ANNEXE N° 4 - AVIS DU CONSEIL D'ÉTAT - ASSEMBLÉE GÉNÉRALE (SECTION DES TRAVAUX PUBLICS ET SECTION DES FINANCES RÉUNIES) - N° 355 255 - 18 NOVEMBRE 1993

Le Conseil d'État, saisi par le ministre de l'Industrie, des Postes et Télécommunications et du Commerce extérieur et par le ministre de la Fonction publique d'une demande d'avis tendant à savoir si, dans la perspective d'une transformation en société anonyme de l'exploitant public France Télécom, il existe des règles ou principes de nature constitutionnelle qui s'opposeraient :

1°) à ce que les corps de fonctionnaires actuellement affectés à France Télécom soient rattachés à la nouvelle société anonyme et gérés par le président de celle-ci, comme ils le sont actuellement par le président de l'exploitant public ;

2°) à titre subsidiaire, et en cas de réponse affirmative à la première question, à ce que ces corps de fonctionnaires soient rattachés à un établissement public administratif spécialement créé à cet effet, à ce que les agents concernés soient mis à la disposition de la société anonyme, à ce que les pouvoirs de gestion les plus larges possibles soient délégués au président de la société anonyme, et enfin à ce que les organes de direction de la société anonyme soient également les organes de direction de l'établissement public administratif ;

Vu la Constitution ;

Vu l'ordonnance n° 58-1136 du 28 novembre 1958 portant loi organique concernant les nominations aux emplois civils et militaires de l'État, complétée par l'article 9 de la loi organique n° 92-189 du 25 février 1992 ;

Vu la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;

Vu la loi n° 83-675 du 26 juillet 1983 modifiée relative à la démocratisation du secteur public ;

Vu la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'État ;

Vu la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de la poste et des télécommunications ;

Est d'avis de répondre aux questions posées dans le sens des observations suivantes :

I - Sur la première question

Il ressort des termes mêmes de la question posée et des indications fournies par le Gouvernement que ce dernier a le souci de faciliter à France Télécom la conclusion d'accords de partenariat avec des opérateurs français et étrangers et souhaite également accorder à cet exploitant public une autonomie accrue par rapport à l'État. À ces fins, le Gouvernement envisage d'accorder à France Télécom un statut de société anonyme à majorité de capitaux publics.

Mais le Gouvernement souhaite simultanément que les missions confiées à cette société anonyme soient, pour l'essentiel, assurées par des fonctionnaires dont la situation juridique demeurerait inchangée : ils appartiendraient toujours à des corps de recrutement qui seraient régis par les dispositions des articles 29 à 31 de la loi susvisée du 2 juillet 1990 et qui seraient directement rattachés à la nouvelle société anonyme. En outre, le président de celle-ci se verrait confier, à l'égard de ces fonctionnaires, les mêmes pouvoirs de nomination et de gestion que ceux dont dispose le président de l'actuel exploitant public France Télécom, en vertu des dispositions de l'article 11 de la loi susvisée du 2 juillet 1990.

Il s'agit pour le Conseil d'État d'examiner si un tel dispositif se heurte ou non à « une règle ou un principe de nature constitutionnelle » .

1) Il convient de rappeler en premier lieu qu'aux termes de l'article 13 de la Constitution :

« Le Président de la République [...], nomme aux emplois civils et militaires de l'État.

Les conseillers d'État, le grand chancelier de la Légion d'Honneur les ambassadeurs et envoyés extraordinaires, les conseillers maîtres à la Cours des comptes, les préfets, les représentants du Gouvernement dans les territoires d'outre-mer, les officiers généraux, les recteurs des académies, les directeurs des administrations centrales sont nommés en Conseil des ministres.

Une loi organique détermine les autres emplois auxquels il est pourvu en conseil des ministres ainsi que les conditions dans lesquelles le pouvoir de nomination du Président de la République peut être par lui délégué pour être exercé en son nom. »

C'est l'ordonnance susvisée du 28 novembre 1958 portant loi organique qui a précise les conditions dans lesquelles le pouvoir de nomination du Président de la République peut être délégué par lui. Après avoir, dans son article 3, organisé la délégation de ce pouvoir au profit du Premier ministre, 1 article 4 de cette ordonnance prévoit que :

« les dispositions de l'article 3 de la présente ordonnance ne font pas obstacle aux dispositions particulières, législatives ou réglementaires, en vertu desquelles le pouvoir de nomination est confié, notamment par mesure de simplification ou de déconcentration administratives, aux ministres ou aux autorités subordonnées. »

a) Il convient d'examiner immédiatement si les fonctionnaires de l'exploitant public actuel entrent dans le champ d'application des dispositions sus rappelées.

À cet égard, s'il est vrai que l'article 29 de la loi susvisée du 2 juillet 1990 n'indique pas que les personnels de France Télécom sont des fonctionnaires de l'État, il n'en reste pas moins que cet article a décidé que ces personnels seraient régis par des statuts particuliers pris en application de la loi susvisée du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires et de la loi susvisée du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'État. En outre, il ressort, tant des dispositions mêmes que des travaux préparatoires de la loi du 2 juillet 1990, que le législateur n'a pas entendu, par la création de l'exploitant public France Télécom, rompre le lien qui unissait traditionnellement les corps de fonctionnaires des télécommunications à la fonction publique de l'État. Dans ces conditions, il convient d'admettre que les personnels en question sont demeurés, depuis l'intervention de la loi du 2 juillet 1990, dans le champ d'application des dispositions de l'ordonnance du 28 novembre 1958.

La volonté, exprimée par le Gouvernement, de ne pas modifier la situation juridique des personnels concernés implique que la loi portant création de la société anonyme France Télécom maintiendra ces personnels dans le champ d'application de ladite ordonnance.

La question se trouve donc posée de savoir si le président de la société anonyme France Télécom sera susceptible d'être regardé comme une "autorité subordonnée" au sens de l'article 4 de l'ordonnance du 28 novembre 1958, et pourra ainsi se voir déléguer, par la loi à intervenir, le pouvoir de nommer les fonctionnaires des corps rattachés au nouvel exploitant public.

b) S'agissant d'apprécier quel doit être le statut personnel d'une telle "autorité subordonnée", il faut admettre qu'il n'est pas nécessaire que celle-ci soit soumise au pouvoir hiérarchique d'un ministre. C'est ainsi que l'article 11 de la loi susvisée du 2 juillet 1990 a, implicitement mais nécessairement, reconnu cette qualité au président de l'exploitant public actuel France Télécom, qui n'est pas soumis au pouvoir hiérarchique du ministre chargé des Télécommunications. La circonstance que le président de la société anonyme France Télécom ne sera pas non plus soumis au pouvoir hiérarchique de ce ministre ne saurait donc faire obstacle, à elle seule, à ce qu'il soit regardé comme "autorité subordonnée".

Par ailleurs, il faut relever que l'article 10 de la même loi du 2 juillet 1990 a expressément étendu à France Télécom l'application des article 7 à 13 de la loi susvisée du 26 juillet 1983 relative à la démocratisation du secteur public, et a ainsi conféré au Gouvernement le pouvoir de nommer et de révoquer par décret en conseil des ministres le président de cet exploitant public. Et si, selon l'article 10 de la loi du 26 juillet 1983 celui-ci est nommé « sur proposition du conseil d'administration » cette formalité n'est pas de nature, compte-tenu de la composition de ce conseil, à limiter la liberté de choix du Gouvernement.

On ne saurait admettre que le président de la future société anonyme France Télécom puisse se voir reconnaître la qualité "d'autorité subordonnée" au sens de l'article 4 de l'ordonnance du 28 novembre 1958 si le Gouvernement ne dispose pas à son égard du même droit de nomination et de révocation, et si la liberté d'appréciation du Gouvernement ne demeure pas entière dans l'exercice de ce pouvoir. La loi à intervenir devra donc déroger, sur ces points, au droit commun des sociétés anonymes.

2) Ces précautions ne sauraient cependant suffire et il convient d'examiner une seconde question qui est celle de savoir s'il est constitutionnellement possible de placer des corps de fonctionnaires de l'État auprès d'une société anonyme, personne morale de droit privé.

À cet égard, on doit prendre en considération non seulement les dispositions de la Constitution relatives à l'administration et aux fonctionnaires, mais aussi les diverses lois qui, traditionnellement dans notre droit, ont posé les règles spéciales relatives au statut de la fonction publique et énoncé les garanties fondamentales reconnues aux fonctionnaires, et qui ont eu pour objet essentiel d'assurer la neutralité et la continuité des services publics, reconnues comme des conditions indispensables de la bonne exécution de ceux-ci. On peut en déduire un principe constitutionnel selon lequel des corps de fonctionnaires de l'État ne peuvent être constitués et maintenus qu'en vue de pourvoir à l'exécution de missions de service public. Il en résulte que ce principe ferait obstacle à ce que des corps de fonctionnaires de l'État puissent se trouver placés auprès d'organismes dont l'objet essentiel ne serait pas d'assurer l'exécution de telles missions.

Compte-tenu des caractéristiques propres des missions de service public assurées par France Télécom, et pour garantir le respect du principe constitutionnel énoncé ci-dessus, il sera nécessaire que la loi portant création de la société anonyme France Télécom :

a) définisse les missions de service public confiées à cette société et les fasse figurer dans son objet social ;

b) prévoie que le capital de cette société anonyme devra demeurer majoritairement détenu, de manière directe ou indirecte, par l'État, responsable en dernier ressort du bon fonctionnement de ce service public national ;

c) fixe les règles essentielles d'un cahier des charges imposant à la société anonyme le respect d'obligations garantissant la bonne exécution du service public ;

d) édicte des dispositions propres à garantir que la nature d'organisme de droit privé de la société anonyme France Télécom ne pourra avoir pour conséquence qu'il puisse être porté atteinte au principe de continuité du service public.

Il apparaît, en définitive, qu'au prix du respect des conditions énumérées aux 1° b) et 2° a), b), c), et d) ci-dessus, la loi portant création d'une société anonyme France Télécom pourra placer des corps de fonctionnaires de l'État auprès de cette société, et investir le président de celle-ci du pouvoir de nomination et de gestion de ces agents publics sans méconnaître une règle ou un principe de nature constitutionnelle.

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