F. L'ADAPTATION DE LA LÉGISLATION AUDIOVISUELLE À LA DIFFUSION PAR SA TELLITE

1. Accroître les compétences du Conseil supérieur de l'audiovisuel

Partant du constat selon lequel la loi du 30 septembre 1986 n'a pas anticipé le développement de la télévision à partir de satellites de télécommunications, votre rapporteur a, le 27 juin 1996, déposé une proposition de loi renforçant les compétences du Conseil supérieur de l'audiovisuel en matière de télévision diffusée par satellite.

L'application de la directive « Télévision sans Frontières » du 3 octobre 1989 a, en effet, donné lieu à des délocalisations de chaînes, d'une part, en permettant aux États d'adopter des règles plus strictes que celles qu'elle prévoit - la directive n'est qu'un texte de coordination minimale des dispositions nationales et non pas d'harmonisation de celles-ci -, d'autre part, en ne définissant pas les critères de rattachement d'un diffuseur à la loi de son État.

La constitution de bouquets de chaînes numériques va accroître les risques qui résultent de ce vide juridique.

La loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication s'applique aux services de communication audiovisuelle dès lors qu'ils sont diffusés par des supports qui relèvent des autorités françaises, qu'il s'agisse de fréquences hertziennes terrestres ou satellitaires ou de réseaux câblés ou téléphoniques.

En revanche, un vide juridique existe lorsque les services sont émis depuis l'étranger.

Cette lacune soulève deux séries de difficultés :

- La France n'est pas en mesure de veiller au respect des dispositions de la directive « Télévision sans Frontières » du 3 octobre 1989 par les organismes de radiodiffusion télévisuelle qui relèvent de sa compétence au regard du droit communautaire, du fait notamment de leur installation et de l'exercice de leur activité en France, mais qui émettent depuis l'étranger.

Ainsi, une chaîne pornographique française, dont le programme est assemblé à Issy-les-Moulineaux, transmet-elle son signal à partir de la Suède vers le satellite Eutelsat, lequel rediffuse les programmes sur le territoire national, notamment, sans qu'aucun contrôle des autorités nationales de régulation ne soit juridiquement possible.

La France n'a pas les moyens de faire respecter des obligations minimales, notamment en matière de protection de l'enfance et de l'adolescence et de respect de la personne humaine, lorsque des services, bien que pouvant être reçus en France, sont émis depuis l'étranger.

Ce vide juridique doit être comblé le plus rapidement possible.

L'objet de l'article premier de la proposition de loi est donc de soumettre à conventionnement avec le Conseil supérieur de l'audiovisuel les chaînes qui, bien que n'utilisant pas de support de diffusion français, ont leur siège et exercent leurs activités en France.

Cette disposition permettrait à la France d'assumer ses obligations communautaires en transposant correctement la directive « Télévision sans Frontières » .

Par ailleurs, et dans la perspective de la diffusion de bouquets numériques ( ( * )34) , le Conseil supérieur de l'audiovisuel pourra définir globalement certaines obligations en tenant compte de la nature particulière de chaque service.

Au demeurant, une telle mutualisation des obligations des services audiovisuels bénéficiant d'une convention a été prévue, à titre dérogatoire, par le dernier alinéa de l'article 3 de la loi n° 96-299 du 10 avril 1996 relative aux expérimentations dans le domaine des technologies et services de l'information.

Cette mutualisation pourrait notamment bénéficier aux quotas de production et de diffusion ainsi qu'aux contributions au développement de la production et aux dépenses minimales consacrées à l'acquisition de droits de diffusion.

L'article 2 supprime, par cohérence, l'article 24 et l'article 31 de la loi du 30 septembre 1986 et procède à certains ajustements de coordination.

Il met fin, par ailleurs, à la distinction obsolète entre satellites de communication et satellites de diffusion directe.

La mise à disposition directe du public de services audiovisuels par les satellites de télécommunications, reçus aussi bien par des exploitants de réseaux câblés que par des particuliers, et l'évolution des matériels de réception ont, en effet, très fortement estompé les différences existant entre les deux types de satellites et ont rendu obsolète la différenciation juridique sur laquelle repose la loi du 30 septembre 1986, qui, en l'espèce, distinguait :

- l'usage des fréquences afférentes à la télévision par satellite de télévision directe, qui est soumise à autorisation du Conseil supérieur de l'audiovisuel en vertu de l'article 31,

- l'utilisation de fréquences relevant du ministre des Télécommunications, c'est-à-dire diffusées par des satellites de télécommunications, qui impose la délivrance d'un agrément par le Conseil supérieur de l'audiovisuel et la signature d'une convention avec ce dernier, en vertu de l'article 24.

Ce dernier article prévoyait, de surcroît, un décret en Conseil d'État qui n'a jamais été publié, ainsi que l'a relevé le rapport annuel du Conseil supérieur de l'audiovisuel pour 1994, ce qui a empêché celui-ci de délivrer des agréments et de conclure des conventions avec des services de télévision diffusés par satellite de télécommunications.

En outre, et dans le souci de rétablir un équilibre plus concurrentiel entre le câble et le satellite, les dispositions de l'article 33 de la loi du 30 septembre 1986 seraient alignées sur celles qui sont proposées pour la diffusion par satellite, ce qui permettrait aux services diffusés sur le câble de bénéficier de la mutualisation ci-dessus évoquée.

L'article 3 prévoit des dispositions à caractère pénal permettant de sanctionner le non-conventionnement d'une chaîne qui, bien que n'utilisant pas de support de diffusion français, à son siège et exerce ses activités en France.

L'article 4 permet au Conseil supérieur de l'audiovisuel d'intervenir lors de la commercialisation de services de communication audiovisuelle, qui, bien que pouvant être reçus en France, sont exploités par des personnes établies hors de France et émis depuis l'étranger.

Pour ce faire, la proposition de loi s'inspire d'une disposition du Broadcasting Act britannique, qui permet à l' Independant Telecommunication commission , autorité de régulation de l'audiovisuel, de s'opposer à la réception d'un service étranger dont les programmes « comportent régulièrement des scènes qui sont contraires au bon goût et à la décence, sont susceptibles d'inciter à la violence, de provoquer des troubles ou de constituer un outrage aux bonnes moeurs » .

Au demeurant, une telle proposition a été soutenue par M. le Ministre de la Culture dans un article publié par Le Monde, le 9 février 1996 :

« Pour la diffusion par satellite, nous pourrions utilement nous inspirer de dispositions analogues à celles prévues par le Broadcasting Act anglais. Ce qui nous permettrait de poursuivre toute personne morale ou physique ayant contribué à la commercialisation de services payants qui tenteraient de détourner les réglementations françaises ou européennes » .

L'article 4 propose, à cet effet, d'adopter les dispositions permettant de sanctionner pénalement la commercialisation de services offrant de façon habituelle des programmes, images ou messages de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine, notamment par leur caractère violent ou pornographique (pédophilie, zoophilie...).

2. Modifier la réglementation du satellite

a) Permettre la reprise de France Télévision par tous les bouquets satellitaires ?

Aux termes de l'article 34 de la loi du 30 septembre 1986 modifiée, le CSA peut imposer aux réseaux câblés la retransmission des services de radio et de télévision diffusés par voie hertzienne normalement reçus dans la zone. Cette pratique est appelée, en Amérique du nord, où elle est relativement fréquente, le « must-carry ».

Pour certains, l'intérêt d'une transposition de cette obligation à la diffusion par satellite n'apparaît pas évident en l'état actuel du marché et des conditions de diffusion des chaînes.

L'ensemble des télévisions nationales hertziennes sont d'ores et déjà diffusées par satellite et accessibles par le grand public. En effet, la diffusion satellitaire permet à TF1, France 2, Canal +, M6. La Cinquième et Arte d'alimenter leurs émetteurs hertziens.

L'obligation de reprise des chaînes hertziennes se conçoit aisément pour le câble dans la mesure où ce support de réception peut se substituer à la réception hertzienne traditionnelle, notamment dans les zones d'ombre et les zones urbaines. Il était donc important que le CSA puisse imposer la reprise des chaînes hertziennes terrestres dans l'intérêt des usagers. On remarquera qu'en pratique cependant, le CSA n'a jamais eu besoin de recourir à cette possibilité.

La réception satellitaire ne s'inscrit pas dans cette optique. Toujours utilisé en complément des autres supports de diffusion s'agissant des chaînes hertziennes terrestres, le marché de la télévision par satellite s'est essentiellement développé autour de la télévision à péage et de la télévision thématique.

Dès lors, tant que la couverture des chaînes hertziennes terrestres est aussi importante et qu'elles figurent au surplus dans les plans de services des réseaux câblés, l'obligation de reprise de ces chaînes par satellite n'apparaît pas utile.

Il en irait autrement si le multiplexeur utilisait de façon abusive sa position dominante dans l'accès au marché ou si les éditeurs s'entendaient pour exclure l'accès du multiplexe à des éditeurs tiers.

Ln revanche, peut se poser la question de l'action du CSA sur la composition des bouquets. Trois solutions peuvent être envisagées :

- prévoir un conventionnement de chaque service indépendamment de son mode de commercialisation et du satellite utilisé.

- prévoir une action du CSA sur la constitution des bouquets, limitée à ceux relevant d'une compétence française.

- donner au CSA la possibilité d'intervenir sur le plan de service global du satellite, qui peut comporter plusieurs bouquets ou des chaînes commercialisées de manière indépendante. Là également, une telle régulation ne peut intervenir que sur des satellites relevant de la compétence française.

b) La jurisprudence du Conseil de la Concurrence TV Monde pourrait être transposable aux bouquets numériques

La décision n° 91-D-51 du Conseil de la concurrence du 19 novembre 1991 relative au marché des programmes de télévision réservés à la diffusion sur les réseaux câblés, si elle se réfère aux réseaux câblés analogiques, pourrait se transposer aux bouquets numériques.

Cette décision assure la transparence de la relation éditeur - opérateur commercial.

Invité par la chaîne thématique TV Mondes à statuer sur les clauses d'exclusivité contenues dans les contrats de distribution de certains programmes thématiques réservés au câble et sur le refus opposé par certains câblo-opérateurs de diffuser la chaîne, le Conseil de la concurrence a considéré, à l'époque, et sur le marché du câble, que de telles clauses devaient disparaître.

Rappelant que : « que Le contrat type de diffusion de la chaîne Canal J, auquel sont conformés les contrats de diffusion de cette chaîne sur les réseaux, comporte une clause aux termes de laquelle l'exploitant du réseau réserve à Canal J l'exclusivité de la distribution d'une chaîne principalement destinée au public enfants-jeunesse sur la partie du plan de service accessible à tous les abonnés » , a estimé que « de telles clauses ont au moins potentiellement pour effet d'interdire ou de limiter l'accès au marché d'éditeurs concurrents proposant aux réseaux des programmes ayant un thème proche de ceux bénéficiant de l'exclusivité » et qu'elles étaient contraires aux dispositions de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ainsi qu'aux dispositions du traité de Rome relatives au droit de la concurrence.

c) Saisir le Conseil de la concurrence

A l'initiative de votre rapporteur, le président de la commission des finances a, le 26 janvier 1996, saisi le Conseil supérieur de l'audiovisuel d'une étude devant évaluer les risques de position dominante dans le domaine de la télévision payante diffusée par satellite. La saisine suggérait au CSA de se rapprocher du Conseil de la concurrence, chargé, selon les termes de l'article 41-4 de la loi du 30 septembre 1986, de « veiller au respect de la liberté de la concurrence dans le secteur de la communication audiovisuelle ».

Malheureusement, cette étude n'était pas finalisée à la date de rédaction de ce rapport.

Une saisine du Conseil de la concurrence semble très opportune, à la lumière des expériences étrangères.

(1) Des saisines comparables à l'étranger

En effet, en Grande-Bretagne, l'Office of fair trading , équivalent du Conseil de la concurrence, a examiné la situation de BSkyB. La société de télévision par satellite possédant les droits de diffusion de programmes très demandés, comme les fictions américaines ou les grands événements sportifs, l'Office a estimé que cela pouvait constituer « un obstacle à l'entrée sur le marché, qui est déjà restreinte par la capacité limitée des satellites Astra » . Même si BSkyB n'a pas de comportement anticoncurrentiel, le processus de concurrence est bridé par l'existence de ces barrières à l'entrée sur le marché.

La position monopolistique de BSkyB dans le domaine de la télévision analogique inquiète le gouvernement britannique compte tenu de l'offre numérique que l'opérateur compte bientôt proposer. Arrivant le premier sur le marché, il pourrait imposer son propre décodeur, le Set top box , aux câblo-opérateurs, principalement Nynex cablecoms et Telewest communications , des conditions drastiques pour la reprise des chaînes qu'il diffuse sur le satellite sur leurs réseaux. De même, il se trouverait en position de force pour imposer son système aux opérateurs qui remporteront l'appel d'offre lancé le 1er novembre 1996 par l' Indépendant television commission pour l'attribution de quatre groupes de fréquences dédiés à la diffusion de chaînes numériques hertziennes.

C'est pourquoi le Gouvernement britannique envisage de déposer un projet de loi obligeant BSkyB à permettre l'accès à sa technologie de manière équitable et non-discriminatoire.

De même, en Allemagne, l'Office des cartels examine l'accord Kirch-Bertelsmann conclu sur le marché de la télévision numérique payante. En 1994, les deux opérateurs s'étaient interdire, par l'Office européen des cartels, la création d'une société commune, Media-Service GmbH , vouée à la télévision numérique.

(2) Une menace pour le marché des droits

Les bouquets numériques constituent en effet une menace pour le marché des droits satellites.

Les opérateurs de bouquets numériques pourraient être tentés de mener une stratégie d'exclusivité , consistant à obtenir pour leur seul compte la diffusion de certains services rendus attractifs par le caractère inédit de leurs programmes, plutôt que la carte de l'exhaustivité , consistant à reprendre tous les programmes de qualité disponibles sur le marché.

Pour atteindre cet objectif, les chaînes hertziennes qui interviennent en qualité de coproducteurs présenteraient des contrats conditionnant le montant de leur participation dans la production au gel sur les droits satellite de l'oeuvre concernée, voire à une exclusivité de cinq à dix ans.

Or, dans la mesure où tous les diffuseurs hertziens se retrouvent dans deux sociétés de commercialisation seulement, le paysage audiovisuel pourrait en être déséquilibré.

En effet, si les bouquets numériques créent des chaînes thématiques, par exemple, dans le domaine documentaire ou dans celui de la jeunesse, comment les chaînes thématiques diffusées sur le câble, comme Canal J ou Planète, pourront-elles acquérir des programmes de qualité en première diffusion ?

Ce risque d'assèchement pourrait rendre difficile le respect des quotas de diffusion par ces chaînes.

(3) Les risques du numérique

Le développement de la diffusion audiovisuelle numérique comporte trois risques majeurs :

- rendre toute régulation impossible , au niveau international (alors qu'il existe dans chaque pays européen des règles concernant l'offre de programmes, rien n'a été prévu pour réglementer l'accès aux systèmes satellitaires européens de programmes ne respectant pas ces règles), comme au niveau national, la concurrence des chaînes transfrontières pouvant amener les diffuseurs nationaux à revendiquer l'allégement, voire la suppression de réglementations nationales.

- asphyxier les industries nationales de programmes . L'apparition de nouvelles capacités de diffusion entraîne un accroissement des besoins en programmes. Or, les diffuseurs préfèrent acquérir des catalogues de droits de diffusion plutôt que contribuer au financement de productions nouvelles.

- créer une télévision à deux vitesses. Les opérateurs pourraient être incités à réduire la qualité des programmes offerts sur les chaînes en clair au profit des chaînes cryptées et des bouquets satellite, plus rémunérateurs.

* (31) Canal + et Bertelsmann détiennent chacun 37,5 % de la chaîne à péage Première et Kirch 25 %.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page