II. QUELLES PERSPECTIVES POUR 1996 ?

Estimé sur la base du PIB du dernier trimestre de l'année 1995, l'acquis de croissance (2 ( * )) pour 1996 est nul alors qu'il était de 2 % au début de 1995.

Une croissance positive suppose donc un rebond de l'activité.

Une fois observé que toute prévision est soumise à aléas, il faut rappeler que son mérite essentiel est d'explorer des scénarios alternatifs Permettant d'isoler les variables essentielles.

Une quasi-certitude s'impose : l'environnement international de l'économie française ne devrait guère en soutenir le dynamisme.

En ce domaine, la conjoncture chez nos partenaires européens est déterminante, étant donné le niveau de nos échanges avec eux. L'Europe apparaît divisée. Les pays dont la monnaie a été dévaluée ont mieux résisté en moyenne que les autres. Mais, les effets positifs de leurs dévaluations s'estompent tandis que les handicaps que celles-ci ont générés, en matière d'investissement en particulier, joueront contre eux.

Il n'est pas inutile, dans la perspective de la monnaie unique, de revenir sur l'impact de la réévaluation du franc contre les monnaies européennes dévaluées.

Il apparaît en particulier qu'elle s'est traduite par une érosion de nos parts du marché international et un renforcement des contraintes de compétitivité sur notre appareil productif.

Selon les estimations de Rexecode, les pertes cumulées d'activité liées aux désordres monétaires se seraient élevées de 1993 à 1995 à 127 milliards de francs pour la France.

Dans le même temps, les pays à monnaies dépréciées auraient profité d'un supplément d'activité de l'ordre de 322 milliards de francs.

Ces pays ont donc bien profité d'un avantage concurrentiel gagnant en termes d'activité.

Cependant, les effets économiques de leur gestion monétaire extérieure ne peuvent se résumer à ce constat. Leur avantage compétitif ne peut être considéré comme solidement établi sans une politique de rigueur d'autant plus coûteuse qu'elle aura été retardée dans le temps, et d'autant moins aisée à justifier que se produisent des dérapages nominaux consécutifs à la dépréciation.

Quoi qu'il en soit, l'analyse rétrospective des événements monétaires européens constitue une leçon pour l'avenir. II n'est guère douteux que l'objectif d'une union monétaire européenne la plus large possible et de la survivance du marché unique implique une discipline de la part de ceux qui ne participeraient pas dès 1999 à la monnaie unique. Mais il n'y a guère de doute non plus sur la nécessité de gérer la valeur extérieure du futur euro de manière raisonnable, c'est-à-dire en contrecarrant les effets de réappréciations excessives.

Dans l'autre Europe, la situation de l'économie allemande s'est fortement dégradée sous l'effet notamment de deux facteurs qui paraissent durables. L'un réside dans l'interruption du "boom immobilier" résultant de la réunification. L'autre provient du renchérissement du coût unitaire du travail qui a provoqué une hausse rapide du chômage. Si cet enchaînement n'était pas enrayé l'Allemagne pourrait connaître un ralentissement économique prolongé.

L'économie américaine quant à elle fait l'objet de diagnostics particulièrement contrastés. Selon les prévisionnistes, elle devrait soit entrer en récession soit, à l'inverse, connaître un sursaut.

Les prévisions réalisées en France privilégient le scénario de l'atterrissage en douceur, c'est-à-dire une perspective de croissance de l'ordre de 2,5 %.Il s'agit là d'un ralentissement de la hausse de l'activité dont les effets sur l'économie française sont difficiles à cerner. Mais ce scénario n'est pas encore assuré.

L'inflexion de la demande adressée à la France par les États-Unis devrait freiner l'activité. Mais l'assainissement financier, au demeurant indispensable (3 ( * )) auquel devrait mener la baisse du rythme de croissance de l'économie américaine, pourrait déboucher sur une baisse des taux à long terme profitable à l'activité en France.

Quant à l'Asie du Sud-Est, si la fin de la récession au Japon paraît s'annoncer, les économies émergentes commencent à enregistrer des déséquilibres -commerce extérieur, inflation- qui risquent d'obérer leur potentiel de croissance. A cet égard, le creusement du déficit bilatéral des quatre Dragons avec le Japon qui s'est accru de 2 milliards de dollars en deux ans, passant de 4 à 6 milliards de dollars, est un signe de vulnérabilité.

Au total donc, l'environnement international de l'économie française ne devrait pas lui être réellement favorable même si la perspective d'une réduction des taux d'intérêt longs constitue un puissant motif d'espoir.

Les perspectives de la demande intérieure sont, évidemment, incertaines.

Le comportement de consommation des ménages est décisif puisque la part de la consommation dans le PIB est prépondérante (plus de 60 %).

La consommation dépend du revenu des ménages et de leur taux d'épargne. Elle a évolué autour d'une tendance baissière au cours du dernier trimestre 1995. Sa volatilité doit cependant être soulignée. En témoigne l'évolution au mois de janvier de la consommation des ménages en produits manufacturés en particulier. Après avoir décliné de 0,8 % en décembre, elle s'est accrue de 5,1 % en janvier. Le mois de février pourrait se situer sur la même tendance.

La croissance du revenu des ménages devrait connaître une inflexion sensible du fait d'évolutions salariales spontanément contenues, de l'accroissement des prélèvements fiscaux et sociaux déjà décidé et de la baisse du rythme des créations d'emplois.

Une question de plus en plus débattue ne doit pas être passée sous silence, l'hypothèse d'une hausse des salaires.

D'une telle mesure qui consisterait à rééquilibrer les conditions de Partage de la valeur ajoutée on peut attendre qu'elle stimule la consommation.

Toutefois, ses modalités seraient nécessairement sélectives. Elle ne saurait alourdir le coût du travail peu qualifié sous peine de contrecarrer les efforts entrepris pour abaisser celui-ci dans la perspective d'améliorer le contenu de la croissance en emplois.

Elle ne saurait pas davantage concerner l'ensemble des secteurs et des entreprises et devrait être modulée en fonction des gains de productivité réalisés.

L'exemple des dérapages salariaux connus par l'Allemagne montre à quel point une hausse généralisée des salaires se traduit par une hausse du chômage.

Compte tenu des caractéristiques que devrait respecter une politique salariale plus généreuse, il n'est pas établi que ses bénéficiaires en profiteraient pour consommer davantage.

Ce doute est renforcé par le constat d'une hausse continue et soutenue du taux d'épargne des ménages.

De 10,8 % en 1987, celui-ci est passé à près de 14 % en 1995. Ces évolutions que n'expliquent pas les déterminants traditionnels de l'épargne sont probablement le fruit d'un gonflement de l'épargne de précaution.

En 1996, la conjonction d'un ralentissement de la croissance du revenu des ménages et de la baisse des taux d'intérêt pourrait permettre d'amorcer une inflexion du taux d'épargne des ménages.

Si ceci ne devait pas se produire et si les tendances observées dans le passé se poursuivaient, le taux de croissance de l'économie française serait en 1996 sensiblement inférieur à 1 point.

Comme le comportement d'épargne des ménages apparaît de plus en plus lié à un sentiment de précarisation, il convient de tout entreprendre pour modifier cette appréciation.

L'investissement pourrait être le facteur le plus dynamique de la croissance.

L'investissement en logements des ménages toujours bridé par le jugement porté par eux sur leur situation et par les conditions débitrices qui leurs sont proposées devrait être stimulé par les mesures fiscales annoncées.

L'investissement des administrations serait atone compte tenu de leur effort de rééquilibrage financier.

En revanche, l'investissement des sociétés devrait s'accélérer. La situation financière des entreprises non financières est globalement bonne et la baisse des taux d'intérêt l'a encore améliorée. Le taux de marge des entreprises (4 ( * )) est à un niveau historiquement élevé (32,3 %), tandis que leur taux d'épargne (5 ( * )) s'est nettement redressé depuis 1990, passant de 16,9% à 18,9%.

En outre, malgré le faible dynamisme de la demande, les motifs d'investissement ne manquent pas compte tenu des retards pris dans le passé. Il s'agit moins aujourd'hui d'investir pour accroître des capacités de Production guère sollicitées, que pour garantir la compétitivité.

On rappelle en effet que l'investissement des sociétés et quasi-sociétés non financières a reculé de 6,2% en 1993, stagné en 1994 et progressé de 4 % seulement en 1995.

Au total, il n'apparaît pas improbable que l'investissement vienne soutenir l'activité en 1996.

Cependant, le taux de croissance envisageable pour l'année en cours est encore trop modeste pour ne pas poser deux difficultés au moins.

Le chômage pourrait s'accroître sensiblement pour deux raisons Principales. Le rythme de la croissance ne serait pas suffisant pour entraîner des créations d'emplois capables d'absorber les entrées sur le marché du travail. A cet égard, le ralentissement observé depuis 6 mois du nombre des emplois créés (130 000 contre 250 000 attendus) semble significatif. Certaines Prévisions tablent ainsi sur une progression du chômage de l'ordre de 100.000 chômeurs supplémentaires. Ces prévisions ne paraissent pas incompatibles avec la hausse du chômage de janvier : + 10.400 unités.

De surcroît, jouerait un cycle de productivité traditionnel qui veut qu'en début de reprise les créations d'emplois soient retardées.

Le rééquilibrage des comptes publics pourrait être plus ardu qu'espéré. On rappelle que, selon certaines estimations, une baisse de 1 % de PIB entraîne des recettes inférieures de 0,17 point de PIB et des dépenses supérieures de 0,49 point de PIB.

* 2 L'acquis de croissance mesure ce que serait le taux de croissance si le niveau du PIB restait stable au niveau atteint par lui au cours du dernier trimestre.

* 3 Les ménages américains sont considérablement endettés : les prêts à la consommation s'élèvent à 14,5 % du PIB. Au total, l'endettement des agents non financiers représente 190 % du PIB américain .

* 4 . Rapport de leur excédent brut d'exploitation à leur valeur ajoutée

* 5 . Rapport de leur épargne brute à leur valeur ajoutée .

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