4. La réforme de la médecine de ville : une grande ambition, dont il reste à définir les modalités d'application

La réforme de la médecine de ville mise en place par l'ordonnance n° 96-345 du 24 avril 1996 relative à la maîtrise médicalisée des dépenses de soins apparaît comme la plus ambitieuse, tant par son champ d'application que par son contenu.

Aucun des aspects qui contribuent à configurer le système de soins en ville n'a en effet été oublié, qu'il s'agisse de la démographie médicale, de la formation continue des médecins, de l'informatisation des cabinets médicaux, de la coordination des soins, de la continuité de la prise en charge des malades, du contrôle médical, des relations entre les caisses d'assurance maladie et les médecins, de l'évaluation des pratiques ou des dispositifs de maîtrise des dépenses de médecine de ville.

Et chacun de ces volets, à l'exception peut-être de la maîtrise de la démographie des médecins conventionnés, a fait l'objet d'une réforme de grande ampleur, qui modifiera sans nul doute l'évolution des pratiques médicales.

a) Une tentative de maîtrise de la démographie des médecins

Nous examinerons d'abord cet aspect de la réforme, qui est probablement pour l'instant le plus timide.

En effet, parmi plusieurs mesures qui avaient été envisagées, soit par le gouvernement, soit par des experts, à savoir un numerus clausus conventionnel à l'installation, une maîtrise des installations dans des régions « excédentaires », un conventionnement individuel et une incitation à la reconversion ou à la cessation anticipée d'activité des médecins, seule la dernière mesure a été retenue.

Avant l'entrée en vigueur des ordonnances, un mécanisme d'aide à la cessation anticipée d'activité existait déjà : le MICA. Pour en bénéficier, le médecin devait avoir entre 60 et 65 ans et s'engager à cesser toute activité libérale. Ce mécanisme s'analysait bien comme une aide à la cessation d'activité, et non à la reconversion : pour qu'un cumul avec une activité salariée soit possible, il fallait que le médecin l'ait exercée parallèlement à son activité libérale depuis au moins cinq ans.

L'aide accordée aux médecins était calculée par rapport aux revenus d'exercice sur les trois dernières années, et représentait au maximum 15.000 francs par mois.

Créé en 1988, ce mécanisme a bénéficié à environ 500 nouveaux médecins chaque année ; 1.400 médecins reçoivent cette aide à l'heure actuelle.

Alors que l'on estime à 15 à 20.000 le nombre de médecins « excédentaires » en France, il est tentant de mettre en place des mesures de cessation anticipée audacieuses : 13 000 médecins ont aujourd'hui entre 56 et 64 ans.

L'article 5 de l'ordonnance du 24 avril 1996 n'est pas très novateur par rapport aux dispositions de la loi du 5 janvier 1988.

L'aménagement le plus important qu'il prévoit est l'abaissement à 57 ans (et même, exceptionnellement, 56 ans jusqu'à la fin de l'année 1997) de l'âge minimum pour bénéficier de l'aide.

Il s'agit toujours d'une aide à la seule cessation anticipée d'activité, le cumul de l'allocation avec les revenus d'une activité salariée n'étant possible que s'il s'agit de la poursuite d'une activité accessoire. Même dans cette hypothèse, le cumul n'est possible que dans la limite d'un plafond et si il ne s'agit pas d'une activité dans laquelle la médecine est appelée à prescrire.

D'autres mesures pourront être prises pour inciter à la reconversion ou la réorientation des médecins : l'article 4 de l'ordonnance, qui met en place un Fonds de réorientation et de modernisation de la médecine libérale prévoit que ce Fonds pourra financer, non seulement l'allocation de remplacement mentionnée à l'article 5, mais aussi « des aides de toute nature et des primes qui peuvent être modulées en fonction de critères d'âge, d'activité ou d'implantation géographique en vue de faciliter l'orientation, la reconversion ou la cessation anticipée d'activité des médecins exerçant à titre libéral ».

L'article 4 de l'ordonnance et le décret n° 96-788 du 11 septembre 1996 relatif au Fonds de réorientation et de modernisation de la médecine libérale précisent les recettes de cette caisse, créée au sein de la Caisse Nationale d'Assurance Maladie des Travailleurs Salariés et qui devra aussi financer les aides à l'informatisation des cabinets médicaux.

Il s'agit des contributions exceptionnelles versées au titre des mesures d'urgence par les médecins des secteurs 1 et 2, du produit de la contribution prévue par la loi du 5 janvier 1988 relative à la cessation anticipée d'activité des médecins et de « toute autre ressource qui lui serait spécifiquement affectée par les parties conventionnelles ainsi que par toute recette prévue par des dispositions législatives ou réglementaires » (art. 4 de l'ordonnance).

L'ampleur des ressources du Fonds, la répartition des ressources disponibles entre la cessation d'activité, d'éventuelles mesures de reconversion et l'aide à l'informatisation demeurent aujourd'hui encore inconnues.

C'est de cette ampleur que dépendra la portée de la réforme prévue par l'ordonnance, simple aménagement du MICA ou dispositif plus ambitieux.

b) Une volonté d'amélioration des pratiques médicales : formation continue des médecins et références médicales

L'ordonnance du 24 avril 1996 comporte plusieurs mesures destinées à améliorer les pratiques médicales ; elles concernent à la fois la formation continue des médecins et les références professionnelles qui doivent guider l'exercice de leur art.


Une formation continue obligatoire

Les médecins n'ignorent pas, loin s'en faut, la formation continue. L'évolution rapide des techniques diagnostiques et thérapeutiques conduit un grand nombre d'entre eux à suivre des sessions de formation qui leur permettent de faire bénéficier leurs patients des progrès de la médecine.

La formation médicale continue est même une obligation déontologique, prévue par le code de déontologie.

Mais, jusqu'à la publication de l'ordonnance du 24 avril, cette obligation déontologique n'était, non sanctionnée, ni sanctionnable, faute de base législative contraignante.

C'est pourquoi l'ordonnance du 24 avril 1996 accomplit une réforme très importante en instituant le caractère obligatoire de la formation continue.

Elle prévoit en effet, dans son article 3, que « l'entretien et le perfectionnement de ses connaissances constituent pour chaque médecin un devoir professionnel » et que « tout médecin, qu'il exerce à titre libéral ou dans un établissement de santé public ou privé participant au service public hospitalier doit justifier du respect de cette obligation ».

Aux termes de l'ordonnance, chaque médecin doit ainsi produire tous les cinq ans une attestation fournie par le conseil régional de la formation médicale continue ou la commission médicale d'établissement au conseil départemental de l'Ordre des médecins.

La méconnaissance de cette obligation expose le médecin à des sanctions disciplinaires.

Compte tenu de son importance pour les médecins et de son caractère obligatoire, il est essentiel que chaque médecin se voit proposer une formation de qualité et suffisamment diversifiée.

A l'hôpital comme en ville, il doit être possible de se former, non seulement aux nouvelles techniques médicales, mais aussi aux techniques de gestion : il n'est pas possible d'attendre des médecins de se comporter en bons gestionnaires des deniers publics à travers leur pratique médicale sans leur offrir de mettre à jour leurs connaissances en économie de la santé ou en gestion.

Pour autant, cette diversité des formations ne doit pas conduire à contourner le fondement essentiel de l'institution d'une formation médicale obligatoire : il s'agit avant tout d'améliorer les pratiques médicales et d'inciter les médecins à autoévaluer et, le cas échéant, à modifier leur pratique.

A cet égard, l'ordonnance n° 96-346 du 24 avril portant réforme de l'hospitalisation publique et privée dispose que l'Agence Nationale d'Accréditation et d'Évaluation en Santé est chargée de « proposer toute mesure contribuant au développement de l'évaluation, notamment en ce qui concerne la formation des professionnels de santé » et de « diffuser ses travaux et de favoriser leur utilisation ».


Des références médicales confortées

Ainsi qu'il a été dit plus haut, l'Agence Nationale d'Accréditation et d'Évaluation en Santé s'est vu confier par l'ordonnance hospitalière des missions d'évaluation qui concernent aussi bien l'hôpital que la médecine de ville.

Nous avons également souligné l'intérêt de confier à une même institution l'initiative, la définition du contenu et la coordination de l'évaluation dans les différents secteurs du système de soins.

L'ordonnance du 24 avril 1996 relative à la maîtrise médicalisée des dépenses de soins prévoit en outre que l'Agence Nationale d'Accréditation et d'Évaluation en Santé et, pour ce qui la concerne, l'Agence du médicament seront chargées d'établir les références applicables aux professionnels de santé. L'ordonnance précise que ces références seront élaborées, pour l'ANAES, « à partir de critères scientifiques reconnus » et, pour l'Agence du médicament, « des évaluations réalisées pour délivrer l'autorisation de mise sur le marché et pour apprécier le service médical rendu ».

L'opposabilité de ces références et les conditions de celles-ci demeurent définies par les partenaires conventionnels.

c) La mise en place d'un système d'information moderne et l'informatisation des cabinets médicaux : de grands avantages attendus pour la coordination des soins, la connaissance de l'état de santé des français et pour les praticiens et les assurés sociaux

Au 31 décembre 1998 au plus tard, l'ordonnance relative à la maîtrise médicalisée des dépenses de soins dispose que « les professionnels, organismes ou établissements dispensant des actes ou des prestations remboursables par l'assurance maladie et les organismes d'assurance maladie doivent être en mesure, chacun pour ce qui le concerne, d'émettre, de signer, de recevoir et de traiter des feuilles de soins électroniques ou documents assimilés conformes à la réglementation ».

A la même date, les professionnels concernés auront reçu une carte de professionnel de santé et les assurés sociaux une carte électronique d'assuré social.

Ainsi, contrairement à ce qui est souvent un peu hâtivement affirmé, l'ordonnance ne met pas en place une « informatisation obligatoire des cabinets médicaux », mais un système moderne d'information concernant tous les professionnels de santé et tous les assurés sociaux.

Il s'agit de passer de l'ère du papier, des formulaires et démarches administratives complexes -d'ailleurs souvent dénoncés à juste titre par les médecins- à l'ère des échanges électroniques d'information qui existent à l'heure actuelle -et depuis longtemps- dans tous les autres secteurs de l'économie.

Dés lors, l'informatisation ne doit pas être vécue comme une contrainte, mais comme une chance.


• Pour les médecins

L'informatisation des cabinets médicaux permettra aux médecins d'avoir accès, en temps réel, à des banques de données médicales ou à des logiciels d'aide au diagnostic et à la prescription.

L'esprit humain est ainsi fait, même lorsque, comme chez les médecins, il est bien fait, qu'il est difficile d'appréhender l'ensemble des connaissances médicales disponibles, de connaître tous les médicaments remboursables, leurs propriétés et leurs effets indésirables, toutes les techniques et surtout de pouvoir les utiliser à bon escient. Point n'est besoin de longs développements pour comprendre tout l'intérêt de l'informatisation des cabinets médicaux.


Pour les assurés sociaux

Grâce à la transmission électronique des données relatives aux soins et prescriptions remboursables, les assurés sociaux seront libérés de toute démarche administrative (envoi des feuilles de soins, etc.) et bénéficieront sans nul doute de remboursements plus rapides.

Ils n'auront plus besoin de conserver les documents relatifs aux analyses médicales ou diverses prescriptions, leur dossier médical étant informatisé.


Pour mieux connaître l'état de santé de la population

La transmission des données issues du codage des actes et des pathologies pourra faire accomplir de grands progrès à l'épidémiologie qui repose actuellement sur des données incomplètes.

Les informations résultant de la transmission des données constitueront autant d'outils pour définir une politique de santé, mais aussi une politique d'assurance maladie reposant sur des bases solides : il sera instantanément possible de chiffrer les conséquences d'une mesure et de faire des choix transparents et hiérarchisés.


Les conditions de l'informatisation

Les médecins ont obtenu du gouvernement le principe d'une aide à l'informatisation, financée, pour partie par les contributions exceptionnelles qui leur ont été demandées au titre des mesures d'urgence prises en 1996 pour partie par l'assurance maladie ; on parle d'une aide de 7 000 francs environ par médecin.

Sans critiquer les résultats de cette négociation, force est de constater que la médecine est la seule profession dont l'informatisation aura été financée, au moins en partie, par la collectivité.

Dans l'attente de la généralisation des cartes d'assuré social, l'ordonnance a prévu la distribution d'un carnet de santé, sous forme papier, à chacun des assurés sociaux.

Ces carnets de santé, qui vont être distribués avant la fin de l'année, n'auront qu'une durée de vie de deux ans. Ils auront une vertu pédagogique indéniable, mais l'effet de leur distribution sur l'évolution des dépenses de l'assurance maladie devrait être limité : l'absence de présentation du carnet aux médecins consultés n'est pas pour l'instant assortie de sanctions.

d) Un objectif de dépenses opposable aux médecins

L'ordonnance du 24 avril 1996 a modifié les dispositions du code de la sécurité sociales régissant les relations entre les médecins et l'assurance maladie.

Elle a prévu que, chaque année, à la suite du vote de la loi de financement de la sécurité sociale par le Parlement et de la conclusion de l'avenant à la convention d'objectifs et de gestion entre l'État et les caisses, une annexe à la convention médicale déterminerait un objectif prévisionnel d'évolution des dépenses médicales.

Cet objectif se décompose en un objectif pour les dépenses d'honoraires et un objectif de prescriptions.

L'ordonnance a ménagé la possibilité d'une déclinaison de ces objectifs par région ou -et- par spécialité ; ils peuvent comporter une provision pour revalorisation d'honoraires.

Ainsi, les dispositions de l'ordonnance modifient doublement le système antérieur : non seulement l'objectif d'évolution des dépenses est opposable aux médecins, mais une revalorisation d'honoraires ne peut être obtenue que si elle a été provisionnée.

Les reversements de l'assurance maladie en cas de modération des dépenses, et les reversements des médecins à l'assurance maladie sont, au moins pour partie, individualisés.

Un décret devrait prochainement fixer les modalités de reversement des médecins en fonction des honoraires perçus et des prescriptions réalisées ; c'est ensuite aux partenaires conventionnels qu'il appartiendra de déterminer les critères d'individualisation de la charge du reversement.

Il est à craindre que, s'il veut être efficace et individualisé, le système de reversement soit assez complexe.

Six mois après la publication des ordonnances, le décret « reversement » n'est toujours pas paru au Journal Officiel.

Comme il a été dit plus haut, six mois n'est pas un délai anormal pour la publication d'un décret ; mais il est probable que la plupart des craintes et crispations qui se sont manifestées cette année au sujet de l'opposabilité de l'objectif seraient fortement réduites si l'incertitude, elle aussi, était réduite.

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