B. LES CONSÉQUENCES À TIRER DE CETTE CRISE

Quel enseignement tirer de cette crise ?

Une plus grande vigilance s'impose à l'avenir pour France Télévision en raison de l'importance des montants financiers en cause. L'application correcte des règles de la tutelle devrait éviter toute nouvelle affaire de ce type, dont les conséquences sont préjudiciables à l'audiovisuel public.

1. La stratégie des animateurs - producteurs est-elle toujours adaptée ?

Pouvait-on imputer la dérive de la politique de France 2 vis-à-vis des animateurs d'émissions publiques à la nécessité dans laquelle se serait trouvée la chaîne d'accroître ses recettes publicitaires pour assurer son financement ?

Certains en ont douté.

En effet, France 2 a bénéficié d'une augmentation de la redevance et des subventions d'exploitation de 10 % en 1994 et de 8 % en 1995 (le budget initial prévoyait + 10 % par rapport à la réalisation de 1994). En incluant les subventions d'investissement pour la production, les variations sont respectivement de 10,8 % et - 0.6 % (contre + 1,1 % prévu en 1995).

La publicité a progressé à un rythme plus rapide que prévu et à peu près égal à celui des ressources publiques, si bien que la part des recettes d'exploitation de l'antenne en provenance de la publicité a pratiquement été la même en 1995 (46,4 %) qu'en 1993 (45,7 %). En incluant dans les ressources publiques les subventions d'investissement pour la production, cette part est passée de 43,8 % en 1993 à 46,4 % en 1995.

Ce résultat est dû à la progression du marché publicitaire et non à celle de l'audience, qui n'a pas progressé pendant cette période.

La part de la chaîne dans le volume d'audience total a même diminué, passant de 24,7 % en 1993 à 23,8% en 1995. La diminution est encore plus nette si l'on prend comme référence la part d'audience atteinte en mai 1994.

L'évolution en sens contraire des recettes et de l'audience se traduit par un accroissement du « prix » du service rendu par la chaîne, exprimé en francs reçus par la chaîne pour une heure reçue par un téléspectateur.

Celui-ci est passé de 31,5 centimes (32,8 en incluant les subventions d'investissement) en 1993 à 37,5 centimes en 1995. La ressource disponible pour le programme, hors frais de diffusion et charges indirectes de l'antenne ( ( * )40) , est passée quant à elle de 21,7 centimes (23 avec les subventions) à 27,3 centimes, soit une augmentation de 26 % en deux ans (19 % en tenant compte des subventions).

En outre, les émissions confiées à des animateurs-producteurs réalisent une performance inférieure à la moyenne générale en termes de rapport coût de programme/audience : 32,1 centimes par heure/téléspectateur en moyenne, contre 27,3 pour l'ensemble des programmes, en 1995 ( ( * )41) .

L'émission quotidienne « Studio Gabriel », animée par Michel Drucker, et, dans une moindre mesure, deux des émissions du samedi soir ( ( * )42) , sont les seules à apporter une contribution positive à la performance globale de la chaîne. En ne considérant que les émissions hebdomadaires, le coût moyen s'élève à 39 centimes par heure/téléspectateur.

Ces émissions ont-elles contribué à dégager des ressources au profit d'émissions plus conformes aux missions de service public de la chaîne ?

Un jugement définitif sur cette stratégie ne pourra sans doute jamais être porté, compte tenu du changement de la grille de programmes de la rentrée 1996, qui a exclu de nombreuses émissions produites par des animateurs.

2. La structure de la présidence commune de France Télévision

Très vite, les responsabilités structurelles, propres à l'organisation de France Télévision, sont apparues.

a) Les déficiences structurelles de la présidence commune

L'article 46 de la loi n°86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication précise que les sociétés nationales de programme, France 2 et France 3 notamment, sont :

« soumises à la législation sur les sociétés anonymes, sauf dispositions incompatibles avec la présente loi, notamment en ce qui concerne la structure de ces sociétés et la composition de leur capital » .

Les dispositions dérogatoires sont notamment relatives à la désignation des membres des conseils d'administration ainsi qu'au mode de nomination du président de France 2 et de France 3 par le Conseil supérieur de l'audiovisuel, et non pas par le conseil d'administration.

Cependant, si la loi du 2 août 1989 a prévu un président commun aux deux conseils d'administration, elle a maintenu la séparation juridique, économique et comptable de France 2 et de France 3.

Actuellement, France Télévision constitue une fiction juridique .

Elle n'a ni personnalité morale, ni budget propre. Le groupe dit « France Télévision » résulte d'une « union personnelle » , le président du groupe étant également président de France 2 et de France 3.

Il était donc devenu évident de clarifier les relations entre la présidence commune et les chaînes, ce que le législateur de 1989 n'a pas réalisé, dans un souci d'économie de moyens sans doute compréhensible à l'époque mais qui a révélé ses limites. Cette clarification était rendue nécessaire pour tirer les leçons de l'expérience tout en maintenant l'indépendance des sociétés du secteur public aussi bien à l'égard des Gouvernements que des corporatismes professionnels.

b) Les conditions de nomination du président de France Télévision

La crise de France Télévision a révélé, en second lieu, un fonctionnement très particulier des modalités de remplacement du président du groupe.

Depuis l'institution de la présidence commune, quatre présidents se sont succédé :

I - Décembre 1989 : Philippe Guilhaume

II - Décembre 1990 : Hervé Bourges

III. - Décembre 1993 : Jean-Pierre Elkabbach

IV. - Juin 1996 : Xavier Gouyou Beauchamps.

Pour la première et la troisième de ces nominations, les procédures mises au point par le Conseil supérieur de l'audiovisuel lui-même, comblant ainsi les silences du législateur, furent respectées : mais les présidents furent, l'un et l'autre et pour des raisons différentes, conduits à la démission (dans les circonstances dont chacun se souvient).

Les deuxième et troisième de ces nominations ont été acquises hors des procédures fixées par le Conseil supérieur de l'audiovisuel lui-même , à la suite d'un accord rapide - discret mais connu - entre le Gouvernement et le Conseil supérieur de l'audiovisuel.

Le mode de nomination et de révocation du président de France Télévision devait donc être revu.

Tel a été l'objet d'une proposition de loi n° 477 présentée au Sénat le 27 juin 1996.

3. L'analyse succincte de cette proposition de loi

Le propos de ce texte figure ci-après résumé.

Économie de la proposition de loi n° 477 du 27 juin 1996

relative à la présidence commune de France Télévision

1/ La présidence commune est dotée de la personnalité juridique.

La proposition de loi dote France Télévision de la personnalité juridique et de l'autonomie financière, en créant une société holding chargée des questions communes aux deux sociétés nationales de programme . La création d'une telle société permettrait de combler les lacunes existantes. Son budget serait alimenté à parité par France 2 et France 3.

L'absence d'un conseil d'administration auprès de la présidence commune est en effet largement responsable des dysfonctionnements qui viennent d'éclater au grand jour. Le président commun à France 2 et France 3 a des pouvoirs très importants :

« Le président de la société assume sous sa responsabilité la direction générale de la société et la représente dans ses rapports avec les tiers.

Sous réserve que la loi ou les présents statuts attribuent expressément à l'assemblée générale ou au conseil d'administration, et dans la limite de l'objet social, il est investi des pouvoirs les plus étendus pour agir en toutes circonstances au nom de la société ».

(article 20 des statuts de France 2)

En effet, un nombre croissant de questions communes à France 2 ou France 3, comme la politique des sports ou la politique des programmes de divertissement sur France 2, ont été traitées directement par la présidence commune, sans que les conseils d'administration de chaque chaîne aient été informes dans le détail.

L'affaire des contrats des animateurs-producteurs a amplement démontré que, faute d'un conseil d'administration du groupe dit « France Télévision », les contrôles pouvaient être déficients.

La création d'une structure de contrôle auprès du groupe France Télévision limitera les pouvoirs trop étendus dont dispose actuellement le président. L'exposé des motifs de la loi du 2 août 1989 avait pourtant prévu que le président aurait été assisté d'un « comité stratégique de coordination composé notamment des deux directeurs généraux », mais cette instance n'a jamais été mise en place.

La proposition de loi dote la présidence commun d'un conseil d'administration dont la composition, inspirée par l'article 5 de la loi n° 83-675 du 26 juillet 1983 relative à la démocratisation du secteur public, renforce la présence de l'État. Les conseils d'administration placés auprès des deux chaînes verraient leur composition modifiée selon les mêmes modalités.

Le rôle des conseils d'administration serait précisé dans la loi. Leur contrôle sur les conventions serait notamment accru et compléterait celui joué par le contrôleur d'État.

2/ Un conseil d'orientation chargé de débattre de la stratégie des cha înes publiques serait créé auprès de la société holding .

Si les objectifs et la mission de l'audiovisuel public sont fixés dans les cahiers des charges, rédigés par le Gouvernement, et discutés au Parlement lors du vote des ressources publiques qui lui sont affectées, les moyens et la stratégie des chaînes publiques ne sont ni clairement débattus, ni précisés.

Un conseil d'orientation, associant les parlementaires, des représentants du Conseil supérieur de l'audiovisuel, des représentants des associations de téléspectateurs et des représentants des personnels serait créé.

Il serait consulté sur la stratégie générale de France 2 et de France 3, définie dans le cadre de la société holding, et sur les moyens de sa mise en oeuvre par chacune des sociétés.

3/ La nomination du président de France Télévision serait réformée.

Les dispositions actuelles de la loi du 30 septembre 1986 ne fixent aucune condition pour révoquer un président d'une société nationale de programme. Elles n'opèrent, en particulier, aucun lien entre la constatation d'un manquement grave au cahier des charges et l'adoption d'une telle décision.

Le Conseil supérieur de l'audiovisuel dispose d'une totale liberté d'appréciation quant à l'opportunité d'une révocation. Celle-ci s'opère néanmoins sous le contrôle que pourrait exercer le Conseil d'État.

L'éviction d'un président de chaîne doit constituer la sanction majeure du non-respect par celle-ci de ses obligations ou d'une faute lourde de gestion de la part du président. En réalité, la révocation est d'un maniement délicat et d'un usage improbable, dans la mesure où le Conseil supérieur de l'audiovisuel n'est que consulté pour la rédaction du cahier des charges des chaînes publiques et où il ne dispose pas de compétence pour contrôler leur exécution, y compris sous l'angle de la gestion. Le contrôle des actes de gestion est, en effet, de la responsabilité des conseils d'administration où siègent quatre représentants de l'État-actionnaire.

L'État, unique actionnaire, se trouve dans la situation paradoxale de devoir contrôler la gestion d'un président d'une entreprise publique qu'il ne peut ni nommer ni révoquer, tandis que l'instance qui le nomme et peut le révoquer, ne peut contrôler sa gestion.

La proposition de loi met fin à ce système à la fois ubuesque et déresponsabilisant.

L'État fixe déjà les statuts, approuve les comptes, joue un rôle prépondérant au sein du conseil d'administration de France 2 et de France 3, contrôle, via le contrôle d'État et la direction du Budget, la gestion de ces deux entreprises. Il détermine le montant des ressources publiques, approuvées par le Parlement, et établit les charges et les missions de chaque chaîne.

Il est donc proposé, dans un double souci de transparence réelle et de responsabilité totale, de confier au conseil d'administration de la société holding la nomination du président de France Télévision, ainsi que son éventuelle révocation.

* (37) Le conseil d'administration est composé de douze membres dont quatre représentants de l'État, quatre personnalités nommées par le CSA, deux représentants du personnel et deux parlementaires.

* (38) Rapport n°373 du 6 juin 1979.

* (39) Une précédente mission dont l'objet était identique avait été effectuée le 17 mai 1995 , mais France 2 ayant invoqué le secret commercial, le contenu de ces contrats ne fut pas rendu public par votre rapporteur.

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