B. LE RÉGIME JURIDIQUE APPLICABLE

Le régime juridique applicable aux îles éparses est incertain. Ces îles n'ayant pas été érigées en collectivité territoriale autonome et n'ayant pas davantage été désignées comme composante d'une collectivité existante, il convient de s'interroger sur la nature du régime juridique qui leur est applicable répondant soit au principe de l'assimilation législative (application de plein droit des lois métropolitaines, comme pour les départements d'outremer), soit au principe de la spécialité législative (nécessité d'une disposition expresse pour étendre la législation métropolitaine, comme pour les territoires d'outre-mer).

À cet égard, des thèses doctrinales opposées ont été soutenues. De même, la position du Gouvernement sur ce point a fluctué jusqu'à ce qu'un avis rendu par le Conseil d'État le 19 janvier 1989 vienne trancher la question.

a) Des thèses doctrinales contradictoires

Pour le professeur Lampuée (Recueil Penant 1961 p. 595), le décret du 1er avril 1960 et l'arrêté du 19 septembre 1960 pris pour son exécution confiant au préfet de la Réunion l'administration des îles éparses « n'ont pas eu pour effet de modifier leur caractère juridique de territoires d'outre-mer » . Il estime qu'elles « ne sont pas devenues une dépendance de la Réunion » et que « si le préfet de la Réunion les administre, c'est à un titre distinct de celui qui résulte de ses fonctions préfectorales » .

Pour les professeurs Oraison et Miclo (Recueil Penant 1974 p. 166) en revanche, « le décret du 1er avril 1960 a implicitement eu pour effet de rattacher les îlots à la métropole » . De leur point de vue, « les textes métropolitains postérieurs au 1er avril 1960 sont applicables de plein droit. Toutefois, les autorités métropolitaines compétentes conservent la possibilité d'édicter des textes visant expressément chacun des îlots ou les excluant formellement » .

Ainsi, alors que le professeur Lampuée opte pour le principe de la spécialité législative, les professeurs Oraison et Miclo privilégient celui de l'assimilation.

b) Un droit positif fluctuant

C'est un crime commis à Juan de Nova le 2 février 1961 qui conduisit la Cour de cassation (Ch. crim. 9 février 1961 - Erriah) à constater l'absence de juridiction compétente et à désigner, par un règlement de juges, le tribunal de grande instance de Saint-Denis de la Réunion qui appliqua la loi du For en vigueur dans ce département d'outre-mer.

À la suite de cette affaire, un décret du 2 février 1962 a placé les îles éparses dans le ressort de la cour d'appel de Saint-Denis mais aucun texte n'a défini leur régime législatif.

Il ressort d'une réponse du ministre des départements et territoires d'outre-mer à une question écrite de M. Jean-Louis Masson (JO Questions AN du 22 juin 1987 p. 3599) que « les textes métropolitains postérieurs au 1er avril 1960 sont applicables de plein droit » aux îles éparses de l'océan indien, mais que « les autorités métropolitaines compétentes conservent la possibilité d'édicter des textes visant expressément chacun des îlots, en les excluant formellement de la législation métropolitaine » . Cette réponse indique que « la situation juridique des îles éparses de l'océan indien, originale au regard de l'organisation statutaire de l'outre-mer n'appelle pas, dans les circonstances actuelles, de réforme de fond » .

Moins d'un an plus tard, une circulaire du 21 avril 1988 relative à l'applicabilité des textes législatifs et réglementaires outre-mer, à la consultation des assemblées locales de l'outre-mer et au contreseing des ministres chargés des départements et territoires d'outre-mer (JO Lois et décrets du 24 avril 1988 p. 5456) faisant référence à plusieurs dispositions législatives contenant des mentions expresses d'application ou de non-application pour ces îles, affirme que « la spécialité législative paraît applicable aux îles éparses de l'océan indien et à l'île de Clipperton » .

À deux reprises en 1983, le Conseil d'État avait quant à lui estimé que, bien que ne s'agissant pas d'un territoire d'outre-mer, le principe de spécialité s'appliquait à ces îles.

c) Une clarification du régime juridique applicable

Aucun texte n'est jusqu'à présent intervenu pour doter les îles éparses et l'îlot de Clipperton d'un statut constitutionnel propre ou pour déterminer leur situation juridique. Elles sont cependant placées sous la souveraineté de la France et ont fait l'objet d'un rattachement administratif : la gestion des îles éparses est ainsi confiée au préfet de la Réunion et celle de l'îlot de Clipperton au Haut-Commissaire de la Polynésie française qui a succédé au Gouverneur des établissements français de l'Océanie.

N'ayant jamais été érigés en territoire d'outre-mer, les îles éparses comme Clipperton sont soumis de plein droit à la législation métropolitaine, même si l'absence d'habitants et de services publics sur ces terres lointaines et isolées confèrent à ce principe un caractère largement fictif. Si historiquement, en vertu du sénatus-consulte du 3 mai 1854 (Titre III, article 18) « les colonies autres que la Martinique, la Guadeloupe et la Réunion » devaient être « régis par décrets » et relevaient ainsi du principe de la spécialité législative, ce principe ne s'applique désormais, aux termes de la Constitution de 1958 (article 74) qu'aux territoires d'outre-mer et en vertu de la loi du 24 décembre 1976 (article 10) à la collectivité territoriale de Mayotte.

C'est la solution juridique qui a été retenue en définitive par le Conseil d'État dans un avis du 19 janvier 1989 dont l'article 3 du projet de loi portant ratification des ordonnances prises en application de la loi n° 96-1 du 2 janvier 1996 tire les conséquences en proposant d'abroger les dispositions législatives qui procédaient à des extensions de lois métropolitaines dans ces îles.

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