Rapport n° 62 (1996-1997) de M. Jean-Patrick COURTOIS , fait au nom de la commission des lois, déposé le 5 novembre 1996

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N° 62

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1996-1997

Annexe au procès-verbal de la séance du 5 novembre 1996.

RAPPORT

FAIT

au nom de la Commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de loi de MM. Jean-Jacques HYEST, François LESEIN et Jean-Patrick COURTOIS, relative au contrat de concession du Stade de France à Saint-Denis,

Par M. Jean-Patrick COURTOIS,

Sénateur.

(1) Cette Commission est composée de : MM. Jacques Larché, Président ; René-Georges Laurin, Germain Authié, Pierre Fauchon, François Giacobbi, Charles Jolibois, Robert Pagès, Vice-Présidents : Michel Rufin, Jacques Mahéas, Jean-Jacques Hyest, Paul Masson, Secrétaires : Guy Allouche, Jean-Paul Amoudry, Robert Badinter, José Balarello, François Blaizot, André Bohl, Christian Bonnet, Mme Nicole Borvo, MM. Philippe de Bourgoing, Charles Ceccaldi-Raynaud, Raymond Courrière, Jean-Patrick Courtois, Charles de Cuttoli, Luc Dejoie, Jean-Paul Delevoye, Christian Demuynck, Michel Dreyfus-Schmidt, Patrice Gélard, Jean-Marie Girault, Paul Girod, Daniel Hoeffel, Lucien Lanier, Guy Lèguevaques, Daniel Millaud, Georges Othily, Jean-Claude Peyronnet, Bernard Piras, Claude Pradille, Louis-Ferdinand de Rocca Serra, Jean-Pierre Schosteck, Alex Türk, Maurice Ulrich.

Voir le numéro :

Sénat : 38 (1996-1997).

Sports.

LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION

Réunie le mardi 5 novembre 1996 sous la présidence de M. Jacques Larché, président, la Commission des Lois a procédé, sur le rapport de M. Jean-Patrick Courtois, à l'examen de la proposition de loi relative au contrat de concession du stade de France à Saint-Denis.

M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur, a indiqué que cette proposition de loi tendait à lever, par une mesure de validation, l'insécurité juridique qui, à la suite d'une décision juridictionnelle récente, pourrait affecter ce contrat de concession et, par là-même, mettre en cause la bonne préparation de l'organisation de la coupe du monde de football par la France.

Après avoir rappelé le cadre général de l'organisation de la coupe du monde de football, notamment les dispositions de la loi n° 93-1435 du 31 décembre 1993 qui ont autorisé l'opération d'aménagement du grand stade, le rapporteur a fait observer que la mesure de validation proposée était nécessaire.

Il a souligné, d'une part, qu'une très grande insécurité juridique affectait le contrat de concession à la suite de l'annulation contentieuse de la décision du Premier ministre de le signer et, d'autre part, que des motifs d'intérêt général justifiaient cette validation, notamment l'obligation pour la France de respecter son engagement international de construire cet ouvrage, engagement auquel était subordonnée la décision de lui confier l'organisation de la coupe du monde de football.

M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur, a par ailleurs fait valoir que la validation proposée lui paraissait conforme aux exigences constitutionnelles telles qu'elles ont été précisées par la jurisprudence du Conseil constitutionnel, en particulier qu'elle ne mettait pas en cause l'indépendance de la juridiction administrative.

Sur sa proposition, la Commission des Lois a précisé la rédaction proposée afin, d'une part, de la coordonner avec les dispositions de la loi du 31 décembre 1993 et, d'autre part, de prévoir la réserve des droits éventuels à indemnisation des tiers.

EXPOSE GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Le Sénat est saisi de la proposition de loi (n° 38, 1996-1997) relative au contrat de concession du Stade de France à Saint-Denis, présentée par nos collègues Jean-Jacques Hyest, François Lesein et par votre rapporteur lui-même.

Cette proposition de loi tend à lever, par une mesure de validation, l'insécurité juridique qui, à la suite d'une décision juridictionnelle récente, pourrait affecter ce contrat de concession et par là-même mettre en cause la bonne préparation de l'organisation de la coupe du monde de Football par la France.

Dans un peu plus d'un an, notre pays accueillera cette grande manifestation sportive. L'effet que la qualité de l'organisation d'une telle manifestation aura sur l'image internationale de la France justifie pleinement que, dans le respect des principes constitutionnels, tous les moyens juridiques soient réunis, notamment pour réaliser le grand stade de 80 000 places implanté à Saint-Denis.

Telle fut la démarche de notre Haute Assemblée lorsqu'elle examina, sur le rapport de notre regretté collègue Bernard Laurent, le projet qui aboutit à la loi n° 93-1435 du 31 décembre 1993 relative à la réalisation d'un grand stade à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) en vue de la coupe du monde de football de 1998.

Le présent rapport, après avoir rappelé brièvement le cadre général dans lequel est préparée l'organisation de la coupe du monde de Football, exposera les motifs qui fondent la présente proposition de loi et vous rendra compte des travaux de votre Commission des Lois.

I. RAPPEL DU CADRE GÉNÉRAL DE L'ORGANISATION DE LA COUPE DU MONDE DE FOOTBALL

A. LE CONTEXTE LÉGISLATIF ET RÉGLEMENTAIRE

1. La loi n° 93-1435 du 31 décembre 1993 : la levée des obstacles juridiques entourant la construction d'un grand stade

La construction d'un grand stade à Saint-Denis a justifié l'intervention préalable du législateur pour lever certains obstacles juridiques -parfaitement analysés dans le rapport de notre regretté collègue Bernard Laurent (n° 145, 1993-1994)- qui tenaient à la non compatibilité de cet équipement avec les documents d'urbanisme en vigueur, aux délais requis pour la mise en oeuvre éventuelle de procédures d'expropriation et aux conditions de réalisation de l'équipement lui-même.

Pour remédier à ces obstacles juridiques, la loi n° 93-1435 du 31 décembre 1993 s'est inspirée de solutions mises en oeuvre avec succès, notamment pour les XVIème jeux olympiques d'hiver d'Albertville et de la Savoie, organisés en 1992, ainsi que pour les Xème jeux olympiques d'hiver de Grenoble en 1968.

Composée de quatre articles, la loi du 31 décembre 1993 autorise l'opération d'aménagement -dont elle définit le périmètre- nonobstant les dispositions contraires du schéma directeur de la région d'Île-de-France et des autres documents d'urbanisme ( article premier ).

L'opération comprend :

- d'une part, la création d'un grand stade -qualifié d' équipement sportif d'intérêt national- à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) sur le site dit du « Cornillon Nord » qui est délimité par les autoroutes A1 et A 86 et par le canal de Saint-Denis ;

- d'autre part, comme l'avait souhaité le Sénat, l'édification d'infrastructures de sécurité nécessitées par la création et l'utilisation du grand stade sur le terrain « caserne de Rose » à Dugny (Seine-Saint-Denis).

La loi permet, en outre, l'utilisation de la procédure d'extrême urgence, en matière d'expropriation ( article 2 ). Cette procédure et en principe utilisable pour les travaux intéressant la Défense nationale ( article L. 15-6 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique) ou pour la construction de voies rapides, routes nationales, voies de chemins de fer et oléoducs ( article L. 15-9 ).

La loi du 31 décembre 1993 étend à ces opérations d'expropriation les dispositions du code de l'urbanisme qui prévoient des mesures de protection des occupants ( article 3 ).

Enfin, elle lève tout doute sur l'autorité concédante en précisant que l'État pourra concéder sur les terrains dont il aura la disposition, la construction et l'exploitation du grand stade ( article 4 ).

2. L'état d'application de la loi du 31 décembre 1993

Deux décrets, pris en 1994 et en 1995, ont précisé le contenu de l'opération d'aménagement :

- Le décret n° 94-1138 du 23 décembre 1994 a concerné la réalisation du grand stade sur le site dit du « Cornillon nord » à Saint-Denis

L'opération doit comporter un programme d'équipements sportifs comprenant un grand stade d'une capacité d'environ 80 000 places ainsi que des locaux utilisés pour son exploitation et son animation, un stade annexe et ses locaux d'exploitation, environ 6 000 places de stationnement.

Elle comporte également un programme immobilier comprenant des constructions à usage de logements, de bureaux, d'activités économiques, commerciales et de loisirs ainsi que leurs aires de stationnement et leurs équipements d'accompagnement.

Enfin, sont prévus la réalisation d' espaces verts et paysagers ainsi que les voies et les réseaux nécessaires à l'opération.

- Le décret n° 95-587 du 6 mai 1995 a, pour sa part, précisé le contenu de l'opération d'aménagement en ce qui concerne l'édification d'infrastructures de sécurité nécessitées par la création et l'utilisation du grand stade sur le terrain « caserne de Rose » à Dugny (Seine-Saint-Denis).

L'article 2 de la loi du 31 décembre 1993 n'a, en revanche, pas été appliqué, la procédure d'expropriation n'ayant en définitive pas été nécessaire. La cession des terrains s'est réalisée à l'amiable par la conclusion de trois actes de cessions :

- la cession par la Ville de Paris à l'État du terrain d'assise du stade de France et de ses équipements annexes (stades d'échauffement, parkings et voiries internes) ;

- la cession par la Ville de Paris à la Société anonyme nationale d'économie mixte d'aménagement de la zone d'aménagement concerté du Cornillon Nord, des terrains d'assise du programme immobilier adjacent au stade de France, ainsi qu'aux espaces verts et paysagers, voies et réseaux nécessaires à l'opération ;

- la cession (en cours) par le Conseil général de Seine-Saint-Denis d'une parcelle de terrain située au nord-ouest du Cornillon Nord.

La Société d'économie mixte d'aménagement de la zone d'aménagement concerté du Cornillon Nord a, par ailleurs, été créée le 2 novembre 1994.

La création de cette société avait, au préalable, fait l'objet de quatre décrets tous en date du 18 août 1994 (n os 94-705, 94-706, 94-707, 94-708) ayant respectivement pour objet d'autoriser le département de la Seine-Saint-Denis et la commune de Saint-Denis à participer au capital de cette société, de fixer le nombre des représentants des salariés dans le conseil d'administration, d'approuver les statuts de la société et, enfin, d'autoriser la participation financière de l'État au capital.

Cette société est dotée d'un capital de 30 millions de francs réparti entre l'État (51 %), la Caisse des dépôts et consignations (26 %), la Ville de Paris (5 %), le Conseil général de Seine-Saint-Denis (5 %), EDF (5 %), GDF (5 %), la Chambre de commerce et d'industrie de Paris (2 %) et la Société Centrale pour l'Équipement du Territoire (1 %).

Enfin, à la suite d'une procédure de consultation engagée avec l'insertion d'un appel à candidatures au Journal officiel des Communautés européennes du 10 décembre 1993, le contrat de concession -qui fait l'objet de la présente proposition de loi- pour le financement, la conception, la construction, l'entretien et l'exploitation du Stade de France à Saint-Denis a été attribué à la société Consortium Grand Stade le 29 avril 1995.

Ce contrat a fait l'objet d'un avis inséré au Journal officiel du 22 juin 1995 et a été publié au Bulletin officiel du ministère de la jeunesse et des sports (numéro spécial, juin 1995).

B. L'ÉTAT D'AVANCEMENT DE LA PRÉPARATION DE LA COUPE DU MONDE

1. L'état d'avancement de la construction du stade de France

Après la signature du contrat de concession, le 29 avril 1995, et la délivrance du permis de construire le 30 avril 1995, les travaux de construction ont débuté dès le 2 mai 1995.

Après dix-huit mois de chantier, 55 % des travaux avaient été réalisés, la date d'achèvement de l'ouvrage étant fixée au 30 novembre 1997.

Le montant total de l'investissement est contractuellement fixé à 2,664 milliards de francs. Au 30 octobre 1996, les dépenses payées (1,424 milliard de francs) ou engagées (250 millions de francs) s'élèvent à 1,674 milliard de francs environ.

Sur 2,664 milliards de francs d'investissements, plus de un milliard de francs sont ou seront confiés à des entreprises sous-traitantes, en particulier, pour plus de 250 millions de francs, à des entreprises locales de Seine-Saint-Denis. Sur la durée totale du chantier, plus de 200 entreprises différentes sont appelées à intervenir.

Votre rapporteur soulignera, par ailleurs, que le chantier du Stade de France a permis la création de plus de 200 emplois au profit de la population du bassin d'emplois de Saint-Denis.

Il n'est, enfin, pas inutile d'apporter des précisions sur les perspectives d'exploitation de ce grand équipement.

Selon les informations recueillies par votre rapporteur, outre l'accueil, chaque année, de 40 à 50 grandes manifestations sportives, parasportives ou musicales, le Stade de France aura vocation à assurer quotidiennement des activités de congrès, séminaires, colloques et salons destinées aux entreprises. Il proposera, en outre, un ensemble d'activités commerciales ou de services.

En année courante d'exploitation, la société d'exploitation du Stade de France devrait réaliser un chiffre d'affaires d'environ 300 millions de francs.

Votre rapporteur relève également que l'exploitation de cet équipement sera créatrice d'emplois à raison d'une centaine d'emplois permanents et de plus de 1 000 emplois ponctuels et à temps partiel pour le déroulement de manifestations exceptionnelles qui réuniront plus de 50 000 spectateurs.

Les jeunes des quartiers environnants devraient être prioritairement concernés par ces emplois qui constitueraient ainsi une première étape en vue de leur insertion professionnelle et sociale.

2. L'aménagement des autres sites d'accueil de la coupe du monde

Huit villes (Bordeaux, Lens, Lyon, Marseille, Montpellier, Nantes, Saint-Etienne, Toulouse), ainsi que Paris en ce qui concerne le Parc des Princes, ont engagé des opérations de rénovation et, souvent, d'agrandissement de leurs stades pour accueillir les matches de la coupe du monde.

Le programme des travaux pour chaque stade et leur coût prévisionnel ont été définis à partir des propositions de la ville, maître d'ouvrage. Les conventions entre l'État et les villes concernées ont été signées le 6 juin 1996.

Le coût global des travaux s'élèvent à 847 millions de francs dont 321 millions de francs font l'objet d'un financement de l'État. Chaque ville a, en outre, bénéficié des concours financiers du département et de la région. Les communautés urbaines de Bordeaux et Lyon, les districts urbains de Lens et de Montpellier ont également participé à ces opérations.

II. LA PROPOSITION DE LOI : UNE VALIDATION PRÉVENTIVE DU CONTRAT DE CONCESSION

A. LES DIFFÉRENTS CONTENTIEUX SUSCITÉS PAR LA CONSTRUCTION DU STADE DE FRANCE

La construction du Stade de France a donné lieu à différents contentieux, certaines procédures ayant précédé l'attribution de la concession, d'autres ayant été engagées postérieurement à cette attribution.

Par trois ordonnances du 2 novembre 1994 et une ordonnance en date du 2 février 1995, le président du tribunal administratif de Paris a rejeté des requêtes en référé précontractuel présentées en application de L'article L. 22 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel.

Par une ordonnance du 12 décembre 1994, il a également rejeté une requête présentée en application de l'article R 130 du même code et qui concernait la communication du texte d'une première décision du Premier ministre relative à l'attribution de la concession -rendue publique le 5 octobre 1994- ainsi que l'ensemble des décisions, données et rapports sur la base desquels la décision a été prise. Un appel a été interjeté de l'ordonnance du président du tribunal administratif de Paris.

Le tribunal administratif de Paris a pour sa part rejeté, dans un jugement du 18 avril 1995, deux recours formés aux fins d'annulation de la délibération du jury rendue publique le 27 juillet 1994 et de la décision du Premier ministre rendue publique le 5 octobre 1994.

Postérieurement à l'attribution de la concession, trois procédures ont été engagées dont l'une a donné lieu à un désistement de la part du requérant.

Par une ordonnance du 10 juillet 1995, le président du tribunal administratif de Paris a rejeté une requête qui tendait à la communication du contrat de concession conclu le 29 avril 1995 et de l'ensemble des décisions, dossiers et rapports sur la base desquels la décision de passer le contrat a été prise.

Enfin, par un jugement du 2 juillet 1996, le tribunal administratif de Paris a annulé la décision du Premier ministre en date du 29 avril 1995 d'approuver et de signer le contrat portant concession de la conception, de la réalisation, du financement, de l'entretien et de l'exploitation du stade de France.

Ce jugement -qui a été frappé d'appel par l'État devant la cour administrative d'appel de Paris- fait peser une insécurité juridique sur le contrat de concession, que la présente proposition de loi tend à lever.

B. L'ANNULATION DE LA DÉCISION DU PREMIER MINISTRE D'APPROUVER ET DE SIGNER LE CONTRAT DE CONCESSION

Pour prononcer cette annulation, le tribunal administratif de Paris s'est fondé sur la considération que le contrat de concession n'avait pas respecté le règlement de la consultation selon lequel aucune subvention d'exploitation ne pourrait être envisagée en faveur du concessionnaire.

Il a, en effet, considéré que l'un des mécanismes de compensation prévus par le contrat de concession en cas de circonstances imprévisibles et extérieures au contrat pouvait s'analyser comme un système de subventions instituées au profit du concessionnaire, même en l'absence de bouleversement de l'économie du contrat résultant d'événements imprévisibles et extérieurs aux parties, circonstance qui, dans le droit commun des concessions de service public, est de nature à justifier une indemnisation au profit du concessionnaire.

Or, le versement de subventions d'exploitation étant exclu par le règlement de la consultation, le tribunal a considéré que les stipulations du contrat méconnaissaient sur ce point les prescriptions fixées par le règlement de la consultation et qu'en cela elles portaient atteinte au principe d'égal accès des candidats à l'octroi de la concession.

Le tribunal a jugé que ces stipulations n'étant pas divisibles des autres stipulations du contrat, elles entachaient d'illégalité l'ensemble de la convention litigieuse et par voie de conséquence la décision du Premier ministre de la signer.

Il a en conséquence annulé -comme le lui demandaient les requérants- la décision du Premier ministre de signer le contrat concédant la construction et l'exploitation du Stade de France à Saint-Denis.

C. LA VALIDATION PROPOSÉE

L'exposé des motifs de la proposition de loi qui vous est soumise souligne que le fait que certains des candidats évincés aient été conduits à saisir les juridictions compétentes peut s'expliquer par l'enjeu et la notoriété du projet de grand stade.

Il relève que le jugement du tribunal administratif ne remet nullement en cause le caractère de concession du contrat -d'ailleurs expressément voulu par le législateur- mais qu'il rappelle l'obligation de l'autorité concédante de tirer les conséquences des règles de consultation qu'elle a elle-même choisi de s'imposer, sans y être obligée, avant de désigner librement le concessionnaire.

Bien que le concessionnaire et le concédant restent tenus de leurs obligations contractuelles, les auteurs de la proposition de loi font valoir que l'annulation de la décision d'attribution de la concession -juridiquement détachable du contrat même- expose celui-ci à une relative insécurité juridique.

Or, cette insécurité juridique soulève des problèmes à la fois pour la mobilisation des fonds bancaires nécessaires au financement privé et pour la bonne conclusion des relations contractuelles que le concessionnaire doit établir avec les sous-traitants pour achever la construction de l'ouvrage et préparer son exploitation.

Dans ces conditions, le souci d'éviter le développement de contentieux d'une ampleur telle qu'ils entraînent des risques considérables pour la réalisation de l'opération, notamment la suspension des travaux, fonde -compte tenu de l'urgence dictée par l'organisation de la prochaine coupe du monde- la validation proposée.

III. LES TRAVAUX DE LA COMMISSION DES LOIS : UNE VALIDATION NÉCESSAIRE, JUSTIFIÉE PAR DES MOTIFS D'INTÉRÊT GÉNÉRAL

A. UNE VALIDATION NÉCESSAIRE : UN DISPOSITIF CONTRACTUEL FRAGILISÉ

Il convient de relever que l'annulation prononcée par le tribunal administratif de Paris a porté non pas sur le contrat de concession lui-même mais sur la décision du Premier ministre de signer ce contrat.

Or, conformément à une jurisprudence traditionnelle (Conseil d'État section, 9 novembre 1934, Chambre de commerce, d'industrie et d'agriculture de Tamatave ; 7 février 1936, département de la Creuse ; 20 janvier 1978, syndicat national de l'enseignement technique agricole public), la décision de passer le contrat est un acte détachable de celui-ci.

En dépit de l'annulation prononcée, le contrat de concession en lui-même est toujours en vigueur.

Il n'en demeure pas moins que le contrat se trouve désormais exposé à une très grande insécurité juridique.

D'une part, des tiers pourraient demander au juge de tirer les conséquences de ce premier jugement et de prononcer l'annulation du contrat.

D'autre part, le concessionnaire pourrait lui-même, le cas échéant, saisir le juge aux mêmes fins.

Il paraît, dans ces conditions, difficilement envisageable que le contrat de concession -dont la durée est de trente ans- puisse être exécuté dans des conditions satisfaisantes.

Une annulation du contrat lui-même impliquerait une nouvelle procédure nécessairement longue et complexe, donc difficilement compatible avec l'urgence de la réalisation de ce grand équipement sportif.

B. UNE VALIDATION JUSTIFIÉE PAR DES MOTIFS D'INTÉRÊT GÉNÉRAL

Votre Commission des Lois a examiné la mesure de validation soumise au Sénat avec le souci qu'elle soit conforme aux exigences constitutionnelles et qu'elle respecte en particulier l'indépendance des juridictions.

En effet, dans sa décision n° 80-119 du 22 juillet 1980, après avoir considéré qu'« qu'il résulte des dispositions de l'article 64 de la Constitution en ce qui concerne l'autorité judiciaire et des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République en ce qui concerne, depuis la loi du 24 mai 1872, la juridiction administrative, que l'indépendance des juridictions est garantie ainsi que le caractère spécifique de leurs fonctions sur lesquelles ne peuvent empiéter ni le législateur, ni le Gouvernement » , le Conseil constitutionnel en a déduit qu'« il n'appartient ni au législateur ni au Gouvernement de censurer les décisions des juridictions, d'adresser à celles-ci des injonctions et de se substituer à elles dans le jugement des litiges relevant de leur compétence » .

Néanmoins, ces principes « ne s'opposent pas à ce que, dans l'exercice de sa compétence et au besoin, sauf en matière pénale, par la voie de dispositions rétroactives, le législateur modifie les règles que le juge a mission d'appliquer » .

Conformément à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, l'intérêt général doit motiver une mesure de validation législative.

À lui seul, l'intérêt financier ne suffit pas à motiver une telle validation (Décisions n° 93-332 DC du 13 janvier 1994; n° 95-369 du 28 décembre 1995; n° 96-375 DC du 9 avril 1996).

En ce qui concerne la concession du Stade de France à Saint-Denis, la validation proposée repose sur des motifs d'intérêt général qui dépassent largement les seuls aspects financiers même si ceux-ci sont loin d'être négligeables.

En effet, faute d'une telle validation, l'engagement pris par l'État auprès de la Fédération internationale de football (FIFA) de construire un stade de 80 000 places serait compromis.

Rappelons que c'est sous cette condition que l'organisation de la prochaine coupe du monde de football a été confiée à la France.

Comment admettre le risque que notre pays ne soit pas en mesure de tenir cet engagement majeur devant la communauté internationale ?

C'est bien l'image même de la France dans le monde que l'accueil de cette manifestation sportive tend à promouvoir qui serait mise en cause. Conscient de cet enjeu et de la place qui serait celle du Stade de France dans l'ensemble des équipements sportifs de notre pays, le législateur a lui-même tenu à le qualifier d'équipement sportif d'intérêt national ( article premier de la loi du 31 décembre 1993 précitée).

Concrètement, suivant les précisions recueillies par votre rapporteur, l'insécurité juridique qui frappe le contrat de concession rend d'ores et déjà impossible la mobilisation des fonds bancaires nécessaires au financement privé et à la bonne conclusion des relations contractuelles que le concessionnaire doit établir avec les nombreux sous-traitants requis pour achever l'ouvrage.

Enfin, sur le plan financier, l'État devrait reprendre à son compte la partie de l'investissement à la charge du concessionnaire, soit 1,4 milliard de francs mobilisables en 1997. Il devrait, en outre, supporter les coûts générés par la désorganisation du chantier afin d'essayer d'assurer la construction du Stade de France dans les délais.

Au-delà donc des enjeux mentionnés ci-dessus, le risque économique et financier auquel l'État se trouverait exposé est donc considérable.

Après avoir analysé la proposition de loi au regard des exigences constitutionnelles, votre Commission des Lois a considéré que, fondée sur des motifs d'intérêt général, elle ne méconnaissait pas ces exigences telles qu'elles ont été précisées par la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

Votre Commission des Lois vous propose néanmoins de compléter le texte qui vous est soumis afin, d'une part, de coordonner sa rédaction avec les dispositions de la loi du 31 décembre 1993 et, d'autre part, de faire réserve du droit éventuel à indemnisation des tiers.

* *

*

Sous le bénéfice de ces observations, votre Commission des Lois vous propose d'adopter la présente proposition de loi dans les conclusions qu'elle vous soumet.

EXAMEN DES ARTICLES

Article unique
Validation du contrat de concession du Stade de France
à Saint-Denis

L'article unique de la proposition de loi prévoit la validation du contrat de concession qui a été conclu, le 29 avril 1995, entre l'État et la société Consortium Grand Stade pour le financement, la conception, la construction, l'entretien et l'exploitation du grand stade à Saint-Denis.

Le régime juridique des validations législatives a été précisé par le Conseil constitutionnel depuis sa décision de principe n°80-119 DC du 22 juillet 1980.

Il ressort des différentes décisions rendues en la matière par le juge constitutionnel que la validation doit satisfaire à plusieurs critères pour être conforme à la Constitution.

D'une part, elle ne doit pas porter sur l'acte même qui a été annulé. Dans le cas contraire, elle reviendrait à censurer la décision juridictionnelle et donc à méconnaître le principe constitutionnel de séparation des pouvoirs (décisions n° 85-192 DC du 24 juillet 1985 ; n° 87-228 DC du 26 juin 1987 ; n° 93-332 DC du 13 janvier 1994 ; n° 95-364 DC du 8 février 1995 ; n° 94-357 du 24 janvier 1995 ; n° 93-335 DC du 21 janvier 1994).

D'autre part, la validation doit être fondée sur des motifs d'intérêt général (notamment décisions n° 91-298 DC du 24 juillet 1991 ; n° 93-332 DC du 13 janvier 1994).

Par ailleurs, la loi de validation ne saurait méconnaître le principe de non-rétroactivité de la loi pénale (décision n° 82-155 DC du 30 décembre 1982).

Enfin, il doit y avoir une proportionnalité de la mesure de validation par rapport aux nécessités d'intérêt général qui la fondent.

Dans une décision récente (n° 96-375 DC du 9 avril 1996), le Conseil constitutionnel a ainsi considéré que « s'il n `appartient ni au législateur ni au Gouvernement de censurer les décisions des juridictions, d'adresser à celles-ci des injonctions et de se substituer à elles dans le jugement des litiges relevant de leur compétence, ces principes ne s'opposent pas à ce que, dans l'exercice de sa compétence et au besoin, sauf en matière pénale, par voie de dispositions rétroactives, le législateur modifie, dans un but d'intérêt général, les règles que le juge a mission d'appliquer dès lors qu`il ne méconnaît pas des principes ou des droits de valeur constitutionnelle ; que le fait que de telles modifications entraînent des conséquences sur des conventions en cours n `est pas en lui-même de nature à entraîner une inconstitutionnalité ; que le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que le législateur déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit » .

Le présent article paraît satisfaire à ces différents critères.

En premier lieu, seul le législateur est compétent pour déroger au principe de non rétroactivité (notamment décision n° 69-57 L du 24 octobre 1969 ; n° 93-332 DC du 13 janvier 1994).

Or, en l'espèce, l'article unique de la proposition de loi a une portée rétroactive sur le contrat de concession signé le 29 avril 1995 et sur les actes pris pour son application (notamment pour ce qui est de la décision de versement de subventions par le concédant au concessionnaire). En outre, cet effet rétroactif ne concerne pas un acte pris en matière répressive.

En second lieu, la validation proposée ne porte pas atteinte à l' indépendance de la juridiction administrative et à l'autorité des décisions de justice devenues définitives.

En effet, l'article unique de la proposition de loi ne porte pas sur un acte annulé par une décision juridictionnelle devenue définitive.

D'une part, il valide le contrat de concession. Or, seule la décision de signer ce contrat -et non le contrat lui-même- a été annulée par le jugement du tribunal administratif en date du 2 juillet 1996.

D'autre part, le jugement est frappé d'appel par l'État devant la cour administrative d'appel de Paris qui n'a pas encore statué. Il n'est donc pas devenu définitif et n'est pas passé en force de chose jugée.

La validation est, par ailleurs, fondée sur des motifs d'intérêt général parfaitement énoncés par l'exposé des motifs de la proposition de loi et qui ont été rappelés dans l'exposé général du présent rapport.

Par cohérence avec la loi n° 93-1435 du 31 décembre 1993 qui a autorisé l'opération d'aménagement en vue de la construction du grand stade, votre Commission des Lois vous suggère de spécifier que cet ouvrage constitue un équipement sportif d'intérêt national.

La validation paraît proportionnée à ces motifs d'intérêt général : c'est bien, en effet, la validité du contrat de concession qui seule peut permettre de poursuivre sans délai l'exécution de l'ouvrage et mettre ainsi la France en position de remplir son engagement international de construire un stade d'une capacité de 80 000 places, engagement auquel était subordonnée la décision de lui confier l'organisation de la coupe du monde de football.

Votre Commission des Lois vous propose néanmoins, afin que cette condition de proportionnalité soit parfaitement remplie et pour lever toute ambiguïté sur ce point, de faire réserve des droits éventuels à indemnisation des tiers.

L'article unique de la proposition de loi est, par ailleurs, conforme aux autres exigences constitutionnelles dégagées par la jurisprudence du Conseil constitutionnel en matière de validation préventive.

L'acte validé est bien en vigueur au moment où la validation intervient. Il est clairement identifié et donc défini avec suffisamment de précision (décision n° 94-357 DC du 25 janvier 1995).

Par cohérence formelle avec la loi du 31 décembre 1993 précitée, votre Commission des Lois vous propose de mentionner le département de localisation de l'équipement, à savoir la Seine-Saint-Denis.

Enfin, bien que les validations législatives portent le plus souvent sur des actes administratifs unilatéraux, il n'existe aucun obstacle à ce que l'acte validé soit de nature contractuelle (décision n° 94-358 DC du 26 janvier 1995).

Votre Commission des Lois vous propose, en conséquence, d'adopter cet article unique dans la rédaction qu'elle vous soumet.

Intitulé de la proposition de loi

Pour l'intitulé de la proposition de loi, votre Commission des Lois vous suggère, par cohérence formelle avec la loi du 31 décembre 1993 précitée et avec l'article unique dans la rédaction qu'elle vous soumet, de mentionner le département de localisation de l'ouvrage, à savoir la Seine-Saint-Denis.

TEXTE PROPOSÉ PAR LA COMMISSION DES LOIS

Proposition de loi relative au contrat de concession du Stade de France à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis)

Article unique

Sans préjudice des droits éventuels à indemnisation des tiers, est validé le contrat de concession conclu le 29 avril 1995, en application de la loi n° 93-1435 du 31 décembre 1993 relative à la réalisation d'un grand stade à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) en vue de la coupe du monde de football de 1998, entre l'État et la société Consortium Grand Stade S.A. (nouvellement dénommée Consortium Stade de France) pour le financement, la conception, la construction, l'entretien et l'exploitation du grand stade (dénommé Stade de France) à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), équipement sportif d'intérêt national.

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