Rapport n° 2 (1996-1997) de M. Patrice GÉLARD , fait au nom de la commission des lois, déposé le 1er octobre 1996

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N° 2

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SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1996-1997

Annexe au procès-verbal de la séance du 1er octobre 1996.

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de résolution de M. Patrice GÉLARD tendant à compléter le Règlement du Sénat pour l'application de la loi tendant à élargir les pouvoirs d'information du Parlement et à créer un Office parlementaire d'évaluation des politiques publiques et de la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale,

Par M. Patrice GÉLARD,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : MM. Jacques Larché, président ; René-Georges Laurin, Germain Authié, Pierre Fauchon, François Giacobbi, Charles Jolibois, Robert Pagès, vice-présidents ; Michel Rufin, Jacques Mahéas, Jean-Jacques Hyest, Paul Masson, secrétaires ; Guy Allouche, Jean-Paul Amoudry, Robert Badinter, Pierre Biarnès, François Blaizot, André Bohl, Christian Bonnet, Mme Nicole Borvo, MM. Philippe de Bourgoing, Charles Ceccaldi-Raynaud, Raymond Courrière, Jean-Patrick Courtois, Charles de Cuttoli, Luc Dejoie, Jean-Paul Delevoye, Christian Demuynck, Michel Dreyfus-Schmidt, Patrice Gélard, Jean-Marie Girault, Paul Girod, Daniel Hoeffel, Lucien Lanier, Guy Lèguevaques, Daniel Millaud, Georges Othily, Jean-Claude Peyronnet, Claude Pradille, Louis-Ferdinand de Rocca Serra, Jean-Pierre Schosteck, Alex Türk, Maurice Ulrich.

Voir le numéro :

Sénat : 504 (1995-1996).

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Parlement.

LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES LOIS

Réunie le 1er octobre 1996 sous la présidence de M. Jacques Larché, Président, la commission des Lois a examiné, sur le rapport de M. Patrice Gélard, la proposition de résolution n° 564 qu'il avait déposée en vue d'introduire dans le Règlement du Sénat les procédures nécessaires à la mise en oeuvre de deux dispositions législatives adoptées par le Parlement durant la précédente session :

- la possibilité pour une commission permanente ou spéciale de demander au Sénat, pour une mission déterminée et une durée n'excédant pas six mois, de lui conférer les prérogatives d'une commission d'enquête (article premier de la proposition de résolution) ;

- l'irrecevabilité des amendements non conformes à l'article L.O. 111-3 du code de la sécurité sociale qui délimite le contenu des lois de financement de la sécurité sociale (article 2).

La commission a adopté cette proposition de résolution assortie de deux adjonctions concernant :

- l'applicabilité du mécanisme de déclaration « d'irrecevabilité sociale » prévu pour les amendements aux propositions de loi déposées par les sénateurs ;

- la situation juridique des sénateurs désignés pour siéger dans les organismes extraparlementaires.

EXPOSE GENERAL

Mesdames, Messieurs,

La proposition de résolution n° 504 a pour objet d'introduire dans le Règlement du Sénat les procédures nécessaires à la mise en oeuvre de deux importantes dispositions législatives adoptées par le Parlement au cours de la précédente session :


D'une part, le nouvel article 5 ter de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, qui accorde désormais à une commission permanente ou spéciale le droit de demander au Sénat, pour une mission déterminée et une durée n'excédant pas six mois, de lui conférer les prérogatives d'une commission d enquête (article premier de la proposition de résolution) ;


D'autre part, le nouvel article L.O. 111-3 du code de la sécurité sociale, issu de l'article premier de la loi organique n° 96-646 du 22 juillet 1996 relative aux lois de financement de la sécurité sociale. Plus précisément, cet article L.O. 111-3 du code de la sécurité sociale délimite le contenu des lois de financement de la sécurité sociale et institue un mécanisme d'irrecevabilité des amendements non conformes, qu'il importe d'organiser concrètement dans notre Règlement (article 2 de la proposition de résolution).

Les débats sur ces deux textes sont suffisamment récents pour qu'il ne soit pas nécessaire d'en rappeler la teneur en détail.

Tout au plus convient-il de souligner qu'ils contribuent, chacun dans leur domaine, à renforcer la capacité de contrôle du Parlement.

S'agissant de l'extension des pouvoirs des commissions d'enquête aux commissions permanentes ou spéciales, le paradoxe était en effet que les commissions parlementaires ne disposaient pas -dans le droit positif, tout au moins- de moyens d'investigation leur permettant de surmonter les réticences de l'administration ou des organismes susceptibles de leur fournir les renseignements nécessaires. Demeurerait, certes, le recours à la commission d'enquête, mais il s'agit d'une procédure lourde, qui doit être réservée à des affaires d'une certaine importance.

Aussi votre commission ne peut-elle que saluer l'heureuse initiative de M. Pierre Fauchon, lors de l'examen de la loi n° 96-517 du 14 juin 1996 tendant à élargir les pouvoirs d'information du Parlement et à créer un Office parlementaire d'évaluation des politiques publiques. Ainsi que l'a souligné M. Michel Rufin dans son rapport de première lecture, le renforcement temporaire et occasionnel des pouvoirs des commissions permanentes paraît en effet mieux adapté que la création d'une commission d'enquête pour assurer un suivi régulier de l'action des administrations.

L'institution des lois de financement de la sécurité sociale par la révision constitutionnelle du 22 février 1996 a, quant à elle, pour but de permettre au Parlement de se prononcer chaque année sur l'équilibre financier de la sécurité sociale, domaine où ses compétences étaient auparavant parcellaires et occasionnelles.

La loi constitutionnelle n° 96-138 du 22 février 1996 n'avait cependant défini qu'un cadre général dont le législateur organique a précisé les contours, le Sénat ayant d'ailleurs apporté sa pleine contribution à une loi organique qui touchait à ses compétences et qui, comme telle, était « relative au Sénat » au sens de l'article 46, alinéa 4, de la Constitution.

Avant même d'examiner le dispositif de la proposition de résolution, votre rapporteur -qui en est aussi l'auteur- croit utile de souligner son souci de s'en tenir à un texte aussi « économe » que possible, la révision du Règlement devant à ses yeux se limiter au strict nécessaire. À cet égard, il lui a paru souhaitable d'éviter toute surcharge inutile du Règlement du Sénat, préférant s'en remettre, pour ce qui est de plusieurs détails de procédure, aux dispositions ou aux usages existants.

I. L'ARTICLE PREMIER DE LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION : L'EXTENSION AUX COMMISSIONS PERMANENTES OU SPÉCIALES DES PRÉROGATIVES DES COMMISSIONS D'ENQUÊTE

L'article 5 ter de l'ordonnance du 17 novembre 1958 précitée dispose que :

« Les commissions permanentes ou spéciales peuvent demander à l'assemblée à laquelle elles appartiennent, pour une mission déterminée et une durée n'excédant pas six mois, de leur conférer, dans les conditions et les limites prévues par cet article, les prérogatives attribuées aux commissions d'enquête par l'article 6 ci-dessous ».

Cet article 6 détermine quant à lui les prérogatives en question, qui consistent essentiellement en deux points :


les rapporteurs des commissions d'enquête exercent leur mission sur pièces et sur lace, tous les renseignements de nature à faciliter leur mission devant leur être fournis. Ils sont pareillement habilités à se faire communiquer tous documents de service, à l'exception de ceux qui revêtent un caractère secret et qui concernent certains domaines (la défense nationale, les affaires étrangères et la sécurité intérieure ou extérieure de l'État), sous réserve du principe de séparation de l'autorité judiciaire et des autres pouvoirs ;


les commissions d'enquête peuvent convoquer toute personne dont l'audition leur paraît utile, la personne étant tenue de déposer sous serment, à peine d'un emprisonnement de deux ans et d'une amende de 500.000 francs.

Il est vrai qu'en vertu d'un nouvel article 5 bis de l'ordonnance du 17 novembre 1958 -également issu de la loi du 14 juin 1996 précitée- le fait de ne pas répondre à la convocation d'une commission permanente ou spéciale est dorénavant puni de 50 000 francs d'amende. Cependant, cette simple obligation de comparaître devant la commission n'entraîne pas à proprement parler celle de déposer, encore moins sous serment (encore que l'expression « répondre à la convocation » puisse se prêter à plusieurs interprétations). À la limite, une personne pourrait fort bien se présenter devant la commission mais refuser de répondre aux questions qui lui seraient posées, sans s'exposer en principe à la moindre sanction pénale.

A. LES MODALITÉS DE L'EXTENSION DE CES PRÉROGATIVES AUX COMMISSIONS PERMANENTES OU SPÉCIALES

L'article premier de la proposition de résolution s'inspire pour partie des règles gouvernant la constitution des missions d'information (article 21 du Règlement du Sénat) et la création des commissions d'enquête, observation faite que les articles 5 ter et 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 précitée posent déjà un certain nombre de règles, notamment quant à l'objet de la mission et à la durée de celle-ci.

Cet article propose d'introduire dans le Règlement du Sénat un article 22 ter comportant trois alinéas.


Aux termes du premier alinéa, la demande d'extension des prérogatives des commissions d'enquête formulée par une commission permanente ou spéciale devrait déterminer avec précision l'objet et la durée de la mission, laquelle ne pourra excéder six mois, conformément à la loi.


Ainsi qu'il est prévu à l'alinéa 2, la demande serait transmise au Président du Sénat qui en donnerait connaissance au Sénat lors de la plus prochaine séance publique. Sur la proposition de la Conférence des Présidents, la demande serait inscrite à l'ordre du jour du Sénat.

L'intervention de la Conférence des Présidents en ce domaine paraît on ne peut plus logique, puisqu'il s'agit d'un point touchant à l'organisation de l'ordre du jour du Sénat. Par ailleurs, il va sans dire qu'elle permettrait à chaque groupe politique d'exprimer son point de vue sur la question.

Pour le reste, le débat sur la demande d'extension serait soumis à la même procédure que celle prévue pour les demandes de missions d'information, sans qu'il soit indispensable d'introduire dans le Règlement de disposition particulière à cet effet.


L'alinéa 3 met en oeuvre la disposition de l'article 5 ter de l'ordonnance du 17 novembre 1958 selon laquelle l'attribution de pouvoirs de contrôle ne peut avoir lieu que « dans les conditions et les limites » prévues par l'article 6 ; il importe en effet de prévoir un dispositif permettant de vérifier que ces conditions et ces limites sont bien respectées.

Il s'agira en particulier de s'assurer qu'une commission permanente ou spéciale ne risque pas d'intervenir sur des faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires, dès lors que les commissions d'enquête elles-mêmes ne sont pas habilitées à enquêter sur de tels faits.

À cette fin, le troisième alinéa de l'article 22 ter dispose que la commission des Lois, si elle n'était pas à l'origine de la demande, aurait compétence pour émettre un avis sur la conformité de cette demande aux dispositions de l'ordonnance du 17 novembre 1958.

On retrouve mutatis mutandis le dispositif déjà prévu par l'article 11, alinéa premier, du Règlement du Sénat en ce qui concerne la création d'une commission d'enquête, la commission des Lois étant appelée à émettre son avis sur la conformité de la proposition de résolution lorsqu'elle n'en est pas saisie au fond.

On sait que l'usage est, en pareil cas, que le Président de la commission des Lois demande au Président du Sénat d'interroger le Garde des Sceaux, ministre de la Justice, sur l'existence éventuelle de poursuites judiciaires. Après avoir apprécié la suite à réserver à la réponse du Garde des Sceaux, la commission des Lois vérifie le caractère précis de la demande.

Ainsi que l'indique l'exposé des motifs de la proposition de résolution, cette procédure coutumière serait appliquée aux demandes de missions de contrôle formulées par les commissions permanentes ou spéciales, sans qu'il soit besoin de le spécifier dans le Règlement.

B. VOTRE COMMISSION DES LOIS A ESTIMÉ QUE L'EXTENSION AUX COMMISSIONS PERMANENTES OU SPÉCIALES DES PRÉROGATIVES DES COMMISSIONS D'ENQUÊTE N'IMPLIQUERAIT PAS DE LEUR APPLIQUER DU MÊME COUP L'ENSEMBLE DU RÉGIME DES COMMISSIONS D'ENQUÊTE.

Au-delà des règles de procédure permettant d'étendre aux commissions permanentes ou spéciales les prérogatives des commissions d'enquête, votre commission des Lois s'est interrogée sur la portée exacte de cette extension, qui s'opère « dans les conditions et les limites » de l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958.

Plus précisément, vise-t-elle simplement l'étendue des prérogatives conférées aux commissions permanentes, ou englobe-t-elle aussi les autres éléments du régime des commissions d'enquête, notamment les règles de publicité et le formalisme procédural applicable à la publication ou à la non publication du rapport ?

Votre commission des Lois a considéré que l'examen des travaux préparatoires plaidait sans trop d'ambiguïté pour la première interprétation.


• Le but du législateur -et notamment du Sénat, à l'origine de cette disposition- n'était surtout pas d'instituer des « commissions d'enquête bis » ni des sortes de commissions d'enquête parallèles, mais uniquement de faciliter l'information des commissions permanentes en leur conférant, sur des sujets ponctuels et pour une durée limitée, les prérogatives des commissions d'enquête. D'ailleurs, comme le relevait M. Pierre Fauchon, rapporteur en troisième lecture, cette formule n'a pas vocation à se substituer aux commissions d'enquête, « instance la mieux adaptée à la conduite d'investigations approfondies... Bien plus, elle conforte le rôle des commissions d'enquête car elle en réserve l'usage à leur véritable objet ».

En définitive, nonobstant l'existence de prérogatives communes, les « missions de contrôle » et les commissions d'enquête proprement dites doivent demeurer deux mécanismes bien distincts, ayant chacun leur objet propre et dont le régime juridique ne se confond pas.

Dès lors, le fait que les commissions permanentes puissent se voir conférer les « prérogatives » des commissions d'enquête « dans les conditions et les limites » prévues par l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 n'implique aucunement de leur appliquer du même coup l'ensemble du dispositif prévu pour les commissions d'enquête, sauf à méconnaître la différence de nature entre ces deux formules.


• Votre commission des Lois rappelle à ce propos que l'expression « dans les conditions et les limites » avait pour seul objet d'éviter que les commissions permanentes se voient confier des pouvoirs supérieurs à ceux des commissions d'enquête elles-mêmes.

D'où, par exemple, la nécessité de déterminer avec précision l'objet et la durée de la mission (elle ne pourra porter sur des faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires car cette interdiction est opposable aux commissions d'enquête), ou la limitation à six mois de l'exercice de ces pouvoirs renforcés (à partir du moment où cette durée limite est assignée aux commissions d'enquête).

Mais votre commission n'a pas envisagé un seul instant que les autres règles suivies pour les commissions d'enquête soient également imposées aux commissions permanentes.

Au contraire, la formule proposée devait introduire un élément supplémentaire de souplesse. Comme le notait M. Michel Rufin, il était souhaitable d'accorder aux commissions permanentes certains pouvoirs d'investigation renforcés parce que « les commissions d'enquête sont lourdes à mettre en oeuvre ».

Assortir les prérogatives renforcées des commissions permanentes des mêmes éléments de lourdeur condamnerait probablement la nouvelle procédure à la désuétude.


• Il en résulte en particulier que les dispositions spécifiques aux commissions d'enquête en matière de publicité (ou de secret) des auditions et de publication du rapport -à moins que constituée en comité secret, l'assemblée ait décidé par un vote spécial de ne pas autoriser sa publication ne sauraient concerner les commissions permanentes dotées temporairement des pouvoirs renforcés d'investigation.

Autrement dit, votre commission des Lois croit pouvoir considérer que le paragraphe IV de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 ne trouvera pas à s'appliquer en pareil cas.

Etendre le régime de publicité (ou de non publicité) des travaux des commissions d'enquête aux commissions permanentes introduirait d'ailleurs un élément de distorsion dans leurs règles habituelles de fonctionnement.

En effet, les travaux des commissions permanentes ne sont en principe pas publics mais une commission permanente « peut décider la publicité, par les moyens de son choix, de tout ou partie de ses travaux » (article 16, alinéa 8 du Règlement du Sénat). Cette faculté de publicité vaut aussi bien pour les auditions que pour les autres travaux. Inversement, l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 prévoit que sauf décision spéciale, les auditions des commissions d'enquête sont publiques, tandis que leurs autres travaux sont secrets.

Imposer à une commission permanente dotée des prérogatives d'une commission d'enquête la publicité de ses auditions ne se justifierait pas, surtout sur des sujets ponctuels où il s'agirait juste de surmonter les réticences de l'administration à fournir certains renseignements. En revanche, lui imposer le secret sur ses autres travaux pourrait être inutile, voire contraire à l'objectif recherché.


• À titre de comparaison, votre commission des Lois note que l'Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques peut lui aussi se voir conférer les prérogatives des commissions d'enquête (article 6 ter, paragraphe VI, alinéa 2 de l'ordonnance du 17 novembre 1958). Mais, dans son cas, le législateur a expressément prévu que « lorsque la délégation bénéficie de ces prérogatives, les dispositions relatives au secret des travaux des commissions d'enquête sont applicables ».

Comme le législateur n'a pas adopté de disposition équivalente pour les commissions permanentes, rien ne justifierait de donner aux termes « dans les conditions et les limites » une interprétation extensive allant au-delà des prévisions de la loi.

Cette option est de nature à éviter tout alourdissement inutile des procédures pour s'en tenir, comme l'a souhaité l'auteur de la proposition de résolution n° 504, à une mise en oeuvre « mécanique » et a minima du dispositif législatif.

II. L'ARTICLE 2 DE LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION : LA DÉFINITION DUNE PROCÉDURE DE DÉCLARATION D'IRRECEVABILITÉ DES AMENDEMENTS NON CONFORMES À L'ARTICLE LO 111-3 DU CODE DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

A. LE DOUBLE OBJET DE CETTE PROCÉDURE : ÉVITER LES « CAVALIERS SOCIAUX » LORS DE LEXAMEN DES LOIS DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE ET ASSURER LA PROTECTION DE LEUR DOMAINE À L'ÉGARD D'AMENDEMENTS PORTANT SUR D'AUTRES LOIS.

L'article L.O. 113 du code de la sécurité sociale, dont il est nécessaire de reproduire le texte complet, comporte trois paragraphes ainsi rédigés :

« Art. L.O. 111-3. -1. Chaque année, la loi de financement de la sécurité sociale :

« 1° Approuve les orientations de la politique de santé et de sécurité sociale et les objectifs qui déterminent les conditions générales de l'équilibre financier de la sécurité sociale ;

« 2° Prévoit, par catégorie, les recettes de l'ensemble des régimes obligatoires de base et des organismes créés pour concourir à leur financement ;

« 3° Fixe, par branche, les objectifs de dépenses de l'ensemble des régimes obligatoires de base comptant plus de vingt mille cotisants actifs ou retraités titulaires de droits propres ;

« 4° Fixe, pour l'ensemble des régimes obligatoires de base, l'objectif national de dépenses d'assurance maladie ;

« 5° Fixe, pour chacun des régimes obligatoires de base visés au 3° ou des organismes ayant pour mission de concourir à leur financement qui peuvent légalement recourir à des ressources non permanentes, les limites dans lesquelles ses besoins de trésorerie peuvent être couverts par de telles ressources.

« II . La loi de financement de l'année et les lois de financement rectificatives ont le caractère de lois de financement de la sécurité sociale.

« Seules des lois de financement peuvent modifier les dispositions prises en vertu des 1° à 5° du I.

« III. Outre celles prévues au I, les lois de financement de la sécurité sociale ne peuvent comporter que des dispositions affectant directement l'équilibre financier des régimes obligatoires de base ou améliorant le contrôle du Parlement sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale.

« Tout amendement doit être accompagné des justifications qui en permettent la mise en oeuvre.

« Les amendements non conformes aux dispositions du présent article sont irrecevables » .


• S'agissant de la discussion des lois de financement de la sécurité sociale, une des préoccupations majeure du Constituant, lors de la révision constitutionnelle du 22 février 1996, puis du législateur organique, a été de faire en sorte qu'elle soit centrée sur l'essentiel, à savoir les conditions générales de l'équilibre financier de la sécurité sociale.

Ne serait-ce qu'en raison des délais impératifs assignés à chaque assemblée pour leur examen en première lecture (20 jours pour l'Assemblée nationale et 15 jours pour le Sénat), il importe que les lois de financement de la sécurité sociale ne deviennent pas des sortes de « lois fourre-tout » ni, pour reprendre l'expression de l'exposé des motifs de la proposition de résolution, « une mosaïque de dispositions à caractère social, sans rapport direct avec l'objet du texte en discussion ».

À cette fin, le législateur organique a énuméré limitativement les dispositions susceptibles de figurer dans cette nouvelle catégorie de loi, exigeant de surcroît que tout amendement soit accompagné des justifications qui en permettent la mise en oeuvre.

En outre, le législateur organique a entendu protéger le domaine des lois de financement contre des amendements qui tendraient à modifier, à l'occasion de l'examen d'une loi d'une autre catégorie, des dispositions énumérées au I de l'article précité et figurant dans une loi de financement.

Dans cette double optique, il a prescrit l'irrecevabilité des amendements non conformes à l'une ou l'autre des différentes règles posées par l'article L.O. 111-3 du code de la sécurité sociale.

Dans sa décision n° 96-379 DC du 16 juillet 1996, le Conseil constitutionnel a considéré que ces restrictions au droit d'amendement n'étaient pas contraires à la Constitution, puisque la révision constitutionnelle avait précisément habilité le législateur organique à déterminer « des conditions et réserves particulières concernant la procédure de vote des lois de financement de la sécurité sociale ».

Bien entendu, la recevabilité des amendements en question s'appréciera sans préjudice du respect de l'article 40 de la Constitution, ainsi qu'il avait été prévu lors de la révision constitutionnelle et comme le Conseil constitutionnel l'a rappelé dans la décision précitée.

Les dispositions proposées ne feraient donc pas obstacle, le cas échéant, à la mise en oeuvre des procédures prévues par les alinéas 1 et 2 de l'article 45 du Règlement du Sénat.


• Votre commission rappelle par ailleurs que « l'irrecevabilité sociale » instituée par la loi organique est opposable aussi bien aux amendements présentés par les parlementaires qu'aux amendements du Gouvernement.

Sur ce point, la loi organique n'opère aucune distinction entre les amendements, et les travaux préparatoires explicitent parfaitement l'intention du législateur.

Lors de la discussion de l'article L.O. 111-3, M. André Fanton, rapporteur de l'Assemblée nationale, a bien précisé le 25 avril 1996 que « pour qu'il n'y ait pas de malentendu, dans l'esprit de la commission, les paragraphes concernant les justifications et la disjonction ou l'irrecevabilité s'appliquent au Gouvernement au même titre qu'au Parlement ».

Au Sénat, votre rapporteur a pareillement souligné dans son rapport écrit (n° 375) en première lecture que « l'irrecevabilité pourra être invoquée à l'encontre de tous les amendements, ceux du Gouvernement comme ceux des parlementaires ».

À nouveau, dans son rapport écrit de seconde lecture, M. André Fanton a insisté sur ce point : « il demeure incontestable que, pour ce qui concerne les amendements, le dispositif d'irrecevabilité qu'il reviendra au Règlement de chaque assemblée de préciser doit s'appliquer à tous, qu'ils émanent du Gouvernement ou de membres du Parlement ».

B. LA PROCÉDURE PROPOSÉE : UNE DÉCLARATION « D'IRRECEVABILITÉ SOCIALE » CALQUÉE MUTATIS MUTANDIS SUR LA DÉCLARATION D'IRRECEVABILITÉ FINANCIÈRE DE L'ARTICLE 40 DE LA CONSTITUTION

Aux termes des alinéas 1 et 2 de l'article 45 du Règlement du Sénat, l'irrecevabilité financière tirée de l'article 40 de la Constitution peut être soulevée par le Gouvernement, par la commission des Finances, par la commission saisie au fond ou par tout sénateur. Elle est admise de droit, sans qu'il y ait lieu à débat, lorsqu'elle est affirmée par la commission des Finances.

Lorsque la commission des Finances n'est pas en état de faire connaître immédiatement ses conclusions, l'article en discussion est réservé. Quand elle estime qu'il y a doute, un représentant peut demander à entendre les explications du Gouvernement et de l'auteur de l'amendement, qui dispose de cinq minutes de parole. Si le doute subsiste, l'article et l'amendement sont renvoyés à la commission des Finances, qui doit faire connaître ses conclusions avant la fin du débat, faute de quoi l'irrecevabilité est admise tacitement.

Dans tous les cas, l'amendement est mis en discussion lorsque la commission des Finances ne reconnaît pas l'irrecevabilité.


• Le dispositif proposé pour « l'irrecevabilité sociale » est tout à fait analogue, à cette différence près qu'outre le Gouvernement, la commission saisie au fond ou tout sénateur, cette irrecevabilité pourrait être soulevée par la commission des Affaires sociales (cette hypothèse trouvant à s'appliquer pour des amendements portant sur un texte dont elle ne serait pas saisie au fond).

De même, l'irrecevabilité serait appréciée dans tous les cas par la commission des Affaires sociales, qui dispose en ce domaine d'une compétence naturelle.

Pour le reste, le mécanisme serait identique, l'irrecevabilité était déclarée dans les mêmes conditions par le représentant de la commission des Affaires sociales ou, en cas de doute, par celle-ci. L'amendement serait mis ou remis en discussion si la commission des Affaires sociales n'admettait pas l'irrecevabilité.

En définitive, la proposition de résolution n° 504 s'en tient, moyennant les adaptations adéquates, à un mécanisme éprouvé et bien connu du Sénat. On peut d'ailleurs supposer que la commission des Affaires sociales élaborera progressivement une jurisprudence de la « recevabilité sociale des amendements » comme l'a fait la commission des Finances en matière de recevabilité financière.


• Toujours dans le souci de ne pas surcharger le Règlement du Sénat, l'auteur de la proposition de résolution n'a pas jugé souhaitable d'y introduire d'autres dispositions relatives à la procédure d'examen des lois de financement de la sécurité sociale. Votre commission des Lois a souscrit à sa démarche.

Il ne serait par exemple pas utile de prévoir de dispositions spécifiques en ce qui concerne l'envoi du projet de loi de financement à telle ou telle commission, dès lors que pour tous les textes, le choix de la commission compétente -qui ressortit à la compétence du Président du Sénat-découle du champ naturel de compétence de chaque commission.

De même, les règles de délai d'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale ne gagneraient pas à être reproduites dans le Règlement puisqu'elles figurent déjà à l'article 47-1 de la Constitution.


• Votre commission des Lois constate toutefois que le texte de l'article L.O. 111-3 précité vise uniquement l'irrecevabilité des amendements mais passe sous silence les propositions de loi, lesquelles n'ont d'ailleurs pas fait l'objet d'observation particulière lors des débats sur la loi organique.

Pour autant, rien n'interdit de s'interroger sur ce qui pourrait advenir d'une proposition de loi déposée par un sénateur si elle empiétait sur le domaine des lois de financement de la sécurité sociale. Faut-il déduire du silence de la loi organique qu'un parlementaire pourrait proposer par la voie d'une proposition de loi une mesure qu'il lui sera interdit de suggérer par amendement ?

Certes, un principe général veut qu'il n'y ait pas d'irrecevabilité sans texte. Mais un autre principe veut que les règles régissant les amendements s'appliquent sauf disposition contraire aux propositions de loi, et vice versa, dans la mesure où tous deux ont une origine parlementaire.

D'un point de vue juridique, force est d'admettre que la révision constitutionnelle du 22 février 1996 a créé, avec les lois de financement de la sécurité sociale, une nouvelle catégorie de lois, dont l'article L.O. 111-3 délimite précisément le périmètre, par la distinction entre les matières qui doivent y figurer et celles qui lui sont étrangères. Dans son rapport sur la révision constitutionnelle, votre rapporteur avait d'ailleurs bien insisté sur le caractère spécifique de cette catégorie de lois, qui s'ajoute désormais aux catégories instituées par le texte initial de la Constitution (les lois organiques, les lois de finances, les lois simples).

Cette innovation constitutionnelle pose donc nécessairement le problème du partage entre le domaine de la loi de financement et celui de la loi simple, qui concerne tout autant les propositions de loi que les amendements proprement dits.


• Pour ce qui est de l'appréciation de la « recevabilité sociale » des propositions de loi au moment de leur dépôt, le problème trouve déjà sa solution dans les alinéas 2 et 4 de l'article 24 de notre Règlement, lesquels disposent :

« 2.- Les propositions de loi ont trait aux matières déterminées par la Constitution et les lois organiques. Si elles sont présentées par les sénateurs, elles ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence, soit la diminution d'une ressource publique non compensée par une autre ressource, soit la création ou l'aggravation d'une charge publique.

« 4. - Le Bureau du Sénat ou certains de ses membres désignés par lui à cet effet sont juges de la recevabilité des propositions de loi ou de résolution ».

Sur la base de ces dispositions, le Bureau ou les membres désignés par lui à cet effet pourront donc parfaitement déclarer une proposition de loi irrecevable au motif qu'elle méconnaît la répartition de « matières déterminées par la Constitution et les lois organiques » , en l'occurrence l'article 34, antépénultième alinéa, de la Constitution et l'article L.O. 111-3 du code de la sécurité sociale.

Il n'y a donc pas lieu d'introduire de disposition expresse pour régler ce problème « en amont ».


• En revanche, le Règlement ne contient pas de disposition permettant de le régler « en aval », c'est-à-dire en cours de discussion (dans le cas, par exemple, d'une proposition de loi déclarée recevable par le Bureau mais à l'égard de laquelle le Gouvernement aurait une position plus restrictive que celle du Bureau ; ou encore si le texte mis en discussion n'est plus celui de la proposition de loi initialement recevable mais résulte des conclusions adoptées par la commission).

À cet égard, le parallèle avec le régime de l'irrecevabilité financière soulevée en cours de discussion à l'encontre d'une proposition de loi n'est pas inutile. En effet, l'article 45, alinéa 3 du Règlement du Sénat, dispose que :

« Dans le cas de discussion d'une proposition de loi déposée par un sénateur, les règles énoncées par les alinéas 1 et 2 du présent article s'appliquent également au texte mis en discussion ».

En d'autres termes, la procédure de déclaration d'irrecevabilité des amendements par la commission des Finances peut être appliquée à l'identique aux propositions de loi en cours de discussion.


• C'est pourquoi votre commission des Lois a cru pouvoir transposer cette disposition en complétant l'article 2 de la proposition de résolution par un nouvel alinéa (qui viendrait s'insérer après les nouveaux alinéas 7 et 8 de l'article 45) aux termes duquel :

« 9.- Dans le cas de discussion d'une proposition de loi déposée par un sénateur, les règles énoncées par les alinéas 7 et 8 du présent article s'appliquent également au texte mis en discussion ».

En cours de discussion, c'est donc à la commission des Affaires sociales qu'il appartiendrait, le cas échéant, d'apprécier la recevabilité de tout ou partie d'une proposition de loi au regard de l'article L.O. 111-3 du code de la sécurité sociale, dans les mêmes conditions que pour les amendements.

Sur la base de ces dispositions, il appartiendra à la pratique de préciser, à l'égard des propositions de loi, la ligne de partage entre le domaine de la loi simple et celui des lois de financement de la sécurité sociale.

Votre commission des Lois constate enfin qu'à l'occasion de l'examen de la proposition de résolution n° 2968 présentée par M. Pierre Mazeaud en vue d'introduire dans le Règlement de l'Assemblée nationale les mesures nécessaires à la mise en oeuvre de la loi du 14 juin 1996 et de la loi organique du 22 juillet 1996, la commission des Lois de l'Assemblée nationale vient de proposer de modifier l'appellation des députés appelés à siéger au sein des organismes extra-parlementaires.

Ils étaient jusqu'à présent qualifiés de « représentants », terme qui peut paraître ambigu dans la mesure où un parlementaire désigné par son assemblée ou par une commission pour siéger dans un organisme extra-parlementaire n'est pas investi, dans l'exercice de cette fonction, d'un véritable mandat de représentant. La commission des Lois de l'Assemblée nationale propose donc de les viser désormais sous l'appellation plus neutre de « membres de l'Assemblée nationale siégeant » au sein des organismes extra-parlementaires.

Il paraît souhaitable de procéder à une modification terminologique équivalente dans l'article 9 du Règlement du Sénat, ne serait-ce que pour éviter une disparité dans l'appellation des membres des deux assemblées lorsque des députés et des sénateurs siègent au sein du même organisme extra-parlementaire.

Sous le bénéfice de l'ensemble de ces observations, votre commission des Lois invite le Sénat à adopter la proposition de résolution suivante :

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à modifier les articles 9 et 45 du Règlement du Sénat et à insérer un article 22 ter

Article premier

Après l'article 22 bis du Règlement du Sénat, il est inséré un nouvel article ainsi rédigé :

« Article 22 ter.- 1.- Une commission permanente ou spéciale peut, en application de l'article 5 ter de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 précitée, demander au Sénat de lui conférer les prérogatives attribuées aux commissions d'enquête ; la demande doit déterminer avec précision l'objet et la durée de la mission, qui ne peut excéder six mois.

« 2.- Cette demande est transmise au Président du Sénat qui en donne connaissance au Sénat lors de la plus prochaine séance publique. Sur la proposition de la Conférence des Présidents, la demande est inscrite à l'ordre du jour du Sénat.

« 3.- Lorsque la demande n'émane pas d'elle, la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale est appelée à émettre son avis sur la conformité de cette demande avec les dispositions de l'article 6 de l'ordonnance précitée. »

Article 2

L'article 45 du Règlement du Sénat est complété par trois alinéas ainsi rédigés :

« 7.- L'irrecevabilité des amendements tirée de l'article L.O. 111-3 du code de la sécurité sociale peut être soulevée par le Gouvernement, la commission des Affaires sociales, la commission saisie au fond ou tout sénateur. L'irrecevabilité est admise de droit, sans qu'il y ait lieu à débat, lorsqu'elle est affirmée par la commission des Affaires sociales. L'amendement est mis en discussion lorsque la commission des Affaires sociales ne reconnaît pas l'irrecevabilité.

« 8.- Lorsque la commission des Affaires sociales n'est pas en état de faire connaître immédiatement ses conclusions sur l'irrecevabilité de l'amendement, l'article en discussion est réservé. Quand la commission estime qu'il y a doute, son représentant peut demander à entendre les explications du Gouvernement et de l'auteur de l'amendement qui dispose de la parole durant cinq minutes. Si le représentant de la commission estime que le doute subsiste, l'amendement et l'article correspondant sont réservés et renvoyés à la commission. Dans les cas prévus au présent alinéa, la commission doit faire connaître ses conclusions sur la recevabilité avant la fin du débat, autrement l'irrecevabilité sera admise tacitement.

« 9.- Dans le cas de discussion d'une proposition de loi déposée par un sénateur, les règles énoncées par les alinéas 7 et 8 du présent article s'appliquent également au texte mis en discussion ».

Article 3

I.- Dans le premier alinéa (1) de l'article 9 du Règlement du Sénat, le mot : « représentants » est remplacé deux fois par le mot : « membres ».

II.- Dans la première phrase du deuxième alinéa (2) du même article, les mots : « pour le représenter » sont remplacés par les mots : « pour siéger ».

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