II. POUR UN MEILLEUR USAGE DE LA DÉPENSE FISCALE

La nécessité de réduire les déficits publics a mis en lumière l'impératif de maîtrise des dépenses budgétaires.

En revanche, la "dépense fiscale" , qui peut se définir comme le coût pour le budget de l'Etat des mesures fiscales dérogatoires, n'est pas appréhendée dans la réduction programmée des charges publiques, alors qu'elle influence directement le déficit budgétaire.

C'est en fait la réforme de l'impôt sur le revenu qui conduit aujourd'hui à se pencher sur la dépense fiscale, compte tenu de l'importance des allégements existants sur la fiscalité des personnes ; souvent appelées abusivement "niches fiscales", terme qui évoque une incitation pure et simple à l'évasion, ces dépenses ont acquis un poids suffisant pour éveiller la vigilance du législateur.

C'est ainsi que l'article 32 de la loi de finances pour 1980, introduit par voie d'amendement à l'Assemblée nationale, a institué l'obligation annuelle pour le gouvernement de présenter, en annexe au projet de loi de finances, un état récapitulatif des dépenses fiscales définies comme les "dispositions législatives ou réglementaires dont la mise en oeuvre entraîne pour l'Etat une perte de recettes et donc pour les contribuables un allégement de leur charge fiscale par rapport à ce qui serait résulté de l'application de la norme, c'est-à-dire des principes généraux du droit fiscal français "

Le tome II du fascicule "Évaluation des voies et moyens" annexé au projet de loi de finances présente donc chaque année un rappel de la nature et une estimation du coût des dispositions dérogatoires en matière fiscale qui impliquent une perte de recettes pour le budget de l'Etat. Ces mesures sont successivement classées par impôt, par objectif, enfin par bénéficiaire.

Comme le souligne l'avant-propos du fascicule "Evaluation des voies et moyens", les montants indiqués ne sont pas, pour la plupart d'entre eux des résultats constatés, mais seulement des estimations. Toutes les mesures ne peuvent pas être chiffrées, en l'absence d'éléments suffisants. Enfin, les interactions entre les mesures ne sont pas chiffrées, ce qui enlève toute véritable signification à la totalisation de l'ensemble des dépenses fiscales.

Sous ces réserves, la dépense fiscale chiffrée se répartit entre les impôts suivants :

- Impôt sur le revenu

262,47 milliards de francs

- Impôt sur les sociétés

12,53 milliards de francs

- Dispositions communes à l'impôt sur le revenu et à

l'impôt sur les sociétés

21,09 milliards de francs

- Impôt de solidarité sur la fortune

1,18 milliard de francs

- Droits d'enregistrement et de timbre

1,77 milliard de francs

- Taxe sur les salaires

3,84 milliards de francs

- Taxe sur la valeur ajoutée

35,51 milliards de francs

- Taxe intérieure de consommation sur les produits

Pétroliers

21,69 milliards de francs

- Autres droits indirects

0,06 milliard de francs

L'ensemble des dépenses fiscales a très nettement augmenté depuis le début des années 80.

Ainsi, comme le souligne par exemple le rapport Ducamin, l'ensemble des déductions du revenu et réductions d'impôt pratiquées en matière d'impôt sur le revenu a progressé de près de 80 % entre 1982 et 1992 en francs courants, passant de 11,7 milliards de francs à 21 milliards de francs.

Évolution des déductions et réductions d'impôt sur le revenu

Source : Rapport Ducamin

A. UN CONTEXTE DE PLUS EN PLUS FAVORABLE À LA DÉPENSE FISCALE

1. De la sécurité à la prolifération juridique

a) A l'origine : un cadre stable

Contrairement aux subventions budgétaires, dont seule l'enveloppe maximale est fixée par la loi de finances, les allégements fiscaux supposent une intervention expresse du législateur, la loi fixant "les règles concernant (...) l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toute nature" (art. 34 de la Constitution). Compte tenu de l'interdiction faite au Parlement d'aggraver une charge publique (art. 40 de la Constitution), le débat sur les dépenses fiscales s'est considérablement développé, rendu possible par le "gage" des allégements.

En toute rigueur, les allégements devraient être réservés aux lois de finances, qui déterminent "la nature, le montant et l'affectation des ressources et des charges de l'Etat (...)" (art. 1er de l'ordonnance du 2 janvier 1959).

De fait, jusqu'à une période récente, les dépenses fiscales étaient exclusivement instituées par lois de finances : ce cadre juridique était le gage d'une certaine stabilité, favorisant des décisions économiques prises par les ménages ou par les entreprises dans des conditions clairement préétablies.

b) Une multiplication des normes

L'orientation de la dépense fiscale vers des incitations de plus en plus ciblées a généré des dispositions législatives de plus en plus rapprochées, destinées à ajuster progressivement ces mesures.

La réduction d'impôt pour dons aux oeuvres : huit modifications en dix ans


• La loi du 30 décembre 1986,
loi de finances pour 1987, a porté le taux de la réduction d'impôt pour les dons des particuliers aux oeuvres de 20 à 25 % des sommes versées pour la fraction des dons inférieurs à 600 francs, dans la limite d'un plafond porté de 1 à 1,25 % du revenu imposable.


La loi du 23 juillet 1987 sur le développement du mécénat a réservé le taux de 25 % à la fraction des dons inférieurs à 2.200 francs et a porté le taux de la réduction d'impôt de 25 % au taux de la dernière tranche du barème de l'impôt sur le revenu lorsque les versements dépassent 1.200 francs par an au cours des deux dernières années.


• La loi du 29 décembre 1989,
loi de finances pour 1990, a porté le taux de la réduction de 25 à 40 % pour l'ensemble des dons, en supprimant le plafonnement. Elle a institué une réduction d'impôt spécifique de 50 % pour les versements effectués au profit d'organismes sans but lucratif procédant à la fourniture de repas gratuits, ou favorisant le logement de personnes en difficultés, dans la limite de 500 francs, amendement "Coluche".


• La loi du 15 janvier 1990
relative à la limitation des dépenses électorales et à la clarification du financement des activités politiques, a étendu la réduction d'impôt des dons aux associations de financement électorales.


• La loi du 29 décembre 1990,
loi de finances pour 1991, a porté le plafond des dépenses prises en compte pour l'amendement "Coluche" de 500 à 520 francs, en l'indexant sur la limite supérieure de la septième tranche du barème de l'impôt sur le revenu.


• La loi du 30 décembre 1993,
loi de finances pour 1994, a porté le plafond de ces dépenses à 1.000 francs.


• La loi du 19 janvier 1995
relative au financement de la vie politique a étendu la réduction d'impôt aux cotisations versées aux partis et groupements politiques par l'intermédiaire de leurs mandataires.


• La loi du 24 juin 1996
portant diverses mesures en faveur des associations a porté le taux de la réduction d'impôt de 40 % à 50 %, et le plafond de 1,25 à 1,75 % du revenu pour les dons aux oeuvres d'intérêt générai et de 5 à 6 % pour les dons aux associations et fondations reconnues d'utilité publique et assimilées ; elle a maintenu les règles actuelles pour les sommes versées aux associations de financement électorale et partis politiques. La loi a également porté le taux de la réduction "Coluche" à 60 %, l'a étendue aux organismes procédant aux soins gratuits, et a porté le plafonnement des sommes de 1.040 à 2.000 francs.


La volonté d'assortir les politiques sectorielles d'encouragements fiscaux a suscité une multiplication des allégements de plus en plus souvent contenus dans des lois ordinaires, comme en témoignent les textes les plus récents examinés par votre commission des finances .

Loi n° 96-559 du 24 juin 1996 portant diverses mesures en faveur des associations

Extension des mesures d'allégements fiscaux prévus en faveur des dons :

- Dons aux oeuvres d'intérêt général : déduction de l'IRPP pour 50 % du montant du don dans la limite de 1,75 % du revenu imposable

- Dons aux associations et fondations reconnues d'utilité publique et assimilées : déduction de l'IRPP pour 50 % du montant du don dans la limite de 6 % du revenu imposable

- Dons aux associations "Coluche" et assimilées : déduction de l'IRPP pour 60 % du montant du don dans la limite de 2000 F

Coût estimé des mesures en année pleine : 600 millions de francs

Loi n° 96-607 du 27 juin 1996 relative à l'encouragement fiscal en faveur de la souscription de parts de copropriété de navires de commerce.

Déduction du revenu (IRPP) ou de l'impôt sur les sociétés, du montant des parts souscrites dans le cadre d'un quirat.

- Pour les personnes, plafond de 500.000 F

- Pour les sociétés, absence de plafond

Coût estimé de la mesure en année pleine : 400 millions de francs ,

Projet de loi relatif à l'utilisation rationnelle de l'énergie et à la pollution de l'air

Exploitants de transports publics de voyageurs :

- Remboursement partiel de la taxe intérieure sur les produits pétroliers pour utilisation du gaz de pétrole liquéfié

- Remboursement partiel de la taxe de consommation pour utilisation du gaz naturel véhicules

Exonération de la taxe sur les véhicules de sociétés :

- de 100 % pour les véhicules utilisant l'énergie électrique

- de 50 % pour les véhicules utilisant le GPL ou le GNV

Création d'une prime de 8000 F par véhicule pour l'installation d'un filtre antipollution diesel pour les bus et les autocars (coût estimé : 100 millions de francs).

Projet de loi relatif à la mise en oeuvre du pacte de relance pour la ville

Extension de l'exonération de plein droit de la taxe professionnelle aux établissements préexistants dans les zones de redynamisation urbaine, dans la limite de 500 000 francs de bases nettes ;

Coût estimé de la mesure : 400 millions de francs

Exonération d'impôt sur les bénéfices dans les zones franches urbaines ;

Coût estimé de la mesure : 180 millions de francs

Exonération de taxe professionnelle pour les établissements créés, étendus ou existants dans les zones franches urbaines ;

Coût estimé de la mesure : 219 à 252 millions de francs

Exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties pour les locaux à usage industriel ou commercial ;

Coût estimé de la mesure : 80 millions de francs

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