II. L'ACTION DU GOUVERNEMENT EN MATIERE AGRICOLE : DE GRANDS PROJETS ET UNE GESTION CONCRÈTE DES URGENCES

A. CHRONIQUE D'UNE CRISE A U QUOTIDIEN

1. L'analyse de la crise de la filière bovine

Ce qu'il est désormais convenu d'appeler, depuis le 19 mars dernier, la « crise de la vache folle » est, en premier lieu, une crise sanitaire. Dans la mesure où l'impact sur la santé humaine, voire, hors du Royaume-Uni, sur la santé animale, reste faible actuellement, pour autant qu'il puisse être quantifié, c'est aussi une crise de défiance des consommateurs. C'est enfin, dans ses conséquences mesurables et à court terme, avant tout la crise d'une filière de production agricole.

a) L'historique

En mai 1988, le chef des services vétérinaires britanniques informe officiellement l'OIE (Office international des épizooties) de l'apparition d'une nouvelle pathologie animale, l'encéphalopathie bovine spongiforme (ESB). Popularisée dans le grand public sous le nom de « maladie de la vache folle » -en raison du déséquilibre nerveux caractéristique des animaux atteints- elle fut observée pour la première fois en avril 1985 dans le Kent. Depuis cette époque, près de 163.000 cas ont été recensés au Royaume-Uni, dans 33.000 exploitations : (59 % des troupeaux laitiers et 15 % des troupeaux allaitants). 63 % des troupeaux touchés ont enregistré trois cas d'ESB ou moins.

L'ESB fait partie des maladies dégénératives du système nerveux central, à l'instar de la tremblante du mouton (décrite dès le 18ème siècle), de l'encéphalopathie du vison (1947), du cerf (1967), de l'élan du Cap et de l'Oryx d'Arabie (1987), des chats (1989), de l'Autruche (1991), du guépard et du puma (1992). Trois maladies humaines relèvent d'une pathologie comparable : le Kuru, le syndrome de Gerstmann-Straiissler-Scheinker et la maladie de Creutzfedt-Jakob (MCJ). Ces maladies, encore mal connues, sont associées à la présence d'un agent de transmission non conventionnel (ATNC), le « prion », ni simple protéine, ni virus. Selon la thèse actuellement privilégiée, le prion serait une protéine dépourvue d'acide nucléique ne provoquant pas de réponse immunitaire humorale. Récemment, des chercheurs anglais ont mis en évidence une certaine parenté génétique entre l'ESB et la MCJ : la structure des protéines prions des humains et des bovins présenterait certaines similitudes augurant d'une plus grand probabilité de franchissement de la barrière d'espèce.

La maladie atteint des bovins qui présentent tout d'abord des troubles du comportement (agressivité, léchage, prurit, panique), qui s'aggravent et s'associent à des troubles locomoteurs et à une dégradation de l'état général. Le refus d'entrer en salle de traite est couramment signalé. En quelques semaines à quelques mois, la mort intervient inéluctablement. Le diagnostic différentiel est délicat, particulièrement dans les pays où l'affection sévit sous forme sporadique. L'ESB peut ainsi être confondue avec la listériose, les abcès du cerveau ou de la moelle épinière et des maladies métaboliques comme l'acétonémie ou l'hypomagnésémie.

Face à cette maladie, ni les États membres, ni l'Union européenne, ni la communauté internationale n'ont attendu le 20 mars dernier pour prendre d'importantes précautions à l'égard de l'ESB.


• Pour les animaux

- 1986 : au Royaume-Uni, la reconnaissance officielle de l'ESB intervient en novembre après que plusieurs dizaines de cas se soient déclarés.

- 1988 : au mois de juin, l'ESB devient une maladie à déclaration obligatoire, au lendemain de sa notification officielle à l'OIE, en mai. Le 8 juillet, le Gouvernement britannique annonce que tous les bovins atteints d'ESB seront abattus et détruits à titre de mesure préventive. Le 24 juillet, l'Australie interdit toute importation de bétail en provenance du Royaume-Uni.

- 1989 : le 27 mai, la Nouvelle-Zélande interdit l'importation de tout matériel génétique britannique. Le 28 juillet, la commission européenne interdit l'exportation des bovins britanniques nés avant le 18 juillet 1988 (date à laquelle le Royaume-Uni avait interdit l'utilisation des farines de viandes et d'os de ruminants dans l'alimentation des ruminants) ou nés de vaches suspectées d'ESB.

- 1990 : le 24 février, l'Arabie Saoudite interdit l'importation de bétail britannique ; le 1er mars, la CEE limite les exportations de bovins britanniques aux animaux de moins de six mois ne descendant pas de vaches suspectées d'ESB (ces animaux devront par ailleurs être abattus avant l'âge de six mois) ; en avril, tout cas d'ESB doit être notifié au niveau européen ; au mois de juin, l'ESB est déclarée maladie légalement contagieuse -et donc à déclaration obligatoire- en France ; le 8 juin, la CEE demande au Royaume-Uni la mise en place d'un fichier informatisé permettant une identification fiable des animaux ; en décembre, le réseau français d'épidémie surveillance est opérationnel et les pouvoirs publics prennent en l'abattage et l'indemnisation des troupeaux dans lesquels aura été constaté un cas d'ESB.


Pour l es viandes et abats

- 1989 : le 14 juin, la consommation de certains abats est interdite au Royaume-Uni ;

- 1990 : au mois de janvier, au Royaume-Uni, les abats spécifiés des bovins âgés de plus de six mois sont interdits à la consommation humaine quel que soit le statut de l'élevage dont ils proviennent ; le 9 avril, la CEE ordonne la destruction de la carcasse et des abats des bovins atteints d'ESB et réglemente l'exportation de certains tissus et organes des bovins de plus de six mois du Royaume-Uni vers les autres États membres (sont concernés cerveau, moelle épinière, rage, amygdales, ganglions lymphatiques, intestin, thymus, rate) ; à la fin mai, la France, l'Autriche, l'Allemagne et l'Italie interdisent l'importation des viandes bovines britanniques (interdiction qui sera levée le 7 juin après que le Royaume-Uni a renforcé ses contrôles sanitaires) ; en juin, suite à une décision de la CEE, l'exportation de la viande fraîche provenant de troupeaux où des cas d'ESB ont été diagnostiqués n'est autorisée que si celle-ci est désossée et préparée de façon à éliminer ganglions lymphatiques et troncs nerveux ; le 14 juin, la Suisse interdit l'importation de viande bovine britannique ;

- 1992 : au mois de juillet, en France, les tissus d'origine bovine appartenant aux classes I et II de l'OMS (cerveau, moelle épinière, rate amygdales, ganglions lymphatiques, iléon, colon proximal) mais aussi le placenta, l'hypophyse, les glandes surrénales, la glande pinéale, la dure ère et le liquide céphalo-rachidien sont retirés des compléments alimentaires et des produits destinés à l'alimentation infantile ;

- 1994 : au mois de juillet, l'Union européenne interdit l'exportation des abats bovins spécifiés d'origine britannique vers les pays tiers ; le 18 juillet, l'Union interdit l'exportation de viande bovine britannique avec os si un cas d'ESB a été diagnostiqué dans l'élevage fournisseur au cours des six années précédentes ; le 27 juillet, le Royaume-Uni se voit imposer la destruction des abats (cervelle, moelle épinière, thymus, amygdales, rate, intestins) des bovins de plus de six mois ;

- 1995 : le 14 décembre, le Royaume-Uni met en place des contrôles supplémentaires pour éviter l'entrée dans la chaîne alimentaire d'agents potentiellement infectieux, les prions ;

- 1996 : le 6 février, six Länder allemands interdisent la vente de viande bovine britannique ; le 8 février, l'Académie nationale de médecine recommande d'interdire la destruction de la plupart des abats des bovins de plus de six mois.

* Pour les farines animales

- 1988 : le 18 juillet, le Royaume-Uni interdit les farines de viandes et d'os (FVO) de ruminants dans l'alimentation des ruminants ; en décembre cette interdiction est étendue à l'ensemble des farines animales ;

- 1989 : le 13 août, la France interdit l'importation de farines animales britanniques sauf si l'entreprise s'engage à ne pas les distribuer à des ruminants (le 15 décembre, cette dérogation est réservée aux seules entreprises ne produisant pas d'aliments non ruminants) ;

- 1990 : le 24 juillet, la France interdit l'utilisation des farines de viandes dans l'alimentation des bovins ; le 25 septembre, la France interdit l'incorporation des abats à risque dans l'alimentation animale ;

- 1994 : le 27 juin, l'Union européenne interdit l'utilisation des protéines issues de tissus ruminants (ou de viandes de mammifères non identifiées) dans l'alimentation des ruminants.

b) Le déclenchement de la crise et la réaction de la France

Le 19 mars 1996, le Gouvernement britannique a admis pour la première fois, officiellement, le lien possible entre l'ESB et la maladie de Creutzfedt-Jakob.

Depuis lors, outre les mesures communautaires, la France a adopté un arsenal de textes pour faire face à l'ESB. Parmi cette série de textes on peut relever :

- deux arrêtés du 21 mars 1996 qui soumettent à un embargo total des importations de bovins britanniques et de produits préparés à partir de ces viandes ;

- un arrêté du 13 juin 1996 qui interdit la commercialisation des abats de bovins français nés avant le 31 juillet 1991 ;

- un décret du 14 juin 1996 qui ajoute la « tremblante des ovins et des caprins » à la liste des maladies animales contagieuses ;

- deux arrêtés du 28 juin 1996 qui déclarent impropres à la consommation humaine le cerveau, la moelle épinière et les yeux des ruminants ainsi que certains abats bovins et prescrivent l'incinération des animaux morts de maladie ;

- six arrêtés du 10 septembre 1996 qui suspendent (sauf dérogation) l'importation et la mise en marché d'encéphale, de moelle épinière et d'yeux de bovins de plus de six mois ou d'ovins et caprins en plus d'un an (ainsi que tout produit dérivé) et fixent les conditions sanitaires de fabrication, commercialisation et importation des aliments pour animaux...

La plupart de ces décisions ont été décidées après consultation ou sur recommandation du comité « sur les encéphalopathies spongiformes transmissibles et les prions » présidé par le professeur Dormont.

c) Les mesures financières à la crise de l'ESB


• Au niveau communautaire


• Dans le courant de l'été, la Communauté a décidé des mesures exceptionnelles pour faire face à cette situation :

- pour l'année 1996, un complément a été ajouté à la prime au maintien du troupe de vaches allaitantes (PMTVA) et à la prime spéciale au bovin mêle (PSBM) ; la PMTVA et la PSBM ont été ainsi respectivement augmentées de 27 et 23 Ecus ;

- les broutards (animaux de moins de dix mois et de moins de 300 kg vifs) ont été admis à l'intervention, c'est-à-dire ont fait l'objet d'achats publics.

Ces mesures d'urgence n'ont pas suffi à résoudre les difficultés du secteur qui, avant même la crise de la « vache folle », souffrait d'une tendance à un excès de l'offre.


• La proposition présentée par la commission européenne le 30 juillet tend à réformer durablement l'OCM de la viande bovine. Elle prévoit :

- une réduction des plafonds concernant le nombre maximum de bovins mâles susceptibles d'ouvrir droit à la PSBM. Ces plafonds seraient fixés au nombre de primes versées en 1995, diminué de cinq pour cent ;

- l'obligation pour les États membres de mettre en place le programme dit de « transformation », des jeunes veaux. Ce programme, défini lors de la réforme de la PAC de 1992, n'a été appliqué jusqu'à présent qu'au Royaume-Uni ; il prévoit le versement d'une prime pour l'abattage des veaux mâles de moins de dix jours, issus de vaches allaitantes non destinés à la consommation. En outre, la prime de « transformation » pourrait être désormais versée, à l'initiative des États membres, pour les veaux mâles abattus jusqu'à l'âge de vingt jours à condition qu'ils soient exclus de la chaîne d'alimentation humaine. La prime serait également versée pour les jeunes veaux appartenant à une race à viande et abattus avant l'âge de six semaines ;

- la modification des conditions d'octroi de la prime à l'extensification. Le taux de chargement pour bénéficier de cette prime passerait de 1, 4 à 1, 2 UGB (unité de gros bétail) par hectare. Le montant de la prime (36,23 Ecus/tête) passerait à 54 Ecus pour un taux de chargement inférieur à 1 UGB/hectare ;

- le relèvement des plafonds des achats à l'intervention, qui atteindraient 720.000 tonnes en 1996 (la réforme de la PAC de 1992 prévoyait 400.000 tonnes) et 500.000 tonnes en 1997 (contre 350.000 tonnes selon la réforme) ;

- l'introduction d'une mesure spéciale d'intervention pour les jeunes bovins mâles âgés de 7 à 9 mois et de moins de 300 kg ;

- une réforme du volet « structures » de l'OCM, rendant plus restrictifs les critères d'éligibilité aux aides. Seules subsisteraient les aides aux jeunes agriculteurs et les aides aux investissements concernant la protection de l'environnement, l'hygiène et le bien-être des animaux à condition qu'il n'en résulte aucune augmentation de la capacité de production.

On rappellera pour mémoire que le montant inscrit en 1997 sur les crédits communautaires ne s'élève à 2.680 milliards d'écus, en progression de 8,2 % par rapport à 1996, que grâce aux crédits apportés par la « solidarité intersections ».

On retrouve là la proposition de la commission européenne de financer ses mesures ESB à moyen terme par le report de paiement des avances aux oléagineux (pour 1997) et par une diminution de l'ensemble des aides aux grandes cultures (pour les années ultérieures) qui « rapporterait » 1,3 à 1,6 milliards d'écus par an. Les protéagineux seraient épargnés, mais la baisse des primes unitaires serait de 4,2 % pour les oléagineux, 7,3 % pour les céréales et 26,8 % pour le gel des terres.

Quelle que soit la validité des arguments avancés pour exciper d'une possibilité de diminuer les aides aux grandes cultures, il en est un, dans l'autre sens, qui devrait empêcher d'effectuer cette opération dans les conditions envisagées par la commission européenne : le niveau de ces subventions, quelque critiquable qu'il soit, fait partie du « contrat » passé en 1992. La PAC réformée ne doit certainement pas être immuable, mais une crise et quelques considérations budgétaires n'autorisent pas à la modifier substantiellement sans réflexion préalable.

Il semblerait aujourd'hui que cette proposition communautaire ne soit plus à l'ordre du jour,

Plus récemment la France a obtenu de nouvelles mesures communautaires pour faire face à la situation des éleveurs.

L'accord intervenu le mercredi 31 octobre à Luxembourg comprend deux séries de mesures pour résoudre la crise de la viande bovine, l'une portant sur la réduction de la production, l'autre sur l'indemnisation des éleveurs.

Les mesures de réduction de la production de viande bovine consistent en :

- l'instauration de primes optionnelles sur le veau : soit une prime d'abattage (prime baptisée « Hérode »), soit une prime de mise sur le marché précoce. Ces deux mesures doivent aboutir à une réduction d'un million de veaux ;

- la réduction des quotas de primes pour les bovins mâles à 9 millions de têtes (contre 11,2) ;

- l'instauration d'une prime unique au lieu de deux pour les taureaux ;

- le plafond d'intervention de la commission porté de 460.000 à 550.000 tonnes pour 1996 ;

- la hausse de la prime en faveur de la prime en faveur de l'élevage extensif (peu d'animaux sur de grandes surfaces).

En matière d'aides financières, 500 millions d'écus pour les États membres ont été obtenus. La France reçoit la plus grosse part, soit 23,8 %. Cette aide supplémentaire, décidée par les Quinze, sera financée par des économies réalisées sur le budget agricole de l'Union européenne.

Elle vient s'ajouter aux 850 millions d'écus (5,440 milliards de francs) déjà promis, en juin dernier, lors du sommet européen de Florence.

A cette occasion , votre rapporteur tient à souligner le courage et l'efficacité dont le Ministre de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation, M. Philippe Vasseur, a fait preuve depuis le début de cette crise .


• Au niveau national

Les mesures nationales comprennent :

- 600 millions de francs -dont 300 millions apportés par l'Office national interprofessionnel des viandes, de l'élevage et de l'aviculture (OFIVAL) et 300 millions issus de la solidarité des producteurs de céréales et de végétaux. Ces fonds ont été repartis entre les départements pour être attribués en tenant compte des situations locales par les commissions départementales d'orientation agricole. Les paiements sont en cours dans soixante départements :

- 840 millions de francs affectés à l'allégement des charges, soit sociales, par un report de la moitié des cotisations sociales dues pour 1996, soit d'emprunt, par la prise en charge des annuités correspondant, pour les plus endettés, à la période comprise entre juillet 1996 et juin 1997. Le bénéfice de ces allégements est réservé aux exploitants qui tirent de l'élevage bovin plus de 50 % de leurs recettes totales d'exploitation.

Il n'est pas facile de retrouver dans les mouvements de crédits budgétaires nationaux les flux de financement des mesures nationales annoncées en juillet, et ce pour plusieurs raisons :


la participation demandée aux uns et aux autres a été plus ou moins fixée dès cet été, mais les modalités précises ne sont pas fixées ;


l'enveloppe de 1,44 milliards de francs d'aides nationales annoncée ne sera que partiellement financée sur fonds publics : le Crédit Agricole, les producteurs de céréales, oléagineux et betteraves sont également sollicités ;


les fonds publics en question viendront de diverses sources : le ministère de l'Agriculture, mais aussi le BAPSA, l'OFIVAL, d'autres ministères (pour l'aval de la filière)...


le recours à des actes de gestion budgétaire qui ne reçoivent aucune traduction réglementaire, donc aucune publicité officielle, s'est généralisé, avec les « gels » et « déblocages » de crédits : le Parlement ne peut plus suivre l'exécution budgétaire véritable.

Par ailleurs, le ministre a annoncé lors du débat d'orientation budgétaire sur l'agriculture que l'État complèterait l'aide accordée lors du Conseil de Luxembourg ( ( * )3) .

* (3) JO (Sébat) débats parlementaires. Mercredi 6 novembre 1996, page 5394.

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