II. UNE PROPOSITION MAJEURE DE VOTRE COMMISSION : APPORTER UN DÉBUT DE SOLUTION AUX PROBLÈMES DE LA TRANSMISSION

Latent depuis plus de dix ans, le débat sur les problèmes fiscaux liés à la transmission, et notamment à la transmission d'entreprise, a connu de nouveaux développements depuis l'examen, par le Parlement, du projet de loi de finances pour 1996.

A. UN DÉBAT DONT LES DONNÉES FISCALES SONT DÉSORMAIS BIEN CONNUES

Sur le fond, ces problèmes fiscaux sont clairement identifiés. Ils résultent d'un poids excessif des droits de mutation à titre gratuit, et trouvent en fait leur origine dans la réforme du barème des droits de succession, opérée en 1984 pour des raisons plus politiques qu'économiques.

En ce domaine, notre système cumule désormais des taux lourds, associés à un barème fortement progressif et dont les tranches n'ont d'ailleurs jamais été actualisées. La France se singularise ainsi par rapport à ses principaux partenaires. En effet, l'Allemagne connaît un taux de 35 %, mais qui s'applique au-delà d'un seuil équivalent à 300 millions de francs. Dans le système français, le taux de 40 % joue au-delà de 11,2 millions.

On ne peut toutefois ignorer que la sévérité de notre barème des droits de succession a des conséquences regrettables en termes économiques.

Le cas d'une transmission d'entreprise, et plus précisément d'une entreprise de taille moyenne non cotée, en fournit l'exemple le plus significatif. Actif peu liquide, l'entreprise a souvent une valeur élevée qui dépend plus des hommes qui participent à l'activité que des éléments inscrits au bilan. Sa transmission, anticipée ou par décès, donne donc généralement lieu à l'application des taux les plus élevés du barème.

Pour acquitter les droits, les héritiers ont alors deux possibilités :

- soit prélever sur l'entreprise les sommes nécessaires. Certes, cette charge peut être étalée dans le temps par le recours au régime du paiement différé, mais son importance subsiste et obère, pour longtemps, la capacité de développement de l'entreprise ;

- soit céder l'entreprise à des tiers. Dans l'absolu, cette perspective n'est pas en soi antiéconomique. Toutefois, l'expérience démontre que les entreprises les plus performantes sont souvent cédées à un concurrent français ou étranger dont les premières décisions consistent à restructurer l'outil de production et à rapatrier les centres de décisions au sein de ses propres services.

De ce fait, la transmission s'effectue souvent au détriment des emplois attachés à l'entreprise.

B. UNE ÉQUATION IMPOSSIBLE À RÉSOUDRE : UNE MESURE CIBLÉE SUR L'ENTREPRISE, CONSTITUTIONNELLEMENT INATTAQUABLE ET ÉCONOMIQUEMENT EFFICACE


Dans le projet de loi de finances pour 1996, le gouvernement avait proposé un dispositif centré sur la transmission d'entreprise.

Il s'agissait ainsi d'organiser un régime spécifique, répondant au problème le plus aigu, mais évitant de remettre en cause le barème lui-même.

Schématiquement, ce dispositif s'appuyait sur une réduction de 50 % des droits dus à l'occasion d'une telle transmission, sous réserve du respect de trois principales séries de conditions :

- une transmission anticipée, concrétisée par le recours à une donation (sous réserve du cas particulier des successions ouvertes par un décès accidentel),

- l'obligation de transmettre le contrôle effectif de l'entreprise,

- l'obligation, pour les donataires, de conserver pendant cinq ans les biens reçus.


Dans sa décision du 28 décembre 1995, le Conseil constitutionnel a censuré ce dispositif.

Tout en admettant la possibilité d'instituer un régime dérogatoire en faveur de la transmission d'entreprise, le Conseil a en effet considéré "qu'en instituant un abattement de 50 % sur la valeur de biens professionnels transmis entre vifs à titre gratuit à un ou plusieurs donataires, à la seule condition que ceux-ci conservent ces biens pendant une période de cinq années, sans exiger qu'ils exercent de fonction dirigeante au sein de l'entreprise et en étendant le bénéfice de cette mesure aux transmissions par décès accidentel d'une personne âgée de moins de soixante-cinq ans, la loi a établi vis-à-vis des autres donataires et héritiers des différences de situation qui ne sont pas en relation directe avec l'objectif d'intérêt général ci-dessus rappelé ; que, dans ces conditions et eu égard à l'importance de l'avantage consenti, son bénéfice est de nature à entraîner une rupture caractérisée de l'égalité entre les contribuables pour l'application du régime fiscal des droits de donation et de succession ; que, dès lors, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres griefs de la requête, l'article 9 de la loi ne peut être regardé dans son ensemble comme conforme à la Constitution ; "

La voie de solution la plus spontanée serait évidemment de s'appuyer sur les pistes qu'ouvre la rédaction des considérants de cette décision. Or une des exigences fortes du Conseil est que les donataires deviennent dirigeants de l'entreprise.

Sur cette base, deux possibilités sont envisageables :

- l'approche individuelle revient à ouvrir l'avantage aux seuls donataires ayant la qualité de dirigeant. Mais la mesure perdrait alors l'essentiel de sa portée, le nombre de dirigeants au sein d'une entreprise étant par définition limité, et tous les donataires ne pouvant évidemment pas exercer de telles fonctions. En outre, on peut se demander s'il est sain pour l'entreprise que le choix du futur dirigeant soit dicté par des considérations de nature fiscale.

- l'approche collective reviendrait à exiger que l'un au moins des donataires soit dirigeant. Toutefois, et sauf à admettre que, pour un même avantage, les conditions posées pour certains donataires sont plus contraignantes que celles imposées aux autres, il devient alors nécessaire d'appréhender globalement ces différents héritiers et considérer qu'ils constituent en fait un "repreneur" unique, organisé sous la forme d'un groupement stable d'associés.

Cette logique peut se défendre, mais il faut en tirer toutes les conséquences. En particulier, dans cette optique, le retrait d'un seul des donataires du groupement stable durant la période d'indisponibilité des biens transmis, ou la cession à un tiers d'une partie de ces biens au cours du même délai, devrait entraîner la remise en cause du régime pour l'ensemble des membres du groupement. Au plan économique, la contrainte devient là encore excessive, et le dispositif s'avère peu incitatif.

Ainsi, et à partir d'un projet initial qui était déjà en lui-même très contraint, et pouvait susciter des effets de frontières liés au caractère un peu arbitraire de la définition des "biens professionnels" au regard de l'impôt de solidarité sur la fortune, la prise en compte d'une des principales objections formulées par le Conseil constitutionnel conduirait à élaborer un dispositif peu attrayant, et donc inefficace.

De fait, il s'avère extrêmement délicat de combiner les exigences constitutionnelles, telles que l'on peut les interpréter à partir de la décision du 28 décembre 1995, et un dispositif efficace au plan économique.

C. UN PROJET STRUCTURÉ AUTOUR DE TROIS AXES

Ces difficultés ont été mises en évidence lors des différentes auditions auxquelles votre commission des finances a procédé, sur ce sujet, au cours du mois de février.

Votre commission reste cependant convaincue de la nécessité d'agir, et d'apporter dès maintenant une première réponse à ce lancinant problème. A cet effet, elle vous propose donc de changer d'approche et suggère une démarche comportant trois étapes :

1. Une mesure générale, tendant à alléger le poids des droits de mutation en cas de transmission anticipée

Il s'agit alors très clairement d'atténuer, dans certaines circonstances, le poids effectif du barème.

Sur le fond, l'objectif reste cependant de faciliter la transmission anticipée. Aussi, votre commission propose-t-elle un amendement qui s'appuie sur le régime fiscal actuel de la donation-partage, et l'aménage sur deux aspects :

- en premier lieu, élargir son champ d'application au cas de l'héritier unique ;

- en second lieu, majorer à titre temporaire de dix points le taux de réduction des droits associés à ce régime.

Le caractère temporaire de ce second volet du dispositif ne préjuge certes pas de l'avenir, mais dans une première étape, il constitue un levier Précieux pour inciter effectivement à transmettre.

2. Une réduction du taux d'intérêt appliqué par le Trésor en cas de recours au régime spécifique de paiement différé prévu en cas de transmission d'entreprise.

En l'état actuel de la législation, l'article 397 A de l'annexe III du code général des impôts organise un régime spécifique de paiement différé et fractionné des droits dus à l'occasion d'une transmission d'entreprise.

Désormais applicable en cas de donation avec réserve d'usufruit, ce régime s'organise en deux étapes :

- le paiement des droits est tout d'abord reporté de cinq ans ;

- ultérieurement, les versements effectifs peuvent être étalés sur une période de dix ans.

Dans ce contexte, le "crédit" ainsi accordé par le Trésor est assorti d'un taux d'intérêt, égal à la moitié du taux des obligations émises par la Caisse nationale de l'industrie. Actuellement, il représente environ 3,5 %.

Dans son principe, ce régime présente un intérêt majeur. S'inscrivant dans le temps, il permet d'utiliser les revenus tirés de l'entreprise pour acquitter les échéances du crédit. Toutefois, il est évident que la charge globale s'accroît du montant des intérêts, dont le taux demeure supérieur à celui de l'inflation.

Une réduction de ce taux vers un niveau plus symbolique s'avère donc nécessaire et faciliterait très directement la transmission de l'entreprise. Toutefois, il s'agit d'une mesure réglementaire, et doit donc être mise en oeuvre à l'initiative du gouvernement.

3. Enfin, amorcer une inflexion sur les conséquences fiscales de la transformation de l'usufruit en rente.

Dans la généralité des cas, les donations s'effectuent avec réserve d'usufruit. Dans l'hypothèse d'une entreprise constituée sous forme de société, ce démembrement de la propriété conduit l'usufruitier à conserver le droit de vote en assemblée générale ordinaire.

Or sur le fond, le démembrement de propriété répond avant tout au souci du donateur de conserver les revenus du bien transmis. Avec le vieillissement de la population, elle peut toutefois conduire à un certain immobilisme dans la gestion des actifs, situation qui n'est guère favorable en termes économiques.

Ce revenu pourrait cependant être versé sous forme d'une rente mise à la charge du donataire. Toutefois, les conséquences fiscales de cette conversion ne sont guère incitatives.

Une adaptation de ces règles, selon des modalités évitant les abus paraît donc souhaitable. Elle permettrait ainsi au donateur d'abandonner ultérieurement son droit de regard sur le bien et de laisser au donataire l'entière responsabilité de la gestion de cet actif.

Cet ensemble de propositions constitue ainsi une réponse immédiate à un problème aigu, dans l'attente d'une nécessaire réforme du barème.

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