N° 472

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SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1995-1996

Annexe au procès-verbal de la séance du 26 juin 1996

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi, adopté par l'Asssemblée nationale, autorisant l' adhésion de la République française à la convention sur la future coopération multilatérale dans les pêches de l' Atlantique du Nord-Ouest (ensemble trois annexes),

Par M. André DULAIT,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : MM. Xavier de Villepin, président ; Yvon Bourges, Guy Penne, Jean Clouet, François Abadie, Mme Danielle Bidard-Reydet, MM. Jacques Genton, vice-présidents ; Michel Alloncle, Jean-Luc Mélenchon, Serge Vinçon, Bertrand Delanoë, secrétaires ; Nicolas About, Jean-Michel Baylet, Jean-Luc Bécart, Mme Monique ben Guiga, MM. Daniel Bernardet, Didier Borotra, André Boyer, Mme Paulette Brisepierre, MM. Michel Caldaguès, Robert Calmejane, Charles-Henri de Cossé-Brissac, Pierre Croze, Marcel Debarge, Jean-Pierre Demerliat, Xavier Dugoin, André Dulait, Hubert Durand-Chastel, Claude Estier, Hubert Falco, Jean Faure, Gérard Gaud, Philippe de Gaulle, Daniel Goulet , Yves Guéna, Jacques Habert, Marcel Henry, Roger Husson, Christian de La Malène, Edouard Le Jeune, Maurice Lombard, Philippe Madrelle, Pierre Mauroy, Paul d'Ornano, Charles Pasqua, Alain Peyrefitte, Bernard Plasait, Régis Ploton, Guy Robert, Michel Rocard, André Rouvière, Robert-Paul Vigouroux.

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Le présent projet de loi tend à autoriser l'adhésion de la France à la convention sur la future coopération multilatérale dans les pêches de l'Atlantique du Nord-Ouest, faite à Ottawa le 24 octobre 1978. Cette convention a créé une organisation internationale, l'Organisation des pêches de l'Atlantique du Nord-Ouest ou OPANO, qui s'est substituée à la Convention internationale pour les pêcheries de l'Atlantique du Nord-Ouest (CIPAN) mise en place par la convention du 8 février 1949.

L'intérêt que présente l'adhésion de la France à l'OPANO tient à la présence française dans l'Atlantique du Nord-Ouest, à travers l'archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon , qui confère à notre pays dans cette région des devoirs particuliers, hérités de l'histoire.

Découvertes en 1520 par le navigateur José Alvarez Faguendez, les îles des Onze Mille Vierges reçurent en 1536 de Jacques Cartier leur nom actuel de Saint-Pierre-et-Miquelon. C'est en 1604 que des pêcheurs français y fondèrent un premier établissement permanent. Entre 1713 et 1814, l'Archipel connut une alternance de périodes de souveraineté anglaise et française. Le ralliement de Saint-Pierre-et-Miquelon à la France libre en 1941 atteste, s'il est besoin, la solidarité entre la métropole et l'archipel. Situé à quelque 25 km de Terre-Neuve, celui-ci est composé de trois îles principales : Saint-Pierre (25 km², 5 600 habitants), Langlade (91 km²) et Miquelon (110 km², 710 habitants).

L'Archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon devint un Territoire d'Outre-Mer en 1946, puis reçut le statut de collectivité territoriale, conformément à l'article 72 de la Constitution, en vertu de la loi n° 85-595 du 11 juin 1985. Cette loi définit les compétences du Conseil général de Saint-Pierre-et-Miquelon, composé de dix-neuf membres. Ces compétences concernent l'adhésion de la France à l'OPANO, puisque le conseil général de Saint-Pierre-et-Miquelon est saisi pour avis de tout projet d'accord international portant sur la zone économique française au large de l'archipel. Or, la zone économique exclusive instituée par la France autour de Saint-Pierre-et-Miquelon en application du droit international de la mer est située dans le champ d'application de la convention du 24 octobre 1978 créant l'OPANO. C'est même au titre de la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon que la France peut siéger à l'OPANO en tant qu'Etat côtier . En effet, avant que soit définie la zone économique au large de l'archipel, la France n'avait pu adhérer à l'Organisation du fait des compétences exclusives reconnues à la Communauté européenne - notamment par l'article 43 du Traité de Rome- en matière de pêche.

L'avantage que présente la participation de la France à l'Organisation des pêches dans l'Atlantique du Nord-Ouest tient donc à la possibilité de mieux faire valoir l'intérêt de Saint-Pierre-et-Miquelon en matière de conservation et de gestion des ressources halieutiques, dans une région fortement dominée par le Canada, alors que les relations de pêche entre ce pays et la France ont été, jusqu'à un passé récent, caractérisées par des contentieux récurrents.

A. LES DIFFERENDS FRANCO-CANADIENS SUR LA PÊCHE AUTOUR DE SAINT-PIERRE-ET-MIQUELON

Le grave désaccord qui, pendant quelque vingt ans, a opposé la France au Canada en ce qui concerne les droits de pêche autour de l'archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon, constitue la toile de fond de l'adhésion de la France, en tant qu'Etat côtier, à l'Organisation des pêches dans l'Atlantique du Nord-Ouest (OPANO).

Ce différend s'appuyait sur la contestation, par le Canada, non seulement de la zone économique exclusive définie par la France autour de Saint-Pierre-et-Miquelon, mais aussi du droit d'accès des pêcheurs français aux eaux canadiennes.

Alors qu'un accord relatif aux relations réciproques en matière de pêche entre la France et le Canada avait été conclu le 27 mars 1972, la dégradation progressive des relations de pêche entre les deux signataires s'est traduite par des crises successives qui ont conduit à l'adoption, en novembre 1994, d'un accord réaffirmant l'accord de pêche de 1972.

1. L'accord de pêche franco-canadien du 27 mars 1972

L'accord de pêche passé le 27 mars 1972 entre la France et le Canada s'est substitué à la convention de Londres signée en 1904, entre la France et la Grande-Bretagne (Terre-Neuve était, jusqu'en 1949, une colonie britannique).

En vertu de l'accord de 1972, la France renonçait aux privilèges détenus du fait de la convention de 1904. Elle s'engageait, en particulier, à mettre fin à l'activité des pêcheurs métropolitains dans le golfe du Saint-Laurent dans un délai de quinze ans. En contrepartie, la France préservait le droit, pour une dizaine de chalutiers immatriculés à Saint-Pierre-et-Miquelon, de pêcher dans le golfe du Saint-Laurent, et gardait un droit d'accès aux eaux atlantiques du Canada pour tous les navires de pêche français.

Par ailleurs, cet accord prévoyait, en cas d'extension des zones de pêche française ou canadienne dans la région, le maintien du droit d'accès de chaque partie dans les eaux de l'autre partie.

Enfin, l'accord de 1972 posait le principe de l'adoption de mesures éventuelles de conservation des ressources halieutiques, pouvant prendre la forme d'établissement de quotas, susceptibles de limiter le droit de pêche de l'autre partie.

2. La première « crise de la morue » (1986-1989)

a) Un contentieux territorial à l'origine

Les relations de pêche franco-canadiennes se sont dégradées à partir de 1977, quand les deux pays se sont dotés, l'un, d'une zone économique exclusive (cas de la France autour de Saint-Pierre-et-Miquelon) et l'autre, d'une zone de pêche (cas du Canada).

. Rappelons que l'article 56 de la convention des Nations Unies sur le droit de la me r du 10 décembre 1982 reconnaît des droits souverains à l'Etat côtier, dans une limite de 200 milles (370 km), en matière d'exploitation, d'exploration et de gestion des ressources (biologiques ou non biologiques) contenues dans les eaux de la zone économique, dans les fonds marins et dans le sous-sol. Sans que la zone économique soit confondue avec un espace de souveraineté, le droit international autorise l'Etat côtier à fixer le volume des prises autorisées dans la zone, afin d'éviter la surexploitation des ressources biologiques. L'Etat côtier peut également réglementer la pêche, en prenant notamment des mesures de conservation des espèces. Toutefois, afin de favoriser l'accès aux ressources halieutiques pour d'autres Etats que les Etats côtiers, la convention de 1982 invite les Etats côtiers dont la capacité d'exploitation est inférieure au volume autorisé de prises à conclure des accords de pêche avec d'autres pays en vue de l'exploitation du reliquat. Ces accords prévoient l'attribution de quotas aux Etats, définissent la taille et l'âge des espèces dont la capture est autorisée, et déterminent le type de navires susceptibles d'exercer ce droit de pêche. L'accès des Etats tiers aux ressources d'une zone économique est donc strictement encadré par l'Etat côtier.

La création de zones économiques exclusives est toutefois facultative, les Etats riverains pouvant se borner à l'exercice de leurs droits de pêche . Une vingtaine de zones de pêche ont donc été mises en place, mais le statut de ce type d'espace maritime n'est pas défini par la convention de Montego Bay. C'est pourquoi la transposabilité, aux zones de pêche, des règles définies par le droit international à l'égard des zones économiques exclusives ne semble pas acquise.

. Un contentieux est vite apparu entre La France et le Canada sur la délimitation de leurs zones respectives, le Canada déniant aux îles françaises (c'est-à-dire à l'archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon) tout espace maritime autre que la mer territoriale (espace défini par la convention de 1982 comme un espace de souveraineté de l'Etat côtier, et dont la largeur maximale est limitée à 12 milles, soit 22 km). La France estimait au contraire que la faculté de créer des zones économiques résultait tout aussi bien de la souveraineté sur des espaces continentaux que de la souveraineté sur des îles.

Une « zone grise » s'est donc constituée entre le Canada et Saint-Pierre-et-Miquelon, où la France comme le Canada s'estimaient compétents, et qui se situait à l'intérieur d'un secteur particulièrement riche en ressources halieutiques.

Dans les autres secteurs maritimes, les deux pays sont convenus de quotas de pêche par voie conventionnelle, sur la base de documents qualifiés de « procès-verbaux » de l'accord de 1972.

b) Première réaction canadienne

Après avoir constaté, en 1987, l'échec de négociations engagées pour conclure un nouveau procès-verbal d'accord, le Canada a argué de ce qu'il qualifiait de « surpêche » française dans la « zone grise » pour décider unilatéralement la fermeture des ports canadiens aux navires de pêche français, et pour interdire l'accès des navires de pêche français aux eaux canadiennes en 1988-1989.

Cette crise, très vive, a conduit au rappel de l'ambassadeur de France à Ottawa puis, en mars 1989, à la conclusion d'un nouveau procès-verbal sur les pêches, moins défavorable à la France, et à la signature d'un compromis d'arbitrage destiné à trancher le différend territorial entre la France et le Canada.

3. L'arbitrage de 1992 et la deuxième crise franco-canadienne

. La sentence arbitrale rendue le 10 juin 1992 donnait raison à la France en reconnaissant l'existence d'une zone économique exclusive autour de Saint-Pierre-et-Miquelon. Toutefois, le tribunal international chargé de l'arbitrage limitait les dimensions de la zone économique française à une superficie de 12 400 km² seulement, très éloignée des demandes françaises, qui portaient sur une zone de 50 000 km². De plus, la zone française présente un tracé étrange et incommode, comme le montre la carte (p. 12), puisqu'elle est composée d'un espace de 24 milles autour de l'archipel, complété par un couloir long de 200 milles et large de 10,5 milles, représentant à lui seul 70 % de la superficie totale de la zone. Ce tracé prive la zone française des ressources halieutiques les plus riches (si l'on excepte un important gisement de pétoncles d'Islande situé dans la zone française), qui se trouvent dans la « zone grise » revendiquée par la France et le Canada.

. Bien que la sentence arbitrale ait confirmé l'accord de pêche franco-canadien du 27 mars 1972, celui-ci ne fut plus appliqué à partir de septembre 1992, quand échouèrent les négociations bilatérales sur les quotas de morue au bénéfice de l'archipel français. Les négociations étaient intervenues dans un contexte de raréfaction de la ressource halieutique particulièrement net en ce qui concerne la morue, espèce « reine » de la région, dégageant la plus forte valeur ajoutée.

A partir de juillet 1992, le gouvernement canadien avait, en effet, décidé d'imposer un moratoire sur la pêche à la morue dans un secteur situé le long de la façade est de Terre-Neuve, cette mesure ayant été étendue par la suite à la façade sud de Terre-Neuve, et au sud du Golfe du Saint-Laurent.

Tirant argument de l'échec des négociations bilatérales, le Canada avait, en octobre 1992, imposé à la France des quotas de pêche de 3 300 tonnes, inférieurs d'un tiers à ceux envisagés au cours des négociations. Les activités de pêche ont, en conséquence, été interrompues dès cette date à Saint-Pierre-et-Miquelon. Les deux usines locales de traitement du poisson ont donc été fermées, causant le chômage de quelque 400 personnes (les équipages des chalutiers français immatriculés dans l'archipel, et le personnel des deux usines de transformation du poisson implantées à Saint-Pierre et à Miquelon), et nécessitant l'attribution d'aides publiques importantes à l'archipel.

. En janvier 1993, le conflit franco-canadien connut une nouvelle étape avec la pêche illégale organisée dans les eaux canadiennes par les élus et les responsables professionnels de Saint-Pierre-et-Miquelon, pour attirer l'attention sur les difficultés des pêcheurs de l'archipel. Les deux chalutiers français engagés dans cette « croisade » ont été arraisonnés par les autorités canadiennes, les quelque cinquante marins, responsables et élus (dont le député Gérard Grignon et le sénateur-maire de Saint-Pierre Albert Pen) ayant été placés en détention préventive par les autorités canadiennes.

Cette « croisade » semble toutefois avoir tourné court. Elle n'a, en tout état de cause, pas empêché les Canadiens de décider un moratoire général sur la pêche à la morue, en août 1993.

4. L'accord bilatéral de novembre 1994

A la faveur de la visite à Paris, en mai 1993, du Premier ministre canadien B. Mulroney, les négociations bilatérales, interrompues en septembre 1992, reprirent au niveau intergouvernemental, et portèrent sur deux dossiers différents : d'une part, un accord de pêche et, d'autre part, un accord de coopération régionale destiné à favoriser l'intégration de Saint-Pierre-et- Miquelon dans son environnement économique.

Ces deux accords ont été paraphés le 9 novembre à Ottawa et signés le 2 décembre 1994 par les deux Premiers ministres.

- L'accord relatif au développement de la coopération régionale entre les provinces atlantiques canadiennes et la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon vise à encourager les échanges entre l'archipel français et les provinces canadiennes voisines dans de nombreux domaines (commerce, tourisme, transports, environnement, coopération culturelle ...) -échanges qui, d'ailleurs, ont toujours existé pour des raisons de proximité évidentes. La première réunion de la commission mixte mise en place par l'accord de 1994, et qui réunit chaque année chambres de commerce, élus, organismes socio-professionnels, milieux d'affaires et Etat, semble avoir été un succès. Le développement des investissements à Saint-Pierre-et-Miquelon pourrait permettre de diversifier une économie encore largement tributaire de la pêche, puisque celle-ci représente à ce jour quelque 20 % des emplois dans l'archipel. La collectivité française pourrait également profiter des travaux de la commission mixte pour valoriser son potentiel touristique, qui devrait être prochainement favorisé par une meilleure desserte aérienne.

- Le procès-verbal d'application de l'accord de 1972 relatif aux relations réciproques entre la France et le Canada en matière de pêche réaffirme l'accord de mars 1972, qui posait la règle de la réciprocité d'accès dans les eaux respectives des deux Etats. Les droits historiques des pêcheurs français dans les eaux canadiennes sont donc confirmés. Les principales stipulations du procès-verbal d'accord sont les suivantes :

. La France alloue au Canada 30 % des totaux admissibles de capture (TAC) du gisement de pétoncles situé dans la zone française. L'essentiel de la ressource est donc exploité par la France, alors que le Canada se voyait allouer la totalité des prises dans le cadre des précédents procès-verbaux d'accord. L'implantation d'une usine de traitement à Miquelon est destiné à créer des emplois durables à terre et en mer.

. Le Canada confirme à la France les pourcentages de capture de morue et d'autres poissons de fond qui avaient été évoqués avant la rupture de négociations bilatérales, en septembre 1992. Toutefois, le Canada a la possibilité de pêcher une partie des quotas français de poissons, à condition de les faire traiter dans l'usine de Saint-Pierre. Cette stipulation, critiquée par certains, permet cependant d'assurer un approvisionnement suffisant de l' usine de Saint-Pierre , et de maintenir ainsi plus d'une centaine d'emplois.

. Enfin, le procès-verbal d'accord de 1994 renforce la coopération franco-canadienne en matière de gestion et de conservation de la ressource halieutique, en mettant en place une sorte de cogestion des zones de pêche . En effet, aucune mesure concernant la gestion ou la conservation des eaux canadiennes qui entourent la zone économique française ne pourra être prise par le Canada sans concertation préalable avec les autorités françaises.

*

* *

L'aménagement de l'accord de pêche de 1972 conclu en 1994 devrait donc permettre à la France de se préparer à la reprise de la pêche à la morue dans les eaux canadiennes, qui interviendra quand le Canada lèvera le moratoire.

B. LA FRANCE ET L'ORGANISATION DES PÊCHES DE L'ATLANTIQUE DU NORD-OUEST (OPANO)

La création de l'OPANO, en 1978, visait à tirer les conséquences des évolutions du droit international de la mer observées dans le cadre des travaux de la troisième conférence des Nations Unies, ouvertes en 1973, et qui conduisirent à l'adoption de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer du 10 décembre 1982.

En effet, l'une des caractéristiques de cette convention est d'avoir formalisé la notion de zone économique exclusive, qui revient à une extension des droits souverains des Etats côtiers en matière d'exploration, d'exploitation, de conservation et de gestion des ressources du milieu marin situées jusqu'à une limite de 200 milles (370 km) de leurs côtes.

Cette évolution substantielle du droit international avait, en effet, rendu caduque la Commission internationale pour les pêcheries de l'Atlantique du Nord-Ouest (CIPAN) 1 ( * ) , mise en place en février 1949 à l'initiative des Etats-Unis.

L'OPANO reçut donc pour mission de « promouvoir la conservation et l'utilisation optimale des ressources halieutiques de l'Atlantique du Nord-Ouest dans un cadre conforme au régime d'extension de la juridiction de l'Etat côtier sur les pêches », et d'«encourager en conséquence la coopération et la consultation internationales à l'égard desdites ressources » (préambule de la convention).

Après une rapide analyse du contenu de la convention du 24 octobre 1978 à laquelle le présent projet de loi autorise l'adhésion française, votre rapporteur commentera l'intérêt que présente, pour notre pays, la participation à une organisation internationale dominée essentiellement par le Canada.

1. Analyse rapide du contenu de la convention du 24 octobre 1978 créant l'OPANO

a) Champ d'application

- En ce qui concerne le champ d'application géographique, l'article  1er de la convention distingue la « zone de la convention » (c'est-à-dire les espaces maritimes de la région de l'Atlantique du Nord-Ouest baignant les côtes du Groenland, et comprenant le golfe du Saint-Laurent ainsi que la baie de Baffin) de la « zone de réglementation », qui s'étend au-delà des régions dans lesquelles les Etats côtiers exercent leur juridiction en matière de pêche (c'est-à-dire au-delà de 200 milles des côtes).

La zone de la convention est divisée en sous-zones, divisions et subdivisions scientifiques et statistiques dont les limites sont définies à l'annexe III de la convention de 1978, et qui reprennent pour l'essentiel le quadrillage élaboré à l'époque de la Commission internationale des pêches de l'Atlantique du Nord-Ouest.

C'est ainsi que la « zone grise », revendiquée à la fois par le Canada et la France (voir supra, p. 7) dans la région la plus riche en ressources halieutiques est qualifiée, dans la nomenclature de l'OPANO héritée de la CIPAN, de zone « 3Ps » (voir la carte ci-après) .

- Les espèces halieutiques dont l'OPANO contribue à la conservation et à l'utilisation optimale sont définies par défaut. Sont, en effet, exclues du champ d'application de la convention, selon le paragraphe 4 de l'article 1, non seulement les espèces sédentaires, mais aussi les espèces régies par des stipulations spécifiques de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer. Il s'agit des stocks chevauchants (art. 63) soit essentiellement les thonidés et espèces apparentées (parmi lesquelles le makaire), des grands migrateurs (art. 64), parmi lesquels la morue, des espèces anadromes (art. 66), parmi lesquelles le saumon, et des cétacés, qui sont administrés par la commission baleinière internationale.

b) Aspects institutionnels

L'Organisation des pêches de l'Atlantique du Nord-Ouest se compose d'un conseil général , instance délibérante où chaque Partie dispose d'une voix et de trois représentants au plus. Le conseil général, qui adopte le budget annuel de l'OPANO, est assisté d'un conseil scientifique et d'une commission des pêches.

Le conseil scientifique « sert de tribune de consultation et de coopération entre les Parties en ce qui concerne l'étude, l'évaluation et l'échange de données et d'avis scientifiques se rapportant aux pêches de la zone de la convention, y compris les facteurs écologiques et d'environnement » (art. 6). Le conseil scientifique étudie toute question posée par un Etat côtier, relative à la gestion et à la conservation des ressources halieutiques des eaux de la zone de la convention sur laquelle cet Etat exerce une juridiction en matière de pêche.

La commission des pêches est « chargée de la gestion et de la conservation des ressources halieutiques de la zone de réglementation » de la convention, c'est-à-dire de la haute mer. Elle peut adopter des propositions, en tenant compte des avis du conseil scientifique, en vue d'une « action commune des parties contractantes pour parvenir à une utilisation optimale des ressources halieutiques de la zone de réglementation » (art. 11).

La commission des pêches a notamment la faculté de proposer des mesures de contrôle et de surveillance dans la zone de réglementation. Ses propositions relatives à la répartition des prises entre les Parties doivent tenir compte des « intérêts des membres de la commission dont les navires ont traditionnellement pêché dans cette zone ».

Notons que la commission des pêches comprend toutes les Parties contractantes « participant aux pêches dans la zone de réglementation, ou ayant l'intention d'y participer dans l'année en cours ou pendant l'année suivante » (art. 13).

Conformément aux règles adoptées à l'égard du conseil général, chaque membre de la commission dispose d'une voix à la commission des pêches.

c) Etablissement du budget de l'OPANO

La détermination des quotes-parts des Etats obéit à des règles différentes selon qu'il s'agit d'Etats côtiers ou non :

- 10 % du budget sont divisés entre les Etats côtiers (Canada, Etats-Unis, Danemark et France) au prorata de leurs prises dans la zone de la convention ;

- 30 % du budget sont également répartis entre les différents Etats contractants ;

- 60 % du budget sont divisés entre les Parties contractantes au prorata de leurs prises.

Les prises sur lesquelles sont assises les quotes-parts des Etats concernent les espèces dont la liste est établie en annexe à la présente convention, et parmi lesquelles figurent la morue, l'aiglefin, le merlu, le flétan, le calmar et la plie.

d) contrôle de l'application de la convention

Différentes stipulations de la présente convention visent à assurer le respect de celle-ci : sanctions en cas d'infraction (art. 17), programme d'inspection mutuelle (art. 18), conférant aux Parties des « droits réciproques d'arraisonnement et d'inspection des navires, puis de poursuite de l'Etat du pavillon ». Ces sanctions ne peuvent être prises qu'à l'encontre des Etats Parties à la convention. Les activités de pêche pratiquées dans la zone de la convention par des navires relevant d'Etats non Parties, et susceptibles d'avoir une influence néfaste sur la conservation des ressources halieutiques de la zone, peuvent faire l'objet de mesures concertées.

2. L'incidence positive de l'adhésion de la France à la convention du 24 octobre 1978

De manière générale, la présence de la France, en tant qu'Etat côtier, et non en tant que simple Partie contractante, parmi les membres de l'OPANO, permettra de défendre dans de meilleures conditions nos intérêts dans cette région, intérêts liés à la présence de la collectivité de Saint-Pierre-et-Miquelon.

Jusqu'à ce jour, la France était représentée à l'OPANO par l'Union européenne, mais la compétence de celle-ci ne comprend pas la représentation de Saint-Pierre-et-Miquelon, qui dispose pourtant d'une zone économique située dans le champ d'application géographique de l'OPANO.

Du fait de la présence de l'Union européenne au sein de l'OPANO et de la convergence des positions française et européenne à l'égard des questions traitées par l'Organisation, on peut imaginer que la France et Bruxelles conjugueront leurs efforts pour faire prévaloir un point de vue moins exclusivement favorable au Canada.

Rappelons, en effet, certains précédents attestant la domination des thèses canadiennes au sein de l'OPANO.

C'est ainsi qu'en septembre 1994, l'OPANO a, pour la première fois, fixé un TAC (total admissible de capture) de 27 000 tonnes pour le flétan noir pêché dans les eaux internationales de l'Atlantique Nord. Depuis le moratoire sur le cabillaud, cette espèce était pêchée par la flotte communautaire (essentiellement espagnole et portugaise), à hauteur de 40 000 tonnes par an environ. Ce TAC impliquait une perte importante de capture pour les flottes espagnole et portugaise. La répartition de ce TAC entre les membres de l'OPANO, arrêtée en janvier 1995, accordait au Canada 60,37 % de prises (soit 163 000 tonnes), contre 12,59 % (34 000 tonnes) à l'Union européenne, le reste étant attribué au Japon et à la Russie. Compte tenu du volume des prises communautaires en 1990-1993, référence sur laquelle devait s'appuyer l'élaboration des TAC, l'Union aurait dû bénéficier d'un quota de 69 %. En revanche, le Canada n'avait aucun antécédent de pêche de flétan noir au moment où l'OPANO a défini les TAC. Le quota attribué au Canada se fondait sur une évaluation des captures effectuées en 1977-91, à l'intérieur de la zone économique canadienne, et non en haute mer.

Cette approche revenait à admettre que le Canada bénéficiait de droits spécifiques sur la pêche en haute mer du fait de son statut d'Etat côtier, ce que ne prévoit en aucun cas le droit international de la mer.

L'Union européenne a donc, autant pour protéger les intérêts espagnols et portugais que pour défendre sa conception du droit de la mer, opposé une procédure d'objection , conformément à l'article 12 de la convention du 24 octobre 1978, contre la décision de répartition du TAC.

Le gouvernement canadien a demandé à l'Union, le 2 mars 1995, de renoncer à la procédure d'objection, qui permet de bloquer une décision de l'OPANO pendant quarante jours puis de la rendre inopposable aux Parties ayant présenté une objection. En contrepartie de ce retrait, le Canada proposait de céder une part de son quota, à titre provisoire, à l'Union.

Cette intervention était assortie de la menace de mettre en oeuvre une loi canadienne de mai 1994, en contradiction avec le droit international de la mer, et permettant l'extension à la zone de l'OPANO, de la juridiction exercée par le Canada dans sa zone économique exclusive.

Cette loi autorise notamment le Canada à arraisonner en haute mer des navires battant le pavillon d'Etats mentionnés dans une réglementation annexe, à laquelle le Portugal et l'Espagne furent ajoutés dès le 3 mars 1995.

L'arraisonnement, le 9 mars 1995, d'un navire de pêche espagnol par les garde-côtes canadiens a envenimé les relations entre Bruxelles et Ottawa, jusqu'à ce que le Canada accepte d'abroger la réglementation du 3 mars 1995 concernant les navires espagnols et portugais, et de reconsidérer les quotas sur une base plus favorable aux Européens, même si ces quotas restent modestes.

Ces événements confirment l' intérêt que constitue, pour la France et, de manière générale, pour l'Union européenne, l'adhésion de la France à l'OPANO en tant qu'Etat côtier. La conjugaison des efforts de Paris et de Bruxelles au sein de l'OPANO pourrait encourager une évolution de la « doctrine » de l'Organisation selon des thèses plus équilibrées. La tendance manifestée par certains Etats côtiers, parmi lesquels le Canada, et consistant à étendre à la haute mer adjacente à leur zone économique exclusive les droits souverains en matière d'exploitation des ressources halieutiques qu'ils détiennent dans leur zone économique exclusive, constitue l'un des enjeux de la participation de la France à l'OPANO.

Compte tenu de l'importance que revêtent, pour notre pays et, plus particulièrement, pour Saint-Pierre-et-Miquelon, les activités de pêche et les emplois liés à celle-ci, la quote-part française à l'OPANO (qui s'élève, pour 1996, à 16 750 dollars canadiens, soit 62 000 F environ), ne semble pas disproportionnée par rapport aux retombées positives que l'on peut attendre de l'adhésion française à la convention du 24 octobre 1978.

* 1 Les pays membres de la CIPAN étaient la Bulgarie, le Canada, Cuba, le Danemark, la France, la République fédérale d'Allemagne, l'Italie, la Grande-Bretagne, la République démocratique allemande, l'Islande, le Japon, la Norvège, la Pologne, le Portugal, la Roumanie, l'Espagne et l'URSS.

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