II. LA NATURE DU PROBLÈME

Ces pratiques posent de sérieux problèmes juridiques et introduisent de l'opacité là où la transparence s'impose.

1. Les fonds de concours

> Un défaut d'évaluation en loi de finances initiale peu justifié

Il existe en réalité deux catégories de fonds de concours. L'article 19 de l'ordonnance du 2 janvier 1959 distingue :

- "les fonds versés par des personnes morales ou physiques pour concourir avec ceux de l'État à des dépenses d'intérêt public, ainsi que les produits de legs et donations attribués à l'État ou à diverses administrations publiques" qui sont de vrais fonds de concours par leur nature".

- des produits "de certaines recettes de caractère non fiscal" qui peuvent être assimilés à des fonds de concours pour dépenses d'intérêt public et qui sont donc des fonds de concours par assimilation.

L'essentiel des fonds de concours rattachés aux services financiers relève de cette deuxième catégorie. Les "vrais" fonds de concours, ceux correspondant à la première définition, ne s'élèvent qu'à peu de choses : 27 millions de francs pour les services financiers.

Les fonds de concours ont évidemment un caractère budgétaire en ce sens qu'ils sont rattachés au budget en cours d'exercice et qu'ils figurent en loi de règlement. Mais ils ne font pas l'objet d'une évaluation budgétaire initiale ni en recettes, ni en dépenses. Cette différence est essentielle : les opérations en cause échappent à l'autorisation du Parlement et au débat public d'opportunité qui l'accompagne, dérogeant ainsi à des principes démocratiques fondamentaux.

Cette situation peut s'expliquer pour les fonds de concours dont le versement dépend d'une intention libérale affectée par nature d'une part d'incertitude.

Elle ne paraît pas justifiée pour les fonds de concours qui. du fait des conditions de leur versement et de leur rattachement, présentent des caractéristiques telles que leur évaluation soit possible sans risque majeur d'erreur.

Or. tel est le cas pour la plupart des fonds de concours alimentant le budget des services financiers.

Pour se dispenser d'en évaluer le montant en loi de finances initiale, l'administration des finances fait souvent valoir la disposition suivante de l'article 19 de l'ordonnance organique.

"Les fonds versés par des personnes morales ou physiques pour concourir avec ceux de l'État à des dépenses d'intérêt public, ainsi que les produits de legs et donations attribués à l'État ou à diverses administrations publiques, sont directement portés en recettes au budget. Un crédit supplémentaire de même montant est ouvert par arrêté du ministre des finances au ministre intéressé. L'emploi des fonds doit être conforme à l'intention de la partie versante ou du donateur. Des décrets pris sur le rapport du ministre des finances peuvent assimiler le produit de certaines recettes de caractère non fiscal à des fonds de concours pour dépenses d'intérêt public."

Les fonds de concours par nature "sont directement portés en recettes au budget". L'adverbe "directement" est alors compris comme excluant toute évaluation préalable à l'occasion du projet de budget.

Une autre conception est possible qui consiste à attribuer cette disposition au souci des auteurs de l'ordonnance que les fonds de concours ne fassent pas l'objet d'un détournement quelconque ou qu'ils contribuent à enrichir la trésorerie de l'État en n'étant pas inscrits en dépenses.

Au demeurant, la phrase qui suit "Un crédit supplémentaire de même montant est ouvert par arrêté du ministre des finances au ministre intéressé" invite à privilégier cette interprétation. On peut même se demander si ce n'est pas par inadvertance que l'adverbe "directement" a été placé dans la phrase précédente et si l'intention première n'était pas de souligner le devoir d'immédiateté dans l'ouverture des crédits aux ministres.

> Une frontière à préciser :


• Les questions posées par "le prélèvement sur le produit des impositions locales".

Dans son rapport sur l'exécution du budget pour 1993, la Cour des comptes relevait "le prélèvement est supporté par le redevable, en sus de l'impôt ou de la taxe due ; il ne s'impute d'aucune façon sur le produit revenant aux collectivités ou organismes intéressés."

De cette observation, il semblait qu'on puisse conclure que le prélèvement en cause n'était pas assimilable à un fonds de concours.

Les fonds correspondant ne sont en effet pas versés par les collectivités locales mais directement prélevés auprès des contribuables locaux. Ils ont par ailleurs un caractère fiscal et n'entrent pas. à ce titre, dans la deuxième catégorie des fonds de concours définie par l'ordonnance du 2 janvier 1959.

L'intitulé du prélèvement ne doit, en outre, pas tromper : il n'est en aucune manière assimilable à une redevance pour services rendus.

Le redevable du prélèvement n'est pas la collectivité locale qui bénéficie du "service" en question.

Il n'existe "a priori" pas de proportionnalité entre le montant du prélèvement et le coût du "service" rendu ce qu'exigerait le statut de redevance.

En réalité, le prélèvement dont il s'agit peut à tous égards être considéré comme une taxe prélevée par l'État sur les contribuables locaux à raison des impositions locales qu'ils doivent acquitter.

Son assiette est d'ailleurs composée des cotisations dues par les contribuables locaux à raison des impositions locales.

Son taux de 4.4 % s'applique à cette assiette.

Il s'ensuit que le traitement budgétaire du produit de ce prélèvement est reprochable.

Le traitement budgétaire du prélèvement est hybride.

La loi de finances initiale pour 1996 comporte d'abord une ligne de recettes n° 309 intitulée "Frais d'assiette et de recouvrement des impôts et taxes établis ou perçus au profit des collectivités locales et de divers organismes". Son produit, évalué à 9.2 milliards de francs en 1995, devrait s'élever, en 1996, à 9.7 milliards de francs.

Le montant de 9.7 milliards de francs inscrit pour 1996 à la ligne 309 des ressources non fiscales n'épuise pas le produit du prélèvement opéré Par l'État à ce titre. Il est à noter que l'inscription de cette recette sur une ligne de ressource non fiscale semble contrevenir à sa nature.

Une autre partie du produit du prélèvement est considérée comme un fonds de concours.

Pour 1996, l'enveloppe ainsi traitée s'élèverait à 4,7 milliards de francs.

La Cour des comptes rappelait dans son rapport sur l'exécution du budget de 1994 que l'essentiel des fonds de concours recensés dans le "jaune" (en nombre comme en montant, plus de 87 %) correspondait aux "prélèvements pour frais d'assiette et de recouvrement" de divers impôts et taxes établis et collectés par l'État pour le compte des collectivités et organismes divers".

Mais, compte tenu de la nature du prélèvement étudié, il semble qu'une stricte application des règles budgétaires devrait conduire à réintégrer les sommes considérées jusqu'à présent comme des fonds de concours sous une ligne des recettes de l'État et ainsi à cesser de leur réserver le sort des fonds de concours.

Cette solution aurait au moins deux vertus :

- Elle remédierait aux problèmes de lisibilité posés par la situation actuelle qui. en éclatant le produit de la taxe, ne favorise par le contrôle de son évolution par les différents intéressés.

- Elle contribuerait à une évaluation plus fidèle des recettes de l'État 1 ( * ) .

Car, en s'abstenant d'évaluer l'ensemble du produit de la taxe au stade de la loi de finances initiale, l'État paraît manquer à son devoir de sincérité dans l'évaluation des recettes fiscales. Dans les faits, celles-ci en ont été minorées de l'ordre de 4,7 milliards de francs en 1996.

Les problèmes pratiques posés par cette solution d'orthodoxie budgétaire ne se manifesteraient que pour autant qu'elle se traduirait par une banalisation de l'ensemble de la recette et par un changement de la nature des dépenses financées.

On doit rappeler qu'en l'état, les rattachements de fonds de concours d'une partie du produit de la taxe financent, pour une grande part, différentes dépenses du Trésor Public.

Les principaux chapitres concernés sont les suivants :

Le Trésor Public "absorbe" la plus grande part des "fonds de concours" rattachés au ministère au titre des frais d'assiette et de perception des impôts locaux dont le total devrait s'élever, selon toute vraisemblance, à un montant sensiblement supérieur à celui indiqué dans le document les récapitulant.

L'essentiel des ressources perçues à ce titre finance des crédits de rémunération avec une part importante consacrée à des indemnités et allocations diverses.


Les questions posées par le prélèvement sur le produit du contrôle fiscal (article 5 de la loi du 17 août 1948).

Il est fondé sur l'article 5 de la loi du 17 août 1948 qui constitue à l'évidence une survivance après l'entrée en vigueur de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959.

Cette situation avait appelé l'an dernier l'attention de la commission des finances du Sénat.

Au cours de la séance publique du 27 novembre 1995, l'attention du ministre du budget avait été appelée sur le "caractère incertain et quelque peu obsolète du fondement juridique de l'article 5 de cette loi de 1948, qui n'est pas en complète cohérence avec les principes de l'ordonnance de 1959, ainsi que sur l'effort qui serait justifié, et pour lequel il est normal, d'ailleurs, que les assemblées et le Gouvernement coopèrent, pour ramener au principe budgétaire ordinaire le traitement de ce prélèvement sur le produit des redressements fiscaux".

En réponse, le ministre du budget avait indiqué : "Quant aux recettes de l'article 5 de la loi de 1948, en vertu du nouvel article 68 quater. elles seront récapitulées dans le "jaune" qui donne l'état récapitulatif des crédits des fonds de concours. Je considère que c'est un progrès très important dans le domaine de la transparence. Ce n'est peut-être pas suffisant et nous devons maintenant envisager les modalités pratiques. Nous sommes tout à fait disposés à y travailler lors de l'élaboration du projet de loi de finances pour 1997, en étroite coordination avec les rapporteurs intéressés, tant de l'Assemblée nationale que du Sénat...".

Ce débat s'était instauré après le vote par l'Assemblée nationale d'une disposition appelée à devenir l'article 111 de la loi de finances pour 1996 aux termes duquel : "A compter du projet de loi de finances pour 1997, les crédits rattachés au budget des services financiers et correspondant au prélèvement institué par le dernier alinéa de l'article 5 de la loi n° 48-1268 du 17 août 1948 tendant au redressement économique et financier font l'objet d'une évaluation par chapitre, pour l'exercice dont les crédits sont soumis à l'examen du Parlement, dans l'annexe donnant l'état récapitulatif des crédits de fonds de concours".

Cette disposition ne levait, à l'évidence, pas les interrogations sur la validité de la loi de 1948 et ne pouvait dès lors être considérée autrement que comme une solution offrant une amélioration transitoire à la situation antérieure à son adoption.

Votre commission se félicite de la volonté de transparence manifestée par le ministère de l'économie et des finances qui s'est traduite notamment par la récapitulation dans le "jaune" de moyens qui n'y figuraient pas jusqu'alors. Toutefois, son rapporteur spécial souhaite que la réflexion se poursuive afin de trouver une solution aux problèmes pendants.

2. Les comptes extrabudgétaires

L'existence des comptes extrabudgétaires semble assise sur des bases légales incertaines. Il s'agit, au sens strict du terme, de recettes et de dépenses de services de l'État qui ne font pas l'objet d'évaluation dans le projet de loi de finances et ne sont que partiellement retracés dans la loi de règlement.

Cette situation n'est pas conforme aux principes de notre droit budgétaire.

C'est la raison pour laquelle, à l'initiative de l'Assemblée nationale, avait été voté l'article 110 de la loi de finances pour 1996 qui dispose : "À compter du projet de loi de finances pour 1997, les recettes et dépenses extrabudgétaires de toutes les administrations d'État sont réintégrées au sein du budget général".

Votre commission avait reconnu qu'il s'agissait là d'un progrès. Cependant, ayant fait remarquer que cet article ne régirait pas les fonds de concours à proprement parler, elle avait exprimé le voeu que la solution prévue pour les crédits extrabudgétaires soit étendue aux vrais fonds de concours, c'est-à-dire aux versements correspondant à la définition de l'ordonnance du 2 janvier 1959 - v. supra -, et être informé des mesures prises pour assurer l'effectivité d'un dispositif que. par sous-amendement, le Gouvernement avait souhaité étendre à l'ensemble des administrations d'État.

Ni l'un ni l'autre des voeux exprimés ne semblent avoir reçu satisfaction.

Dans ces conditions, l'application de l'article 110 de la loi de finances pour 1996 n'apparaît pas effective ce qui est, pour le moins, peu admissible. Il est vrai que la réintégration de ces divers comptes dans le budget général ou. pour certains dont la nature le justifie, leur transformation en fonds de concours officiels, requiert certaines étapes de procédure et notamment des changements réglementaires ; cependant, une partie au moins des réintégrations nécessaires devrait se traduire dans la loi de finances 1997, puisque les procédures y conduisant doivent logiquement aboutir dans le cours de cette année. Cette première étape de réintégration ne saurait d'autant moins être différée que les sommes en jeu n'affecteraient pas significativement la présentation d'ensemble de la loi de finances.

* 1 Toutefois, à l'inverse des conséquences de certaines imputations budgétaires retenues pour d'autres fonds de concours, on ne peut relever en l'espèce d'impact sur la sincérité du solde budgétaire prévisionnel Celui-ci n'est pas affecté puisque les recettes éludées ont pour corollaires des dépenses qui ne sont elles-mêmes pas évaluées à ce stade

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