celle-ci.

Cependant, l'une des rédactions choisies pour organiser ces droits de réponse recèle quelques maladresses.

Dans la première hypothèse évoquée ci-dessus, il est énoncé que l'injonction ne peut intervenir qu"'après l'envoi d'une mise en demeure à l'investisseur de faire connaître ses observations dans un délai de quinze jours". Interprétée littéralement, cette disposition permet de procéder à une injonction dès que la mise en demeure aura été envoyée à l'investisseur et donc sans attendre le terme du délai de quinze jours.

C'est pourquoi il est préférable de prévoir que l'injonction sera conditionnée à l'expiration d'un délai de quinze jours après l'envoi de la mise en demeure visée par le texte.

Dans la seconde hypothèse, les sanctions pécuniaires que le texte habilite le ministre à prononcer sont soumises à la condition que le ministre ait mis l'investisseur à même de présenter ses observations sur les faits qui lui sont reprochés dans un délai minimum de quinze jours".

Dans ce cas, la rédaction du texte, si elle manque un peu de clarté, suppose que les sanctions ne pourront être prononcées qu'à l'expiration du délai minimum de quinze jours mentionné par le texte puisqu'il est prévu que l'investisseur doit être à même de faire ses observations dans ce délai.


• Une précision supplémentaire doit être apportée au mécanisme de nullité instauré par le texte.

En effet, en l'état, le texte ne comporte aucune indication de date en ce qui concerne les opérations susceptibles d'être annulées sur la base de la nullité qui est créée.

Il pourrait en résulter une insécurité juridique excessive dans l'hypothèse où un tiers viendrait à contester des opérations anciennes. C'est pourquoi il convient de prévoir que la nullité ne peut être appliquée qu'à des opérations intervenues "à compter de la promulgation de la présente loi".

Décision de la Commission : Votre Commission vous propose d'adopter le présent article ainsi amendé.

Article 2 (nouveau) - Modification de la loi du 22 janvier 1988 sur les bourses de valeurs

Commentaire : Le présent article a pour objet de permettre le lancement du nouveau marché, qui doit avoir lieu le 14 février. A cette fin, il transpose certaines dispositions de la directive concernant les services d'investissement dans le domaine des valeurs mobilières.

Le dispositif proposé modifie la loi boursière sur quatre points :

- il supprime le monopole des sociétés de bourse en ouvrant le métier de la négociation en France aux établissements de crédit et aux entreprises d'investissement des États partie à l'espace économique européen 1 ( * ) (EEE) ;

- il transfère les compétences de réglementation du marché, et de décision individuelle d'admission et de radiation des valeurs, du Conseil des bourses de valeurs aux entreprises de marché ;

- il donne la possibilité à la société des bourses françaises (SBF) de filialiser l'entreprise en charge de la gestion du nouveau marché, qui sera la Société du nouveau marché (SNM) ;

- sur amendement du Gouvernement, il accorde la qualité de marché réglementé au sens de la directive aux marchés français qui en remplissent actuellement les conditions, à savoir les marchés contrôlés par le Conseil des bourses de valeurs et le Conseil du marché à terme.

I. LA SUPPRESSION DU MONOPOLE DES SOCIÉTÉS DE BOURSE

A. L'ACCÈS DES ÉTABLISSEMENTS DE CRÉDIT AUX MARCHÉS DE VALEURS MOBILIÈRES (PARAGRAPHES I ET II)

Conçu initialement, à l'instar du marché à terme d'instruments financiers (MATIF) créé en 1985, comme un marché ouvert aux établissements de crédit, le nouveau marché est incompatible avec le monopole des sociétés de bourses prévu par la loi boursière de 1988.

Le problème ne se posait pas avec le MATIF, qui n'est pas une bourse de valeurs mais un marché à terme, soumis à la loi de 1885 qui ne prévoit pas un tel monopole de la négociation. En revanche, le Nouveau marché est une bourse de valeurs, analogue au point de vue de son régime juridique à la cote officielle et au Second marché.

Tel qu'il est conçu, le Nouveau marché ne pourrait fonctionner, même provisoirement, sans ses membres établissements de crédit qui sont les principales banques de la place.

Votre rapporteur souhaite faire deux observations sur cet aspect du dispositif.

D'une part, on peut remarquer qu'il ne limite pas son champ d'application au seul Nouveau marché, comme cela avait été fait avec le dispositif fiscal décidé en loi de finances rectificative 1 ( * ) . Il supprime en effet le monopole des sociétés de bourse sur l'ensemble des bourses françaises.

D'autre part, la directive sur les services d'investissement a expressément prévu pour la France un délai d'adaptation (37e considérant) l'autorisant à ne procéder à la suppression du monopole qu'à compter du 1er janvier 1997. Ne pas profiter de ce délai permet d'atténuer le retard pris dans la transposition, qui avoisinera un an à la promulgation de la loi de modernisation des activités financières 2 ( * ) .

Bien qu'excédant largement dans sa portée et son calendrier les besoins spécifiques du Nouveau marché, ce dispositif ne peut guère susciter de réserves de la part de votre commission. En approuvant la proposition de loi de transposition de la directive sur les services d'investissement signée par votre rapporteur ; Jean Arthuis, et plusieurs de nos collèges, elle a prévu de supprimer le monopole de négociation des sociétés de bourse sur tout marché dès le 1er janvier 1996, en renonçant au délai octroyé par la directive, dont au demeurant, les professionnels de la place ne réclament pas l'utilisation (article 75).

Toutefois, contrairement à la directive et à la position de votre commission, le présent article n'ouvre pas l'accès à la négociation aux personnes physiques. Cet aspect devra faire l'objet d'un réexamen à l'occasion du débat sur le projet de loi de modernisation des activités financières.

On peut remarquer que la compétence d'habilitation à opérer sur les marchés est dévolue, comme dans le droit actuel, au Conseil des bourses de valeurs, en ce qui concerne les entreprises et établissements français.

Ce dernier aspect est appelé à une rapide caducité. En effet, d'une part, le projet de loi de modernisation des activités financières (article 12) comme votre proposition de loi (article 20) prévoit la création d'un Conseil des marchés financiers (CMF) regroupant les compétences actuelles du Conseil du marché à terme et du Conseil des bourses de valeurs. D'autre part, le projet de loi prévoit une habilitation à double clé : agrément octroyé par le comité des établissements de crédit (CEC) sur approbation d'un programme d'activités par le CMF. Votre rapporteur rappelle que pour sa part, votre commission avait retenu une solution plus simple, et surtout plus conforme au principe d'autonomie des métiers du titre, d'un agrément par le CMF.

* 1 L'EEE regroupe l'Union européenne et l'Association européenne de libre échange (AELE) à l'exception de la Suisse ; soit l'Europe des quinze plus la Norvège.

* 1 Voir sur ce point le rapport n° 132, rattaché au procès-verbal de la séance du 13 décembre 1995, Alain Lambert, pages 109 à 150

* 2 La directive prévoyait sa propre transposition pour le 1er juillet 1995

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